lunes, 19 de febrero de 2018

ultima parte

Le messager répondit à Sa Majesté, v. s. f. « C'est le « gouverneur du pays du Nord qui m'a envoyé vers toi, « disant Le vaincu de Jôpou (1) s'est révolté contre Sa « Majesté, v. s. f., et il a massacré les fantassins de Sa « Majesté, v. s. f., aussi ses gens de char, et personne ne « peut tenir contre lui ».
Quand le roi Manakhpirîya, v. s. f., entendit toutes les paroles que le messager lui avait dites, il entra en fureur comme un guêpard du Midi (2). « Par ma vie, par la faveur « de Râ, par l'amour qu'a pour moi mon père Amon, je « détruirai la cité du vaincu de Jôpou, je lui ferai sentir « le poids de mon bras ». Il appela ses nobles, ses chefs de guerre, aussi ses scribes magiciens, et il leur répéta le message que le gouverneur des pays du Nord lui avait envoyé. Voici, ils se turent d'une seule bouche, et ils ne surent que répondre ni en bien ni en mal. Et alors Thoutîyi dit à Sa Majesté, v. s. f. « Ô toi à qui la Terre-Entière « rend hommage, commande qu'on me donne la grande « canne du roi Manakhpirîya v. s. f., dont le nom est. « tioutnofrît (3) commande aussi qu'on me donne des (1) Dans le langage officiel de la chancellerie égyptienne, tous lesétrangers reçoivent le titre de Pa khiri, le tombant, le t'enverM Pa khiri ni ~/ta<t; le,renversé de Khali Pa khiri ni-Tounipou, le renversé de Tounipou Pa khiri ni y~ou, le renversé de Yoppe ou le vaincu de Yoppe (cf. /?t~'oa!Mc<M! p. xxvu-xxvmdu présent volume).
(2) C'est une des formules au moyen desquelles on marque l'impressiun produite sur le roi par un événement désastreux cf. la stèle de Paênékhi, 1.21-27. etc., et plus haut, le Conte des Deux Frères, p. 6, 8, notel. (3) Les premiers mots qui formaient le nom de la canne sont détruits. Ce n'était pas seulement la canne du roi, mais la canne des simples particuliers qui avait son nom spécial le fait est prouvé par les inscriptions que portent plusieurs des cannes trouvées dans les tombeaux et conservées dans nos musées. Il semble que les Égyptiens aient accordé une personnalité réelle et comme'une sorte de double aux objets naturels et fabriqués qui les entouraient du moins leur assignaient-ils à chacun un nom propre. Cette habitude était poussée si loin que les diverses parties d'un même ensemble recevaient parfois un nom distinct le couvercle d'un sarcophage, par exemple, avait un surnom différent de celui du sarcophage même.

« fantassins de Sa Majesté, v. s. f., aussi des gens de « char de la fleur des braves du pays d'Égypte, et je « tuerai le vaincu de.Jôpou, je prendrai sa ville ». Sa Majesté, v. s. f., dit « C'est excellent, excellent, ce que « nous avons dit ». Et on lui donna la grande canne du roi Manakhpirîya v. s. f., et on lui donna les fantassins, aussi les gens de char qu'il avait demandés.
Et beaucoup de jours après cela, Thoutîyi était au pays de Kharou avec ses hommes. Il fit préparer un grand sac de peau où l'on pouvait enfermer un homme, il fit forger des fers pour les pieds et pour les mains, il fit fabriquer une grande paire de fers de quatre anneaux, et beaucoup d'entraves et de colliers en bois, et quatre cents grandes jarres. Quand tout fut terminé, il envoya dire au vaincu deJôpou « Je suis Thoutîyi, le général d'infanterie du « pays d'Égypte, et j'ai suivi Sa Majesté, v. s, f., dans « toutes ses marches vers les pays du Nord et les pays « du Sud. Alors, voici, le roi Manakhpirîya, v. s. f., a « été jaloux de moi parce que j'étais brave, et il a voulu « me tuer mais moi je me suis sauvé devant lui, et j'ai « emporté la grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f., « et je l'ai cachée dans les mannes de fourrage de mes « chevaux, et, si tu veux, je te la donnerai, et je serai (( avec toi, moi et les gens qui sont avec moi de la fleur « des braves de l'armée d'Égypte ». Quand le vaincu de Jôpqu l'entendit, il se réjouit beaucoup, beaucoup, des paroles que Thoutîyi avait dites, car il savait que Thoutîyi était un brave qui n'avait point son pareil dans la TerreEntière. Il envoya à Thoutîyi, disant « Viens avec moi, « et je serai pour toi comme un frère, et je te donnerai « un territoire choisi dans ce qu'il y a de meilleur au pays « de Jôpou (1) ».
(1) Je me suis servi, pour rétablir cette partie du texte, de la situation analogue qu'offre le Conte de Sinouhit. On a vu (p. 81-82, 84-86, 8'!) la.

Le vaincu de Jôpou sortit de sa ville avec son écuyer et avec les femmes et les enfants de sa cité, et il vint audevant de Thoutîyi. Il le prit par la main et il l'embrassa et il le fit entrer dans son camp; mais il ne fit pas entrer les compagnons de Thoutîyi et leurs chevaux avec lui. Il lui donna du pain, il mangea et il but avec lui, H lui dit en manière de conversation « La grande canne du roi « Manakhpirîya (1), comment est-elle? » Or, Thoutîyi, avant d'entrer dans le camp dé la ville de Jôpou, avait pris la grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f. il l'avait cachée dans le fourrage, et il avait mis le fourrage dans (2) les mannes, et il les avait disposées comme on fait les mannes de fourrage de la charrerie d'Égypte. Qr, tandis que le vaincu de Jôpou buvait avec Thoutîyi, les gens qui étaient avec lui s'entretenaient avec les fantassins de Pharaon, v. s. f., et ils buvaient avec eux. Et après qu'ils eurent passé leur heure à boire, Thoutîyi dit au vaincu de Jôpou « S'il te plaît tandis que je demeure <( avec les femmes et les enfants de ta cité à toi, qu'on « fasse entrer mes compagnons avec leurs chevaux pour « leur donner la provende, ou bien qu'un Apourou (3) « coure à l'endroit où ils sont a On les fit entrer on entrava les chevaux, on leur donna la provende, on trouva la grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f., on l'alla dire à Thoutîyi.
Et après cela le vaincu de Jôpou dit à Thoutîyi « Mon manière dont le prince de Radimâ reçut le héros du conte, et, d'une manière générale, l'accueil que trouvaient les Égyptiens, exilés ou simplement émigrés, auprès des petits cheikhs asiatiques. (1) H est probable que la canne avait quelque vertu magique cela expliquerait le désir que le prince éprouve de la posséder, sans doute dans l'espoir qu'elle le rendrait invincible.
(2) C'est ici que commence la partie conservée du récit.
(3) M. Chabas avait pensé reconnaître dans ce nom celui des Hébreux; diverses éirconstances ne me permettent pas d'admettre cette hypothèse et les conclusions qu'on s'est trop empressé d'en tirer.

« désir est de contempler la grande canne du roi Manakh« pirîya, v. s. f., dont le nom est. tiout-no frît. Par le « double (1) du roi Manahkpirîya, v. s. f., puisqu'elle est « avec toi en ce jour cette grande canne excellente, toi, « apporte-la moi ». Thoutîyi fit comme on lui disait; il
£ '1
apporta la canne du roi Manakhpirîya, v. s. f. II saisit le vaincu de Jôpou par son vêtement et il se dressa tout debout en disant « Regarde ici, ô vaincu de Jôpou, la « grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f., le lion « redoutable, le fils de Sokhît (2), à qui donne Amon son « père la force et la puissance x Il leva sa main, il frappa à la tempe le vaincu de Jôpou, et celui-ci tomba sans connaissance devant lui. Il le mit dans le grand sac qu'il avait fait préparer avec des peaux. Il saisit les gens qui étaient avec lui, il fit apporter la paire de fers qu'il avait préparée, il en serra les mains du vaincu de Jôpou, et on lui mit aux pieds la paire de fers de quatre anneaux (3). Il fit apporter les quatre cents jarres qu'il avait fait fabriquer, il y introduisit deux cents soldats puis on remplit la panse des trois cents autres de cordes et d'entraves en bois, on les scella du sceau, on les revêtit de leur banne (1) Le double du roi était représenté comme un emblème formé de deux bras levés, entre lesquels sont placés les titres qui composent le nom de double du roi, qu'on appelle improprement la 6QWt:eroyale. Le tout, est placé droit sur une hampe d'enseigne et figure, dans les bas-reliefs, derrière la personne même du Pharaon.
(2) Sokhit (p. 82, note 4) était représentée sous forme de lionne ou avec une tête de lionne, et cette particularité explique pourquoi le roi Thoutmôsis III, considéré comme son fils, est appelé dans notre texte un lion redoutable.
(3) Il me semble que le stratagème consistait, après avoir tué le prince de Jôpou, à le faire passer pour Thoutiyi lui-même. Le corps était mis dans un sac en peau préparé à l'avance, de telle manière que personne ne pût voir les traits de la figure ou les membres et reconnaître la ruse, puis à charger de chaînes le cadavre ainsi déguisé, comme on ferait du cadavre d'un vaincu. C'est ce cadavre que l'écuyer du prince montre plus bas aux habitants de la ville en leur disant a Nous sommes « maitres de Thoutiyi »

et de l'appareil de cordes nécessaires à les porter, on les chargea sur autant de forts soldats, en tout cinq cents hommes, et on leur dit « Quand vous entrerez dans la « ville, vous ouvrirez les jarres de vos compagnons; vous « vous emparerez de tous les habitants qui sont dans la « ville, et vous leur mettrez les liens sur-le-champ ». On sortit pour dire à l'écuyer du vaincu de Jôpou « Ton
« maître est tombé Va dire à ta souveraine (1) « Joie « car Soutekhou (2) nous a livré Thoutîyi avec sa femme « et ses enfants )). Voici, on a déguisé sous le nom de « butin fait sur eux les deju.x~cents jarres qui sont rem« plies de gens, de colliers de bois et de liens (3) ». L'écuyer s'en alla à la tête de ces gens-là pour réjouir
le cœur de sa souveraine en disant « Nous sommes « maîtres de Thoutîyi )) On ouvrit les fermetures de la ville pour livrer passage aux porteurs; ils entrèrent dans la ville, ils ouvrirent les jarres de leurs compagnons, ils s'emparèrent de toute la ville, petits et grands, ils mirent aux gens qui l'habitaient les liens et les colliers sur-lechamp. Quand l'armée de Pharaon, v. s. f., se fut emparée de la ville, Thoutîyi se reposa et envoya un message en Égypte au roi Manakhpirîya, v. s. f., son maître, pour dire « Réjouis-toi Amon, ton père, t'a donné le vaincu (11 La femme du prince, qui n'était pas au camp avec son mari, mais qui était demeurée dans Joppé.
(2) SoM<e<t/iOM, Soutekh, était le nom que les Egyptiens donnaient aux principaux dieux des races asiatiques et libyennes. Cette appellation remonte au temps des Hyksôs, et doit probablement son existence à des tentatives faites pour assimiler le dieu des Hyksôs aux dieux de l'Égypte Haal fut identifié à Sît~ Souti, et, sous cette forme mixte, il devint Soutekhou. Le mot Soutekhou parait n'être d'ailleurs qu'une forme grammaticale du radical sit, Mt~ il serait donc d'origine égyptienne et non de provenance étrangère.
(3) Le nombre de deux ceK<< paraît être en contradiction avec celui de cinq cents qui est indiqué plus haut. II faut croire que le scribe aura songé aux deux cents jarres qui renfermaient les hommes, et aura donné ce nombre partiel, sans plus se rappeler le nombre total de cinq cents.

<( de Jôpou avec tous ses sujets et aussi sa ville. Viennent « des gens pour les prendre en captivité, que tu rem« plisses la maison de ton père Amonrâ, roi des dieux, « d'esclaves et de servantes qui soient sous tes deux pieds « pour toujours et à jamais ». II est fiqi heureusement
ce récit, par l'of6ce du scribe instruit dans les récits, le scribe.

LE CYCLE DE SATNI-KHAMOIS
1
L'AVENTURE DE SATNI-KIIÂMOÎS AVEC LES MOMIES
Le dernier feuillet de. ce conte porte une date de l'an xv d'un roi dont le nom n'a jamais été écrit, mais qu; ne peut être que l'un des Ptplemées. Deux manuscrits au moins en existent dont les fragments se trouvent actuellement au Musée du Caire. Le premier a été découvert et publié par Mariette, Les Papyrus dit MMS~e de Boulaq, 1871, t. I, pl. 29-32, d'après un fac-similé d'Émile Brugsch, puis par Krali, DMHOtMC/te J~ses<McAe 1897, in-fo, p) 29-32, d'après l'édition de Mariette collationnée sur l'original. Il se composait de six pages numérotées de 1 à 6 les deux premières sont perdues et ie commencement de toutes tes lignes de là troisième fait défaut. Le second manuscrit a été découvert par Spiegelberg parmi des feuillets détachés provenant du Fayoum, et il a été publié par lui dans notre Catalogue, Demo<Mc~e jDen/ftKfMer, 2' partie, d:e Demolische Papyri, in-4", 1906, Texte, p. 112-11S. Il est fort mutilé et c'est au plus si l'on y distingue quelques phrases suivies, se rapportant aux incidents qui accompagnent la descente de Satni au tombeau de Nénoferképhtah. Le texte du premier manuscrit a été traduit par
.H. Brugsch, Le Roman ~e SehtaMeoH~HM dans un papyrus démotique du ~HMsee égyptien à Boulaq, dans la Revue archéologique, 2e série, t. XVI (sept. 1867), p. 161-179.
Lepage-Renouf, The Tale oySe~aM (from the version of D'' Heinrich Brugsch-Bey), dans les Records of the Past, 1875,1''° série, t. IV, p. 129-148.
E. Révillout, Le Roman ~e Setna, Étude philologique et critique avec traduction mot à mot du texte démotique, tH(roduc<M<tMs<on~Mee<

commentaire grammatical, Paris, Leroux, 1877-1880,45,48, 224p. in-8". G. Maspero, Une page du Roman de Satni, transcrite en hiéroglyphes, dans la Zeitschrift /'Mr ~Eo</p<Mc/te Sprache und Alterthumskunde, 1877, p. 132-146, 1878, p. 1S-22.
G. Maspero, traduction du conte entier, moins les huit premières lignes du premier feuillet restant, dans le Nouveau fragment de comMgMtat'rg sur le second livre d'Hérodote, Paris, Chamerot, 1879, in-8", de la page 22 à la page 46. Lu à l'Association pour l'encouragement des études grecques en France, en mai-juin 1878, publié dans l'Annuaire pour 1878.
H. Brugsch, Setna, ein a«<B~p<t'scAef Roman, von H. Brugsch-Bey, Kairo-Sendschreiben ara D. Heinrich Sachs-Bey zu Kairo, dans la Deutsche Revue, 111 (1 novembre 1878), p. 1-21.
E. Révillout, Le Roman de Setna, dans la Revue archéologique, 1879. Tirage à part chez Didier, n-8°, 24 p. et 1 planche. Jean-Jacques Hess, Der demotische Roman voit Stne ffa-m-Ms. Text, Uebersetzung, Commentar und Glossar, 1888, Leipzig, J.-C. Hinrichs'sche Buchhandlung, 18-20S p.
Flinders Petrie, Égyptian f(t<es, 1895, Londres, in-12' t. II, p. 87-14t. F. LI. Griffith, the Story of Setna, dans les Specimen Pages of the World's best Literature, 1898, New-York, in-4", p. 5262-5274. F. Ll. Griffith, Stories of the High-Priests of Memphis, the Sethon of ~erodo<fM and the Demotic tales o/ Khamuas, 1900, Oxford, at the Clarendon Press, in-8", p. x-208.
A. Wiedemam, AMœg'</p<Mc/te SaoeHMndMasrcAeM, pet. in-8°, 1906, Leipzig, p. 118-146.
Révillout, le Roman dit du Sa~me Khaemouas, dans la Revue Égyptologique, t. XII, p. HO-H2, t. XIII p. 38-43, etc.
La première traduction de Hévi)iout a été popularisée par Rosny, Taboubou, 1892, Paris, in-32, dans la petite collection Guillaume, et l'une des données maîtresses de l'histoire, le retour d'une princesse égyptienne sur la terre pour se venger d'un ennemi, a été utilisée par la romancière anglaise Marie Corelli dans un de ses livres les plus étranges, Ziska Charmezel.
Le nom du scribe qui a écrit notre manuscrit a été signalé par J. Krall, De?' Name des Schreibers der Chamois-Sage, dans le volume des Études dédiées à Af. le professeur Leemans, Leyde, Brill, 1886, in-fo, et lu par lui Ziharpto, mais cette lecture est peu certaine. Tout le début, jusqu'au point  nous rencontrons le texte du premier manuscrit, est rétabli, autant que possible, avec les formules mêmes employées dans le reste du récit; j'y ai introduit tant bien que mal l'analyse des détails que Spiegelberg a réussi à extraire du second manuscrit. Une note indique où finit la restitution et où commence ce qui subsiste du conte original.

II y avait une fois un roi, nommé Ousimarès, v. s. f. (1), et ce roi avait un fils nommé Satni-Khâmoîs et le frère de lait (2) de Satni-Khâmoîs s'appelait Inarôs de son nom. Et Satni-Khâmoîs était fort instruit en toutes choses. H passait son temps à courir la nécropole de Memphis pour y lire les livres en écriture sacrée, et les livres de la Double maison de vie (3), et les ouvrages qui sont gravés sur les stèles et sur les murs des temples il connaissait les vertus des amulettes et des talismans, il s'entendait à les composer et à rédiger des écrits puissants, car c'était un magicien qui n'avait point son pareil en la terre d'Égypte (4).
Or, un jour qu'il se promenait sur le parvis du temple de Phtah lisant les inscriptions, voici, un homme de noble allure qui se trouvait là se prit à rire. Satni lui dit « Pourquoi te ris-tu de moi ? )) Le noble dit « Je ne ris « point de toi mais puis-je m'empêcher de rire quand tu (1) Je rappelle une fois de plus au lecteur que ce début est une restitution et que le texte original des deux premières pages est détruit. Ouasimarîya est le prénom~ de Ramsès H, que les Grecs ont transcrit Ousimarès, d'après la prononciation courante à l'époque des Ptolémëes. (2) Brugsch lisait le nom égyptien An-ha-hor-rau (1867) ou ~?t-~a-/to?-<M (18T8), ce qui n'est qu'une simple différence de transcription; Griffith avait proposé Anoukh-harerôou (Stories o/ the High ~M<t o/ JM~Kphis, p. 31, 118'. Spiegelberg a démontré (~emo~w~e Miscellen, dans le Recueil de 7fauaM.e, t. XXVIII, p. 198; cf. die Demotische Papyri, Text, p 114, note 6) que Éiérharerôou était le prototype du nom transcrit Inarôs par les Grecs.
(3) C'est-à-dire les livres magiques de la bibliothèque sacerdotale. Nous avons un témoignage direct de l'activité des savants et des sorciers égyptiens dans le texte qu'a publié Daressy, Note sur une inscription hiératique d'Mn Ma~<a6<ï <f.~ou!tr, extrait du Bulletin de <ns<:<M< ~ptien, 1894.
(4) L'auteur du roman n'a pas inventé le caractère de son héros Khâmuasît, Kbâmois; il l'a trouvé formé de toutes pièces. Un des papyrus du Louvre (n° 3248) renferme une série de formules magiques dont on attribuait l'invention à ce prince. La note qui nous fournit cette attribution prétend qu'il avait trouvé le manuscrit original sous la tête d'une momie, dans la nécropole de Memphis, probablement pendant une de ces tournées de déchiffrement dont parle notre conte.

« déchiffres ici des écrits qui n'ont aucune puissance ? Si a vraiment tu désires lire un écrit efficace, viens avec « moi je te ferai aller au lieu où est ce livre que Thot a « écrit de sa main lui-même, et qui te mettra immédiaté« ment au-dessous des dieux. Les deux formules qui y « sont écrites, si tu en récites la première, tu charmeras « le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les « eaux tu comprendras ce que les oiseaux du ciel et les « reptiles disent tous quants ils sont; tu verras les pois« sons, car une force divine les fera monter à la surface « de l'eau. Si tu lis là seconde formule, encore qùe tu « sois dans la tombe, tu reprendras la forme que tu avais «sur la terre même tu verras le soleil se levant au ciel, « et son cycle de dieux, la lune en la forme qu'elle à « lorsqu'elle paraît ». Sathi dit « Par la vie! qu'on me « dise ce que tù souhaites et je te le ferai donner mais « mène-moi au lieu où est le livre Le noble dit à Satni « Le livre en question n'est pas mien. II est au milieu « de la nécropole, dans la tombe de Nénoferképhtah, « fils du roi Mérénephthis (1), v. s. f. Garde-toi bien de « lui enlever ce livre, car il te le ferait rapporter, une « fourche et un bâton à la main, un brasier allumé sur la « tête )). Sur l'heure que le noble parla à Satni, celui-ci ne sut plus en quel endroit du monde il se trouvait; il alla devant le roi, et il dit devant le roi toutes les paroles que le noble lui avait dites. Le roi lui dit « Que « désires-tu? Il lui dit ((Permets que je descende dans « le tombeau de Nénoferképhtah, fils du roi Mérénephthis « v. s. f. Je prendrai Inarôs, mon frère de lait, avec (1) Brugsch lisait le nom du roi ~uer-A/te/J~t'a/t,. en dernier lieu; sa
première ieetui'e, ;i/er-fA-p/t~/i. ou Ah'fte&~A<a/t, s'est trouvée être la vraie. Spiegeiberg a signalé (~ewo~McA? Papyrus <t:M de?' /7!M<jE'/e~Aontine, p. 9) les transcriptions grecques .Be~neMAM, Bo-eM~M,P~'enet< this, PM'ne~A~, où, par suite d'un phénomène assez fréquent en égyptien, le Af initial est devenu un B-P.

« moi, et je rapporterai ce livre ». Il se rendit à la nécropole de Memphis, avec Inarôs, son frère dé lait. Ils passèrent trois jours et trois nuits à chercher parmi lëstombes qui sont dans la nécropole de Memphis, lisant les stèles de la Dott6!ë màMO~ de vie, récitant les inscriptions qu'elles portaient le troisième jour, ils connurent l'endroit où reposait Nénoferképhtah. Lorsqu'ils eurent reconnu l'endroit où reposait Nénoferképhtah, Satni récita sur lui un écrit et, un vide se fit dans la terre, et Satni descendit vers le lieu où était le livre (1).
Ce qu'il y aperçut de prime abord, nous ne le savons point. Il semble d'après le fragment découvert avec Spiêgelberg que l'homme rencontré sur le parvis du temple de Phtah n'était autre que Nénoferképhtah lui-même. Celui-ci n'avait sa femme et son fils avec lui dans son tombeau qu'à titre temporaire, mais il désirait les y établir définitivement et il comptait se servir de Sâtrii pour transporter leurs momies de Coptos, où elles étaient enterrées; dans la nécropole memphite. Satni, trop pressé de descendre dans l'hypogée, n'avait pas accompli tous les rites nécessaires et n'avait pas pu forcer la porte Nénoferképhtah lui àpparut et lui indiqua les sacrifices expiatoires que lés Mânes exigeaient. Des corbeaux et des vautours le menèrent en sécurité à l'endroit voulu au point même où ils se posèrent, une pierre se trouva que Satni souleva aussitôt et qui masquait l'entrée du tombeau (2). Lorsqü'il y pénétra, voici, (1) C'est ainsi que certains des livres hermétiques passaient pour avoir été retirés de la tombe 'du savant qui les avait écrits Déjà aux temps gréco-romains, cette donnée avait passé en Occident. Le célèbre roman d'Antonius Diogène avait été recueilli de la'sorte. Au témoignage dePlinë (xxx, 2), le philosophe Démocrite d'Abdere avait emprunté ses connaissances en magie à ApollobêcHis de Coptos et à Dardanus le Phénicien, t)d~MM!n:&M~ Da'f'/a't: in sepulchrum ejus petitis; il devait sa science chimique aux ouvrages d'Ostanes, qu'il avàit découverts dans une des colonnes du tënipie de Mëmptiis.
(2) C'est ainsi que j'interprète les fragments qu'on peut lire sur le feuillet que Spiegelberg a découvert (cf. l'introduction de ce conte p. 123J.

il était clair comme si le soleil y entrait, car la lumière sortait du livre et elle éclairait tout alentour (1). Et Nénoferképhtah n'était pas seul dans la tombe, mais sa femme Ahouri et Maîhêt (2), son fils, étaient avec lui car, bien que leurs corps reposassent à Coptos, leur double (3) était avec lui par la vertu du livre de Thot. Et, quand Satni pénétra dans la tombe, Ahouri se dressa et lui dit « Toi, qui es-tu ? » Il dit « Je suis Satni-Kbâmois, fils « du roi Ousimarès, v. s. f. je suis venu pour avoir ce « livre de Thot, quej'aperçois entre toi et Nénoferképhtah. <( Donne-le moi, sinon, je te le prendrai de forcer. Ahouri dit « Je t'en prie, ne t'emporte point, mais écoute plutôt « tous les malheurs qui me sont arrivés à cause de ce « livre dont tu dis « Qu'on me le donne H Ne dis point « cela, car à cause de lui, on nous a pris le temps que « nous avions à rester sur terre.
« Je m'appelle Ahouri, fille du roi Mérénephthis, v. s. f., « et celui que tu vois là, à côté de moi, est mon frère Néno« ferképhtah. Nous sommes nés d'un même père et d'une « même mère, et nos parents n'avaient point d'autres « enfants que nous. Quand vint l'âge de me marier, on c m'amena devant le roi au moment de se divertir devant « le roi (4) j'étais très parée, et l'on me trouva belle. Le (1) Cf. plus loin le passage (p. H3-I44) où Satni enlève le livre,.et où la. nuit se fait dans le tombeau, puis celui (p. 151) où, le livre étant rapporté, la lumière reparait.
(2) Brugsch a lu Merhu, puis Mcf-Ao-ne/ef, Maspero ~7~/ton~OM, Hess et Griffith ;We'a&, le nom de l'enfant. Le déchiffrement de Hess est très bon, et sa lecture serait irréprochable s'il s'agissait d'un texte de la vieille époque; pour les Egyptiens de l'âge ptolémaïque, la lecture devait être Mihët.Ma:bêt,ouMéihêt. '?-"< t&t- ~.<< Ÿ (3) Le ka ou double naissait avec l'enfant, grandissait avec l'homme, et, subsistant après la mort, habitait le tombeau. tl fallait le nourrir, l'habiller, le distraire aussi est-ce à lui qu'on donnait les offrandes funéraires. Comme le prouve notre conte, il pouvait quitter l'endroit où son corps était déposé pour aller résider dans le tombeau de tel ou tel autre membre de sa famille.
(4) On voit, par les tableaux du Pavillon de Médinét-Habou, que, chaque

« roi dit « Voici qu'Ahouri, notre fille, est déjà grande, « et le temps est venu de la marier. Avec qui marierons« nous Ahouri, notre fille ? » Or, j'aimais Nénoferképhtah « mon frère, extrêmement, et je ne désirais d'autre mari « que lui (1). Je le dis à ma mère, elle alla trouver le roi « Mérénephthis, elle lui dit « Ahouri, notre fille, aime « Nénoferképhtah, son frère aîné marions-les ensemble, « comme c'est la coutume ». Quand le roi entendit toutes « les paroles que ma mère avait dites, il dit « Tu n'as « eu que deux enfants, et tu veux les marier l'un avec « l'autre ? Ne vaut-il pas mieux marier Ahouri avec le fils « d'un général d'infanterie et Nénoferképhtah avec la fille « d'un autre général d'infanterie ? M Elle dit <( C'est toi « qui me querelles (2) ? Même si je n'ai pas d'enfants après « cgsjieux enfants-la_,n'est~M'~as_[~'Ioi de les marier « Fun à l'autre?– Je marierai NénoferképntaE"ave~la « nlle~Û'un chef de troupes, et Ahouri avec le fils d'un « autre chef de troupes, et puisse cela tourner à bien pour « notre famille » Quand ce fut le moment de faire fête « devant Pharaon, voici, on vint me chercher, on m'amena <( à la fête j'étais très troublée et je n'avaisplus ma mine « de la veille. Or Pharaon me dit « Est-ce pas toi qui as « envoyé vers moi ces sottes paroles « Marie-moi avec jour, le roi se rendait au harem pour s'y divertir avec ses femmes c'est probablement ce moment de la journée que notre conte appelle /6 moment de se dtM!)' avec /e roi.
(1) L'usage universel en Egypte était que le frère épousât une de ses soeurs. Les dieux et les rois eux-mêmes donnaient l'exemple, et l'habitude de ces unions, qui nous paraissent monstrueuses, était si forte, que les Ptolëmees finirent par s'y soumettre. La célèbre Ciéopâtre avait eu successivement ses deux frères pour maris.
(2) fcj commence la partie conservée du texte. Dans la restitution qui précède, j'ai essayé de n'employer, autant~qu~ possible, que des expressions et des données empruntées aux feuillets restants. Bien entendu, les quelques pages de français qui précèdent ne représentent pas, à beaucoup près, la valeur des deux feuillets démotiques perdus je me suis borné à reconstruire un début général, qui'permit aux lecteurs de comprendre l'histoire, sans développer le détail des événements.

« Nénoferképhtah mon frère aîné ? M Je lui dis « Eh bien 1 « qu'on me marie avec le fils d'un général d'infanterie, « et qu'on marie Nénoferképhtah avec la fille d'un autre « général d'infanterie, et puisse cela tourner à bien pour « notre famille » Je ris, Pharaon rit, Pharaon dit au « chef de la maison royale « Qu'on emmène Ahouri à « la maison de Nénoferképhtah cette nuit même. Qu'on « emporte toute sorte de beaux cadeaux avec elle ». Ils « m'emmenèrent comme épouse à la maison de Nénofer« képhtah, et Pharaon ordonna qu'on m'apportât un grand « douaire en or et en argent et tous les gens de la maison « royale me les présentèrent. Nénoferképhtah passa un « jour heureux avec moi il reçut tous les gens de la « maison royale, et il dormit avec moi cette nuit même, « et il me trouva vierge, et il me connut encore et encore, « car chacun de nous aimait l'autre. Quand vint le temps « de mes purifications, voici, je n'eus pas de purifications « à faire. On l'alla annoncer à Pharaon, et son cœur s'en « réjouit beaucoup, et il fit prendre toute sorte d'objets « précieux sur les biens de la maison royale, et il me fit « apporter de très beaux cadeaux en or, en argent, en « étoffes de fin lin. Quand vint pour moi le temps d'en« fanter, j'enfantai ce petit enfant qui est devant toi. On « lui donna le nom de Maîhêt, et on l'inscrivit sur les « registres de la Double maison de vie (1).
(1) La DoM6!e maison de vie était, comme E. de Rougé l'a montré (Stèle de la Bibliothèque impériale, p. 71-99), le collège des hiérogrammates versés dans la connaissance des livres sacrés chacun des grands temples de l'Égypte avait sa DoM&~e maison de vie. Le passage de notre conte pourrait faire croire que ces scribes tenaient une sorte d'état civil, mais il n'en est rien. Les scribes de la Double maison de vie étaient, comme tous les savants de l'Egypte, des scribes astrologues, devins et magiciens. On leur apportait les enfants des rois, des'princes, des nobles ils tiraient l'horoscope, ils prédisaient l'avenir du nouveau-né, ils indiquaient les noms les meilleurs, les amulettes spéciaux, les précautions à prendre selon les cas, pour reculer aussi loin que possible les mauvaises indications du sort. Tous les renseignements qu'ils donnaient étaient inscrits

« Et beaucoup de jours après cela, Nénoferképhtah,
« mon frère, semblait n'être sur terre que pour se prome« ner dans la nécropole de Memphis, récitant les écrits qui « sont dans les tombeaux des Pharaons, et les stèles des « scribes de la Double maison de vie (1), ainsi que les « écrits qui sont tracés sur elles, car il s'intéressait aux « écrits extrêmement. Après cela, il y eut une proces« sion en l'honneur du dieu Phtah, et Nénoferképhtah « entra au temple pour prier. Or tandis qu'il marchait « derrière la procession, déchiffrant les écrits qui sont « sur les chapelles des dieux, un vieillard l'aperçut et rit. « Nénoferképhtah lui dit « Pourquoi te ris-tu de moi ? ? » « Le prêtre dit « Je ne me ris point de toi; mais puis-je « m'empêcher de rire, quand tu lis ici des écrits qui n'ont « aucune puissance ? Si vraiment tu désires lire un écrit, « viens à moi, je te ferai aller au lieu où est ce livre que <c Thot écrivit de sa main (2), lui-même, lorsqu'il vint ici« bas à la suite des dieux. Les deux formules qui y sont « écrites, si tu récites la première, tu charmeras le ciel, sur des registres qui servaient probablement à rédiger les calendriers des jours fastes et néfastes, analogues à celui dont le Papi/rtM Sallier n° IV nous a conservé un fragment (Chabas, Le Ca/end)' des jours fastes et néfastes de l'année égyptienne, 1868), et dont j'ai parié dans l'Introduction de ce livre, p. ui-Lvit.
(1) Il n'est pas facile de comprendre d'abord ce que sont les stèles des So't'6M de la ~o:<b/e maison de vie, auxquelles Satni et Nénoferképhtah attachaient une si grande importance. Je crois qu'il faut y voir ces stèles-talismans dont le Pseudo-Callisthënes, les écrivains hermétiques, et, après eux, les auteurs arabes de l'Égypte nous ont conté tant de merveilles. Les seules qui soient parvenues jusqu'à nous, comme la Stèle de Me~erftic/t, contiennent des charmes contre la morsure des bêtes venimeuses, serpents, scorpions, araignées, mille-pattes, ou contre la griU'o des animaux féroces. On conçoit qu'un amateur de magie comme l'était Nénoferképhtah recherchât ce genre de monuments, dans l'espoir d'y découvrir quelque formule puissante oubliée des contemporains.
(2). Cfr. p. 32, note 4 et p. 36, dans l'histoire de Khoufouiet des magiciens, ce qui est dit des livres de Thot. Les livres Aet'më~Mes, qui nous sont arrivés en rédaction grecque, sont un reste de cette bibliothèque sacrée qui passait pour être i'œuvre du dieu.

« la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux « tu comprendras ce que les oiseaux du ciel et les reptiles « disent, tous quants ils sont tu verras les poissons de « l'abîme, car une force divine posera sur l'eau au-dessus « d'eux. Si tu lis la seconde formule, encore que tu sois « dans la tombe, tu reprendras la forme que tu avais sur « terre même tu verras le soleil se levant au ciel avec « son cycle de dieux, et la lune en la forme qu'elle a « lorsqu'elle paraît (1) ». Nénoferképbtah dit au prêtre « Par la vie du roi 1 qu'on me dise ce que tu souhaites de « bon, et je te le ferai donner si tu me mènes au lieu où « est ce livre ». Le prêtre dit à Nénoferképhtah « Si tu « désires que je t'envoie au lieu où est ce livre, tu me « donneras cent pièces d'argent (2) pour ma sépulture, et « tu me feras faire deux cercueils (3) de prêtre riche ». (1) Les facultés que le second feuillet du livre de Thot accorde à celui qui le possède sont les mêmes que celles qu'assurait la connaissance des prières du Rituel /Mnd!'a!e chapitre xvut, pouvoir de passer sans danger j~traxers~te feu, chapitre xxm,posséder les charmes nécessaires à la sécurité personnelle de celui qui le savait par cœur, et ainsi de suite. 11 s'agissait, pour le mort, de pouvoir ranimer son corps momifié et de s'en servir à son gré il s'agissait, pour le vivant, de voir, non plus l'astre soleil, mais le dieu même dont l'astre cachait la forme, et les dieux qui l'accompagnaient.
(2) Le texte porte cent <aAo<M!t. Le <a<'OMK pesait de 0,89 à 0,91 grammes en moyenne cent '<a&onoK représenteraient donc entre 8 kilogr. 9 et 9 kilogr. 1 d'argent, soit, en poids, plus de 1.800 francs de notre monnaie. (3) Le mot Égyptien n'est pas lisible. La demande du prêtre n'a d'ailleurs rien d'extraordinaire pour qui connaît un peu les mœurs du pays. Elle n'est que l'expression d'un souhait, celui de bonne sépulture, qaise nofre qu'on rencontre à toutes les époques sur les stèles funéraires au temps même où l'on écrivait notre roman, l'importance en était si fort appréciée que la bonne momification, le bon tombeau, Ta~j aycd)~, est mentionnée à plusieurs reprises dans les papyrus parmi les dons qui découlent de l'heureuse influence des astres sur l'humanité, la richesse, une postérité excellente, la fortune. Les rois et les grands seigneurs commençaient d'ordinaire à faire creuser leur tombe au moment où ils entraient en possession de leur héritage. Ouni avait reçu du Pharaon Pioupi I", et le médecin Sokhitniânoukhou du Pharaon Ousirkaf, les pièces principales de leur chambre funéraire. II serait très possible qu'en Égypte, comme en Chine, le cadeau d'un cercueil

K Nénoferképhtah appela un page et il commanda qu'on « donnât les cent pièces d'argent au prêtre puis il lui fit « faire les deux cercueils qu'il désirait bref, il accom« plit tout ce que le prêtre avait dit. Le prêtre dit à Néno« ferképhtah « Le livre en question est au milieu de la « mer de Coptos (1), dans un coffret de fer. Le coffret K de fer est dans un coffret de bronze le coffret de bronze « est dans un coffret de bois de cannelier (2); le coffret « de bois de cannelier est dans un coffret d'ivoire et « d'ébène; le coffret d'ivoire et d'ébène est dans un coffret « d'argent le coffret d'argent est dans un coffret d'or, et « le livre est dans celui-ci (3). Et il y a un schœne (4) de « serpents, de scorpions et de toute sorte de reptiles « autour du coffret dans lequel est le livre, et il y a un « serpent immortel (5) enroulé autour du coffret en ques« tion ».
ait été fort estimé. Les deux cercueils du prêtre étaient nécessaires à un enterrement riche chaque momie de distinction avait, outre son cartonnage, deux cercueils en bois s'emboîtant l'un dans l'autre, comme on peut le voir au Musée du Louvre.
D (1) Le serpent immortel est peut-être ce grand serpent qui est censé vivre encore aujourd'hui dans le Nil et de qui les fellahs racontent des histoires curieuses (Maspero, Afë~a~es de Mythologie, t. H).
(2) Le mot employé ici est MOMmd, la me)'. Reitzenstein (Helloiisliche WMnder~-sH/t~ttf/en, p. 114-H5) l'interprète par ~am~x'M de Coptos, c'est-à-dire la Mer Rouge que l'on gagne en partant de Coptos. Ici, comme au Conte des deux /<'e)'M (v. plus haut, p. 13, note 2), il s'agit du Nil. Le Nil, en traversant le nome, recevait un nom spécial le fleuve de Coptos est la partie du Nil qui passe dans le nome de Coptos.
~3) Loret a donné dp bonnes raisons pour reconnaître dans le mot qad, qod, notre cannelier (liecueil de tt'at'aMa;. t. IV, p. 21, t. VU, p. 112). ~(4) En comparant cet endroit au passage où Nénoferképhtah trouve le livre, on verra que l'ordre des coffrets n'est pas le même. Le scribe s'est trompé ici dans la manière d'introduire l'énumération. Il aurait dû dire « Le coffret de ferren/ërMeun cotfret de bronze; le coffret de « bronze f'n/o'nM un coffret en bois de cannelier, etc., o au lieu de j i Le coit'rot de fer est ota/<4' un coffret de bronze le coffret de bronze < est clans un coffret de bois de cannelier, etc. ·
<~ Le schœae mesure a l'époque ptolémaïque environ 12.000 coudées royales de d_m. 52.

« Sur l'heure que le prêtre parla à Nénoferképhtah, « celui-ci ne sut plus en quel endroit du monde il se trou« vait. Il sortit du temple, il s'entretint avec moi de tout « ce qui lui était arrivé, il me dit « Je vais à Coptos, « j'en rapporterai ce livre, puis je ne m'écarterai plus du « pays du Nord ». Or, je m'élevai contre le prêtre, disant « Prends garde à Amon pour toi-même, à cause de ce « que tu as dit à Nénoferképhtah. Car tu m'as amené la « querelle, tu m'as apporté la guerre, et le pays de Thé-
« baïde, je le trouve hostile à mon bonheur (1) ». Je levai ma « main vers Nénoferképhtah pour qu'il n'allât pas à Coptos, « mais il ne m'écouta pas, il alla devant Pharaon, et il dit « devant Pharaon toutes les paroles que le prêtre lui avait « dites. Pharaon lui dit « Quel est le désir de ton cœur ? » « Il lui dit « Qu'on me donne la cange royale tout « équipée. Je prendrai Ahouri, ma sœur, et Maîhêt, son « petit enfant, au midi, avec moi; j'apporterai ce livre et « je ne m'écarterai plus d'ici ». On lui donna. la cange « tout équipée, nous nous embarquâmes sur elle, nous « fîmes le voyage; nous arrivâmes à Coptos. Quand on « l'annonça aux prêtres d'Isis de Coptos et au supérieur « des prêtres d'Isis, voici qu'ils descendirent devant nous « ils se. rendirent sans tarder au-devant de Nénoferkê& phtah, et leurs femmes descendirent au-devant de moi (2).
(1) Le pays de Thébaïde et la ville de Thèbes sont représentés sous la forme d'une déesse.]! se pourrait donc que l'/t<M<<ec!Kpa! de Thébaïde fût, non pas l'hostilité des habitants du pays, qui reçurent bien les visiteurs quand ceux-ci débarquèrent à Coptos, mais l'hostilité de la déesse en laquelle s'incarnait le pays de Thébaïde, et qui devait voir avec peine lui échapper le livre confié par Thot à sa garde.
(2) Le canai qui passe à l'ouest des ruines de Coptos n'est pas nàvigable en tous temps, et le Nit coule à une demi-heure environ de la ville c'est ce qui explique les expressions de notre texte. Nénoferképhtah a pris terre au même endroit probablement où s'arrêtent encore aujourd'hui les gens qui veulent aller à Kouft, soit au hameau de Baroud les .prêtres et prêtresses d'Isis, avertis de son arrivée, viennent à lui le long de la levée qui réunit Baroud à Kouft, et qui délimite de toute anti-

« Nous débarquâmes et nous allâmes au temple d'Isis et « d'Harpocrate. Nénoferképhtah fit venir un taureau, une « oie, du vin, il présenta une offrande et une libation de« vant Isis de Coptos et Harpocrate; puis on nous em« mena dans une maison, qui était fort belle et pleine de « toute sorte de bonnes choses. Nénofërképhtab passa « cinq jours à, se divertir avec les prêtres d'Isis de « Coptos, tandis que les femmes des prêtres d'Isis de « Coptos se divertissaient avec moi (1). Arrivé le matin « de notre jour suivant, Nénoferképhtah fit apporter de la « cire pure en grande quantité devant lui il en fabriqua « une barque (2) remplie de ses rameurs et de ses mate« lots, il récita un grimoire sur eux, il les anima; il leur. « donna la respiration; il les jeta à l'eau (3). II remplit la « cange royale de sable, il prit congé de moi (4), il s'em« barqua et je m'installai moi-même sur la mer de Coptos, « disant « Je saurai ce qu'il lui arrive »
« II dit « Rameurs, ramez pour moi jusques au lieu où
quité un des bassins d'irrigation les plus importants de la plaine thébaine.
(1) L'expression littérale pour se divertir est faire MM jour heureux. (2) ~om~, /foMM, c'est l'espèce de bateau dont le nom est transcrit en grec ~(im)MM et M<~ dans certains papyrus des temps gréco-romains <of. p. 301 note 2 du présent volume). On trouve dans le roman grec d'Alexandre la description d'une barque magique, construite par ie roisorcier Neotanebo, et, dans les romans d'Alexandre dérivés du roman grec, l'indication d'une cloche de verre au moyen de laquelle le héros descend jusqu'au fond de la mer. Les 'ouvriers et leurs outils sont des Cgarines magiques, auxquelles )a formule prononcée par Nénoferképhtah donne la u!fe< souffle, comme faisait le chapitre Vt aux ûgurines funéraires si nombreuses dans nos musées. Ces figurines étaient autant d'ouvriers chargés d'exécuter.'pour le mort, les travaux des champs dans l'autre monde elles piochaient pour lui, labouraient pour lui, récoltaient pour lui, de la même manière que les ouvriers magiques rament et creusent pour Nénoferkêpthah..
(3) Cf. plus haut, p. 26-28 du présent volume, dans le même ordre d'idées, le crocodile de cire qu'Oubaouanir fabrique et qui, jeté à l'eau, s'anime et s'agrandit au point de devenir un crocodile véritable. (4) Ce membre de phrase est une restitution probable, mais non certaine.

« est ce livre », et ils ramèrent pour lui, la nuit comme le « jour. Quand il y fut arrivé en trois jours, il jeta du ° « sable devant lui et un vide se produisit dans le fleuve. « Lorsqu'il eut trouvé un scbœne de serpents, de scor« pions et de toute sorte de reptiles autour du coffret où « se trouvait le livre, et qu'il eut reconnu un serpent éternel « autour du coffret lui-même, il récita un grimoire sur le « schoene de serpents, de scorpions et de reptiles qui était « autour du coffret et il les rendit immobiles (1). Il vint à « l'endroit où le serpent éternel se trouvait, il fit assaut « avec lui, il le tua le serpent revint à la vie et reprit sa « forme de nouveau. Il fit assaut avec le serpent une se« conde fois, il le tua le serpent revint encore à la vie. « Il fit assaut avec le serpent une troisième fois, il le coupa « en deux morceaux, il mit du sable entre morceau et « morceau le serpent mourut, et il ne reprit point sa forme « d'auparavant (2). Nénoferképhtahallaau lieu où était le
,~i'
(1) Litt. II ne fit pas eux s'envoler C'est le même terme qui sert, dans le Conte </M Prince ~re~M<:n~(cfr. p. 19H, note 1), à marquer le procède magique employé par les princes pour arriver à la fenêtre de la fille du chef de Naharinna. Un des papyrus de Leyde, un papyrus du Louvre. le Papy~u! magique .f/nr)' renferment des conjurations contre les scorpions et contre les reptiles, du genre de celles que le conteur met dans la bouche de Nënoferképhtah.
(2) Cette lutte contre des serpents, gardiens d'un livre ou d'un endroit, repose sur une donnée religieuse. A Dendérah, par exemple (Mariet!e. Dendérah, t. III, pl. 14, a, &), les gardiens des portes et des cryptes sont figurés sous forme de vipères, de même que les gardiens des portes des douze régions du monde inférieur. La déesse-serpent ~M/b'o était la gardienne d'um: partie de la montagne funéraire de Thèbes, entre elAssassif et Qournah, et surtout du sommet en forme de pyramide qui domine toute la chaine, et qu'on nommait Ta-Mtni. le Front. Dans le roman d'Alexandre, on trouve, au sujet de la fondation d'Alexandrie, l'histoire d'une lutte analogue à celle que soutient Nenoferképht.'th (Pseudo-Catiisthène; p. 34-35), mais l'ordre est renversé le menu fretin des serpents n'apparaît qu'après la mort du so'pe?~ <'f<-me<. Sur la perpétuité de cette superstition du serpent gardien, voir Lane. ~fodem E<pha/t!, London, d837, t. I, p. 310-311, où il est dit que chaque quartier du Caire « bas its peculiar guardian genius. which bas the form of a

« coffret, et il reconnut que c'était un coffret de fer. Il « l'ouvrit, et il trouva un coffret de bronze. 11 l'ouvrit, et « il trouva un coffret en bois de cannelier. II l'ouvrit, et il « trouva un coffret d'ivoire et d'ébène. Il l'ouvrit, et il « trouva un coffret d'argent. Il l'ouvrit, et il trouva un « coffret d'or. Il l'ouvrit, et il reconnut que le livre était « dedans. Il tira le livre en question hors le coffret d'oret « il récita une formule de ce qui y était écrit il enchanta « le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les « eaux il comprit tout ce que disaient les oiseaux du ciel, « les poissons de l'eau, les quadrupèdes de la montagne. « Il récita l'autre formule de l'écrit et il vit le soleil qui « montait au ciel avec son cycle de dieux, la lune levante, « les étoiles en leur forme; il vit les poissons de l'abîme, « car une force divine posait sur l'eau au-dessus d'eux. «Il récita un grimoire sur l'eau et il lui fit reprendre sa « forme première. Il s'embarqua de nouveau; il dit aux « rameurs « Ramez pour moi jusques au lieu où est « Ahouri ». Ils ramèrent pour lui, la nuit comme le jour. « Quand il fut arrivé à l'endroit où j'étais, en trois jours, « il me trouva assise près la mer de Coptos je ne buvais « ni ne mangeais, je ne faisais chose du monde, j'étais « comme une personne arrivée à la Bonne Demeure (1). « Je dis à Nénoferképhtah « Parla vie du roi! donne que « je voie ce livre, pour lequel nous avons pris toutes ces « peines ». Il me mit le livre en main. Je lus une formule « de l'écrit qui y était j'enchantai le ciel, la terre, le « monde de la nuit, les montagnes, les eaux; je compris « tout ce que disaient les oiseaux du ciel, les poissons « de l'abîme, les quadrupèdes. Je récitai l'autre formule « de l'écrit je vis le soleil qui apparaissait au ciel avec « son cycle de dieux, je vis la lune levante et toutes (1) C'est un des euphémismes usités en Égypte pour désigner l'officine où travaillent les embaumeurs et aussi le tombeau.

<( les étoiles du ciel en leur forme. Je vis les poissons de « l'eau, car il y avait une force divine qui posait sur l'eau « au-dessus d'eux. Comme je ne savais pas écrire, je « le dis à Nénoferképhtah, mon frère aîné, qui était un « scribe accompli et un homme fort savant il se fit « apporter un morceau de papyrus vierge, il y écrivit  toutes les paroles qu'il y avait dans le livre, il l'imbiba de bière, il fit .dissoudre le tout dans de l'eau. Quand il « reconnut que le tout était dissous, il but et il sut tout « ce qu'il y avait dans l'écrit (1).
« Nous retournâmes à Coptos le jour même, et nous « nous divertîmes devant Isis de Coptos et Harpocrate. « Nous nous embarquâmes, nous partîmes, nous par« vînmes au nord de Coptos, la distance d'un schœne. Or « voici, Thot avait appris tout ce qui était arrivé à Nénofer- « képhtah au sujet de ce livre, et Thot ne tarda ,pas à « plaider par devant Râ, disant « Sache que mon droit et K ma loi sont avec Nénoferképhtah, fils du roi Méréneph« this, v. s. f. H a pénétré dans mon logis, il l'a pillé, « il a pris mon coffret avec mon livre d'incantations, il a « tué mon gardien qui veillait sur le coffret. H. On (2) lui « dit « II est à toi, lui et tous les siens, tous ». On fit « descendre du ciel une force divine, disant « Que « Nénoferképhtah n'arrive pas sain et sauf à Memphis, « lui et quiconque est avec lui ». A cette heure même, « Maîhêt, le jeune enfant, sortit de dessous le tendélet de (1) Le procédé de Nénoferképhtah a été employé de tout temps en Orient. On fabriquait à Babylone, et l'on fabrique encore à Bagdad et au Caire, des bols en terre cuite non vernissée, sur lesquels on traçait à l'encre des formules magiques contre telle ou telle maladie. Oh y versait de l'eau qui délayait l'encre en partie et que le malade avalait tant qu'il restait de l'écriture au fond du vase, la guérison était certaine (Lane, ~ot/e~ Egyptians, 183'7,t. 1, p. 347-348). M°" de. Sévignene souhaitait-elle pas pouvoir faire un bouillon des œuvres de M. Nicole pour s'en assimiler les vertus ? '?
(2) On était Pharaon au Conte des deux frères (p. 15, note 2) c'est ici Râ, roi des dieux, et au début des temps, Pharaon en Egypte. <- ·

« la cange de Pharaon (J~, il tomba au fleuve, et, tandis « qu'il louait Râ ~), quiconque était à bord poussa un cri. Nénoferképhtah sortit de dessous la cabine il « récita un grimoire sur l'enfant et il le fit remonter,-car' « il y eut une force divine qui~posa sur l'eau au-dessus « de lui. Il récita un grimoire sur lui, il lui fit raconter « tout ce qui lui était arrivé, et l'accusation que Thot « avait portée devant Râ. Nous retournâmes à Coptos « avec lui, nous le fîmes conduire à la Bonne Demeure, « nous veillâmes à ce qu'on prit soin de lui, nous le « fîmes èmbaumer comme il convenait à un grand, nous (f le déposâmes, dans son cercueil, au cimetière de « Coptos. Nénoferképhtah, mon frère, dit « Partons, ne « tardons pas de revenir avant que le roi entende ce qui « nous est arrivé, et que son cœur soit troublé à ce sujet ». w Nous nous embarquâmes, nous partîmes, nous ne tar« dames pas à arriver au nord de Coptos, la distance d'un « schoene, à l'endroit où le petit enfant Maîhèt était tombé « au fleuve. Je sortis de dessous le tendelet de'la cange « de Pharaon, je tombai au fleuve, et, tandis que je « louai Râ, quiconque était à bord poussa un cri. On « le dit à Nénoferképhtah et il sortit de dessous le « tendelet de la cange de Pharaon. II récita un grimoire « sur moi et il me fit monter, car il y eut une force divine «qurposa sur l'eau au-dessus de moi. II me fit retirer « du fleuve, il lut un grimoire sur moi, il me fit raconter « tout ce qui m'était arrivé et l'accusation que Thot avait
(l)Sur le sens de cette locution, cfr. E. Lefëbure,'h!<Me~)/p<!en~, p. 87. Le terme hasi, le loueur, le chanteur du dieu, s'applique aux morts d'une façon presque constante à partir du second empire thébain /OMM' ~M est un euphémisme par lequel on désignait l'acte de mourir, surtout de mourir étoutfu dans l'eau. À l'âge ptoieniaique Aa~tveutdire noyé, et où le dit; beaucoup d'Osiris dont Typhon avait jeté le corps au Nil (Griffith-Thornpson, l~ie Demotic Magical papy~,us, p. 38; et Apotheosis by drowûtb-Thdmpson, <Ae Z)fMO«e ~ayMa~ap~M~, p. p. 38 et loua Ay a!fOM)nt~, dans la Ze<~c/i; 1910; t. XL Vf, p. 132-134). /OMa TM Équivaut ici à tY se MO~a.

« portée devant Râ. Il retourna à Coptos avec moi, il me « fit conduire à la Bonne Demeure, il veilla à ce qu'on « prit soin de moi, il me fit embaumer comme il conve« nait à quelqu'un de très grand, il me fit déposer dans « le tombeau où était déjà déposé Maîhêt, le petit « enfant. Il s'embarqua, il partit, il ne tarda pas à K arriver au nord de Coptos, la distance d'un schœne, à « l'endroit où nous étions tombés au fleuve. Il s'entretint « avec son cœur, disant « Ne vaudrait-il pas mieux aller (c à Coptos et m'y établir avec eux ? Si, au contraire, je « retourne à Memphis sur l'heure et que Pharaon m'inter« roge au sujet de ses enfants, que lui dirai-je? Pourrai« je lui dire ceci « J'ai pris tes enfants avec moi vers le « nome de Thèbes, je les ai tués et je vis, je reviens à « Memphis vivant encore )). Il se fit apporter une pièce « de fin lin royal qui lui appartenait, il en façonna une « bande magique, il en lia le livre, il le mit sur sa poi« trine et il l'yûxa solidement (1). Nénoferképhtah sortit « de dessous le tendelet de la cangè de Pharaon, il tomba « à l'eau, et, tandis qu'il louait Râ, quiconque était à « bord poussa un cri disant « 0 quel grand deuil, quel « deuil lamentable! N'est-il point parti le scribe excellent, « le savant qui n'avait point d'égal »
« La cange de Pharaon fit son voyage, avant que per« sonne au monde sût en quel endroit était Nénoferké« phtah. Quand on arriva à Memphis, on l'annonça à Pha« raon et Pharaon descendit au-devant de la cange il « était en manteau de deuil, et la garnison de Memphis (1) Un des livres magiques de la collection du Musée de Leyde passait pour être la copie d'un original « découvert au cou du roi Ousimarês, « dans le tombeau. x(Pieyte, C/M~t~'es ~Mp~~memtMt'cs du /-tttfe des Morts, p. Su sqq.). Aussi bien un autre exemplaire du même ouvrage, qui appartient au musée du Caire, fut trouvé dans le cercueil de la prétresse d'Amon Tatoumaout, placé à la naissance du cou (Daressy, /n~o'!p<K)?M sur les objets accompagnant la momie de 7'a</t;M~M<,datis les/tntM~M du Ne;'uice des Antiquités, t. 1H, p. la6-t51).

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<( était tout entière en manteaux de deuil, ainsi que les « prêtres de Phtah, le grand-prêtre de Phtah et tous les f gens de l'entourage de Pharaon (1). Et voici, ils aper« curent Nénoferképhtah qui était accroché aux rames« gouvernail de la cange de Pharaon, par sa science de « scribe excellent (2) on l'enleva, on vit le livre sur sa « poitrine, et Pharaon dit « Qu'on été ce livre qui est « sur sa poitrine ». Les gens de l'entourage de Pharaon « ainsi que les prêtres de Phtah et le grand-prêtre de « Phtah dirent devant le roi « 0 notre grand maître « puisse-t-il avoir la durée de Râ c'est un scribe « excellent, un homme très savantqueNénoferképhtah(3)M. « Pharaon le fit introduire dans la Bonne Demeure (4) « l'espace de seize jours, revêtir d'étoffes l'espace de <t trente-cinq jours, ensevelir l'espace de soixante-dix « jours; puis on le fit déposer dans sa tombe parmi les « demeures de repos.
« Je t'ai conté tous les malheurs qui nous sont arrivés (1) pa~AoMa/MM, les </t'M~ de l'angle, ceux qui se tiennent aux quatre côtés du roi et de la salle où il donne audience (cfr. p. 101, note 1). (2) Nénoferképhtah avait disparu dans le fleuve, et personne ne savait en quel lieu il était à Memphis, on le trouve accroché aux rames-gouvernail de la cange royale, et le texte a soin d'ajouter que c'était en sa qualité de scribe excellent. Ce prodige était dû à la précaution qu'il avait prise de fixer le livre de Thot sur sa poitrine la vertu magique avait relevé le corps et l'avait attaché aux rames, à l'insu de tout le monde. (3) L'exclamation des prêtres de Phtah, que rien ne parait justifier de prime abord, est une réponse indirecte à l'ordre du roi. Le roi commande qu'on prenne le livre de Thot, qui a déjà causé la mort de trois personnes. Les prêtres n'osent point lui désobéir ouvertement, mais, en disant que Nénoferképhtah était un grand magicien, ils lui laissent entendre que toute la science du monde ne peut soustraire les hommes à la vengeance du Dieu. De quels malheurs serait menacé celui des assistants qui prendrait le livre et qui n'aurait pas les mêmes connaissances que Nénoferképhtah en sorcellerie'L'événement prouve que cette interprétation un peu subtile de notre texte est exacte. Le roi a compris les craintes de ses courtisans et il a révoqué l'ordre imprudent qu'il avait donné, car le livre de Thot est encore sur la momie de Nénoferképhtah, au moment où Satni vient le lui disputer.
(4) Sur la Bonne /~MM''f, voir p. 137, note 1, du présent volume.

« à cause de ce livre dont tu dis « Qu'on me le donne » « Tu n'as aucun droit sur lui, car, à cause de lui, on nous « a pris le temps que nous avions à rester sur la terre ». Satni dit « Ahouri, donne-moi ce. livre que j'aperçois « entre toi et Nénoferképhtah, sinon je te le prends par « force ». Nénoferképhtah se dressa sur le lit et dit « N'es-tu pas Satni à qui cette femme a conté tous ces « malheurs que tu n'as pas éprouvés ? Ce livre en ques« tion, es-tu capable de t'en emparer par pouvoir de « scribe excellent (1) ou par ton habileté à jouer contre <( moi ? Jouons-le à nous deux (2) n. Satni dit « Je tiens ». Voici qu'on apporta la brette devant eux (3) avec ses (1) En d'autres termes, par une lutte de science entre magiciens de pouvoir égal (cfr. p. 141, note 2).
(2) Sur le sens de ce passage, cfr. Spiegelberg, der Sa~en~ des Konigs ~'e<ut<M< p. 56, note 9. Le jeu de dames était le divertissement favori des morts. On déposait souvent avec eux dans le tombeau un damier, les pions, et les osselets par lesquels on réglait la marche des pions. Certaines vignettes du Rituel funéraire nous montrent le maître occupé à jouer ainsi dans l'autre monde, sous un petit pavillon ou sous la voûte d'un hypogée (Naville, ro~ntMc/i, t. 1, pi. XXVII'. Les Égyptiens modernes ont deux jeux au moins, celui de MoM~Aa~A et celui de ï's< qui doivent présenter des analogies avec les parties de Satni contre Nénoferképhtab.On les trouvera expliqués tout au long dans Lane, An Account of the Af6tMe)\s and CM!<ow~ o/'<A? ~Mocier~ Egyptians, 1" édit., London, d83' t. II, p. 51 sqq le MïOMnta/a~ se joue en soixante points. Ajoutons qu'il y a au musée de Turin les fragments, malheureusement mutités, d'un papyrus ou sont données les règles de plusieurs jeux de dames et qui ont été étudiés par Devéria, puis par Wiedmann. J'y ai cherché en vain l'explication de la partie liée entre les deux héros du conte dans l'état actuel de nos connaissances, la marche est impossibte à suivre et la traduction de notre passage reste conjecturale.
(3) Les pièces de jeu s'appelaient c/ne'ts on a, en effet, dans les musées, quelques pions qui ont une tête de chien ou de chacal (Birch, /i/tam~tttt<K< OMt< the C~mc o/ Drauyhts, p. 4, 14). C'est le même nom que les Grecs leur donnaient, et le même aussi, te~, au pluriel /ttM6, dont on désigne encore aujourd'hui en Egypte celles du jeu de tab. Je me sers du mot brette pour rendre le terme égyptien, faute de trouver une expression mieux appropriée à la circonstance. C'est la planchette divisée en compartiments sur laquelle on faisait marcher les chiens. Le Louvre en possède deux dont l'une porte le cartouche de la reine Hâtchopsouitou (XVIH'dynastie).

chiens, et ils jouèrent à eux deux. Nénoferképhtah gagna une partie à Satni, il récita son grimoire sur lui, il plaça sur lui la brette à jouer qui était devant lui, et il le fit entrer dans le sol jusqu'aux jambes (1). JI agit de même à la seconde partie, il la gagna à Satni et il le fit entrer dans le sol jusqu'à l'aine. Il agit de même à la troisième partie, et il fit entrer Satni dans le sol jusqu'aux oreilles. Après cela, Satni attaqua Nénoferképhtah de sa main, Satni appela lharôs, son frère de lait, disant « Ne tarde « pas à remonter sur la terre, raconte tout ce qui m'arrive « par devant Pharaon, et apporte-moi les talismans de mon « père Phtah (2) ainsi que mes livres de magie ». 11 remonta sans tarder sur la terre, il raconta devant Pharaon tout ce qui arrivait à Satni, et Pharaon dit « Apporte« lui les talismans de Phtah, son père, ainsi que ses « livres d'incantations ». Inarôs descendit sans tarder dans la tombe il mit les talismans sur le corps de Satni et celui-ci s'éleva de terre à l'heure même. Satni porta la main vers le livre et il le saisit et quand Satni remonta hors de la tombe, la lumière marcha devant lui et l'obscurité marcha derrière lui (3). Ahouri pleura après lui, (1) Nénoferképhtah a gagné un coup. Cet avantage lui permet de réciter Son grimoire, ce qui a pour résultat d'enlever à Satni une partie de sa force magique. Nénoferképhtah met sur son adversaire la brette qui était devant lui cette opération a la même vertu que celle du marteau magique et elle fait entrer en terre jusqu'aux pieds celui qui la subit. Les Actes apocryphes de saint Philippe racontaient une aventure pareille arrivée au saint à chaque coup qu'il gagnait, son adversaire, un prêtre païen, s'enfonçait dans le sol jusqu'aux genoux d'abord, puis jusqu'au nombril, et enfin jusqu'au cou (Rëitzenstein, .t/e~MM~cAe H~unttet'er~fth~Mm~e't, p. 132-133~.
(2) Ce titre de père est celui que le roi, descendant et même fils du Soleil, confère à tous les dieux; ici, toutefois, il trouve sa raison d'être spéciale dans le fait que notre Khamois était le grand-prêtre de Phtah Memphite. Les talismans de Phtah ne nous sont pas connus par ailleurs il est intéressant de constater par ce passage qu'on en tenait la vertu pour supérieure à celle des talismans de Thot, que Nénoferkëphtah possédait. (3) Le livre de Thot éclairait la tombe (cf. p. 128 du présent volume) Satni, en l'emportant, emporte la lumière et laisse l'obscurité.

disant « Gloire à toi, ô l'obscurité Gloire à toi, 6 la « lumière Tout s'en est allé, tout ce qu'il y avait dans « notre tombeau (1) ». Nénoferképhtah dit à Ahouri « Ne « te tourmente point. Je lui ferai rapporter ce livre par la « suite, un j)âtpn_fpurchu à la main, un brasier allumé « sur la tète (2) ». Satni remonta hors du tombeau et il le referma derrière lui, comme il était auparavant. Satni alla par devant Pharaon et il raconta à Pharaon tout ce qui lui était arrivé au sujet du livre. Pharaon dit à Satni « Remets ce livre au tombeau de Nénoferképhtah en « homme sage sinon il te le fera rapporter, un bâton « fourchu à la main, un brasier allumé sur la tête )). Mais Satni ne l'écouta point il n'eut plus d'occupation au monde que de déployer le rouleau, et de lire par devant n'importe qui (3).
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Après cela, il arriva, un jour que Satni se promenait (4) C'est ainsi qu'au Livre de l'Hadès, chaque fois que le soleil, ayant traversé une des heures de la nuit, en sort pour entrer chez l'heure suivante, les mânes et les dieux qu'il quitte, plongés dans les ténèbres pour vingt-trois heures jusqu'à son retour, poussent des acclamations en son honneur et gémissent de retomber dans l'obscurité.
(2) Dans tous les rites magiques, le feu et l'épée, ou, à défaut de l'épcp, une arme pointue en m'étal, lance ou .fourche, sont nécessaires pour l'évocation et pour l'expulsion des esprits. Sur les lames de plomb qu'on trouve dans les cimetières d'Afrique, Typhon et les mauvais génies égyptiens que le sorcier appelle sont figurés parfois une lance à. la main et une flamme sur la tête. Kraft a pensé qu'il s'agissait ici d'un courrier (Papyrus Ers~er:o~ Kat'Tto', Ftfhrfr (hf'ch die ~MM<eHMM; p. 53,  166). (3) Cette sorte d'obsession inéluctable produite par un écrit magique est décrite fortement dans d'autres textes. C'est ainsi que le prince Didoufhorou, fils de Mykérinos, l'un des héros du Conte de /f/i0!</b:~ e< des ~/a~!e:en~ (cfr. p. 31 sqq.), ayant découvert le chapitre LXiv du /.tu?'e < des Morts, « ne voyait plus, n'entendait plus, tant il récitait ce cha< pitre pur et saint il n'approchait plus des femmes, il ne mangeait « plus ni chair ni poisson t. L'abstinence et la chasteté étaient en effet des conditions indispensables a l'exercice des pouvoirs surhumains que les grimoires conféraient à leurs possesseurs comme on le verra par la suite du roman (cf. p. 149150, note 3, du présent volume), c'est sur l'inconti- nence dé Satni que Nénoferképhtah compte pour recouvrer son talisman.

sur le parvis du temple de Phtah, il vit une femme, fort belle, car il n'y avait femme qui l'égalât en beauté (1) elle avait beaucoup d'or sur elle, et il y avait des jeunes filles qui marchaient derrière elle, et il y avait des domestiques au nombre de cinquante-deux avec elle (2). L'heure que la vit Satni, il ne sut plus l'endroit du monde où il était. Satni appela son page (3), disant « Ne tarde pas « d'aller à l'endroit où est cette femme, et sache quelle est « sa condition ». Point ne tarda le jeune page d'aller à l'endroit où était la femme. Il interpella la suivante qui marchait derrière elle, et il l'interrogea, disant « Quelle « personne est-ce ? » Elle lui dit « C'est Tboubouî, fille « du prophète de Bastît, dame d'Ankhoutaoui (4), qui « s'en va maintenant pour faire sa prière devant Phtah, « le dieu grand ». Quand le jeune homme fut revenu vers Satni, il raconta toutes les paroles qu'elle lui avait dites sans exception. Satni dit au jeune homme « Va-t'en dire « à la suivante ceci Satni-Khâmoîs, fils du Pharaon « Ousimarès, est qui m'envoie, disant « Je te donnerai (1) Le rôle joué par Tboubouî dans cet épisode est conforme aux données de la démonologie universelle, et nous révèle la nature du personnage. Elle n'est autre qu'Ahouri, revenue sur la terre pour séduire Satni et pour le mettre dans l'impuissance de se servir de ses âmes magiques lorsqu'elle l'aura rendu impur, Nénoferképhtah reviendra à son tour et l'obligera à restituer le livre de Thot. Sur ce concept, voir ce qui est dit dans l'Introduction, p. Lxu-Lxiv.
(~) Ainsi que Wiedemann l'a remarqué fort ingénieusement (~/<as~~t'scAe ~'o~"7: M"~ Afa'fc~c~, p. 136, note 1), les cinquante-deux pages qui accompagnent Tboubout sont les cinquante-deux pions de l'échiquier magique, animés et incarnés pour servir d'escorte à la princesse Ahouri dans son excursion au monde des vivants cf. /m<)'o~Mc<ton, p. Lxiv. (3) Le mot dépare est un équivalent plus ou moins exact que j'emploie faute de mieux. Le terme égyptien ~m a:AoM signifie littéralement celui qui entend l'appel on le trouve abrégé sous la forme sôtmou dans le Conte du Prince prédestiné. On connaît par les monuments une série nombreuse de sôtmou a~/tOM m Mt< m:dt<, ou pages dans la place vraie, c'est-à-dire de domestiques attachés aux parties de lanécropolethëbaine qui avoisinent Drah abou'l Neggah, Déir-eI-Bahari, el-Assassif, Cheikh Abd el Gournah, Déîr el Médinéh, surtout cette dernière localité. (4) Sur le quartier Ankhoutaoui, v. plus haut, p. 25, note 3.
10

« dix pièces d'or pour que tu passes une heure avec « moi (1). S'il y a nécessité de recourir à la violence, il le « fera et il t'entraînera dans un endroit caché où personne « .au monde ne te trouvera ». Quand le jeune homme fut revenu à l'endroit où était Tboubouî, il interpella la servante et il parla avec elle elle s'exclama contre ses paroles, comme si c'était insulte de les dire. Tboubouî dit au jeune homme « Cesse de parler à cette vilaine fille viens « ,et me parle ». Le jeune homme approcha de l'endroit où était Tboubouî, il lui dit « Je te donnerai dix pièces « d'or pour que tu passes une heure avec Satni-Khâmoîs, « le fils du Pharaon Ousimarès. S'il y a nécessité de re« courir à la violence, il le fera et il t'entraînera dans un « endroit caché où personne au monde ne te trouvera ». Tboubouî dit « Va dire à Satni « Je suis une hiérodule, « je ne suis pas une personne vile. S'il est que tu désires « avoir ton plaisir de moi, tu viendras à Bubaste (2) dans « ma maison. Tout y sera prêt, et tu feras ton plaisir de « moi, sans que personne au monde me devine, et sans « que je fasse action d'une fille de la rue ». Quand le page fut revenu auprès de Satni, il lui répéta toutes les paroles qu'elle avait dites sans exception, et celui-ci dit « Voici « qui me satisfait », mais quiconque était avec Satni se mit à jurer.
Satni se fit amener un bateau, il s'y embarqua et il ne (1) Dix <a;&omoM d'or (cf. p. 132, note 2) font entre 0 kilogr. 890 et 0 kilogr. 9i0 d'or, soit en poids 3.000 francs environ de notre monnaie, mais beaucoup plus en valeur réelle.
(2) Aujourd'hui Tell Basta, près de Zagazig. Brugsch a séparé les deux parties qui forment le mot, et il a traduit au temple de B(M<t<. L'orthographe du texte égyptien ne permet pas cette interprétation il s'agit non pas d'un temple de Bastit, situé dans un des quartiers de Memphis, ni d'une partie de Memphis.nommée Poubastit, mais de la maison de Bastit, de Bubaste. Le voyage est de ceux qui n'exigeaient pas de longs préparatifs il pouvait s'accomplir en quelques heures, au rebours du voyage de Coptos que font successivement Nénoferkëphtah et Satni lui-même.

tarda pas d'arrivér à Bubaste. Il alla à l'occident de la ville, jusqu'à ce qu'il rencontrât une maison qui était fort haute il y avait un mur tout à l'entour, il y avait un jardin du côté du nord, il y avait un perron sur le devant. Satni s'informa, disant « Cette maison, la maison de qui « est-ce ? » On lui dit (f C'est la maison de Tboubouî ». Satni pénétra dans l'enceinte et il s'émerveilla du pavillon situé dans le jardin (1), tandis qu'on prévenait Tboubouî; elle descendit; elle prit la main de Satni et elle lui dit « Par la vie le voyage à la maison du prêtre de Bastît, « dame d'Ankhoutaoui, à laquelle te voici arrivé, m'est « fort agréable. Viens en haut avec moi ». Satni se rendit en haut, par l'escalier de la maison; avec Tboubouî. Il trouva l'étage supérieur de la maison sablé et poudré d'un sable 'et d'une poudre de lapis-lazuli vrai et de turquoise vraie (2); il y avait là plusieurs lits, tendus d'étoffes de lin royal, aussi de nombreuses coupes en or sur le guéridon. On remplit de vin une coupe d'or, on la mit dans la main de Satni, et Tboubouî lui dit « Te plaise faire ton repas ». il lui dit « Ce n'est pas là ce que je veux faire Ils mirent du bois parfumé sur le feu, ils apportèrent des odeurs du genre de celles dont on approvisionne Pharaon, et Satni fit un jour heureux avec Tboubouî, car il n'avait jamais encore vu sa pareille. Alors Sàthi dit à Tboubouî « Accomplissons ce pourquoi nous sommes venus ici ». Ellè lui dit « Tu arriveras à ta maison, celle où tu es. (1) Cette description répond très exactement à divers plans de maisons égyptiennes qui sont figurés sur les tableaux des tombeaux thébains. Qu'on prenne surtout celui dont j'ai donné le fac-similé et la restitution dans I'~)'cMo~eE~y/)<:eKne (2° édit. p. 16-n, ûg. 11 et t2) on y trouvera le mur élevé, la porte avec perron, le grand jardin, le corps de logis situé dans le jardin et bâti à deux étages.
(2) Le H:(!/Aa!< est un nom commun à tous les minéraux verts, ou bien tirant sur le vert, sulfate de cuivre, émeraude, turquoise, etc., que les Égyptiens connaissaient.

d48 CONTES DE L'ÉGYPTE ANCIENNE
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Mais moi, je suis une h~érodule (1), je ne suis pas une « personne vile. S'il est que tu désires avoir ton plaisir « de moi, tu me feras un acte de nourriture et un acte « d'argent sur toutes les choses et sur tous les biens qui « sont à toi (2) ». 11 lui dit « Qu'on amène le scribe de « l'école ». On l'amena sur l'instant, et Satni fit faire au bénéfice de Tboubouî un acte pour son entretien et il lui constitua par écrit un douaire de toutes les choses, tous les biens qui étaient à lui. Une heure passée, on vint annoncer ceci à Satni « Tes enfants sont en bas ». Il dit « Qu'on les fasse monter ». Tboubouî se leva, elle revêtit une robe de lin fin (3) et Satni vit tous ses membres au travers, et son désir alla croissant plus encore qu'auparavant. Satni dit à Tboubouî « Que j'accomplisse ce pour« quoi je suis venu à présent ». Elle lui dit « Tu arri« veras à ta maison, celle où tu es. Mais moi, je suis une « hiérodule, je ne suis pas une personne vile. S'il est que « tu désires avoir ton plaisir de moi, tu feras souscrire tes
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'yf (1) Sur le sens de ce mot, cfr. Maspero, JM~MnyM de Mythologie et d'Archéologie ~~ennes, t. IV, p. 431-432. P< 7'oC J~ (2) Tbouboui se conforme ainsi à la jurisprudence de l'âge ptolémaïque d'après laquelle l'existence de deux actes, l'un « de nourriture n et l'autre « d'argent a. était nécessaire pour assurer une base légale à l'union de l'homme et de la femme et pour lui enlever jusqu'aux apparences du concubinage; cf. Spiegelberg, Demotische A~ce/~n, 32, dans le Recueil de Travaux, t. XXVIII, p. 190-195.
(3) C'est la grande robe de linon transparent, tantôt souple et tombant en plis mous, tantôt amidonnée et raide, dont les femmes sont revêtues dans les tableaux d'intérieur de l'époque thébaine le corps tout entier était visible sous ce voile nuageux, et les artistes égyptiens ne se sont pas fait faute d'indiquer des détails qui montrent à quel point le vêtement cachait peu les formes qu'il recouvrait. Plusieurs momies de la trouvaille de Deir-el-Bahari, entre autres celle de Thoutmôsis III et de Ramsès 11 portaient, appliquées contre la peau, des bandes de ce linon, dont-on peut voir des spécimens au musée du Caire il est jauni par le temps et par les parfums dont il fut trempé au moment de l'embaumement, mais les peintres anciens n'ont rien exagéré en représentant comme à peu près nues les femmes qui s'en habillaient. On comprendra. en l'examinant, ce qu'étaient ces gazes de Cos que les auteurs classiques appelaient de /'«!)' <;Me.
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« enfants à mon écrit, afin qu'ils ne cherchent point que« relie à mes enfants au sujet de tes biens )). Satni fit amener ses enfants et il les fit souscrire à l'écrit. Satni dit à Tboubouî « Que j'accomplisse ce pourquoi je suis venu « à présent ». Elle lui dit « Tu arriveras à ta maison, « celle où tu es. Mais moi, je suis une hiérodule,je ne « suis pas une personne vile. S'il est que tu désires avoir « ton plaisir de moi, tu feras tuer tes enfants, afin qu'ils « ne cherchent point querelle à mes enfants au sujet de « tes biens ». Satni dit « Qu'on commette sur eux le « crime dont le désir t'est entré au cœur ». Elle fit tuer les enfants de Satni devant lui, elle les fit jeter en bas de la fenêtre aux chiens et aux chats (1), et ceux-ci en mangèrent les chairs, et il les entendit pendant qu'il buvait avec Tboubouî. Satni dit à Tboubouî « Accomplissons ce « pourquoi nous sommes venus ici, car tout ce que tu as « dit devant moi, on l'a fait pour toi ». Elle lui dit « Rends-toi dans cette chambre ». Satni entra dans la chambre, il se coucha sur un lit d'ivoire et d'ébène, afin que son amour reçût récompense, et Tboubouî se coucha aux côtés de Satni. II allongea sa main pour la toucher elle ouvrit sa bouche largement et elle poussa un grand cri (2).
(1) De même, selon la tradition égyptienne, l'eunuque Bagoas, ayant assassiné le roi de Perse Okhos, aurait jeté son corps aux chats (Diodore de Sicile, xvn, v, 3, et Élien, ~M<o:'rM Variées, VI, 8). Dans le Conte des deu frères (cfr. p. 11 du présent volume), Anoupou tue sa femme et la jette aux chiens pour la punir d'avoir tenté et calomnié Baîti. (2) Les exemples de ces transformations en pleine lutte amoureuse 'ne sont pas rares dans la littérature populaire. Le plus souvent elles sont produites par l'intervention d'un bon génie, d'un thaumaturge ou d'un saint qui vient sauver le héros des étreintes du succube. Ailleurs, c'est le succube lui-même qui s'accorde le malin plaisir d'effrayer son amant par une métamorphose subite cette dernière donnée a été souvent mise en œuvre par les conteurs européens, et en dernier lieu par Cazotte, dans son Diable nm~Mret.j-. Un détail obscène, qui se rencontre quelques lignes plus bas et que je n'ai point traduit, prouve qu'ici, comme partout dans les contes de ce genre Tboubouî a dû se donner entière pour avoir son

Lorsque Satni revint à lui, il était dans une chambre de four sans aucun vêtement sur le dos (1). Une heure passée, Satni aperçut un homme très grand (2), monté sur une estrade, avec nombre de gens sous ses pieds, car il avait la semblance d'un Pharaon. Satni alla pour se lever, mais il ne put se lever de honte, car il n'avait point de vêtement sur le dos. Le Pharaon dit « Satni, qu'est-ce que cet état dans lequel tu es? » Il dit « C'est Nénoferképhtah (( qui m'a fait faire tout cela ». Le Pharaon dit « Va à Memphis. Tes enfants, voici qu'ils te désirent, voici qu'ils « se tiennent devant Pharaon ». Satni dit devant le Pharaon « Mon grand maître, le roi, puisse-t-il avoir la « durée de Râ! quel moyen d'arriver à Memphis, si je K n'ai aucun vêtement du monde sur mon dos ? » Pharaon appela un page qui se tenait à côté de lui, et il lui comt manda de donner un vêtement à Satni. Pharaon dit « Satni, va à Memphis. Tes enfants, voici qu'ils vivent, « voici qu'ils se tiennent devant le roi (3) ». Satni alla à ennemi en son pouvoir (cf. p. 150, note 1). A peine maîtresse, elle ouvre une bouche énorme d'où sort un vent d'orale Satni perd connaissance et il est emporté loin de la maison pendant son évanouissement. (1) Le texte porte ici un membre de phrase Aou ~OMney At-A/tcm n ot<a< shakhi, que je passe, et dont le sens sera clair pour toutes les personnes qui voudront bien recourir à l'original.
(2) Une taille plus qu'humaine est, à cette époque, le trait auquel on reconnaît les dieux ou les génies, lorsqu'ils se manifestent à l'homme ainsi Hermès-Thot, dans le ~cenMHd/'M. § 1. ')-"
(3) On voit~par le discours du ~ot,j~m n'est autre~gue Nénoferképhtah, que toute la scène de coquetterie et d? meurtrcprëcëdente n'avait pas été qu'une opération magique Satni. devenu impur et criminel, perdait sa puissance surnaturelle. Comme je l'ai déjà marqué plus haut (cfr. p. 144, note 3), le commerce avec les femmes a toujours pour effet de suspendre le pouvoir du sorcier, jusqu'au moment où il a pu accomplir les ablutions prescrites et redevenir pur. Aussi la séduction amoureuse estelle un grand ressort d'action partout où le surnaturel est en jeu. Pour n'en citer qu'un exemple entre cent, dans les ~!«e ~< une Nuits (Y4' HM!<), l'enchanteur Shahabeddin, après s'être uni à une femme, ne pouvait plus user avec succès de ses formules, jusqu'au moment où il avait accompli les purifications prescrites par le Coran en pareille circonstance, et s'était lavé de sa souillure.

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Memphis il embrassa avec joie s&é~e~'a~ts.'car ils étaient en vie (1). Pharaon dit « Est-ce~point l'ivresse'qui t'a fait « faire tout cela? )) Satni conta~ tout ce qui lui était arrivé avec Tboubouî et Nénoferképhtah. Pharaon dit: « Satni, K je suis déjà venu à ton aide, disant « On te tuera, à « moins que tune~rapportes ce livre au lieu d'où tu l'as « apporté pour toi )) mais tu ne m'as pas écouté jusqu'à « cette heure. Maintenant rapporte le livre à Nénofer« képhtah, un bâton fourchu dans ta main, un brasier « allumé sur ta tête ». Satni sortit de devant Pharaon, une fourche et un bâton dans la main, un brasier allumé sur sa tête, et il descendit dans la tombe où était Nénoferképhtah. Ahouri lui dit « Satni, c'est Phtah, le dieu « grand, qui t'amène ici sain et sauf! (2) » Nénoferképhtah rit, disant « C'est bien ce que je t'avais dit aupara« vant. Satni se mit ~causer avec Nénoferképhtah, et il s'aperçut que, tandis qu'Us parlaient, le soleil était dans la tombe entière (3). Ahouri et Nénoferképhtah causèrent avec Satni beaucoup. Satni dit~ « Nénoferképhtab, n'est-ce « pas quelque chose d'humiltant que tu demandes ? » Nénoferképhtah dit « Satni, tu sais ceci, à savoir, Ahouri ~"r « et Maîhêt, son enfant, sont à Coptos et aussi dans
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« cette tombe, par art de scribe~uabile. Qu'il te soit « ordonné de prendre peine, d'aller à Coptos et de les « rapporter ici (4) ».
(1) Cf. plus haut, p. 112, note 3, du présent volume, un cas de résurrection analogue pour les compagnons du A~aM/age.
(2) Satni était grand-prêtre de Phtah la protection de son dieu l'a sauvé des magiciens, et c'est ce qu'Ahouri lui avoue, non sans quelque dépit probablement.
(3) En rapportant le livre magique, Satni avait fait rentrer dans la tombe la lumière, qui en était sortie' lorsqu'il avait emporté le talisman cfr. p. 143-144 du présent volume.
(4) Ou le corps est enterré, le <;<oM~e doit vivre. Nénoferképhtah a soustrait le double d'Ahouri et celui de Maihêt à cette loi, par art f/e scribe habile, c'est-à-dire par magie, et il leur a donné l'hospitalité dans sa propre tombe mais c'est là une condition précaire et qui peut changer

Satni remonta hors de la tombe il alla devant Pharaon, il conta devant Pharaon tout ce que lui avait dit Nénoferképhtah. Pharaon dit « Satni, va à Coptos et « rapporte Ahouri et Maîhêt, son enfant )). Il dit devant Pharaon « Qu'on me donne le cange de Pharaon et son « équipement w. On lui donna la cange de Pharaon et son équipement, il s'embarqua, il partit, il ne tarda pas d'arriver à Coptos. On en informa les prêtres d'Isis de Coptos et le grand-prêtre d'Isis voici qu'ils descendirent audevant de lui, ils descendirent au rivage. Il débarqua, il alla au temple d'Isis de Coptos et d'Harpocrate. Il fit venir un taureau, des oies, du vin, il fit un holocauste et une libation devant Isis de Coptos et Harpocrate. Il alla au cimetière de Coptos avec les prêtres d'Isis et le grandprêtre d'Isis. Ils passèrent trois jours et trois nuits à < chercher parmi les tombes qui sont dans la nécropole de Coptos, remuant les stèles des scribes de la double maison de .vie, récitant les inscriptions qu'elles portaient ils ne trouvèrent pas les chambres où reposaient Ahouri et Maîhêt,. son enfant. Nénoferképhtah le sut qu'ils ne trouvaient point les chambres où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant. II se manifesta sous la forme d'un vieillard, un prêtre très avancé en âge, et il se présenta au-devant de Satni (1). Satni le vit, Satni dit au vieillard « Tu as semblance d'homme avancé en âge. Ne à chaque instant. Satni, vaincu dans la lutte pour la possession du livre de Thot. doit une indemnité au vainqueur celui-ci lui impose l'obligation d'aller chercher à Coptos Ahouri et Maîbêt et de les ramener à Memphis. La réunion des trois momies assurera la réunion des trois doubles, à tout jamais.
(1) C'est laseconde transformation au moins que Nenoforképhta.h opère dans la partie du conte qui nous a été conservée. Les mânes ordinaires avaient le droit de prendre toutes les formes qu'ils voulaient, mais ils ne pouvaient se rendre visibles aux vivants que dans des cas fort rares. Nénoferképhtah doit a sa qualité de magicien le privilège de faire aisément ce qui leur était défendu, et d'apparaître une fois en costume de roi, une autre fois sous la figure d'un vieillard (cf. /~?;p</Mc<!OM, p. LXIII-LXIV).

c connais-tu pas les maisons où reposent Ahouri et « Maihêt, son enfant ? » Le vieillard dit à Satni « Le « père du père de mon père a dit au père de mon père, « disant « Le père du père de mon père a dit au père de « mon père « Les chambres où reposent Ahouri et Maihêt, « son enfant, sont sous l'angle méridional de la maison du « prêtre. (1) ». Satni dit au vieillard « Peut-être le « prêtre. t'a-t-il fait injure et c'est pour cela que tu veux « détruire sa maison ? (2) » Le vieillard dit à Satni « Qu'on « fasse bonne garde sur moi, puis qu'on rase la maison. « du prêtre. et, s'il arrive qu'on ne trouve point Ahouri « et Maîhêt, son enfant, sous l'angle méridional de la « maison du prêtre. qu'on me traite en criminel ». On fit bonne garde sur le vieillard, on trouva la chambre où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant, sous l'angle méridional de la maison du prêtre. Satni fit transporter ces grands personnages dans la cange de Pharaon, puis il fit reconstruire la maison du prêtre. telle qu'elle était auparavant (3). Nénoferképhtah fit connaître à Satni que
(1) Le texte est trop mutilé en cet endroit pour que la restitution puisse être considérée comme certaine.
(2) En détruisant la maMOK, c'est-à-dire le tombeau d'un individu, on rendait impossible son culte funéraire, on affamait son double et on risquait de le faire périr, d'où colère du double qui se manifestait par des apparitions, des attaques, des possessions, des maladies dont souffraient les vivants. La loi était donc très sévère pour ceux qui, démolissant une tombe, risquaient de déchaîner ces maux néanmoins il arrivait parfois que des gens convaincus de haine contre certains morts risquaient l'aventure. Satni craint que son informateur ne veuille profiter de la recherche qu'il entreprend pour assouvir'sa haine, et ne le rende complice involontaire de son crime.
(3, Les restaurations de tombeaux et les transports de momies qui en étaient la conséquence n'étaient pas chose rare dans l'antiquité égyptienne l'exemple le plus frappant nous en a été donné à Thèbes par la trouvaille de Détr-el-Bahan. On a trouvé là, en 1881. une quarantaine de cadavres royaux, comprenant les Pharaons les plus célèbres de la XVM1', de la XIX' et de la XXo dynasties, Ahmôsis I", Aménothès I", Thoutmôsis 11 et Thoutmôsis lit, Ramsès t", Sêtoui I", Ramsès U, Ramsès 111. Leurs momies, inspectées et réparées à plusieurs reprises, avaient fini

c'était lui qui était venu à Coptos, pour lui découvrir la 'cnambre où reposaient Ahouri.et Maîhet, son enfant. s'embarqua sur la cange de Pharaon. Il fit le voyage, il ne tarda pas d'arriver à Memphis et toute l'escorte qui était avec lui. On l'annonça à Pharaon et Pharaon descendit au-devant de la cange de Pharaon il fit porter les grands personnages dans la tombe où était Nénoferképhtah et il en fit sceller la chambre supérieure tout aussitôt. Cet écrit complet, où est contée l'histoire de Satni Khâmoîs et de Nénoferképhtah, ainsi que d'Ahouri, sa femme, et de Maihêt, son fils, a été écrit par le scribe Ziharpto-? l'an 15, au mois de Tybi.
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L'HISTOIRE VÉRIDIQUE DE SATNI-KHAMOIS
ET DE SON FILS SÉNOSIRIS
L'Histoire véridique de Satni Khamois et de son fils Sénosiris fut découverte sur le Papyrus DCIV du Musée Britannique, et publiée, transcrite, traduite en anglais par
F. LL. Griffith, S<or/M o/'</te Btg/t-Pne~s o/Mp/t/s, the Se<AoHo/' Herodotus and the Demotic Tales of Khamuas, Oxford, Clarendon Press, ~909, in-8", p.*TT'~6, 142-207, et atlas in-f" de XIV planches, puis analysée, commentée et traduite partiellement en français par G. Maspero, Contes ~M~' aux iyra)~.s-p)-ei?'M de Memphis, dans le Journal des Savants, 1901, p. 473-S04, enfin transcrite en hiéroglyphes, puis traduite en français par RevtHout, le Romfm du Sat)))ë, Second ?'o)?tttM dit Sa<Me K/taernouas, dans la Revue .Ë~p<o/ojyt<yue, t. XII, p. 10'7-i09, t. XIH, p. 29-38.
Elle est écrite au revers de deux recueils de pièces officielles rédipar être déposées, sous Sheshonq t", dans un même puits où il était facile de les soustraire aM atfetntes~ies voteurs. Le héros de notre conte agit comme Sheshonq mais avec une intention diN'érente il obéit à un ordre des morts eux-mêmes, et il cherche a. leur être agréable plutôt qu'à leur donner une protection dont leur puissance magique leur permet de se passer fort bien.

gées en grec et datées de l'an VII de Claude César, 46-47 après J.-C. Les deux rouleaux de papyrus, passes a. la condition de vieux papiers, furent collés bout a bout, et l'on y transcrivit le roman aux parties libres du verso; dans son état actuel, il est incomplet il la droite sur une longueur indéterminée et le début de l'histoire a disparu. L'écriture semble indiquer, pour l'époque de la copie, la seconde moitié du deuxième siècle après notre ère. Elle est grande et frêle, à la fois soignée et maladroite, mais d'un déchiffrement aisé matgré quelques bizarreries. La langue est simple, claire, plus pauvre que celle du conte précédent. La première page manque complètement, ainsi qu'un long fragment de la seconde page, mais on peut rétablir l'exposition du sujet avec assez de vraisemblance; la suite du texte est entrecoupée de fortes lacunes qui en rendent l'intelligence parfois laborieuse. L'étude minutieuse et patiente à laquelle M. Griffith a soumis le tout nous permet de saisir le sens général, et d'en restituer le détail exactement dans beaucoup d'endroits. Selon mon habitude, j'ai rétabli sommairement les portions manquantes, en prenant soin d'indiquer le point juste où le texte authentique commence. Il y avait une fois un roi nommé Ousimarès, v. s. f., et il avait parmi ses enfants un fils nommé Satmi (1), lequel était un scribe, habile de ses doigts et fort instruit en toutes choses il était plus qu'homme au monde expert aux arts où les scribes d'Égypte excellent, et il n'y avait savant qui lui comparât dans la Terre-Entière. Et après cela, il arrivait que les chefs des pays étrangers envoyaient un message à Pharaon pour lui dire « Voici ce que mon « maître dit « Qui d'ici pourra faire telle ou telle chose « qu'a devisée mon maître, dans telle ou telle condition ? 2 « S'il la fait comme il convient je proclamerai l'infério« rité de mon pays à l'Égypte. Mais s'il arrive qu'il n'y « ait bon scribe, ni homme sage en Égypte qui puisse la « faire, je proclamerai l'infériorité de l'Égypte à mon (1) Le texte de ce conte donne au nom de Satni une variante .Sa<w: qui pourrait faire douter qu'il y fût question du même personnage l'addition du surnom de ~MMOM en plusieurs endroits prouve que S~mt est réellement identique à Satni. Sa<m! est d'ailleurs le titre du prêtre de Phtah, ce qui convient parfaitement à notre héros, qui était grand-prêtre de Phtah à Memphis (cf. p. 151, note 2, du présent volume'

« pays ». Or, quand il avait parlé ainsi, le roi Ousimarès, v. s. f., appelait son fils Satmi et il lui répétait toutes les choses que le messager lui avait dites, et son fils Satmi lui donnait aussitôt la bonne réponse que le chef du pays étranger avait devisée, et celui-ci était obligé de proclamer l'infériorité de son pays au pays d'Égypte. Et nul des chefs qui avaient envoyé des messagers n'avait pu triompher de lui, tant la sagesse de Satmi était grande, si bien qu'il ne se trouvait plus chef au monde qui osât envoyer des messagers à Pharaon (1).
Et après cela, il arriva que Satmi n'eut pas d'enfant mâle de sa femme Mahîtouaskhît, et il s'en affligeait beaucoup dans son cœur et sa femme Mahîtouaskhît s'en affligeait beaucoup avec lui. Or un jour qu'il en était triste plus que de coutume, sa femme Mahîtouaskhît se rendit au temple d'Imouthès, fils de Phtah, et elle pria devant lui, disant « Tourne ta face vers moi, monseigneur Imou« thès, fils de Phtah c'est toi qui accomplis les miracles, « et qui es bienfaisant dans tous tes actes c'est toi qui '( donneras un fils à qui n'en a pas. Entends ma plainte et « rends-moi enceinte d'un enfant mâle (2) ». Mahitouaskhît, la femme de Satmi, coucha donc dans le temple et elle rêva un songe cette nuit même (3). On lui parlait, lui disant « Es-tu pas Mahîtouaskhît, la femme de Satmi, qui dors « dans le temple pour recevoir un remède de ta stérilité (1) Le thème de ce début m'a été suggéré par le passage qu'on lira plus loin, p. i63 sqq; j'ai parlé dans t'/n/t'ouMc~MK, p. xxv-xxvn de la donnée du déS entre rois comme d'une donnée courante en Égypte. (2) Je rétablis ce passage d'après la scène que nous avons plus bas., p. nt-n2 du présent volume, lorsque le sorcier Horus l'Égyptien passe la nuit au temple de Thot pour obtenir un songe prophétique (cf. Maspero, Le f/~&i<< du second Conte '/<* Sa<R7tdMO:dans les Mélanges Nicole, p. 349-355). Une stèle de t'époque d'Auguste, antérieure d'assez peu à la rédaction de notre papyrus, nous fournit un bon exemple de songe, suivi d'une naissance d'enfant (Prisse d'Avenne, Monuments, pl. xxvi bis). (3) Ici commencent les portions conservées du texte.

« des mains du dieu? Quand le lendemain matin sera « venu, va-t-en à la fontaine de Satmi (1;, ton mari, et tu « y trouveras un pied de colocase qui y pousse. La colo« case que tu rencontreras, tu l'arracheras avec ses « feuilles, tu en fabriqueras un remède que tu donneras à « ton mari, puis tu te coucheras près de lui et tu conce« vras de lui la nuit même ». Lorsque Mahîtouaskhît s'eveilla de son rêve après avoir vu ces choses, elle agit en tout selon ce qu'on lui avait dit en son rêve, puis elle se coucha près de Satmi, son mari, et elle conçut de lui. Quand son temps vint, elle eut les signes des femmes enceintes et Satmi l'annonça devant Pharaon, car son cœur s'en réjouissait beaucoup il lui lia un amulette et il récita un grimoire sur elle. Or, Satmi se coucha une nuit et il rêva un rêve. On lui parlait, disant « Mahîtouaskhît, ta « femme, qui a conçu de toi, le petit enfant dont elle accou« chera on l'appellera Sénosiris, et ils seront nombreux « les miracles qu'il accomplira dans la terre d'Égypte ». Lorsque Satmi s'éveilla de son rêve après avoir vu ces choses, son cœur se réjouit beaucoup. Accomplis les mois de la grossesse, lorsque son temps d'accoucher fut venu, Mahîtouaskhît mit au monde un enfant mâle. On le fit savoir à Satmi et il appela l'enfant Sénosiris, selon ce qu'on lui avait dit dans son rêve. On le mit au sein de Mahîtouaskhît, sa mère, sitôt qu'elle fut délivrée des restes de sa grossesse, et on le lui fit nourrir. Et il arriva, quand le petit enfant Sénosiris eut un an, on aurait dit « II a « deux ans »; quand il en eut deux, on aurait dit « Il a « trois ans », tant il était vigoureux en tous ses membres. Il arriva donc que Satmi ne pouvait demeurer une heure (1) GritEth pense, non sans quelques doutes, qu'il est question ici des cabinets d'aisances de la maison de Satmi. Je crois plutôt qu'il s'agit d'une fontaine ou d'un château d'eau, tel que celui que nous avons découvert en avant du temple de Dendérah, pendant l'hiver de 1904-1905.

sans voir le petit enfant Sénosiris, si fort était l'amour qu'il lui portait. Lorsqu'il fut grand et robuste, on le mit à l'école en peu de temps il en sut plus que le scribe qu'on lui avait donné pour maître. Le petit enfant Sénosiris commença à lire les grimoires avec les scribes de la Double maison de Vie du temple de Phtah (1), et tous ceux qui l'entendaient étaient plongés dans l'étonnement; Satmi se plaisait à le mener à la fête par-devant Pharaon, pour que tous les magiciens de Pharaon luttassent contre lui 'et qu'il leur tint tête à tous.
Et après cela, il arriva, un jour que Satmi se lavait pour la fête sur la terrasse de ses appartements, et que le petit garçon Sénosiris se lavait devant lui pour aller aussi à la fête, à cette heure-là, voici, Satmi entendit une voix de lamentation qui s'élevait très forte il regarda de la terrasse de ses appartements, et voici, il vit un riche qu'on menait ensevelir dans la montagne à force lamentations et plentée d'honneurs. Il regarda une seconde fois à ses pieds, et voici, il aperçut un pauvre qu'on menait hors de Memphis, roulé dans une natte, seul et sans homme au monde qui marchât derrière lui. Satmi dit « Par la vie « d'Osiris, le seigneur de l'Amentît, puisse m'être fait « dans l'Amentît comme à ces riches qui ont grande « lamentation, et non comme à ces pauvres qu'on porte « à la montagne sans pompe ni honneurs » Sénosiris, son petit enfant, lui dit « Te soit fait dans l'Amentît ce « qu'on fait à ce pauvre homme dans l'Amentît, et ne te « soit pas fait dans l'Amentît ce qu'on fait à ce riche dans « l'Amentît ». Lorsque Satmi entendit les paroles que Sénosiris, son petit enfant, lui avait dites, son cœur s'en affligea extrêmement, et il dit « Ce que j'entends est-ce « bien la voix d'un fils qui aime son père? » Sénosiris, (1) Sur la Double Maison de Vie et sur ses scribes, voir ce qui est dit, plus haut, p. 130, note 1, du présent voiumë.

son petit enfant, lui dit « S'il te plaît, je te montrerai, « chacun en sa place, le pauvre qu'on ne pleure pas et le « riche sur lequel on se lamente ». Satmi demanda « Et « comment pourras-tu faire cela, mon fils Sénosiris ? » Et après cela, Sénosiris, le petit enfant, récita ses grimoires. II prit son père Satmi par la main et il le conduisit à une place que celui-ci ignorait dans la montagne de Memphis. Elle contenait sept grandes salles (1) et en elles des hommes de toutes les conditions. Ils traversèrent trois des salles, les trois premières, sans que personne leur fît obstacle (2): En entrant dans la quatrième, Satmi aperçut des gens qui couraient et qui s'agitaient tandis que les ânes mangeaient derrière eux (3); d'autres avaient leur nourriture, eau et pain, suspendue au-dessus d'eux, et ils s'élançaient pour la mener bas, tandis que d'autres creusaient des trous à leurs pieds pour les empêcher de l'atteindre. Lorsqu'ils arrivèrent à la cinquième salle, Satmi aperçut les mânes vénérables qui se trouvaient chacun en sa place propre, mais ceux qui étaient inculpés de crimes se tenaient à la porte, suppliants, et le pivot de la porte de la cinquième salle était établi sur le seul œil droit d'un homme qui priait et qui poussait de grands cris (4). (1) Les sept grandes salles de l'enfer qui est décrit ici sont celles dont il est question aux chapitres cxnvet cxLVH du /u)'ed<'s Mo?*<s. Le même nombre est passé, d'une descente aux enfers aujourd'hui perdue, dans les livres hermétiques (Zosyme, §, V. dans Berthelot, les Alchimistes Grecs, t. I, p. 115-118 et H. p. 125-121; cf. Reitzenstein, Po~a~d' p. 8-11). (2) Depuis l'endroit où il est dit que Satmi s'affligea des paroles de son fils jusqu'à celui où le récit nous le montre pénétrant dans la quatrième salle, il ne reste plus que quelques mots à chaque ligne, et encore la place en est-elie incertaine. Il est probable que la description des trois premières salles ne renfermait rien d'intéressant en tout cas, elle était très courte, et elle s'étendait sur quatre ou cinq lignes au plus. (3) Comme on le verra plus loin (cf. p. 162), les dnes qui mangent par ~me'e sont les femmes qui grugeaient ces individus pendant leur vie. Cf. la légende grecque d'Ocnos et de l'âne qui dévorait derrière lui tout son travail (Pausanias, HeMe7t!ea, x, 24).
(4) L'idée de ce châtiment est fort vieille en Egypte. Déjà à l'époque

Lorsqu'ils arrivèrent à la sixième salle, Satmi aperçut les dieux du conseil des gens de l'Amentît qui se tenaient chacun en sa place propre, tandis que les huissiers de l'Amentît appelaient les causes. Lorsqu'ils arrivèrent à la sixième salle, Satmi aperçut l'image d'Osiris, le dieu grand, assis sur son trône d'or fin, et couronné du diadème aux deux plumes (1), Anubis le dieu grand, à sa gauche, le dieu grand Thot à sa droite, les dieux du conseil des gens de l'Amentit à sa gauche et à sa droite, la balance dressée au milieu en face d'eux, où ils pesaient les méfaits contre les mérites, tandis que Thot le dieu grand remplissait le rôle d'écrivain et qu'Anubis leur adressait la parole (2) celui dont ils trouveront les méfaits plus nombreux que les mérites ils le -livreront à Amaît, la chienne du maître de l'Amentît (3), ils détruiront son âme et son corps et ils ne lui permettront plus de respirer jamais; celui dont ils trouveront les mérites plus nombreux que les méfaits, ils l'amènent parmi les dieux du conseil du maître de l'Amentït et son âme va au ciel parmi les mânes vénérables celui dont ils trouveront les mérites équivalents aux fautes, ils le placent parmi les mânes munis d'amulettes qui servent Sokarosiris. Lors, Satmi aperçut un personnage de distinction, thinite, on voit sculptées à Hiéracônpolis, sur le seuil d'une des portes du temple, l'image de personnages étendus ù plat-ventre et sur lesquels le battant passait en s'ouvrant et en se fermant (Quibell, ~icracdKpohx, t. I, pi. 1) c'étaient les ennemis du dieu que les fidèles foulaient aux pieds, chaque fois qu'ils venaient lui rendre hommage.
(1) Ce diadème, que les Égyptiens appelaient :a<e/ ?ci<e/ se composait du bonnet blanc de la Haute-Égypte et des deux plumes d'autruche plantées à droite et à gauche.
(2) C'est une description exacte dela scène du'me~ de f< telle qu'on la voit représentée parfois sur les cercueils en bois ou sur les sarcophages en pierre de l'époque ptolémaïque, et telle qu'elle est figurée au Livre des ;Mo) <~ en tête du chapitre cxxv.
(3) Amait est représentée le plus souvent sous la forme d'un hippopotame femelle qui, accroupi en avant d'Osiris, auprès de la balance, et la gueule ouverte, attend qu'on lui livre les morts reconnus coupables.

revêtu d'étoffes de fin lin, et qui était proche l'endroit où Osiris se tenait, dans un rang très relevé. Tandis que Satmi s'émerveillait de ce qu'il voyait dans l'Amentît, Sénosiris se mit devant lui, disant « Mon père Satmi, « vois-tu pas ce haut personnage revêtu de vêtements de « fin lin et qui est près de l'endroit où Osiris se tient ? Ce « pauvre homme que tu vis qu'on emmenait hors de « Memphis, sans que personne l'accompagnât, et qui était « roulé dans une natte, c'est lui On le conduisit à l'Ha« dès, on pesa ses méfaits contre ses mérites qu'il eut « étant sur terre, on trouva ses mérites plus nombreux « que ses méfaits. Donné qu'au temps de vie que Thot « inscrivit à son compte ne correspondit pas une somme « de bonheur suffisante tandis qu'il était sur terre, on « ordonna par-devant Osiris de transférer le trousseau « funèbre de ce riche que tu vis emmener hors de Mem.« phis avec force honneurs, à ce pauvre homme que voici, « puis de le remettre parmi les mânes vénérables, féaux « de Sokarosiris, proche l'endroit où Osiris se tient. Ce « riche que tu vis, on le conduisit à l'Hadès, on pesa ses « méfaits contre ses mérites, on lui trouva ses méfaits « nombreux plus que ses mérites qu'il eut sur terre, on <' ordonna de le rétribuer dans l'Amentît, et c'est lui que ~< tu as vu, le pivot de la porte d'Amentît planté sur son « œil droit et roulant sur cet œil, soit qu'on ferme ou qu'on « ouvre, tandis que sa bouche pousse de grands cris. Par « la vie d'Osiris, le dieu grand, maître de l'Amentît, si je <( t'ai dit sur terre « Te soit fait ainsi qu'on fait à ce « pauvre homme, mais ne te soit pas fait ainsi qu'il est « fait à ce riche 1 c'est que je savais ce qui allait arriver « à celui-ci )). Satmi dit « Mon fils Sénosiris, nombreuses « sont les merveilles que j'ai vues dans l'Amentît Main« tenant donc, puisse-je apprendre ce qu'il en est de ces « gens qui courent et s'agitent, tandis que des ânes man-

« gent derrière eux, ainsi que de ces autres qui ont leur « nourriture, pain et eau, suspendue au-dessus d'eux, et « qui s'élancent afin de la mener bas, tandis que d'autres « creusent des trous à leurs pieds pour les empêcher de « l'atteindre ? )) Sénosiris reprit « En vérité, je te le dis, « mon père Satmi, ces gens que tu vis, qui courent et s'a« gitent tandis que des ânes mangent derrière eux, c'rst ) « l'image des gens de cette terre qui sont sous la maté« « diction du Dieu et qui travaillent nuit et jour pour leur « subsistance, mais, comme leurs femmes la leur volent par derrière, ils n'ont pas de pain à manger. Revenus à « l'Amentît, on trouve que leurs méfaits sont plus nom« breux que leurs mérites, et ils éprouvent que ce qu'il en « était d'eux sur terre, il en est d'eux encore dans l'Amen« tît, d'eux comme aussi de ceux que tu as vus, leur « nourriture, eau et pain, suspendue au-dessus d'eux et « qui s'élancent pour la mener bas tandis que d'autres « creusent des trous à leurs pieds pour les empêcher de « l'atteindre ceux-ci, c'est l'image des gens de cette terre « qui ont leur subsistance devant eux, mais le dieu creuse « des trous devant eux pour les empêcher de la trouver. « Revenus à l'Amentît, voici, ce qu'il en était d'eux sur « cette terre, il en est d'eux encore dans l'Amentît à être « reçue leur âme dans l'Amentît, ils éprouvent, s'il te « plaît, mon père Satmi, que celui qui fait le bien sur « terre'on lui fait le bien dans l'Amentît, mais que celui « qui fait le mal on lui fait le mal. Elles ont été établies « pour toujours et elles ne changeront jamais ces choses « que tu vois dans l'Hadès de Memphis, et elles se pro<t dnisent dans les quarante-deux nomes où sont les dieux « .du conseil d'Osiris (1))'.
(;t) Le jury infernal, devant lequel les morts comparaissent, se composait d'autant de membres qu'il y avait de noms dans la Haute et la Basse-Égypte chacun d'eux était compétent pour un péché spécial et jugeait le mort sur ce péché.

Lorsque Sénosiris eut terminé ces paroles qu'il disait devant Satmi, son père, il remonta à la montagne de Memphis, tenant son père embrassé et sa main dans sa main. Satmi l'interrogea disant « Mon fils Sénosiris, elle « diffère la place par où l'on descend de celle par où nous « sommes remontés ? » Sénosiris ne répondit à Satmi parole du monde, et Satmi s'émerveilla des discours qu'il lui avait tenus, disant « Il sera capable de devenir un mâne « véritable et un serviteur du dieu, et j'irai à l'Hadës avec « lui disant « Celui-ci est mon fils (1) » Satmi récita une formule du livre d'exorciser les mânes, et il demeura dans le plus grand étonnement du monde à cause des choses qu'il avait vues dans rAmentit, mais elles lui pesaient sur le cœur beaucoup, pour ne pouvoir les révéler à homme au monde. Quand le petit garçon Sénosiris eut douze ans, il n'y eut scribe ni magicien dans Memphis qui l'égalât en la lecture des grimoires.
Après cela, il advint~ un jour que Pharaon Ousimarès était assis en la cour d'audience du palais de Pharaon à Memphis, tandis que l'assemblée des princes, des chefs militaires, des principaux de l'Égypte, se tenait debout devant lui, chacun à son rang dans la cour, on vint dire à Sa Majesté « Voici le discours que fait une peste d'Ethio« pien (2), à savoir, qu'il apporte sur lui une lettre scel« lée ». Sitôt qu'on l'eut rapporté devant Pharaon, voici qu'on amena l'homme dans la cour. Il salua disant « Qui (1) En d'autres termes, Sénosiris, lorsqu'il mourra, sera enregistré au nombre des élus, et le père sera admis au paradis pour les vertus du fils, comme par-dessus le marché.
(2) Le sobriquet d<oM, :'fMoM, litt. le fléau, la peste, que notre auteur donne ici aux Éthiopiens et plus spécialement au magicien Horus, fils de Tnahsit, est le même que le conte du Papyrus Sallier n° 1 inflige aux Hybsôs d'origine asiatique (cfr. p. 2S9, note 10) c'est celui que Manéthon et ses contemporains rendaient en grec par l'épithète que nous traduisons
/M;t)M)'

« d'ici pourra lire cette lettre que j'apporte en Égypte « devant Pharaon, mais sans gâter le sceau, de façon à « lire l'écrit qui est en elle sans l'ouvrir? S'il arrive qu'il « n'y ait bon scribe, ni savant en Égypte qui puisse la « lire sans l'ouvrir, je rapporterai l'infériorité de l'Égypte « à la terre des Nègres, mon pays ». Au moment que Pharaon et ses princes entendirent ces paroles ils ne surent plus le lieu de la terre où ils étaient, et ils dirent « Par « la vie de Phtah, le dieu grand, est-il force de bon scribe « ou de magicien, habile à lire des écrits dont il voit la « teneur, qui puisse lire une lettre sans l'ouvrir ? » Pharaon dit « Qu'on m'appelle Satmi Khâmoîs, mon fils » On courut, on le lui amena à l'instant, il s'inclina jusqu'à terre, il adora Pharaon, puis il se releva et il se tint debout, bénissant et acclamant Pharaon. Pharaon lui dit « Mon « fils Satmi, as-tu entendu les paroles que cette peste « d'Éthiopien a dites devant moi, disant « Y a-t-il < un bon scribe ou un homme instruit en Égypte qui « puisse lire la lettre qui est en ma main sans briser le « sceau, et qui sache ce qu'il y a d'écrit en elle sans l'ou« vrir ? » L'instant que Satmi entendit ces paroles, il ne sut plus l'endroit du monde où il était, il dit « Mon grand « seigneur qui est-ce qui serait capable de lire une lettre « sans l'ouvrir ? Maintenant donc qu'on me donne dix < jours de répit, que je puisse voir ce que je suis capable « de faire, pour éviter que l'infériorité de l'Égypte soit « rapportée au pays des Nègres mangeurs de gomme (1) ». Pharaon dit « Ils sont donnés à mon fils Satmi ». On assigna des appartements où se retirer à l'Éthiopien, on (1) C'est une injure à l'adresse des Nègres, que la pauvreté de leur terres obligeait à se nourrir des gommes de diverse nature qu'ils recueillaient sur les arbres de leurs forêts. On en trouvera des exemples dans un autre écrit du même temps, l'Emprise du trône (cf. p. 238, n.l du présent volume).

lui prépara des saletés à la mode d'Éthiopie (1), puis Pharaon se leva en la cour, son cœur triste excessivement, et il se coucha sans boire ni manger.
Satmi rentra dans ses appartements sans plus savoir la place du monde où il allait. H se serra dans ses vêtements de la tête aux pieds, et il se coucha sans plus savoirl'endroit du monde où il était. On le manda à Mahîtouaskhit, sa femme elle vint à l'endroit où était Satmi, elle passa la main sous ses vêtements. Elle lui dit « Mon frère « Satmi, point de fièvre au sein, souplesse des membres « maladie, tristesse de cœur (2) » II lui dit « Laisse« moi, ma sœur Mahîtouaskhît L'affaire pour laquelle mon « cœur se trouble, n'est pas une affaire qu'il soit bon de « découvrir à une femme 1 » Le petit garçon Sénosiris entra ensuite, il se pencha sur Satmi, son père, et il lui dit « Mon père Satmi, pourquoi es-tu couché, le cœur trou« blé? Les affaires que tu enfermes en ton cœurdis-les~ « moi que je les écarte s. Il répondit: « Laisse-moi, mon « enfant Sénosiris les affaires qui sont en mon cœur, tu « es d'âge trop tendre pour t'en occuper ». Sénosiris dit: « Dis-les moi, que je rende ton cœur calme à leur propos ». Satmi lui dit « Mon fils Sénosiris, c'est une peste « d'Éthiopie qui est venue en Égypte, apportant sur son « corps une lettre scellée et disant « Est-il ici celui qui « la lira sans l'ouvrir? S'il arrive qu'il n'y ait ni bon scribe « ni savant en Égypte qui soit capable de la lire, je rap(i) Les saletés à la mode d'Éthiopie ne sont que les mets en usage chez les Éthiopiens la haine- que les Égyptiens de la Basse-Égypte professaient contre les gens du royaume de Napata se portait non seulement sur les hommes, mais sur tout ce qui leur servait, y compris la nourriture (cf. p. 164, note 1 du présent volume).
(2) La femme de Satmi, après l'avoir taté et examiné à la façon des médecins, résume le résultat de ses observations en une formule de diagnostic brève, imitée des diagnostics médicaux ce n'est point le corpsqui est malade chez lui mais l'esprit, et le chagrin est le seul mal qui le dévore.

« porterai l'infériorité de l'Egypte à la terre des Nègres, « mon pays ». Je me suis couché, le cœur troublé à ce « propos, mon fils Sénosiris ». L'heure que Sénosiris entendit ces paroles, il éclata de rire longuement. Satmi lui dit « Pourquoi ris-tu ? » Il dit « Je ris de te voir « couché ainsi, le cœur troublé pour cause d'affaire si « petite. Lève-toi, mon père Satmi, car je lirai sans l'ou« vrir la lettre qu'on a apportée en Egypte, si bien que je « trouverai ce qui est écrit en elle sans briser le sceau ». L'heure que Satmi entendit ces paroles, il se leva soudain et il dit « Quelle est la garantie des paroles que tu as « dites, mon enfant Sénosiris ? » II lui dit « Mon père « Satmi, va aux chambres du rez-de-chaussée de ton « logis, et chaque livre que tu tireras de son vase (1), je K te dirai quel livre c'est, je le lirai sans le voir, me tenant « en avant de toi dans les chambres du rez-de-chaussée a. Satmi se leva, il se tint debout, et tout ce que Sénosiris avait dit, Sénosiris le fit complètement Sénosiris lut tous les livres que Satmi son père prit en avant de lui, sans les ouvrir. Satmi remonta des chambres du rez-de-chaussée, joyeux plus que personne au monde. Il ne tarda point d'aller à l'endroit où Pharaon était, il raconta devant lui toutes les choses que l'enfant Sénosiris lui avait dites, entièrement, et le cœur de Pharaon s'en réjouit extrêmement. Pharaon se leva pour faire fête en son temps avec Satmi, et il se fit amener Sénosiris à la fête devant lui ils burent, ils passèrent un jour heureux. Arrivé le lendemain au matin, Pharaon sortit dans la cour d'audience au milieu de ses nobles Pharaon envoya chercher la peste d'Éthiopien et celui-ci fut amené dans la cour avec (1) Les livres étaient enfermés dans des vases en terre ou en pierre, et nous avons, par exemple, dans un catalogue de pièces judiciaires, l'indication de rouleaux de papyrus ainsi conservés (Brugsch, Hieratischer fa/))/'tM Zu Wien, dans la Zet~c/ir; ~6, p. 2-3).

la lettre scellée sur son corps, et il se tint debout au milieu de la cour. L'enfant Sénosiris vint au milieu également, il se tint au côté de la peste d'Éthiopien, il parla contre elle disant « Malédiction, Éthiopien, ennemi contre qui « s'irrite Amon, ton dieu (1) C'est donc toi qui es monté « en Égypte, le doux verger d'Osiris, le siège de Râ« Harmakhis, le bel horizon de l'Agathudémon (2), disant « Je rapporterai l'infériorité de l'Egypte à la terre des « Nègres » l'hostilité d'Amon, ton Dieu, tombe sur toi « Les paroles que je ferai défiler devant toi et qui sont « écrites sur la lettre, ne dis rien d'elles qui soit faux « devant Pharaon, ton souverain! M L'heure que la peste d'Éthiopien vit le petit garçon Sénosiris debout dans la cour, il toucha la terre de sa tête et il parla, disant a Toutes les paroles que tu prononceras, je ne dirai rien « d'elles qui soit faux 1 »
Commencement des récits que fit Sénosiris, les disant au milieu de la cour devant Pharaon et devant ses nobles, le peuple d'Égypte écoutant sa voix, tandis qu'il lisait ce qu'il y avait d'écrit sur la lettre de la peste d'Éthiopien qui se tenait debout au milieu de la cour, à savoir « II arriva, un jour, au temps de Pharaon Manakhphrê Si:.unânou(3),–c'était un roi bienfaisant de la terre en(1) Ce n'est pas sans raison que l'auteur du conte attribue Amon comme divinité protectrice à la peste d'Ethiopien. Le royaume de Napata, auquel avait succédé le royaume de Méroë, celui qui est qualifié ici de pays des Nègres, avait été fondé par un membre de la famille des grands-prêtres d'Amon Thébain, et il avait Amon pour dieu principal. il semble que les gens du Delta et de la Moyenne-Egypte n'aient point pardonné aux Éthiopiens la scission de l'ancien empire thébain en deux États indépendants le peu qu'on connaît de leurs écrits témoigne d'une hostilité réelle contre les Éthiopiens et contre leur dieu Amon.
(2) ~AN< est le nom du grand serpent qui représentait l'Agathodémon, le dieu protecteur de l'Égypte, surtout Knouphis à partir de l'époque romaine.
~3) Sur ce Pharaon, dont le prénom rappelle celui de Thoutmôsis IU et est presque identique avec celui d'un Thoutmôsis et d'un Psammé-

tière, l'Egypte regorgeait de toutes les bonnes choses en son temps, et nombreux étaient ses dons et ses travaux dans les grands temples de l'Egypte, il arriva donc, un jour que le roi du pays des Nègres faisait la sieste dans le kiosque de plaisance d'Amon, il entendit la voix de trois pestes d'Éthiopiens qui causaient dans la maison de derrière. L'un d'eux parlait à voix haute, disant entre autres choses « S'il plaisait Amon me garder d'accident, de « sorte que le roi d'Egypte ne pût me maltraiter, je jette« rais mes charmes sur l'Égypte, si bien que je ferais le «. peuple d'Égypte passer trois jours et trois nuits sans « voir la lumière après les ténèbres ». Le second dit entre autres choses « S'il plaisait Amon me garder d'accident, « de sorte que le roi d'Egypte ne pût me maltraiter, je « jetterais mes charmes sur l'Égypte, si bien que je ferais « transporter le Pharaon d'Égypte au pays des Nègres, <( puis lui administrer une volée de courbache, cinq cents « coups, en public, par devant le roi, et enfin le remporter « en Égypte dans six heures de temps, sans plus Le troisième dit entre autres choses (1) « S'il plaisait Amon « me garder d'accident, de sorte que le roi d'Égypte ne « pût me maltraiter, je jetterais mes charmes sur l'Égypte, « si bien que j'empêcherais les champs de produire pen« dant trois ans ». L'heure que le roi d'Éthiopie entendit les discours et la voix des trois pestes d'Éthiopiens, il se les fit amener devant lui et il leur dit « Qui d'entre vous « a dit « Je jetterai mes charmes sur l'Égypte, et je ne « permettrai pas aux Égyptiens de voir la lumière trois « jours et trois nuits ? » Ils dirent « C'est Horus, le fils tique fictifs, découverts à Karnak et à Asfoun en 1905 (Maspero, .~M! et .~ayM<yM d'Egypte, pp. 225-233), cfr. ce qui est dit dans l'/?t~'oc!Mc<:o!t p. xxn, de ce volume.
(1) Le discours du troisième sorcier a été omis par le scribe, mais on le retrouve plus bas (efr. p. 169, du présent volume), et c'est d'après ce passage que j'ai pu le rétablir.

« de Tritît (1) ». Il dit « Qui d'entre vous a dit « Je « jetterai mes charmes sur l'Égypte, j'apporterai Pharaon « au pays des Nègres, et je lui ferai administrer une « volée de courbache, cinq cents coups, en public, par<: devant le roi, puis je le ferai remporter en Égypte, dans « six heures de temps, sans plus ? » Ils dirent « C'est « Horus, le fils de Tnahsit (2) ». Il dit « Qui d'entre « vous a dit « Je jetterai mes charmes sur l'Égypte, et « j'empêcherai les champs de produire pendant trois ans ? » Ils dirent « C'est Horus, le fils de Triphît (3) ». Le roi dit donc à Horu~, le fils de Tnahsît « Exécute-la ton « action magique par grimoire, et, comme vit Amon, le « taureau de Méroé, mon dieu, si ta main accomplit ce qui <( convient, je te ferai du bien à plentée
Horus, le fils de Tnahsît, fabriqua un brancard en cire à quatre porteurs, il récita un grimoire sur eux, il souffla sur eux violemment, il leur donna de vivre, il leur commanda, disant « Vous monterez en Égypte, vous appor« terez le Pharaon d'Égypte à l'endroit où est le roi; on « lui administrera une volée de courbache, cinq cents <t coups, en public, par devant le roi, puis vous le rem« porterez en Égypte, le tout dans six heures de temps, « pas plus ». Ils dirent « Certes, nous n'omettrons « rien ». Les sorcelleries de l'Éthiopien filèrent donc vers l'Égypte, elles se firent maîtresses de la nuit (4), elles se firent maîtresses de Pharaon Manakhphrê Siamànou, elles l'apportèrent à la terre des Nègres au lieu où le roi était, (1) ïrM<, 7Y< signifie la <t'tt:e ou /'At/)~oj[)o<ante/eMeMe.
(2) J'/ia/M:<, T'HeAsë<, signifie la négresse.
(3) 7t-~j/t:< signifie la jeune fille, ta jeune femme, et c'est un des surnoms d'Isis, transcrit en grec 7'p/t!s.
(4) La nuit était peuplée d'êtres, les uns mauvais, les autres bons, ces derniers qui défendaient les hommes endormis. Les personnages magiques envoyés par Horus l'Éthiopien, en se rendant !~a:<;M de <o nuit, empêchent les bons génies de s'opposer à l'exécution de leurs desseins pervers.

elles lui administrèrent une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant le roi, puis elles le remportèrent en Egypte, le tout dans six heures de temps, sans plus ».
Ces récits donc Sénosiris les fit, les contant au milieu de la cour, devant Pharaon et devant ses nobles, et le peuple d'Égypte écoutant sa voix tandis qu'il disait « L'hostilité d'Amon, ton dieu, tombe sur toi Les paroles « que je fais défiler devant toi sont-elles bien celles qui « sont écrites sur la lettre qui est dans ta main ? » La peste d'Éthiopien dit « Continue de lire, car toutes tes « paroles sont des paroles vraies, quantes elles sont ». Sénosiris dit devant Pharaon « Après donc que ces choses furent arrivées, on rapporta Pharaon Siamânou en Egypte, les reins moulus de coups excessivement, et il se coucha dans la chapelle de la ville de l'Horus (1), les reins moulus de coups excessivement. Arrivé le lendemain, au matin, Pharaon dit à ses courtisans « Qu'est-il « donc arrivé à l'Égypte que j'aie dû la quitter? » Honteux de leurs pensées, les courtisans se dirent « Peut-être la « pensée de Pharaon s'est-elle éclipsée (2) » Puis ils dirent': « Tu es sain, tu es sain, Pharaon, notre grand « maître, et Isis, la grande déesse, calmera tes afflictions « Mais quelle est la signification des paroles que tu as « dites devant nous, Pharaon, notre grand seigneur? « Puisque tu dors dans la chapelle de la ville de l'Horus, n les dieux te protègent a. Pharaon se leva, il montra aux (1) La ville ou le eAd~CM'/e /o''M~ n'est autre que le palais royal dans la phraséologie ofEcieIIe de l'Egypte. et la chapelle de cette ville est la chambre à coucher de /o;M, c'est-à-dire du roi.
(2) Les courtisans, qui ignorent encore les événements de la nuit, sont déconcertés par la question de Pharaon, et ils s'imaginent qu'il s'est enivré au point d'en perdre la raison ou qu'il a été frappé de folie subite toutefois ils ont honte de leur pensée, et, avant de l'exprimer à haute voix, ils demandent au souverain l'explication des paroles qu'il vient de prononcer devant eux.

courtisans son dos moulu de coups excessivement, disant « Par la vie de Phtah, le dieu grand, on m'a porté au « pays des Nègres pendant la nuit on m'a administré « une volée de courbache, cinq cents coups, en public, « devant le roi, puis on m'a rapporté en Egypte, le tout « dans six heures de temps sans plus ». L'heure qu'ils virent les reins de Pharaon moulus de coups excessivement, ils ouvrirent la bouche pour de grands cris. Or Manakhphrê Siamânou avait un chef du secret des livres, de son nom Horus, le fils de Panishi, qui était savant extrêmement. Quand il vint à la place où le roi était, il poussa un grand cri, disant « Monseigneur, ce sont là les sorcelleries des « Éthiopiens. Par la vie de ta maison, je les ferai venir à « ta maison de torture et d'exécution ». Pharaon lui dit <( Fais vite, que je ne sois emmené au pays des Nègres « une'autre nuit ».
Le chef du secret, Horus, le fils de Panishi, alla à l'instant, il prit ses livres avec ses amulettes à la place où Pharaon était, il lui lut une formule, il lui lia un amulette pour empêcher les sorcelleries des Éthiopiens de s'emparer de lui, puis il s'en alla de devant Pharaon, il prit ses boules de parfums et ses vases à libations, il s'embarqua sur un bateau, et il se rendit sans tarder a Khmounou (1). Il entra dans le temple de Khmounou, il offrit l'encens et l'eau devant Thot neuf fois grand (2), le seigneur d'Hermopolis, le dieu grand, et il pria devant lui, (1) Khmounou est l'Achmounéin des Arabes, l'Hermopolis des Grecs, la ville de Thot, l'Hermès trismégiste, le dieu qui est le montre des grimoires et des incantations. Il est naturel que le magicien Horus s'y rende pour consulter son patron.
(2) Thot s'appelait le deux fois grand. ce qui lui était comme un comparatif de sa personne, et le trois /bt~ grand,. ce qui en est le superlatif, Mt~tt'~s l'épithète de Trismégiste qu'on lui donne, surtout à l'époque gréco-romaine, est donc le superlatif d'un superlatif et elle signiue à proprement parler le trois fois trois fois plus grand, ce qui équivaut à l'expression neuf fois grand de notre texte.

disant « Tourne ta face vers moi, monseigneur Thot, si « bien que les Éthiopiens ne rapportent pas l'infériorité « de l'Égypte à la terre des Nègres C'est toi qui as créé « la magie par grimoire, toi qui as suspendu le ciel, établi « la terre et l' Hadès, mis les dieux avec les étoiles puissé-je « connaître le moyen de sauver Pharaon des sorcel« leries des Éthiopiens » Horus, le fils de Panishi, se coucha dans le temple et il rêva un songe cette nuit même. La figure du grand dieu Thot lui parla, disant « Es-tu « pas Morus, le fils de Panishi, le chef du secret de Pha« raon Manakhphrê Siamânou ? Donc, au matin de « demain, entre dans la salle des livres du temple de (( Khmounou tu y découvriras un naos clos et scellé, tu « l'ouvriras et tu y trouveras une boîte qui renferme un « livre, celui-là même que j'écrivis de ma propre main. « Tire-le, prends-en copie, puis remets-le à sa place, car <f c'est le grimoire même qui me protège contre les mau« vais, et c'est lui qui protégera Pharaon, c'est lui qui le « sauvera des sorcelleries des Éthiopiens ?.
Lors donc qu'Horus, le fils de Panishi, s'éveilla de son rêve après avoir vu ces choses, il trouva que ce qui lui venait d'arriver lui arrivait par un acte divin, et il agit en tout selon ce qui lui avait été dit en son rêve (1). II ne tarda pas d'aller à l'endroit où Pharaon était, et il lui fabriqua un charme écrit contre les sorcelleries. Quand le second jour fut, les sorcelleries d'Horus, le fils de Tnahsît, retournèrent en Egypte pendant la nuit, à l'endroit où Pharaon était, puis elles revinrent à l'endroit où était le roi en cette heure, car elles ne purent maîtriser Pharaon, à cause des charmes et des sorcelleries que le chef du secret, Horus, le fils de Panishi, avait liés sur lui. Le matin du lendemain, Pharaon conta devant le chef du secret, Horus, le fils de (1) Voir au début de notre conte, p. 1S6-15T du présent volume, un autre exemple d'incubation avec rêve prophétique.

Panishi, tout ce qu'il avait vu pendant la nuit, et comment les sorcelleries des Éthiopiens s'en étaient allées, sans avoir pu le maîtriser. Horus, le fils de Panishi, se fit apporter de la cire pure en quantité, il en fit un brancard à quatre porteurs, il récita un grimoire sur eux, il souffla sur eux violemment, il leur donna de vivre, il leur commanda, disant « Vous irez au pays des Nègres, cette « nuit, vous apporterez le roi en Egypte à l'endroit où est « Pharaon on lui administrera une volée de courbache, « cinq cents coups, en public, par devant Pharaon, puis « vous le remporterez au pays des Nègres, le tout dans « six heures de temps, sans plus ». Ils dirent « Certes, « nous n'omettrons rien ». Les sorcelleries d'Horus, le fils de Panishi, filèrent sur les nuages du ciel, et elles ne tardèrent pas d'aller au pays des Nègres pendant la nuit. Elles s'emparèrent du roi, elles l'emportèrent en Egypte on lui administra une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par-devant le roi, puis elles le remportèrent au pays des Nègres, le tout dans six heures de temps, sans plus ».
Ces récits donc Sénosiris les fit, les contant au milieu de la cour, devant Pharaon et devant ses nobles, le peuple d'Égypte écoutant sa voix, tandis qu'il disait « L'hosti« lité d'Amon, ton Dieu, tombe sur toi, méchant Éthio« pien! Les paroles que je dis sont-elles celles qui sont « écrites sur cette lettre ? )) L'Éthiopien dit, la tête baissée vers le sol « Continue de lire, car toutes les paroles « que tu dis sont celles qui sont écrites sur cette lettre ». Sénosiris dit « Après donc que ces choses furent arrivées, qu'on eut rapporté le roi au pays des Nègres en six heures, sans plus, et qu'on l'eut déposé en sa place, il se coucha et il se leva au matin, moulu excessivement des coups qui lui avaient été donnés en Égypte. Il dit à ses courtisans « Ce que mes sorcelleries avaient fait à Pha-

« raon, les sorcelleries de Pharaon me l'ont fait à mon « tour. Elles m'ont porté en Egypte pendant la nuit (1) K on m'a administré une volée de courbache, cinq cents « coups, devant Pharaon d'Égypte, puis elles m'ont rap<: porté au pays des Nègres ». Il tourna le dos à ses courtisans, et ils ouvrirent la bouche pour de grands cris. Le roi fit chercher Horus, le fils de Tnahsît, et dit « Prends « garde pour toi-même à Amon, le taureau de Méroé, « mon Dieu! Puisque c'est toi qui es allé chez le peuple « d'Égypte, allons voir comment tu me sauveras des sor« celleries d'Horus, le fils de Panishi ». Il fabriqua ses sorcelleries, il les lia sur le roi pour le sauver des sorcelleries d'Horus, le fils de Panishi. Quand ce fut la nuit du second jour, les sorcelleries d'Horus, le fils de Panishi, se transportèrent au pays des Nègres et elles emmenèrent le roi en Égypte; on lui administra une volée de courbache, cinq cents coups, en public, devant Pharaon, puis elles le rapportèrent au pays des Nègres, le tout en six heures de temps, sans plus. Ce traitement advint au roi trois jours durant, sans que les sorcelleries des Éthiopiens fussent capables de sauver le roi de la main d'Horus, le fils de Panishi, et le roi s'affligea excessivement, et il se fit amener Horus, le fils de Tnahsît, et il lui dit « Malheur « à toi, ennemi de l'Éthiopie, après m'avoir humilié par « la main des Egyptiens, tu n'as pas pu me sauver de « leurs mains Par la vie d'Amon, le taureau de Méroe, « mon Dieu, s'il arrive que tu ne saches comment me « sauver des barques magiques des Égyptiens, je te « livrerai à une mort mauvaise et qui sera lente pour « toi! » II dit « Monseigneur le roi, qu'on m'envoie en « Egypte afin que je puisse voir celui des Égyptiens qui K fabrique les sorcelleries, que je puisse faire œuvre de (1) Tout ce passage était à peu près détruit je l'ai rétabli d'après le développement parallèle qu'on a lu plus haut,p.no-ni du présent volume.

<( magie contre lui, et que je lui inflige le châtiment que je « médite contre ses mains )). On envoya donc Horus, le uls de Tnahsît, de par-devant le roi, et il alla d'abord à l'endroit où sa mère Tnahsît était. Elle lui dit « Quel est ton « dessein, mon fils Horus ? N 11 lui dit « Les sorcelleries « d'Horus, le fils de Panishi, ont maîtrisé mes sorcelleries. « Elles ont transporté par trois fois le roi en Egypte, à « l'endroit où est Pharaon, on lui a administré une volée « de courbache, cinq cents coups, en public, par-devant « Pharaon, puis elles l'ont rapporté à la terre des Nègres, « le tout en six heures de temps, sans plus, et mes sorcel« leries n'ont pu le sauver de leurs mains. Et maintenant. « le roi est irrité contre moi excessivement, et, pour « éviter qu'il me livre à la mort mauvaise et lente, je « veux aller en Égypte afin de voir celui qui fabrique les « sorcelleries et de lui infliger le châtiment que je médite « contre ses mains ». Elle dit « Sois sage, ô mon fils. « Horus, et ne va pas au lieu où est Horus, le fils de « Panishi (1). Si tu vas en Egypte pour y conjurer, garde« toi contre les hommes d'Égypte, car tu ne peux pas. « lutter contre eux ni les vaincre, si bien que tu ne revien« dras pas au pays des Nègres, jamais ». Il lui dit « Ce « ne m'est rien les discours que tu me tiens; je ne puis pas « ne pas aller en Égypte, pour y jeter mes sortilèges ». Tnahsît, sa mère, lui dit « Puis donc qu'il faut que tu « te rendes en Égypte, établis des signes entre toi et moi « s'il arrive que tu sois vaincu, je viendrai vers toi pour « voir si je puis te sauver ». Il lui dit « Si je suis vaincu, « lorsque tu boiras ou que tu mangeras, l'eau deviendra « couleur de sang devant toi, les provisions deviendront (1) Le scribe a omis tout le discours du sorcier et le début de la réponse de la mère, par suite d'un bourdon, comme l'a remarqué Griffith (Stories of the Ht~A Priests o/em~/tM, p. 193, note). J'ai comblé cette lacune au moyen de phrases empruntées aux passages précédents.

« couleur de sang devant toi, le ciel deviendra couleur de « sang devant toi (1) ».
Quand Horus, le fils de Tnahsît, eut établi des signes entre lui et sa mère, il fila vers l'Égypte, ayant mangé les sorcelleries (2), il voyagea depuis ce qu'Amon fit (3) jusqu'à Memphis et jusqu'au lieu où Pharaon se tenait dépistant (4) qui faisait magie de grimoire en Égypte. Lorsqu'il arriva dans la cour d'audience par-devant Pharaon, il parla d'une voix haute, disant « Holà, qui est-ce qui « fait sorcellerie contre moi dans la cour d'audience, à la <( place où se tient le Pharaon, au vû du peuple d'Égypte? « Les deux scribes de la Maison de Vie, ou seulement le « scribe de la Maison de Vie qui a ensorcelé le roi, l'ame« nant en Égypte malgré moi? » Après qu'il eut parlé de la sorte, Horus, le fils de Panishi, qui se tenait dans la cour d'audience par-devant Pharaon, dit « Holà, l'en« nemi éthiopien, n'es-tu pas Horus, le fils de Tnahsît? « N'es-tu pas celui qui pour me fasciner dans les vergers « de Râ, ayant avec toi ton compagnon éthiopien, t'es « plongé avec lui dans l'eau, et t'es laissé couler avec lui « sous la montagne, à l'est d'Héliopolis (5)? N'est-ce pas (1) Voir plus haut, p. 11 du présent volume, les intersignes convenus entre Anoupou et Baîti.
(2) Horus, le fils de Tnahsit, mange sa magie, comme au premier conte 4e Satni-K.h&mots Satni avait bu le livre de Thot (voir p. 138 du présent volume) ici toutefois ce n'est pas pour se l'assimiler, c'est pour la cacher à tous les yeux et pour empêcher qu'elle ne lui soit volée en chemin.
(3) L'Éthiopie qui, ainsi que nous l'avons vu (cfr. p. 167, note 1, du présent volume), est considérée dans ce roman comme la création et comme le domaine d'Amon, par opposition à Memphis et à l'Égypte du Nord, qui appartiennent à Phtah.
(4) Le mot à mot dit flairant. Il découvrait à l'odorat, par le fumet spécial aux sorciers, tous ceux d'entre eux qu'il rencontrait sur sa route, <t qui auraient pu ou l'arrêter, ou signaler sa présence avant le temps. (5) II y a là une allusion à un autre roman dont les deux Horus étaient les héros, et qui devait être suffisamment connu à l'époque pour que les lecteurs de notre Conte sussent immédiatement de quoi il s'agissait.

« toi qui t'es plu à faire voyager Pharaon, ton maître, et « qui l'as fait rouer de coups, à l'endroit où le roi d'Éthio« pie se trouvait, puis qui viens vers l'Égypte, disant « N'y a-t-il pas ici qui fait sorcellerie contre moi ? Par « la vie d'Atoumou, le maître d'Héliopolis, les dieux de « l'Égypte t'ont ramené ici pour te rétribuer dans leur pays. « Prends ton courage, car je viens à toi M L'heure que dit ces mots Horus, le fils de Panishi, Horus, le fils de Tnahsît, lui répondit, disant « Est-ce pas celui à qui j'enseignai « le discours du chacal (1) qui fait sorcellerie contre « moi?)) La peste d'Éthiopien fit une opération de magie par grimoire elle fit jaillir la flamme dans la cour d'audience, et Pharaon, ainsi que les principaux de l'Égypte, poussa un grand cri, disant « Accours à nous, chef des « écrits, Horus, le fils de Panishi 1 Horus, le fils de Panishi, fit une formule de grimoire; il fit se produire au ciel une pluie du midi (2). au-dessus de la flamme, et celle-ci fut éteinte en un instant. L'Ethiopien fit une autre opération de magie par grimoire il fit paraître une nuée immense sur la cour d'audience, si b:en que personne n'aperçut plus son frère ni son compagnon. Horus, le fils de Panishi, récita un écrit vers le ciel, et il déblaya celui-ci, si bien qu'il se rasséréna du vent mauvais qui soufflait en lui. Horus, le fils de Tnahsît, fit une autre opération de magie par grimoire il fit paraître une voûte énorme de L'eau dont il s'agit ici est évidemment le Nil '/M No''d, le ruisseau qui naît dans le Gebel-Ahmar, à l'Aîn-Mousa, et qui passait pour être la source des bras du Nil qui arrosaient les cantons situés à l'est du Delta. (1) Y a-t-il ici un souvenir des propos du chacal mentionné dans l'un des papyrus démotiques de Leyde?
(2) C'est du midi, plus exactement du sud-ouest, que viennent d'ordinaire les pluies torrentielles qui s'abattent parfois sur le Caire la locution pluie du midi serait donc ici l'équivalent d'orage ou de trombe. D'autre part, le terme M~t~to~ay est employé assez souvent avec une nuance aggràvative, par exemple dans l'expression guépard du midi, que nous avons déjà rencontrée plusieurs fois (cf. p. 6 et p. 8, note d). i2

pierre, longue de deux cents coudées et large de cinquante, au-dessus de Pharaon ainsi que de ses princes, et cela afin de séparer l'Égypte de son roi, la terre de son souverain. Pharaon regarda en haut, il aperçut la voûte de pierre au-dessus de lui, il ouvrit sa bouche d'un grand cri, lui et le peuple qui était dans la cour d'audience. Horus, le fils de Panishi, récita une formule de grimoire; il fit paraître un canot de papyrus, il le fit se charger de la voûte de pierre, et le canot s'en alla avec celle-ci au bassin immense (1), la grande eau de l'Égypte!
La peste d'Éthiopien le sut qu'il était incapable de lutter contre le sorcier d'Égypte il fit une opération de magie par grimoire, si bien que personne ne le vît plus dans la cour d'audience, et cela avec l'intention de s'en aller à la Terre des Nègres, son pays. Mais Horus, le fils de Panishi, récita un écrit sur lui, il dévoila les sorcelleries de l'Éthiopien, il fit que Pharaon le vît, ainsi que les peuples d'Égypte qui se tenaient dans la cour d'audience, si bien qu'il sembla un vilain oison prêt à partir. Horus, le fils de Panishi, récita un écrit sur lui il le renversa sur le dos, avec un oiseleur debout au-dessus de lui, un couteau pointu à la main, sur le point de lui faire un mauvais parti. Tandis que tout cela s'accomplissait, les signes dont Horus, le fils de Tnahsit, était convenu entre lui et sa mère (2), se produisaient tous par-devant elle; elle n'hésita pas à monter vers l'Égypte en la forme de l'oie, et elle s'arrêta au-dessus du palais de Pharaon, elle claironna à toute sa voix vers son fils, qui avait la forme d'un vilain oiseau menacé par l'oiseleur. Horus, le fils de Panishi, regarda au ciel, il vit Tnahsît sous la forme en laquelle elle (i) Le Bassin-Immense, Me-o~, est l'un des noms que porte le lac Mœris le bateau qui emporte la voûte de pierre est probablement celui-là même qu'on voit sur le /'a/)yru< du Fayoum, conduisant le dieu Soleil sur les eaux du lac Mœris.
(2) Voir plus haut, p. n5-n6, l'énumeration de ces signes.

était, et il reconnut que c'était Tnahsît l'Éthiopienne; il récita un grimoire contre elle, il la renversa sur le dos avec un oiseleur debout au-dessus d'elle, dont le couteau allait lui donner la mort. Elle se mua de la forme en laquelle elle était, elle prit la forme d'une femme éthiopienne, et elle le supplia, disant « Ne viens pas contre nous, « Horus, le fils de Panishi, mais pardonne-nous cet acte « criminel Si tant est que tu nous donnes un bateau, (( nous ne reviendrons plus en Égypte une autre fois » Horus, le fils de Panishi, jura par Pharaon ainsi que par les dieux de l'Égypte, à savoir « Je ne suspendrai pas « mon opération de magie par grimoire, si vous ne me « prêtez serment de ne jamais revenir en Égypte sous « aucun prétexte ». Tnahsît leva la main en foi qu'elle ne viendrait en Égypte à toujours et à jamais. Horus, le fils de Tnabsit,jura, disant « Je ne reviendrai pas en Égypte « avant quinze cents ans » Horus, le fils de Panishi, renversa son opération de grimoire il donna un bateau à Horus, le fils de Tnabsit, ainsi qu'à Tnahsît, sa mère, et ils filèrent vers la Terre des Nègres, leur pays ». Ces discours, Sénosiris les tint par-devant Pharaon, tandis que le peuple entendait sa voix, que Satmi, son père, voyait tout, que la peste d'Éthiopien était prosternée le front contre terre, puis il dit « Par la vie de ta face, « mon grand Seigneur, l'homme que voici devant toi, c'est « Horus, le fils de Tnahsît, celui-là même de qui je raconte « les actes, qui ne s'est pas repenti de ce qu'il fit auparac vant, mais qui est revenu en Égypte après quinze cents « ans pour y jeter ses sortilèges. Par la vie d'Osiris, le « dieu grand, maître de l'Amentît, devant qui je vais re« poser, je suis Horus, le fils de Panishi, moi qui me tiens « ici devant Pharaon. Lorsque j'appris dans l'Amentit « que cet ennemi d'Éthiopien allait jeter ses sacrilèges « contre l'Égypte, comme il n'y avait plus en Egypte ni

« bon scribe, ni savant qui pût lutter contre lui, je suppliai « Osiris dans l'Amentît qu'il me permît de paraître sur « terre de nouveau, pour empêcher celui-ci d'apporter l'in« fériorité de l'Égypte à la Terre des Nègres. On com« manda par-devant Osiris de me ramener à la terre et « je ressuscitai, je montai en germe jusqu'à ce que je ren« contrai Satmi, lefils de Pharaon, sur la montagne d'Hé« liopolis ou de Memphis; je crûs en ce plant de colocase « afin de rentrer dans un corps et de renaître à la terre, « pour faire sorcellerie contre cet ennemi d'Éthiopien qui « est là dans la cour d'audience ». Horus, le fils de Panishi, fit une opération de magie par grimoire, en la figure de Sénosiris, contre la peste d'Éthiopien il l'enveloppa d'un feu qui le consuma dans le milieu de la cour, au vû de Pharaon ainsi que de ses nobles et du peuple d'Egypte, puis Sénosiris s'évanouit comme une ombre d'auprès de Pharaon et de son père Satmi, si bien qu'ils ne le virent plus.
Pharaon s'émerveilla plus que tout au monde, ainsi que ses nobles, des choses qu'ils avaient vues sur la cour d'audience, disant « II n'y eut jamais bon scribe, ni savant « pareil à Horus, le fils de Panishi, et il n'y en aura plus « de la sorte après lui de nouveau ». Satmi ouvrit sa bouche d'un grand cri pour ce que Sénosiris s'était évanoui comme une ombre et qu'il ne le voyait plus. Pharaon s& leva de la cour d'audience, le cœur très affligé de ce qu'il avait vu; Pharaon commanda qu'on fit des préparatifs en. présence de Satmi pour le bien accueillir à cause de son fils Sénosiris et pour lui réconforter le cœur. Le soir venu, Satmi s'en alla à ses appartements, le cœur troublé grandement, et sa femme Mahîtouaskhît se coucha près de lui elle conçut de lui la nuit même, elle ne tarda pas à mettre au monde un enfant mâle, qu'on nomma Ousimanthor~ T outefois, il arriva que jamais Satmi n'interrompit de

faire des offrandes et des libations par-devant le génie d'Horus, le fils de Panishi, en tout temps.
C'est ici la fin de ce livre qu'a écrit.
III
COMMENT SATNt-KHAMOÏS TRIOMPHA DES ASSYRIENS Il y a longtemps qu'on a reconnu le caractère romanesque du récit qu'Hérodote nous a conservé, au livre deuxième et au chapitre cxn de ses histoires, sur le compte du prêtre de Vulcain Séthon, qui triompha des Assyriens et de leur roi Sennachérib. On convenait volontiers que c'était une version égyptienne des faits racontés dans la Bible aux Livres des Rois (!I, x<x, 35-36), mais on ne savait qui était le Séthon au compte de qui l'imagination populaire avait inscrit ce miracle. Le roi Zêt, que l'Africain ajoute aux listes'de Manéthon vers la fin de fa XXHI" Dynastie, n'est peut-être qu'un doublet un peu défiguré du Séthon d'Hérodote, et les monuments de l'époque assyrienne ou éthiopienne ne nous ont rendu jusqu'à présent aucun nom de souverain qui puisse correspondre exactement au nom grec. Krall, le premier, rapprocha Séthon du Satni, fils de Hamsès H, qui est le héros des deux contes précédents (.Et'n Heuer historicher R'mmn, dans les lIfitteilungen aus den Samm~t't~en dcr Papyrus des Erzherzogs .R'<M~ t. VI, p. 1, note 3), mais il le fit en passant, sans insister, et son opinion trouva peu de créance. auprès des égyptologues. Elle fut reprise et développée tout au long par Griffith, dans la préface de son édition des deux contes (S<o)':M oy the Ht~-Pne~s of Memphis, p. 1-12), et, après avoir examiné de près la question, il me parait difficile de ne pas admettre au moins provisoirement qu'elle est très vraisemblable. Hérodote nous aurait transmis de la sorte le thème principal d'un des contes relatifs à Satni-Khâmoîs, le plus ancien de ceux qui nous sont parvenus. Satni n'a pas occasion d'y exercer les pouvoirs surnaturels dont la tradition postérieure l'arme surabondamment c'est sa piété qui lui assure la victoire. Le conte n'appartient donc pas au cycle magique. -Il rentre dans un ensemble de récits destinés à justifier l'opposition que la classe sacerdotale faisait à la classe militaire depuis la chute des Ramessides, et à montrer la supériorité du gouvernement théocratique sur les autres gouvernements. L'aristocratie féodale a beau y refuser son aide au prêtre-roi la protection du dieu suffit pour assurer à une armée de petits bourgeois ou d'artisans dévôts la

victoire sur une armée de métier, et c'est elle seule qui délivre l'Égypte de l'invasion.
Après Anysis, règna le prêtre d'Héphsestos qui a nom Séthon. Il traita avec mépris les hommes d'armes égyptiens, pensant n'avoir jamais besoin d'eux il leur infligea divers outrages, et, entre autres, il leur enleva les fiefs composés de douze aroures de terre que les rois antérieurs avaient constitués à chacun d'eux.
Or, par la suite, Sanacharibos, le roi des Arabes et des Assyriens, conduisit une grande armée contre l'Egypte mais alors les hommes d'armes égyptiens refusèrent de marcher et le prêtre, réduit à l'impuissance, entra dans le temple et se répandit en plaintes devant la statue à l'idée des malheurs qui le menaçaient. Tandis qu'il se lamentait, le sommeil le surprit il lui sembla que le dieu, lui apparaissant, l'exhortait à prendre courage et l'assurait que rien ne lui arriverait de fâcheux dans sa campagne contre l'armée des Arabes, car lui-même il lui enverrait du secours (1). Confiant en son rêve, il rassembla ceux des Égyptiens qui consentirent à le suivre, et il alla camper à Péluse, car c'est par là qu'on pénètre en Egypte aucun des hommes d'armes ne le suivit, mais seulement des marchands, des artisans, des gens de la rue. Lors donc que les ennemis se présentèrent pour assiéger la ville, des rats campagnols se répandirent de nuit dans leur camp et leur rongèrent tous les carquois, puis tous les arcs, jusqu'aux attaches des boucliers, si bien que le lendemain ils durent s'enfuir désarmés et qu'il en périt beaucoup.
Et maintenant l'image en pierre de ce roi est debout dans le temple d'Héphaestos. Elle tient un rat à la main, et elle dit dans l'inscription qui est tracée sur elle « Qui« conque me regarde, qu'il respecte le dieu » (1) Voir plus haut, p. 156-151 et ni-n2 du présent volume, les exemples d'incubation et de rêves prophétiques.

LE CYCLE DE RAMSÉS II
1
LA FILLE DU PRINCE DE BAKHTAN
ET L'ESPRIT POSSESSEUR
Le monument qui nous a conservé ce curieux récit est une stèle découverte par Champollion dans le temple de Khonsou à Thèbes, enlevée en 1846 par Prisse d'Avenne et donnée par lui à la Bibliothèque Nationale de Paris. Il a été publié par
Prisse d'Avenne, Choix de monuments égyptiens, in f", Paris, 1847, pl. XXIV et p. 5.
Champollion, .M~uments de l'Égypte et de <aiVu6te,in-4°, Paris, 1846-1874. Texte, t. II, p. 280-290.
Champollion avait étudié cette inscription et il en a cité plusieurs phrases dans ses ouvrages. Elle fut traduite et reproduite avec luxe sur une feuille de papier isolée, composée à l'Imprimerie Impériale pour l'Exposition universellede 1855, sous la surveillance d'Emmanuel de Rougé. Deux traductions en parurent presque simultanément
Birch, Notes upon an .Ei/yptMM Inscription in the Bibliothèque Impériale of Paris (from the Transactions of the Royal Society o/' Literature, JVfM Series, t. IV), Londres, in-8", 46 p.
E. de Rougé, Étude sur ung stèle égyptienne appartenant a la Bibliothèque Impériale (Extrait du Journal Asiatique, cahiers d'Août 1856, Août 1857, Juin et Août-Septembre 1858), Paris, in-8", 222 p. et la planche composée pour l'Exposition de 1858. Les travaux postérieurs n'ajoutèrent d'abord que peu de chose aux résultatsobtenusparE. de Rouge. Ils furent acceptés entièrement par: H. Brugsch, Histoire d'Égypte, in-4<~ Leipzig, 1859, p. 206-210, H. Brugsch, Geschichte ~Egypte/ts, in-8", Leipzig, Hinrichs, 1877, p. 637-641.
Le récit a partout l'allure d'un document officiel. Il débute par un protocole royal au nom d'un souverain qui a les mêmes nom et prénoms que Ramsès H-Sésostris. Viennent ensuite des dates échelonnées tout le long du texte; les détails du culte et du cérémonial

pharaonique sont mis en scène avec un soin scrupuleux, et l'ensemble présente un caractère de vraisemblance tel qu'on a pendant longtemps considéré notre inscription comme étant un document historique. Le Ramsès qu'elle nomme fut inséré dans la XXe dynastie, au douzième rang, et l'on s'obstina à chercher sur la carte le pays de Bakhtan qui avait fourni une reine à l'Égypte. Erman a reconnu avec beaucoup de sagacité qu'il y avaitlà un véritable faux, commis par les prêtres de Khonsou, dans l'intention de rehausser la gloire du dieu et d'assurer au temple la possession de certains avantages matériels
A. Erman, Die Bf")<)-Mc/tS~, dans la Zeitschrift /Mr ~</p<tscAe Sprache, 1883, p. 54-60.
II a démontré que les faussaires avaient eu l'intention de mettre au compte de Ramsès II l'histoire de l'esprit possesseur, et il nous a. Tendu le service de nous débarrasser d'un Pharaon imaginaire. Il a fait descendre la rédaction jusqu'aux environs de l'époque ptolémaïque; je crois pouvoir l'attribuer aux temps moyens des invasions éthiopiennes. Elle fut composée au moment où la charge de grandprêtre d'Amon venait de tomber en déshérence, et où les sacerdoces qui subsistaient encore devaient chercher à s'approprier, par tous les moyens, la haute influence qu avait exercée le sacerdoce disparu. Depuis lors, le texte a été traduit, en anglais par Breasted, AttCteK< -Records o/'E~pt, t. III, pp. 429-44-7. en allemand parA.Wiedemann, Altxgyptische Suyen und ~;B)'cAen. in-8", Leipzig, 1906, p. 86-93. Le récit renferme un thème fréquent dans les littératures populaires un esprit, entré au corps d'une princesse, lutte avec succès contre les exorcistes chargés de l'expulser, et il ne s'en va qu'à de certaines conditions. La rédaction égyptienne nous fournit )a forme la plus simple et la plus ancienne de ce récit. Une rédaction différente, adaptée aux croyances chrétiennes, a été signalée par 0. de Lemm, die Geschichte ro't der Prinzessin Bentresch und die 'GMc/itcAte w J~MM~ Zeno und MMen zwei T6c/t:en!, dans les Mélanges Asiatiques tirés du B'tMe<t<t de L'Académiè des Sciences de Saint-Pétersbourg, t. II, p. 599-603, et dans le Bulletin, t. XXXII, p. 473-476. Un égyptologue moderne a repris la donnée de notre texte pour en faire le sujet d'une petite nouvelle
H. Brugsch-Bey, Des Priesters Rache, Eine AM<or:'sc/t beglaubigte ~rzaA/MH~ cru< der a~p<!M/teK Geschichte des zM6<<enJt;ArAuKdef<s vor Chr., dans la Detttsche Revue, t. V, p. 15-41.
Erman a signalé dans notre document une recherche d'archaïsme et des fautes .de grammaire assez graves. On comprend que les prêtres de Khonsou aient cherché à imiter le langage de l'époque à laquelle ils attribuaient le monument. On comprend également qu'ils n'aient pas pu soutenir partout avec autant de fidélité le ton

vieillot et qu'ils aient pris parfois l'incorrection pour l'archaïsme. Leurs propositions sont gauchement construites, l'expression de leur idée vient mal, leur phrase est courte et sans relief. Enfin, ils ont prêté à un roi de la XIX- dynastie des procédés de gouvernement qui appartiennent surtout aux souverains de la XX". Ramsès !I, dévot qu'il était, ne se croyait pas obligé de soumettre à l'approbation des dieux toutes les affaires de l'État ce sont les derniers successeurs de Ramsès III qui introduisirent l'usage de consulter la statue d'Amon en toute circonstance. Ces réserves faites, on peut avouer que le texte ne présente plus de difficultés a l'interprétation et qu'il se laisse traduire sans peine, avec un peu d'attention comme le Conte des d-'Ma; Frères, on peut le placer avec avantage entre les mains des débutants en égyptologie.
La stèle est surmontée d un tableau où l'une des scènes du conte est mise en action sous nos yeux. A gauche, la bari de Khonsou, le bon conseiller, arrive portée sur les épaules de huit individus et suivie de deux prêtres qui lisent des prières le roi, debout devant elle, lui présente l'encens. A droite, la bari de Khonsou, qui règle les destinées en Thèbes, est figurée, tenue par quatre hommes seulement, car elle est plus petite que la précédente le prêtre qui lui offre l'encens est le prophète de Khonsou, qui règle les destinées en Thèbes, Khonsouhânoutirnabit. C'est probablement le retour du second dieuà Thèbes qui est illustré de lasorte Khonsou le premier vient recevoir Khonsou le second, et le prêtre et le roi rendent un hommage égal chacun à sa divinité.
L'Horus, taureau vigoureux, chargé de diadèmes et établi aussi solidement en ses royautés que le dieu Atoumou l'Horus vainqueur, puissant par le glaive et destructeur des Barbares, les rois des deux Égyptes Ouasimarîya-satpanrîya, fils du Soleil, Riyamasâsou Maîamânou, aimé d'Amonrâ maître de Karnak et du cycle des dieux seigneurs de Thèbes le dieu bon, fils d'Amon, né de Maout, engendré par Harmakhis, l'enfant glorieux du Seigneur universel, engendré par le Dieu mari de sa propre mère, roi de l'Égypte, prince des tribus du désert, souverain qui régit les barbares, à peine sorti du sein maternel il dirigeait les guerres, et il commandait à la vaillance encore dans l'œuf, ainsi qu'un taureau qui pousse en avant, car c'est un taureau que ce roi, un dieu qui

sort, au jour des combats, comme Montou, et qui est très vaillant comme le fils de Nouît (1).
Or, comme Sa Majesté était en Naharaina (2) selon sa règle de chaque année, que les princes de toute terre venaient, courbés sous le poids des offrandes qu'ils apportaient aux âmes de Sa Majesté (3), et que les forteresses apportaient leurs tributs, l'or, l'argent, le lapis-lazuli, la malachite (4), tous les bois odorants de l'Arabie, sur leur échine et marchant en file l'une derrière l'autre, voici, le prince de Bakhtan fit apporter ses tributs et mit sa fille aînée en tête du cortège, pour saluer Sa Majesté et pour lui demander la vie. Parce qu'elle était une femme très belle, plaisante à Sa Majesté plus que toute chose, voici, il lui assigna comme titre celui de Grande épouse royale, Nafrourîya, et, quand il fut de retour en Egypte, elle remplit tous les rites de l'épouse royale (5).
Et il arriva en l'an XV, le 22 du mois de Payni, ) comme Sa Majesté était à Thèbes la forte, la reine des cités, occupé à faire ce pourquoi il plaît à son père Amonrâ, maître de Karnak, en sa belle fête de Thèbes méridionale (6), le séjour favori où le dieu est depuis la (1) Le fils de Kouit est le dieu Set-Typhon.
(2) C'est une orthographe différente du nom écrit NaA<M'MM dans le Conte du ~i't'mce Prédestiné, p. 19S, note 2. Le Naharinna est le pays placé à cheval sur l'Euphrate, entre l'Oronte et le Balikh.
(3) Ainsi qu'il a été dit plus haut, p. Hl, note 3, le Pharaon, fils du Soleil et Soleil lui-même, avait aussi plusieurs âmes, .BdoM les peuples vaincus cherchaient à les gagner par leurs cadeaux.
t4) t)ur la pierre appelée )<td/ï:at< par les Égyptiens, voir p. 14~, note 2. (5) La ûlle du prince de Khati, Khattousil, reçut de même, à son arrivée en Egypte, le titre de y<Mde ~OM~e royale et un nom égyptien Maournafrouriya, dont celui de notre princesse n'est probablement qu une abréviation d'un usage familier.
(6) La Thèbes méridionale est aujourd'hui Louxor c'est donc la fête patronale du temple de Louxor que le roi était occupé à célébrer quand on vint lui annoncer l'arrivée du messager syrien, celle pendant laquelle la statue d'Amon et sa barque étaient transportées de Karnak à Louxor puis revenaient de Louxor à Karnak, trois semaines plus tard.

création, voici qu'on vint dire à Sa Majesté « H y a là « un messager du prince de Bakhtan, qui vient avec beau« coup de cadeaux pour l'épouse royale )i. Amené devant Sa Majesté avec ses cadeaux, il dit en saluant Sa Majesté « Gloire à .toi, Soleil des peuples étrangers, toi « par qui nous vivons », et, quand il eut dit son adoration devant Sa Majesté, il se reprit à parler à Sa Majesté « Je viens à toi, Sire, mon maître, au sujet de Bint« rashît (1), la sœur cadette de la royale épouse Nafrou« rîya, car un mal pénètre ses membres. Que ta Majesté « fasse partir un savant pour la voir ». Lors, le roi dit « Amenez-moi les scribes de la double maison de vie qui « sont attachés au palais (2) ». Dès qu'ils furent venus, Sa Majesté dit « Voici, je vous ai fait appeler pour que « vous entendissiez cette parole « Amenez-moi d'entre « vous un habile en son cœur, un scribe savant de ses « doigts Quand le scribe royal Thotimhabi fut venu en présence de Sa Majesté, Sa Majesté lui ordonna de se rendre au Bakhtan avec ce messager. Dès que le savant fut arrivé au Bakhtan, il trouva Bintrashît en l'état d'une possédée; et il trouva le révenant qui la possédait un ennemi rude à combattre (3). Le prince de Bakhtan envoya donc un second message à Sa Majesté, disant « Sire, « mon maître, que ta Majesté ordonne d'amener un dieu « pour combattre le revenant ».
Quand le messager arriva auprès de Sa Majesté, en l'an XXIII, le 1er de Pakhons le jour de la fête d'Amon, tandis que Sa Majesté était à Thëbes, voici que Sa Ma~~t~n~- 2.f<
(1) Le nom de cette princesse paraît être formé du mot sémitique bint, la fille, et du mot égyptien t'<M/t:<, la joie il signifie Fille de la joie. (2) Voir p. 130, note 1, ce qui est dit de ces Scribles de la Double Maison de Vie et de leurs attributions.
(3) E. de Rouge et la plupart des savants qui ont étudié cette stèle ont pensé qu'il s'agissait d'un démon Krait a montré que l'esprit possesseur était un mort (Tacitus und der Orient, I, p. 41-42).

jesté parla de nouveau en présence de Khonsou en Thèbes, dieu de bon conseil (1), disant « Excellent seigneur, me « voici de nouveau devant toi, au sujet de la fille du « prince de Bakhtan ». Alors, Khonsou en Thèbes, dieu de bon conseil, fut transporté vers Khonsou qui règle les destinées, le dieu grand qui chasse les étrangers, et Sa Majesté dit en face de Khonsou en Thèbes, dieu de bon conseil « Excellent seigneur, s'il te plaît tourner ta face « à Khonsou qui règle les destinées, dieu grand qui chasse « les étrangers, on le fera aller au Bakhtan ». Et le dieu approuva de la tête fortement par deux fois (2). Alors Sa Majesté dit « Donne-lui ta vertu que je fasse aller la (i) Pour bien comprendre ce passage, il faut se rappeler que, selon les croyances égyptiennes, chaque statue divine contenait un double détaché de la personne même du dieu qu'elle représentait et qu'elle était une véritable incarnation de ce dieu ditl'érente des autres incarnations du même genre. Or Khonsou possédait dans son temple, à Karnak, deux statues au moins, dont chacune était animée par un double indépendant que les rites de la consécration avaient enlevé au dieu. L'une d'elles représentait Khonsou, immuable dans sa perfection, tranquille dans sa grandeur et ne se mêlant pas directement aux affaires des hommes c'est Khonsou Nafhatpou, dont j'ai traduit le nom en le paraphrasant, dieu de bon conseil. L'autre statue représentait un Khonsou plus actif, qui règle les affaires des hommes et chasse les étrangers, c'est-à-dire les ennemis, loin de l'Égypte, Khonsou ;<. sotAroM m oM~'t. ~oMn'r doM, M/:a''OM shemciou. Le premier Khonsou, considéré comme étant le plus puissant, nous ne savons pour quelle raison, ne daigne point aller luimême en Syrie il y envoie le second Khonsou, après lui avoir transmis ses pouvoirs (E. de Rougé, Étude ~ur une ~e/e, p. 1S-H)). Nous rencontrerons plus loin, dans le ~o~n'e d'OunamoM~OM tcf. pp. 219, 225 du présent volume), un ~n:on du c/iem'M qui émane de l'Amon de Kamak de la même manière qu'ici le second Khonsou procède du premier, et qui accompagne le héros dans son expédition en Syrie.
(2) Les statues, étant animées d'un ~f/M'~e, manifestaient leur volonté soit par la voix, soit par des mouvements cadencés. Nous savons que la reine Hatchopsouitouava.it<'n<e«dM le dieu Amon lui commander d'envoyer une escadre aux Échelles de t'&'?!cexs, pour en rapporter les parfums nécessaires au culte. Les rois de la XX* et de la XXI* dynastie, moins heureux, n'obtenaient d'ordinaire que des gestes toujours les mêmes; lorsqu'ils adressaient une question à un dieu, la statue demeurait immobile si la réponse était négative, secouait fortement la tête à deux reprises si la réponse était favorable, comme c'est ici le cas. Ces consultations se faisaient selon un cérémonial strictement réglé, dont les textes contempo-

« Majesté de ce dieu au Bakhtan, pour délivrer la fille du « prince de Bakhtan ». Et Khonsou en Thèbes, dieu de bon conseil, approuva de la tête fortement, par deux fois, et il fit la transmission de vertu magique à Khonsou qui règle les destinées en Thèbes, par quatre fois (1). Sa Majesté ordonna qu'on fît partir Khonsou qui règle les destinées en Thèbes, sur une barque grande, escortée de cinq nacelles, de chars et de chevaux nombreux qui marchaient, de droite et de gauche. Quand ce Dieu fut arrivé au Bakhtan en l'espace d'un an et cinq mois, voici que le prince de Bakhtan vint avec ses soldats et ses généraux au-devant de Khonsou, qui règle les destinées, et il se mit à plat ventre, disant « Tu viens à nous, tu te rejoins à « nous, selon les ordres du roi des deux Égyptes Ouasi« marîya-satpanrîya ». Voici, dès que ce Dieu fut allé au lieu où était Bintrashît et qu'il eut fait les passes magiques à la fille du prince de Bakhtan, elle se trouva bien sur-le-champ et le revenant qui était avec elle dit en prérains nous ont conservé les opérations principales (Maspero, Notes sur différents points, dans le Recueil de Travaux, t. I, p. laS-159). (1) La vertu innée des dieux, le sa, paraît avoir été regardée par les Égyptiens comme une sorte de fluide, analogue à ce qu'on appelle chez nous de différents noms, fluide magnétique, aura, etc. Elle se transmettait par l'imposition des mains et par de véritables passes, exercées sur la nuque ou sur l'épine dorsale du patient c'était ce qu'on appelle .~a</)OM-M et qu'on pourrait traduire par à peu près pra/~M~' des passes. La cérémonie par laquelle le premier Khonsou transmet sa vertu au second est assez souvent représentée sur les monuments, dans des scènes où l'on voit une statue d'un Dieu faire les passes à un roi. La statue, d'ordinaire en bois, avait les membres mobiles elle embrassait le roi et elle lui passait la main par quatre fois sur la nuque, tandis qu'il se tenait agenouillé devant elle, lui tournant le dos. Chaque statue avait reçu au moment de la consécration, non seulement un double, mais une portion de la vertu magique du dieu qu'elle représentait le sa de sa vie était derWM-e elle qui l'animait et qui pénétrait en elle, au fur et à mesure qu'elle usait une partie de celui qu'elle possédait en le transmettant. Le dieu lui-même, que cet écoulement de sa perpétuel aurait fini par épuiser, s'approvisionnait de sa à un réservoir mystérieux que renfermait l'autre monde on ne disait pas à quelle pratique le réservoir devait de ne pas s'épuiser (Maspero, Mélanges de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, I, p. 308).

sence de Khonsou, qui règle les destinées en Thèbes « Viens en paix, dieu grand qui chasses les étrangers, <c Bakhtan est ta ville, ses gens sont tes esclaves et moi~( même je suis ton esclave. Je m'en irai donc au lieu d'où « je suis venu, afin de donner à ton cœur satisfaction au « sujet de l'affaire qui t'amène, mais ordonne Ta Majesté <t qu'on célèbre un jour de fête pour moi et pour le prince « de Bakhtan ». Le Dieu fit à son prophète un signe de ~ête approbateur pour dire « Que le prince de Bakhtan « fasse une grande offrande devant ce revenant ». Or, tandis que cela se passait entre Khonsou qui règle les destinées en Thèbes et entre ce revenant, le prince de Bakhtan était là avec son armée frappé de terreur. Et, .quand on eut fait une grande offrande par-devant Khonsou qui règle les destinées en Thèbes, et par-devant le revenant du prince de Bakhtan, en célébrant un jour de fête en leur honneur, le revenant s'en alla en paix au lieu qu'il lui plut, selon l'ordre de Khonsou qui règle les destinées en Thèbes.
Le prince de Bakhtan se réjouit grandement ainsi que tous les gens de Bakhtan, et il s'entretint avec son cœur, disant « Puisque ce Dieu a été donné au Bakhtan, je ne « le renverrai pas en Égypte ». Or, après que ce Dieu fut resté trois ans et neuf mois au Bakhtan, comme le prince de Bakhtan était couché sur son lit, il vit en songe ce Dieu sortant de sa châsse, en forme d'un épervier d'or qui s'envolait vers l'Égypte quand il s'éveilla, il était tout frissonnant. Alors il dit au prophète de Khonsou qui règle les destinées en Tbèbes « Ce Dieu qui était « demeuré avec nous, il retourne en Égypte que son « char aille en Egypte » Le prince de Bakhtan accorda que ce Dieu partît pour l'Égypte, et il lui donna de nombreux cadeaux de toutes bonnes choses, ainsi qu'une forte escorte de soldats et de chevaux. Lorsqu'ils furent arrivés

à Thèbes, Khonsou qui règle les destinées en Thèbes se rendit au temple de Khonsou en Thèbes, le bon conseiller il mit les cadeaux que le prince de Bakhtan lui avait donnés de toutes bonnes choses en présence de Khonsou en Thèbes, le bon conseiller, il ne garda rien pour son propre compte. Or, Khonsou, le bon conseiller en Thèbes, rentra dans son temple en paix, l'an XXXIII, le 19 Mé.chir, du roi Ouasimarîya-satpannya, vivant à toujours, comme le Soleil.
Il
LA GESTE DE SESÔSTRIS
(Époque persane.)
Comme il a été dit dans l'Introduction générale de ces contes, (cf. p. xxxvfn-xxxtx), Ramsès II s'estdivisé dans la tradition et il a donné naissance à deux personnages différents, dont l'un se nomme Sésôstris, d'après le sobriquet populaire~ Sésousriya qu'on rencontre sur quelques monuments, tandis que l'autre est appelé OsimandouasOsimandyas, du prénom Ouasimariya. La forme Sésôstris et la légende qui s'y rattache est d'origine memphite, ainsi que j'ai eu l'occasion de l'exposer ailleurs (la Geste de Sésôstris, dans le Journal des Savants, 1901, p. 599-600, 603). Elle était née, ou du moins, elle s'était localisée autour d'un groupe de six statues dressées en avant du temple de Phtah à Memphis, et que les sacristains firent admirer à Hérodote, en lui assurant qu'elles représentaient le conquérant égyptien, sa femme, et ses quatre fils (Il, ex). En l'insérant dans ses histoires, il ne fit que transcrire sans s'en douter un roman populaire, où les données d'apparence authentique ne servaient qu'à introduire un certain nombre d'épisodes de pure imagination. Si en effet nous recherchons quelle est la proportion des parties dans la Geste, une foiséliminés les commentaires qu'Hérodote y ajouta de son crû, on recounaît que les plus développées sont celles qui parlent du traitement des peuples vaincus et de la manière dont le héros, revenu en Egypte, échappa à la mort près de Péluse l'une occupe plus de la moitié du chapitre eu, l'autre le chapitre cvn tout entier. La façon dont le retour au pays est exposée, ainsi que les circonstances qui l'accompagnent, porte même à croire que c'était là le thème principal. Sans insister davantage sur ce point, je dirai que la proportion des parties dans l'original égyptien devait être sensiblement

la même que dans le résumé grec Hérodote n'a pas reproduit tous les détails qu'il avait entendus, mais l'abrégé qu'il a rédigé de l'ensemble nous met très suffisamment au courant de l'action et des ressorts principaux. L'idée première semble avoir été d'expliquer l'origine des canaux et de la législation foncière en vigueur dans le pays, et le peuple, incapable de suivre la longue évolution qui avait amené les choses au point où elles étaient, avait recouru à la conception simpliste du souverain qui, à lui seul, en quelques années, avait accompli l'œuvre de beaucoup de siècles. La guerre pouvant seule lui procurer les bras nécessaires on l'envoya à la conquête du monde, et l'on cousit sur ce canevas des données préexistantes, la description des stèles commémoratives et l'incendie de Daphnœ. Le thème du banquet périlleux était un thème courant de la fantaisie égyptienne et nous en connaissons deux autres exemples jusqu'à présent, celui dans lequel Set-Typhon assassine son frère Osiris, revenu de ses conquêtes comme Sésôstris, et celui que Nitocris donne aux meurtriers de son père (Hérodote, II, c). Il y a là les éléments de plusieurs contes que l'imagination des drogmans fondit en une même Geste qu'ils débitaient aux visiteurs du temple de Phtah.
Le roi Sésôstris, en premier lieu, cingla hors du golfe Arabique avec des navires de haut bord, et il réduisit les peuples qui habitent le long de la Mer Erytbrée, jusqu'à ce que, poussant toujours avant, il arriva au point où des bas-fonds rendent la mer impraticable. Lors donc qu'il fut revenu en Égypte, prenant avec lui une armée nombreuse, il parcourut la terre ferme, soumettant tous les peuples qu'il rencontra. Ceux d'entre eux qui se montraient braves contre lui et qui luttaient obstinément pour la liberté, il leur élevait dans leur pays des stèles, sur lesquelles étaient inscrits leur nom, celui de leur patrie, et comme quoi il les avait soumis à sa puissance ceux, au contraire, dont il avait pris les villes sans combat et comme en courant, il écrivit sur leurs stèles les mêmes renseignements que pour les peuples qui avaient donné preuve de courage, mais il y ajouta en plus l'image des parties hon-.teuses de la femme, voulant témoignera tous qu'ils avaient été lâches. Ainsi faisant, il parcourut la terre ferme, jusqu'à ce qu'ayant traversé d'Asie en Europe, il soumit et.

les Scythes et les Thraces (1). Ensuite, ayant rebroussé, il revint en arrière (2).
Or, ce Sésôstris qui revenait en son pays et qui ramenait avec soi beaucoup d'hommes des peuples qu'il avait soumis, lorsqu'il fut de retour à Daphnœ, au voisinage de Péluse, son frère, à qui il avait confié le gouvernement de l'Egypte, l'invita à une fête et avec lui ses enfants, entoura la maison de bois au dehors, puis, après l'avoir entourée, y mit le feu. Lui donc, sitôt qu'il l'apprit, il en délibéra soudain avec sa femme, car il avait emmené sa femme avec lui, et celle-ci lui conseilla, de six enfants qu'ils avaient, d'en coucher deux à travers la fournaise, puis de la franchir sur leur corps et de se sauver ainsi. Sésôstris le fit, et deux des enfants furent brûlés de la sorte, mais les autres furent sauvés avec le père. Sésôstris, étant entré en Égypte et ayant châtié son frère, employa aux besognes suivantes la foule des prisonniers qu'il ramenait des pays qu'il avait soumis ils traînèrent les blocs de taille énorme que ce roi transportait au temple d Hépbœstos, ils creusèrent par force tous les canaux qu'il y a maintenant en Égypte ils rendirent à contre-cœur l'Égypte, qui auparavant avait été tout entière praticable aux chevaux et aux chars, impraticable par ces moyens, car, c'est depuis ce temps que l'Égypte n'a plus eu de chevaux ni de chars. Il partagea le sol entre tous les Égyptiens, donnant à chacun, par le sort, un lot quadrangulaire de superficie égale, et c'est là-dessus qu'il établit l'assiette de l'impôt, ordonnant qu'on payât l'impôt annuellement. Et si le fleuve enlevait à quelqu'un une parcelle de son lot, l'individu, venant devant le roi, déclarait l'accident lui donc envoyait les gens chargés d'examiner et de mesurer la perte que le bien avait subie, pour que le (1) Hérodote, lI, cii-cut.
(2) Hérodote,!), cm.

contribuable ne payât plus sur le reste qu'une part proportionnelle de l'impôt primitif (1).
Ce roi fut le seul des rois d'Égypte qui régna sur l'Éthiopie (2).
Diodore de Sicile (I, nu-Lvni) a donné une version dn conte recueilli par Hérodote, mais augmentée et assagie par les historiens qui avaient répété avant lui la fable de Sésôstris. C'est ainsi que,. dans i'épisode du banquet de Péluse, il supprimait, probablement comme étant trop barbare, le sacrifice que le conquérant avait fait de deux de ses fils pour se sauver lui-mème avec le reste de sa famille le roi, « levant alors les mains, implora les dieux pour le salut de « ses enfants et de sa femme, et traversa les flammes H (f, Lvn). Diodore, ou plutôt l'écrivain alexandrin qu'il copie, a substitué à la forme Sésousriya-Sésôstris des drogmans d'Hérodote, la variante abrégée Sésousi-Sésoûsis.
III
LA GESTE D'OSIMANDYAS
(Epoque ptolémaïque.)
Les versions thébaines de la légende de Ramsès II s'étaient attachées au temple funéraire que ce prince s'était bâti sur la rive gauche, au Ramesséum, et comme l'un des noms de ce temple était tà /K:t< OM<Mit):<n-t~MaM/MStMM, « le Château d'Ouasimariya Maiamanou », et par abréviation « leChâteaud'OuasimârîyaH, le prénom Ouasimarîya fit oublier le nom propre Ramsès transcrit Osimandouas en grec, ainsi que je l'ai dit dans J'Introduction, (cf. p. xxx, note 3, du présent volume), il est passé dans Hécatée d'Abdère et dans Artémidore, puis, de chez eux dans Diodore, comme le nom d'un roi différent de Sésôstris-Sésoôsis. Ce qui nous a été conservé de sa Geste n'est que la description du Ramesséum et des sculptures qui en décoraient les diverses parties. On reconnaît pourtant qu'elle renfermait, comme la Geste de Sésôstris, une partie importante de batailles en Asie, contre les Bactriens. Osimandouas assiégait une forteresse entourée d'un fleuve, et il s'exposait aux coups des ennemis, en compagnie d'un lion qui l'aidait terriblement dans les combats. Lesdrogmans de l'âge ptolémaïque n'étaient pas d'accord sur ce dernier (t) Hérodote, n, cvn-ctx.
(2) Hérodote, Il, cx.

point tes uns disaient que l'animal figuré sur les murs était un lion véritable, apprivoisé et nourri des mains du roi, et qui mettait par sa force les ennemis en fuite les autres, le prenant pour une métaphore réalisée, prétendaient que le roi, étant excessivement vaillant et robuste, avait voulu indiquer ces qualités par l'image d'un lion. Une moitié seulement subsiste de l'édifice dont les Grecs et les Romains admirèrent l'ordonnance, et par suite, un certain nombre des sculptures dont Diodore de Sicile indique sommairement le sujet a disparu, mais nous savons que Ramsès IH avait copié presque servilement les dispositions prises par son grand ancêtre, et, comme son temple de Médinet-Haboreamoins souffert, onfy retrouve, en seconde édition pour ainsi dire, ce qu'il y avait en première au Uamesséum, ainsi le défilé des prisonniers, les trophées de mains et de phallus qui constataient la prouesse des soldats égyptiens, le sacrifice du bœuf et la procession du dieu Minou que les drogmans interprétaient comme le retour triomphal du Pharaon. La fameuse bibliothèque « pharmacie de l'âme n'était sans doute que l'officine d'où sortirent, sous la XIX" et sous la XXe dynastie, quantité d'ouvrages, les classiques de'l'âge thébain. Enfin, les salles et chapelles accessoires sont probablement identiques a' l'une ou l'autre de celles dont le déblaiement récent de la ville et des magasins a ramené les arasements au jour.
H serait hardi de vouloir rétablir' la Geste. d'OMHMMdt/as dans sa forme primitive, à l'aide des'' extraits-que Diodore nous en a donnés de troisième ou de quatrième main. Oh devine seulement qu/elle était très vraisemblablement parallèle par son' développement à celle de Sésoôsis-Sésôstris. Elle débutait sans doute par une'exposition' des conquêtes du roi, qui lui avaient fourni les ressources nécessaires à contruire ce que les Grecs croyaient être son tombeau, mais qui est en. vérité la chapelle du tombeau qu''il s'était creusé dans la Vallée funéraire. La description des merveilles que le monument contenait occupait la seconde moitié, et l'on jugera du ton'qu'efle pouvait avoir par la version, courante alors, de l'inscription' gravée* sur la.base-du colosse de granit rose « Je suis Osimandouas, le roi des rois, et, si u quelqu'un veut'savoir quije'suis.etoùjerepose,qu'il surpasse une « de mes œuvres, »
En résumé on devait trouver une version de la guerre contre'les Khâti, tournée à la façon dont les auteurs des'Empn'SM.dMtp'OMC et de ~CMM'asse ont arrange les luttes intestines des barons égyptiens entre eux à l'époque assyrienne. M est fâcheux que l'es auteurs alexandrins à qui nous en devons la connaissance ne nous l'aient pas transmise à peu' près' complète, comme Hérodote avai't fait' pour la Geste de Sésôstris.

LE PRINCE PRÉDESTINÉ (XX." DYNÂ.STtE)
Le Conte du Prince prédestiné est l'un des ouvrages que renferme le Papyrus Harris n" 500 du British Muséum. Il a été découvert et traduit en anglais par Goodwin, dans les Transactions o/* the Society of Biblical Arch--ology, t. III, p. 349-356, et dans les Records of the Past, t. II, p. 153-160, puis analysé rapidement par Chabas, d'après la traduction de Goodwin, Sur quelques Contes égyptiens, dans les Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 187S, p. 118-120. Le texte égyptien a été publié, transcrit et traduit en français par Maspero, dans le Journal asiatique, 18'n-~8, et dans les Études ~yp<M)!)tes, t. I, p. 1-47; la collation sur l'original en a été faite par H. 0. Lange, Notes sur le texte du Co'~e prédestiné, dans le Recueil de Tfftcaua;, t. XXI, p. 23-24, puis il a été reproduit, en hiératique seulement, par G. Mœller, Hieratische Lesestùcke, petit in-folio, Leipzig, 1910, p. 21-24. Ebers l'a rendu en allemand et complété avec son habileté ordinaire, Das alte .iEg~p~cAe MarcAe~t vom verwunschenen Pr'KzgK, nacAerzdAM und zu Ende ye~MAft, dansle numéro d'octobre 1881 des WM<ermaHn'sMd!M<s/t6/'<e, p. 96-103. Depuis lors il a été traduit en anglais par W. Flinders Petrie, Egypticen Tales, 1895, Londres, in-12, t. II, p. 13-35, et par F. Ll. Griffith, dans les Specimen Pages of the TVorM's6M< Literaturc, 1898, New-York, in-4",p. 5250-5253, en allemand par A. Wiedemann, Altxgyptische Sagen und Ma~rc~en, petit in 8°, Leipzig, 1906. p. 78-85.
On dit que le manuscrit était intact au moment de la découverte il aurait été mutilé, quelques années plus tard, par l'explosion d'une poudrière qui renversa en partie la maison où il était en dépôt, à

Alexandrie d'Égypte. On pense qu'une copie, dessinée par M. Harris avant le désastre, a conservé les portions détruites dans l'original, mais personne ne connaît, pour le moment, l'endroit oh se trouve cette copie. Dans son état actuel, le Conte du Prince prédestiné couvre quatre pages et demie. La dernière ligne de la première, de la seconde et de la troisième page, la première ligne de la seconde, de la troisième et de la quatrième page, ont disparu. Toute la moitié de droite de la quatrième page, à partir de la ligne 8 jusqu'à la ligne 14, est effacée ou détruite presque entièrement. Enfin la cinquième page, outre quelques déchirures de peu d'importance, a perdu sur la gauche le tiers environ de toutes ses lignes. Néanmoins, le ton est si simple et l'enchaînement des idées si facile à suivre, qu'on peut combler la plupart des lacunes et restituer la lettre même du texte. La fin se devine, grâce aux indications que fournissent les contes de même nature qu'on rencontre dans d'autres pays.
II est difficile de déterminer au juste l'époque à laquelle remonte ce récit. Le lieu de la scène est alternativement l'Egypte et la Syrie du nord, dont le nom est orthographié JVaAnt'ttMM, comme dans le Papyrus Anastasi N° JV, pl. xv, 1. 4. On ne saurait donc placer la rédaction du morceau plus tôt que la XVIII" dynastie, c'est-à-dire que le dix-septième siècle avant notre ère, et Mœller Hieratische LfM~/Mf/te, t. H, p. 21) pense que notre exemplaire a été copié au début de la XIX- dynastie. A mon avis pourtant, la forme des lettres, l'usage de certaines ligatures, l'apparition de certaines tournures grammaticales nouvelles, rappellent invinciblement les papyrus thébains contemporains des derniers Ramsès. J'inclinerai donc à placer, sinon la rédaction première du conte, au moins la version que nous en fournit le Papyrus Harris et l'écriture du manuscrit, vers la fin ou vers le milieu de la XX° dynastie au plus tôt. Il y avait une fois un roi (1), à qui il ne naissait pas d'enfant mâle. Son cœur en fut tout attristé il demanda un garçon aux dieux de son temps et ils décrétèrent de lui en faire naître un. Il coucha avec sa femme pendant la nuit, et alors elle conçut accomplis les mois de la naissance, voici que naquit un enfant mâle. Quand les Hathors (2) (1) Le conteur ne dit pas explicitement de quel pays il s'agit, mais il emploie, pour designer le père de son héros, le mot soutonou, qui est le titre ofticiet des rois d'Égypte c'est donc en Égypte que se passent tous les événements racontés au début du conte.
(2) Sur les Hathors, voir p. 13, note 1, et l'Introduction, nv-Lv.

vinrent pour lui destiner un destin, elles dirent <( Qu'il « meure par le crocodile, ou par le serpent, voire par le « chien 1 » Quand les gens qui étaient avec l'enfant l'entendirent, ils l'allèrent dire à Sa Majesté, v..s. f., et Sa Majesté, v. s. f., en eut le cœur tout attristé. Sa Majesté, v. ;s. f., lui fit construire une maison de ~pierre sur la montagne, garnie d'hommes~et'de toutes les bonnes choses du logis du roi, v. s. f., car'F enfant n'en sortait pas. Et quand 'l'enfant fut grand, il monta sur la terrasse (1) de sa maison, -et il aperçut un lévrier qui marchait derrière un homme qui allait sur la route. Il dit à son -page qui était avec lui (f Qu'est-ce qui marche derrière l'homme qui chemine sur « la route ? » Le page lui dit « C'est un lévrier! » L'enfant Jui dit « Qu'on m'en apporte un tout pareil » Le'page l'alla redire à Sa Majesté, v. s. f., et Sa Majesté, v. s. f., ,dit « Qu'on lui amène un jeune chien courant, de peur « que son cœur ne s'afflige! » Et, voici, on lui amena le Jévrier.
Et, après que les jours eurent passé là-dessus, quand -l'enfant eut pris de l'âge en tous ses membres, il envoya un message à son père, disant « Allons! pourquoi être « comme les fainéants ? Puisque je suis destinë à trois des« tinées fâcheuses, quand même j'agirais selon ma volonté, « Dieu n'en fera pas moins ce qui lui tient au cœur! » On'écouta tout.ce qu'il disait, on lui donna .toute sorte d'armes, -on lui donna aussi son lévrier pour le'suivre, on le transporta à la côté orientale (2), on lui dit « Ah! va où tu (i) Le toit des maisons égyptiennes était plat et il formait, comme <celui des temples, des terrasses sur lesquelles on venait prendre le frais. On y élevait des kiosques légers, et quelquefois, comme au temple de Dendérah, de véritables édicules en pierre de taille qui servaient de cha.pelle et d'observatoire.
(2) La côte orientale, c'est ta'Syrie, par rapport à l'Egypte nous ver'rons en effet que le prince arrive au pays de Naharinna. Le Naharinna ,est connu aussi sous le nom de Naharaina (cfr. p. 186, note 2) ies ma-
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« désires! » Son lévrier était avec lui; il s'en alla donc, selon son caprice, à travers le pays, vivant des prémices de tout le gibier du pays. Arrivé pour s'envoler (l)vers le prince de Naharinna (2), voici, il n'était point né d'enfant au prince de Naharinna, mais seulement une fille. Or, lui ayant construit une maison dont les soixante-dix fenêtres étaient éloignées du sol de soixante-dix coudées, il se fit amener tous les enfants des princes du pays deKharou (3), et il leur dit « Celui qui atteindra la fenêtre de ma Elle, « elle lui sera donnée pour femme N »
Or, beaucoup de jours après que ces événements furent accomplis, tandis que les princes de Syrie étaient à leur occupation de chaque jour, le prince d'Egypte étant venu à passer àl'endroit où ils étaient, ils .conduisirentJeprince à leur maison, ils le mirent au bain, ils adonnèrent la provende à ses chevaux, ils firent toutes sortes de choses pour le prince ils le parfumèrent, ils lui oignirent les pieds, ils lui donnèrent de leurs pai'ns, ils lui dirent en riages de princes égyptiens avec des princesses syriennes sont fréquents dans l'histoire réelle.
(1) Le mot ;uoK:, employé à plusieurs reprises, dans notre texte, pour designer l'action des princes, signifie bien voler, s'enro/e' et c'est par abus seulement qu'on l'a traduit grimper. Le prince de Naharinna imposet-il aux prétendants une épreuve magique ? Je suis tenté de le croire, en voyant que, plus loin, le fils du roi d'Egypte conjure ~e. ysnz&es avant d'entrer en lice à son tour. Nous avons rencontré d'ailleurs, dans le premier 'CoM/e~'S~?!! 'XM~!0~, un personnage qui sort de terre, littéralement, qui s'envole ept haut, au moyen des talismans du dieu Phtah (cfr. p. 143). (2) On pourra trouver bizarre que le prince, ignorant l'histoire de la princesse de Naharinna, arrivât dans le pays où elle se trouvait avec l'intention de s'envoler pour la conquérir. Aussi bien, l'auteur égyptien n'a-t-il songé qu'à mettre le lecteur par avance dans la confidence de ce qui allait se passer. C'est ainsi que, dans le Conte des deux Frères, les magiciens de Pharaon, tout en ignorant l'endroit précis où est la femme que Pharaon convoite, envoient des messagers vers toutes les contrées, et recommandent spécialement qu'on donne une escorte au messager qui se rendrait dans le Val de l'Acacia, comme s'ils'savaient déjà que Ia;EUe 'des dieux y résidait (cfr. p. H).
(3) Cfr. p. '116, note 4, ce que les Égyptiens èntendaient sous le nom de pays de Kharou.

manière de conversation « D'où viens-tu, bon jeune « homme? » II leur dit « Moi, je suis fils d'un soldat des « chars (1) du pays d'Egypte. Ma mère mourut, mon père « prit une autre femme. Quand survinrent des enfants, elle « se mit à me haïr, et je me suis enfui devant elle ». Ils le serrèrent dans leurs bras, ils le couvrirent de baisers. Or, après que beaucoup de jours eurent passé là-dessus, il dit aux princes « Que faites-vous donc ici ? » Ils lui dirent « Nous passons notre temps à faire ceci nous nous envo« Ions, et celui qui atteindra la fenêtre de la fille du prince « de Naharinna, on la lui donnera pour femme ». Il leur dit: « S'il vous plaît, je conjurerai mes jambes et j'irai m'en« voler avec vous ». Ils allèrent s'envoler comme c'était leur occupation de chaque jour, et le prince se tint éloigné pour voir, et la figure de la fille du chef de Naharinna se tourna vers lui. Or, après que les jours eurent passé làdessus, le prince s'en alla pour s'envoler avec les enfants des chefs, et il s'envola, et il atteignit la fenêtre de la fille du chef de Naharinna elle le baisa et elle l'embrassa dans tous ses membres.
On s'en alla pour réjouir le cœur du père de la princesse, et on lui dit « Un homme a atteint la fenêtre de ta « fille ». Le prince interrogea le messager, disant <( Le fils « duquel des princes ? » On lui dit « Le fils d'un soldat <c des chars, venu en fugitif du pays d'Égypte pour échapper « à sa belle-mère, quand elle eut des enfants ». Le prince de Naharinna se mit très fort en colère. Il dit K Est-ce que « moi je donnerai ma fille au transfuge du pays d'Égypte ? « Qu'il s'en retourne » On alla dire au prince « Retourne« t-en au lieu d'où tu es venu ». Mais la princesse le sai(1) Le char de guerre égyptien était monté par deux hommes, dont l'un, le kazana, conduisait les chevaux, et l'autre, le tinMt, combattait c'est un sinni que le prince de notre conte se donne pour père. Les textes nous montrent que ces deux personnages étaient égaux en grade et qu'ils avaient rang d'officier (Maspero, Études égyptiennes, t. II, p. 41).

sit, et elle jura par Dieu, disant « Par la vie de Phrâ Har« makhis (1)! si on me l'arrache, je ne mangerai plus, je < ne boirai plus, je mourrai sur l'heure o. Le messager alla pour répéter tous les discours qu'elle avait tenus à son père et le prince envoya des gens pour tuer le jeune homme, tandis qu'il était dans sa maison. La princesse leur dit « Par la vie de Phrâ! si on le tue, au coucher « du soleil, je serai morte je ne passerai pas une heure de « vie, plutôt que de rester séparée de lui » On l'alla dire à son père. Le prince fit amener le jeune homme avec la princesse. Le jeune homme fut saisi de terreur, quand il vint devant le prince, mais celui-ci l'embrassa, il le couvrit de baisers, il lui dit « Conte-moi qui tu es, car voici, tu « es pour moi un fils H Le jeune homme dit: « Moi, je suis « l'enfant d'un soldat des chars du pays d'Égypte. Ma « mère mourut, mon père prit une autre femme. Elle se mit « à me haïr, et moi je me suis enfui devant elle Le chef lui donna sa fille pour femme il lui donna une maison, des vassaux, des champs, aussi des bestiaux, et toute sorte de bonnes choses (2).
Or, après que les jours eurent passé là-dessus, le jeune homme dit à sa femme « Je suis prédestiné à trois des« tins, le crocodile, le serpent, le chien. » Elle lui dit « Qu'on tue le chien qui court devant toi. Il lui dit « S'il te plaît, je ne tuerai pas mon chien que j'ai élevé « quand il était petit » Elle craignit pour son mari beaucoup, beaucoup, et elle ne le laissa plus sortir seul. Or, il arriva qu'on désira voyager on conduisit le prince vers (1) On s'attendrait à voir une princesse syrienne jurer par un Baal ou par une Astarté l'auteur, qui n'y regardait pas de si près, lui met deux fois dans la bouche la formule égyptienne du serment par Phrâ Harmakhis et par Phrâ.
(2) Cf. plus haut p. 84-85, l'énumération du domaine que le prince de Tonou constitua à Sinouhît, quand il lui eut donné sa fille en mariage.

la terred'JÈgypte, pour s'y promener à travers le pays (1). Or voici, le crocodile .du fleuve sortit du fleuve (2), :et il vint au milieu du bourg où était le prince. On l'enferma dans un logis où il y avait un géant. Le géant ne laissait t point sortir le crocodile, mais quand le crocodile dormait, le géant sortait pour se promener puis quand le soleil se levait, le géant rentrait dans le logis, et cela tous les jours, pendant un intervalle de deux mois de jours (3). Et, après que les jours eurent passé là-dessus, le prince resta pour se divertir dans sa maison. Quand la nuit vint, le prince se coucha sur son lit et le sommeil s'empara de ses membres. Sa femme emplit un vase de lait et le plaça à côté d'elle. Quand un serpent sortit de son trou pour mordre le prince, voici, sa femme se mit à veiller sur son mari minutieusement. Alors les servantes donnèrent du lait au.serpent (4) il en but, il s'enivra, il resta couchéle ventre en l'air, et la femme le mit en pièces avec des coups de sa hache. On éveilla le mari, qui fut saisi d'étonnement, et elle lui .dit « Vois.! ton dieu t'a donné un de tes sorts « entre tes mains il te donnera les autres ». Il présenta des .offrandes au dieu, il l'adora et il exalta sa puissance tous les jours de sa vie.
(1) Peut-être pour chasser dans ce pays, ainsi qu'au début du Conte, p. 198-199, du présent volume.
(2)'Pas plus que dans le Conte des deux frère.! (p. 13.'note 2), l'auteur égyptien ne nomme le fleuve dont il s'agit il emploie le mot :'aoM"!t!, !OM, la Me)-, le fleuve, et cela lui suffit. L'Égypte n'a pas en effet d'autre fleuve que le Nil. Le lecteur comprenait sur-le-champ que MOMnea désignait le Nil, comme le fellah d'aujourd'hui quand on se sert devant lui du mot t)a/t)', sans y joindre l'épithète malkhah, salé &a/t!' el malkhah signifie alors la mer.
(3) Le géant et le crocodile sont deux personnages astronomiques, l'emblème de deux constellations importantes qu'on voit figurées, entre autres, au plafond du Ramesséum.. 'U semble que le dieu .les ait envoyés sur terre pour accomplir la destinée prédite par les sept Hathors. (4) Cfr., sur la façon dont les Égyptiens attiraient les ~serpents, le passage de Phylarque, FrayMeKt 26, dans MûIler-Didot, Fragmenta .H!s<o'cot'Mn: 6t'<BeorMM, t. I, p. 340.

Et après que les jor"'s 'eurent passé là-dessus, le prince sortit pour se promener dans le voisinage de son domaine et comme -il ne sortait jamais seul, voici son chien'était derrière lui. Son chien prit le champ pour poursuivre du gibier, et lui il se mit à courlr!derrière son chien. Quand il fut arrivé au fleuve, il descendit vers le bord du fleuve à la suite de son chien, et alors sortit le crocodile et l'entraîna vers l'endroit où était le géant. Celui-ci sortit et sauva le prince, alors le crocodile, il dit au prince « Ah, « moi, je suis ton destin qui te poursuit; quoi que tu fasses, « tu'seras ramené sur mon chemin (?) à moi, toi et le géant. « Or, vois, je vais te laisser aller si le. tu sauras que a mes enchantements ont triomphé et que le géant est tué; « et situ vois que le géant est tué, tu verras ta mort (1)'H o Et quand la terre se fut éclairée et 'qu'un second jour fut, lorsque vint.
La prophétie du crocodile est trop mutilée pour que je puisse'en garantir le sens exact. On devine seulement que le monstre pose à son adversaire une sorte de dilemme fatal ou le prince remplira une certaine condition et alors il vaincra le crocodile, ou il ne la remplira pas et alors « il verra sa mort. n M. Ebers a restitué cet épisode d'une manière assez diffé~rente (2), Il a supposé que le géant n'avait pas pu délivrer le prince, mais que le crocodile proposait à celui-ci de lui faire grâce sous de certaines conditions.
« Tu vas me Jurer de tuer le géant;'si tu t'y re'fuses, tu « verras la mort H. Et quand la terre se fut éclairée et qu'un second jour fut, le chien survint et vit que son (1) Il y a ici l'indication d'un intersigne analogue à ceux que j'ai signalés plus haut au Conte des deux frères (p. 11) et au deuxième conte de Satni-Kbâmois (p. l"7S-n6). Une lacune nous empêche malheureusement de reconnaître quelle en était la nature.
(2) Ebers, Das alte ~yy/)<MChe Afat'c/tM vom t)e''mM7M<:yte!teK Pt'zn~e~ dans le n° d'octobre 1881 des We~ermann's jKoM<ste/ p. 99-102.

maître était au pouvoir du crocodile. Le crocodile dit de nouveau <t Veux-tu me jurer de tuer le géant? » Le prince lui répondit « Pourquoi tuerais-je celui qui a veillé « sur moi ? » Le crocodile lui dit « Alors que ton destin « s'accomplisse Si, au coucher du Soleil, tu ne me prêtes « point le serment que j'exige, tu verras ta mort H. Le chien ayant entendu ces paroles, courut à la maison et il trouva la fille du prince de Naharinna dans les larmes, car son mari n'avait pas reparu depuis la veille. Quand elle vit le chien seul, sans son maître, elle pleura à haute voix et elle se déchira la poitrine, mais le chien la saisit par la robe et il l'attira vers la porte comme pour l'inviter à sortir. Elle se leva, elle prit la hache avec laquelle elle avait tué le serpent, et elle suivit le chien jusqu'à l'endroit de la rive où se tenait le géant. Alors elle se cacha dans les roseaux et elle ne but ni ne mangea, mais elle ne fit que prier les dieux pour son mari. Quand le soir fut arrivé, le crocodile dit de nouveau « Veux-tu me jurer de tuer « le géant, sinon je te porte à la rive et tu verras ta mort ». Et il répondit « Pourquoi tuerais-je celui qui a veillé sur «moi? ? » Alors le crocodile l'emmena vers l'endroit où se tenait la femme, et elle sortit des roseaux, et, voici, comme le crocodile ouvrait la gueule, elle le frappa de sa hache et le géant se jeta sur lui et l'acheva. Alors elle embrassa le prince et elle lui dit « Vois, ton dieu t'a donné le second « de tes sorts entre tes mains il te donnera le troisième ». Il présenta des offrandes au dieu, il l'adora et il exalta sa puissance tous les jours de sa vie.
Et après que les jours eurent passé là-dessus, les ennemis pénétrèrent dans le pays. Car les fils des princes du pays de Kharou, furieux de voir la princesse aux mains d'un aventurier, avaient rassemblé leurs fantassins et leurs chars, ils avaient anéanti l'armée du chef de Naharinna, et ils avaient fait le chef prisonnier. Comme ils ne

trouvaient pas la princesse et son mari, ils dirent au vieux chef « Où est ta fille et ce fils d'un soldat des chars du « pays d'Égypte à qui tu l'as donnée pour femme? » II leur répondit « II est parti avec elle pour chasser les bêtes « du pays, comment saurais-je où ils sont? » Alors ils délibérèrent et ils se dirent les uns aux autres « Parta« geons-nous en petites bandes et allons de çà et de là par a le monde entier, et celui qui les trouvera, qu'il tue le « jeune homme et qu'il fasse de la femme ce qu'il lui « plaira ». Et ils s'en allèrent les uns à l'Est, les autres à l'Ouest, au Nord, au Sud, et ceux qui étaient allés au Sud parvinrent au pays d'Égypte, à la même ville où le jeune homme était avec la fille du chef de Naharinna. Mais le géant les vit, il courut vers le jeune homme et il lui dit « Voici, sept fils des princes du pays de Kharou appro« chent pour te chercher. S'ils te trouvent, ils te tueront et « ils feront de ta femme ce qu'il leur plaira. Ils sont trop « nombreux pour qu'on puisse leur résister fuis devant « eux, et moi, je retournerai chez mes frères ». Alors le prince appela sa femme, il prit son chien avec lui, et tous ils se cachèrent dans une grotte de la montagne. Ils y étaient depuis deux jours et deux nuits, quand les fils des princes de Kharou arrivèrent avec beaucoup dé soldats et ils passèrent devant la bouche de la caverne, sans qu'aucun d'eux aperçût le prince mais comme le dernier d'entre eux approchait, le chien sortit contre lui et il se mit à aboyer. Les fils des princes, de Kharou le reconnurent, et ils revinrent sur leurs pas pour pénétrer dans la caverne. La femme se jeta devant son mari pour le protéger, mais voici, une lance la frappa et elle tomba morte devant lui. Et le jeune homme tua l'un des princes de son épée, et le chien en tua un autre de ses dents, mais ceux qui restaient les frappèrent de leurs lances et ils tombèrent à terre sans connaissance. Alors les princes traînèrent les corps hors

dô' la caverne et ils les laissèrent étendus sur le sol pour être mangés: des bêtes sauvages et des oiseaux de proie, et ils ~partirent pour aller rejoindre leurs compagnons et, pour partager avec. eux les terres du chef de Naharinna., Et voici, quand le: dernier des princes se fut retiré, le: jeune' homme ouvrit les yeux et. il vit sa femme étendue par terre, à, côté de lui, comme morte, et le cadavre. de son< chien. Alors il gémit et il dit « En vérité les dieux accom« plissent immuablement ce qu'ils ont décrété. par avance. « Les Hathors avaient décidé, dès mon enfance, que je «. périrais par le chien, et voici, leur arrêt a été exécutée < car c'est le chien qui m'a livré à mes ennemis. Je suis « prêt à. mourir, car, sans ces deux êtres qui gisent à côté « de moi, la vie m'est insupportable ». Et il.leva les mains,:m ciel et s'écria « Je n'ai point péché contre vous, ô « dieux C'est pourquoi accoudez-moi une sépulture heu« reuse en ce monde et la voix juste devant les juges de « l'Amentît ».. Il retomba comme mort, mais les dieux. avaient entendu sa voix, et la neuvaine des dieux vint vers
s
lui et Râ-Harmakhis dit à ses compagnons « Le destin « s'est accompli, maintenant donnons~une vie nouvelle; « à ces deux époux, car il convient de récompenser digne« ment le dévouement dont ils ont fait preuve l'un pour « 1,'autre ».,Et la mère' des dieux approuva de la tête les, paroles de Râ-Harmakbis et elle dit Un tel'dévouement <c mérite une très grande récompense ». Les autres dieux en dirent autant, puis les sept Hathors s'avancèrent et. elles dirent « Le destin est accompli maintenant qu'ils re« viennent à la vie Et ils revinrent à la vie sur l'heure. En terminant, M. Ebers raconte que le prince révèle a la fille du chef de Naliarinna son origine récite et qu'il rentre en Egypte où son' père l'accueille avec joie..11 repart bientôt pour l'e Naharinna' bat ses meurtriers, et rétablit le vieux chef
o

sur son trône. Au retour, il consacre le butin à Amonrâ, et il passe le restant de ses jours en pleine félicité.
Rien n'est mieux imaginé que ce dénouement je ne crois pas cependant que le vieux conteur égyptien eût pour ses héros la compassion ingénieuse que leur témoigne le moderne. La destinée ne se laisse pas fléchir dans l'Orient ancien et elle ne permet pas qu'on élude ses arrêts elle en suspend parfois l'exécution, elle ne les annule jamais. Si Cambyse est condamné à mourir près d'Ecbatane, c'est en vain qu'il fuira l'Ecbatane de Médie au jour fixé pour l'exécution, il trouvera en Syrie l'Ecbatane dont les dieux le menaçaient. Quand un enfant est prédestiné à périr violemment vers sa vingtième année, son père aura beau l'enfermer dans une île déserte, au fond d'un souterrain le'sort a déjà amené sur les lieux Sindbad le marin, qui tuera par mégarde la victime fatale. Je crois que le héros de notre conte n'échappait pas à cette loi. Il triomphait encore du crocodile, mais le chien, dans l'ardeur de la lutte, blessait mortellement son maître et il accomplissait, sans le vouloir, la prédiction des Hathors. Tt M..e~ e~~t~ ~(n~ J~~

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forme la plus anciennement connue de ce conte nous a été conservée par Hérodote, au livre II de ses histoires (cb. cxxi). On le retrouve chez la plupart des peuples de l'Orient et de l'Occident, et l'on a souvent débattu la question de savoir quelle en était l'origine j'ai donné dans l'introduction de ce volume les raisons qui m'inclinent à penser que, s'il n'est pas égyptien d'invention, il était égyptianisé depuis longtemps quand Hérodote le recueillit. J'ajouterai ici que le nom de Rhampsinite était donné en Égypte au héros de plusieurs aventures merveilleuses. « Les prêtres racontent que ce roi  descendit vivant dans la région que les Grecs nomment Hadès, et « qu'il y joua aux dés avec la déesse Déméter, tantôt la battant, « tantôt battu par elle, puis qu'il en revint, emportant comme don « de la déesse une serviette d'or (Hérodote, II, cxxn). C'est en quelques lignes le résumé d'un conte égyptien, dont les deux scènes principales devaient rappeler singulièrement la partie engagée entre Satni et Nénoferképhtah d'une part (cf. p. 142-143) et d'autre part la descente de Satni dans l'Hadès par l'intervention de Sénosiris (cfr. p. 158-163).
La traduction que j'ai adoptée est celle de Pierre Saliat, légèrement retouchée. Par un singulier retour des choses d'ici-bas, elle a servi à introduire de nouveau le conte dans la littérature populaire de l'Égypte méridionale. J'avais donné, en 1884, un exemplaire de la première édition de ce volume à M. Nicolas Odescalchi, alors maitre d'école à Thèbes, et qui est mort en 1893. Il en raconta les parties principales à quelques-uns de ses élèves, qui eux-mêmes les racontèrent à d'autres. Dès 188S, j'avais.recueilli deux transcriptions de
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~cefte~ersioQ nouvelle, dont une~seuie'â été publiée dans le Jo~'H~ ~sMh~Me, 1885, t. VI, p. 149-159., texte en arabe et en traduction française, puis reproduite dans les Études Égyptiennes, t. I, p. 301311. Le récit n'a pas été trop altë.r.é: pourtant un des épisodes a disparu, celui dans lequel tChéops~prostituait sa fille. On conçoit qu'un maître d'école, parlant~nîës enfants, n'ait pas tenu à leur conter l'histoire dans toute sa crudité native.
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Le roi Rhampsinite (1) possédait un trésor si grand que nul de ses successeurs non seulement ne l'a surmonté, mais davantage n'a su en approcher. Pour le tenir en sûreté, il fit bâtir un cabinet de pierre de taille et voulut que l'une des murailles sortît hors l'œuvre et hors l'enclos de l'hôtel; mais le maçon tailla et assit une pierre si; proprement, que deux hommes, voire un seul, la pouvaient tirer et mouvoir de sa place (2). Le cabinet achevée le roi y amassa tous ses trésors, et, quelque temps après, le maçon-architecte, sentant approcher la fin de sa vie, appela ses enfants, qui étaient deux fils, et leur déclara comment il avait pourvu à leurs affaires, et l'artifice dont il avait usé bâtissant le cabinet du roi, afin qu'ils pussent'vivre plantureusement. Et après leur avoir clairement donné à entendre le moyen d'ôter la pierre, il leur bailla certaines mesures, les avisant que, si bien les gardaient, ils seraient les grands trésoriers du roi et sur ce alla de vie à trépas.
Adonc ses enfants guère ne tardèrent à entamer besogne ils vinrent de nuit au palais du roi, et, la pierre trouvée aisément, la tirèrent de son lieu et emportèrent grande somme d'argent. Mais quand fortune voulut que le roi vint ouvrir son cabinet, il se trouva fort étonné,~
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(1) Ce nom n'est que Ramsès augmenté d'une syllabe nitos pour le différencier, ainsi qu'il est dit dans l'Introduction, p. xxx.
(2) Voir, dans l'ftth'oefMc~on, p. xm-xuv, le commentaire de ce passage. Il y a peut-être au conte de A/tOM/bM~ un autre exemple de bloc mobile (cf. p. ~6).
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voyant ses coffres fort diminués et ne sachant qui accuser ou soupçonner, attendu qu'il trouvait les marques par lui apposées saines et entières, et le cabinet très bien clos et fermé. Et, après y être retourné deux ou trois fois voir si les coffres toujours diminuaient, enfin pour garder que les larrons plus si franchement ne retournassent chez eux, il commanda faire certains pièges et les asseoir près les coffres où étaient les trésors. Les larrons retournèrent selon leur coutume, et passa l'un dans le cabinet; mais, soudain qu'il approcha d'un coffre, il se trouva pris .au piège. Alors connaissant le danger où il était, appela vitement son frère et lui remontra l'état où il se trouvait, lui conseillant qu'il entrât vers lui et lui tranchât la tête., afin qu'il ne fût cause de se perdre avec soi s'il était reconnu. Le frère pensa qu'il parlait sagement, et par ce exécuta ainsi qu'il lui suadait et ayant remis la pierre, s'en retourna chez lui avec la tête de son frère. Quand il fut jour, le roi entra en son cabinet; mais, voyant le corps du larron jpris au piège et sans tête, fut fort effrayé, connu qu'il n'y avait apparence d'entrée ni de sortie. Et étant en doute comment il pourrait besogner .en telle aventure, il avisa pour expédient faire pendre le corps 'du mort sur la muraille .de la ville (1), et donner charge à certains gardes d'appréhender et lui amener celui ou celle qu'ils verraient pleurer ~et prendre pitié au pendu. Le .corps ainsi troussé haut et court, da mère, pour (4) Cette exposition du cadavre sur la muraille de la ville a été citée <;omme une preuve de l'origine non égyptienne du conte. Les Égyptiens, a-t-on dit, avaient trop de scrupules religieux pour que leur loi civile permit pareille exhibition après exécution de la. sentence, le corps était rendu à la famille,pour être momifié. Je ne citerai contre cette objection qu'un passage d'une stèle d'Aménôthes Il, où ce roi raconte qu'ayant pris plusieurs chefs syriens, il fit exposer leurs corps sur les murs de Thèbes et de Napata, afin d'effrayer les rebelles .par un si terrible exemple. Ce qu'un Pharaon réel avait fait, un Pharaon de conte pouvait bien le faire, quand même ce n'aurait été que par exception.

la douleur grande qu'elle sentait, s'adressa à son autre fils et lui commanda, comment que fût, qu'il eût à lui apporter le corps de son frère, le menaçant, s'il était refusant de ce faire, d'aller vers le roi et lui déclarer qu'il avait ses trésors.'Connaissant le fils que sa mère ainsi prenait les matières à cœur, et que, pour remontrance qu'il lui fît, rien ne profitait, il ;excogita cette ruse. Il fit bâter certains ânes et les chargea de peaux de chèvres pleines de vin (1), puis les chassa devant lui. Arrivé à la part où étaient les gardes, c'est-à-dire à l'endroit du pendu, il 'délia deu'x ou trois de ses peaux de chèvres, et, voyant le vin couler par terre, commença à se battre la tête en faisant grandes exclamations, comme ne sachant auquel de ses ânes il se devait tourner pour le premier. 'Les gardes, voyant que grande quantité de vin se répandait, ils coururent celle 'part avec vaisseaux, estimant autant gagné pour eux s'ils recueillaient ce vin répandu. Le marchand se prit à leur dire des injures et faire sem'blant de se courroucer 'bien fort. Adonc les gardes furent courtois, et lui, avec le temps, s'apaisa et modéra sa colère, détournant en la 'par&n ses ânes du chemin pour les racoutrer et recharger se tenant néanmoins plusieurs petits propos d'une part et d'autre, tant que l'un des gardes jeta un lardon 'au marchand dont il ne ,fit que rire, mêmement leur donna ~au parsus encore une (1) Les 'Égyptiens n'employaient pas d'ordinaire les outres à contenir le vin, mais 'presque 'toujours des jarres pointues de petite taille les esclaves les emportaient avec eux à l'atelier ou dans les champs, et il n'est pas rare de voir, dans 'les peintures qui représentent la récolte, quelque moissonneur qui, la faucille sous'le bras, boit à même'le'pot. L'usage de la peau de chèvre n'était pas inconnu cependant, et je puis citer, entre autres exemples, un tableau .de jardinage trouvé dans un tombeau thébain et reproduit par Wilkinson (~1 popM~ar jdccoMM~ of the Ancient Egyptians, t. I, p. 35, 'Sg. 29~on 'y voit trois chèvres d'eau déposées au bord d'un bassin pour y rafràichir. Le détail recueilli par Hérodote est donc conforme de tout point aux mœurs de l'Égypte antique.

chèvre de vin. Et lors ils avisèrent de s'asseoir comme on se trouvait et boire d'autant, priant le marchand de demeurer et leur tenir compagnie à boire, ce qu'il leur accorda et voyant qu'ils le traitaient doucement quant à la façon de boire, il leur donna le demeurant de ses chèvres de vin. Quand ils eurent si bien bu qu'ils étaient tous morts-ivres, le sommeil les prit et s'endormirent au lieu même. Le marchand attendit bien avant en la nuit, puis alla dépendre le corps de son frère, et, se moquant des gardes, leur rasa à tous la barbe de la joue droite (1). Si chargea le corps de son frère sur ses ânes et les rechassa au logis, ayant exécuté le commandement de sa mère.
t~L Le lendemain, quand le roi fut averti que le corps du larron avait été dérobé subtilement, il fut grandement marri, et, voulant par tous moyens trouver celui qui avait joué telle finesse, il fit chose laquelle, quant à moi, je ne puis croire il ouvrit la maison de sa fille, lui enjoignant de recevoir indifféremment quiconque viendrait vers elle pour prendre son plaisir, mais toutefois, avant que se laisser toucher, de contraindre chacun à lui dire ce qu'il avait fait en sa vie le plus prudemment et le plus méchamment que celui qui lui raconterait le tour du larron fût par elle saisi sans le laisser partir de sa chambre (2). L'infante obéit au commandement de son père mais le larron, entendant à quelle fin la chose se faisait, voulut venir à chef de toutes les finesses du roi et le contremina en cette façon. Il coupa le bras d'un nouveau-mort, et le (1) Pour l'appréciation de ce trait je renvoie à ce qui a été dit dans l'Introduction, p. xuv de la barbe des soldats égyptiens.
(2) Si bizarre que le moyen nous paraisse, il faut croire que les Égyptiens le trouvaient naturel, puisque la fille de Chéops recevait de son père l'ordre d'ouvrir sa maison à tout venant, moyennant argent (Hérodote, II, cxxvt), et que Tboubouî invitait Satni à venir chez elle afin de le contraindre à rendre le livre de Thot (cfr. p. 144-149, sqq. du présent volume).

cachant sous sa robe, il s'achemina vers la fille. Entré qu'il fut, elle l'interroge comme elle avait fait les autres, et il lui conte que le crime plus énorme par lui commis fut quand il trancha la tête de son frère pris au piège dans le trésor du roi. Pareillement, que la chose plus avisée qu'il avait onques faite, fut quand il dépendait celui sien frère après avoir enivré les gardes. Soudain qu'elle l'entendit elle ne fit faute de le saisir mais le larron, par le moyen de l'obscurité qui était en la chambre, lui tendit la main morte qu'il tenait cachée, laquelle elle empoigna, cuidant que ce fût la main de celui qui parlait; mais elle se trouva trompée, car le larron eut loisir de sortir et fuir. 6~ La chose rapportée au roi, il s'étonna merveilleusement de l'astuce et hardiesse de tel homme. Enfin il manda qu'on fît publier par toutes les villes de son royaume qu'il pardonnait à ce personnage, et que, s'il voulait venir se présenter à lui, il lui ferait grands biens. Le larron ajouta foi à la publication faite de par le roi, et s'en vint vers lui. Quand le roi le vit, il lui fut à grand merveille toutefois, il lui donna sa fille en mariage comme au plus capable des hommes, et qui avait affiné les Égyptiens, lesquels affinent toutes nations.

LE VOYAGE D'OUNAMOUNOU AUX COTES DE SYRIE
Le manuscrit qui nous a conservé ce conte a été trouvé vers l'automne de 1891 dans les environs du village d'El-Hibéh, presque en face de Fechn, et' les principaux des fragments qui en subsistent furent acquis peu après par Golénicheff. Ils comprenaient le premier quart et la deuxième moitié de )a première page, la seconde presque entière, et quelques lignes assez mutilées que Golénicheff attribua à la troisième page. En 1892, Henri Brugsch découvrit, dans un lot de papyrus qu'il venait d acquérir,, un morceau qui compléta la deuxième page. Depuis lors, aucun fragment n'a reparu, et il est a craindre que le manuscrit ne demeure incomplet pour toujours.
GoiénichefT inséra, en 1898, une traduction russe accompagnée d'une phototypie comprenant les vingt et une premières lignes, dans le Recueil de mémoires offert à M. de Rosen par ses élèves de l'Université de Saint-Pétersbourg à l'occasion de son jubilé. L'année d'après, il publia le texte transcrit en hiéroglyphes et-une traduction complète, fort bonne dans l'ensemble
Golénicheu', Fap~t-Ms At'era~'gue de la collection W. Go/entc/te~, contenant la descnp~'on du Voyage de l'Égyptien Ounou-Amon CM F/ten-tc<e, dans le RecMet< de Tt'a~Ma;, 1899, t. XXI, p. 74-104 (tirage à part, chez Bouillon, 1889. 24 p. in 4°).
Le texte fut presque aussitôt repris et traduit en allemand par W. Max Müller, Studien sm' t)0)'d?ras!a<tsc~en Geschichte Il. pie Urheimat der Philister. DM' Papyrus Go~enMcAe~ Die C/M'OMO~o~t'e de!' P/t!hs<e)'e:'nMa)tdet':tn~ (dans les ~t<M<Mt!9'eM der vorderasiatischen Gesellschaft, 1900, I), 1900, Berlin, in 8°. p. 14-29, puis par

A. Erman, eine Reise MacA .MMMMH tM Ja/u'/tMMderf t)or Christ, dans la Zeitschri ft, 1900,. t. XXXVIII, p. 1-14.
Erman reconnut que le fragment. considéré par Golénicheu comme appartenant à la page Ht du manuscrit appartenait en réalité à la première page, et il rétablit la suite des événements plus exactement qu'on ne l'avait fait jusqu'alors;, il admit d'ail-.leurs que le document est. historique. Lange donna ensuite une traduction danoise dans laquelle il suivit l'ordre indiqué par Erman H. 0. Lange,. W~H-AmoMteM~tMy.omAaKSt'~se tel jP/tôM'zMH. dans la JVo?-(Hs/f T'dsA; 1902, p. 515-526 (tirage. à. part de 11 p., in-8", sans, pagination spéciale).
Enfin on. lit une traduction allemande nouvelle dans le charmant.. petit ouvrage de A. Wiedemann, A~tBg~ptMcAe Sagen und ~asre~en, in 8" Leipzig, 1906,.p. 94-113,.ainsi qu'une courte analyse avec traduction en anglais dans Breasted, AttMent Reçois. of .E~yp<t. IV p..274-28T,.quitient.encore pour l'historicité du.morceau.. Tous les savants qui. se sont occupés de ce papyrus ont admis, plus ou moins: aisément, que l'écrit qu'iL contient. est un, rapport oûiciel adressé à Hrihorou par Ounamounou. au. retour de sa mission en Phénicie. La tournure générale du morceau, le ton emphatique qui y prédomine, l'importance. qui y. est attribuée tout du long à l'idole j4.m<a'M-C/MMM,. me portent à croire, et Wiedemann est également de cet avis, que nous avons là un document du genre d& celui qui nous est parvenu. sur la st~e de Balihtan (cf. plus haut, p. 183-191). Il s'agissait sans doute de donner la vogue à une forme d'Amon qui portait ce nom,.et qui devait protéger les voyageurs en pays étranger. La relation d'Ounamounou montrait comment elle avait sauvé un envoyé égyptien à Byblos et probablement aussi en Alasia. C'était une pièce du chartrier officiel.de.cetAmon, et le.rédacteur iuLa< imprimé lesallures historiques qui sont nécessaires pour prêter de la vraisemblance aux documents de ce genre. Peut-être avait-il en mains des actes authentiques qui lui permirent de dater exactement son histoire. Si on pouvait le croire avec certitude, il en résulterait des conséquences importantes pour l'histoire des Ramessides. On. verrait en effet que, dès l'an V de son règne, le dernier d'entre eux n'avait plus que l'apparence du pouvoir le grand-prêtre Hrihorou exerçait le pouvoir au Sud, Smendès l'exerçait au Nord, et d'autres princes florissaient ailleurs. Smendès avait à côté de lui. une femme, que son nom de Tantamànou rattache à la famille thébaine, et qui semble avoir eu des droits au moins égaux aux siens, puisqu'on ne le cite guère sans la mentionner avec lui c'était à elle peut-être qu'il dut de régner par la suite. Les renseignements que notre manuscrit nous apporte sur l'état de la côte syrienne ne sont pas moins précieux.. Un siècle après

Ramsès III, les Zakkala, ces alliés des Philistins qu'il avait établis entre le Carmel et l'Égypte, formaient encore une population distincte qui gardait son vieux nom un de ses princes résidait à Dora, ses matelots couraient en nombre la mer Syrienne et ils menaçaient des villes telles que Byblos. Ils étaient placés encore sous l'influence de l'Égypte, mais ils ne relevaient plus d'elle directement, et le prince de Dora ne se gênait pas pour faire parade de son indépendance devant Ounamdunou. La côte phénicienne de Tyr à Byblos demeurait elle aussi en rapports avec l'Égypte l'égyptien y était compris communément, au moins par les personnages de haut rang, et les princes de chaque cité entretenaient des sentiments de respect presque craintif pour Pharaon. C'était un souvenir de la longue domination exercée durant quatre ou cinq siècles par les rois Thébains, mais il ne suffisait plus toujours à procurer une réception pacifique aux envoyés égyptiens. Notre conte parle des légats de Khâmoîs qui auraient été retenus prisonniers par Zikarbal, prince de Byblos, et qui, morts après dix-sept ans de captivité, auraient été enterrés au voisinage de la ville. Deux des Pharaons de la XXe dynastie portèrent ce prénom de Khâmoîs, et la momie de l'un d'eux est conservée au musée du Caire (n° 1196); comme l'expédition d'Ounamounou date de l'an V du second d'entre eux, Ramses XI, le Khâmoîs qui envoya les pauvres diables à leur perte est nécessairement le premier, Ramsès IX. Malgré tout, le nom de Thèbes exerçait encore un prestige étonnant sur ces anciens vassaux de l'Égypte. Le prince de Bybos se défendait d'être le serviteur de Pharaon et il niait que ses pères l'eussent été jamais. Il fouillait même ses archives pour démontrer qu'ils avaient toujours échangé leur bois contre des cadeaux de valeur égale, qu'ils ne l'avaient jamais cédé pour rien. Lorsqu'il avait bien exhalé sa mauvaise humeur en discours violents, il faisait abattre des arbres au Liban pour le compte d'Amon et il les livrait en se contentant de présents très médiocres. Chacun aura remarqué la ressemblance qu'il y a entre notre récit et ce que la Bible raconte des négociations de David et de Salomon avec le roi de Tyr, afin d'obtenir de ce dernier les bois nécessaires à la charpente des palais et du temple de Jérusalem. Comme notre Zikarbal de Byblos, Hiram le Tyrien n'est pas satisfait du prix qu'il reçoit de ses fournitures; il se plaint de la pauvreté des villages et du territoire dont Salomon lui octroie la suzeraineté, mais il les accepte et il ne se risque pas à pousser trop loin la réclamation.
Au sortir de Byblos, Ounamounou est jeté en Alasiaparles vents, et là il se trouve hors de l'attraction de l'Égypte. Que l'Alasia. soit, comme je le crois, le massif montagneux situé à l'embouchure de l'Oronte, ou, comme d'autres l'aiment mieux ainsi, la grande île de

Cypre, il importe peu il n'avait jamais été soumis à l'Egypte de manière durable, et l'Égyptien n'était pas compris vulgairement par son peuple comme il l'était dans les cités de laPhénicie. Ounamounou y courait de nombreux dangers, auxquels la vertu secrète de l'Amondu-Chemin l'arrachait, nous ne savons comment. Le conte s'arrête à l'instant critique, et il y a peu de chances que nous retrouvions jamais les feuillets qui en contenaient la fin. Je n'ai essayé ni de deviner sur quelles péripéties il s'achevait, ni de rétablir les incidents qui remplissaient la très longue lacune de la première page j'ai introduit entre les fragments quelques phrases qui les relient tant bien que mal. J'ai tenté de reproduire dans ma traduction le style trainant et diffus, parfois embarrassé du conteur, et d'expliquer de mon mieux le sens des périodes ampoulées qu'il met dans la bouche de ses personnages. On relèvera ça et là des ébauches de description pittoresque et des images heureuses l'auteur, quel qu'il soit, avait ce que nous appellerions fait de bonnes études, et il excellait à bien présenter les histoires qu'il racontait. L'an V, le troisième mois de la Moisson, le 16, ce jour-là, partit Ounamounou le doyen de la salle (1) du temple d'Amonrâ, roi des dieux, seigneur de Karnak, afin de quérir le bois pour la barque très auguste d'Amonrâ, roi des dieux, qui se trouve sur le Nil, Amânousihaît (2). Le jour que j'arrivai à Tannis, l'endroit où sont Smendès et Tantamânou, je leur mis en main les rescrits d'Amonrâ, roi des dieux (3). Ils les firent lire en leur présence, et ils dirent « Qu'on agisse, qu'on agisse, selon (1) Le titre Samson hai nous est connu surtout par les représentations des tombeaux de l'empire memphite et du premier empire thébain, mais il se perpétua, au moins dans tes temples, jusqu'à la fin de la civilisation païenne de l'Égypte. On voit les personnages qui te portent surveiller parfois les travaux de menuiserie, et c'est peut-être pour cela qu'Ounamounouavait été choisi comme ambassadeur du dieu dans une expédition qui avait trait à des acquisitions de bois. La traduction que je donne répond mot pour mot aux termes égyptiens, mais elle n'en rend pas Je sens je la garde, faute de mieux.
(2~ C'est le nom officiel de la grande barque d'Amon de Karnak (cfr. Brugsch, Dict. ~eoyt'apA'gMe, p. 165).
(3) Amonrâ. était censé régner sur Thèbes et le grand-prêtre n'était que l'exécuteur terrestre de ses ordres. Les actes officiels prenaient donc souvent la forme de décrets rendus par le dieu, et c'était le cas ici.

« ce qu'a dit Amonrà, le roi des dieux, notre maître » Je demeurai jusqu'au quatrième mois de la Moisson dans Tanis, puis Smendès et Tantamânou me dépêchèrent avec le capitaine de navire MAagabouti, et je m'embarquai sur la grande mer de Syrie le quatrième mois de ~a/Motsso?~, le 1' J'arrivai à Dora, ville du Zakkala, et Badîlou, son prince, me fit apporter dix mille pains, une amphore de vin, une cuisse de bœuf. Un homme de mon navire déserta, emportant un vase d'or du poids de cinq tabonou (1), cinq vases d'argent de vingt tabonou, et un petit sac d'argent de onze tabonou,. ce qui fait un total de cinq tabonou d'or et de trente et un tabonou d'argent. Je' me levai de bon matin, j'allai à l'endroït où le prince était, je lui dis « On « m'a volé dans ton port. Or, c'est toi le prince de ce pays, « c'est toi son inquisiteur, cherche mon argent! Las,. cet «argent, il appartient à Amonrà, le roi des dieux, le K maître des contrées, il appartient à Smendès, il appar« tient à Hrihorou, mon maître, et aux autres nobles de « l'Égypte, il est à toi, il appartient à Ouaradi, il appar« tient à Makamarou, il appartient à Zikarbal, le prince « de Byblos (2) ». II me dit « A ta colère et à ta bien<( veillanee (3). Mais, vois, je ne sais rien de cette his~« toire que tu me dis. Si donc le voleur est de mon pays (1) Sur la valeur du <a6onoM, voir ce qui est dit p. 132 note 2, du présent volume.
(2) Le sens de cette longue énumération paraît être tel l'argent, qui a été volé, est la propriété à la fois de ceux qui l'ont confié à Ounamounou, Hrihorou et Amon dont Hrihorou est le grand-prêtre, Smendès, Tantamânou, les autres princes égyptiens, puis des étrangers auxquels il est destiné, soit comme présent, soit comme prix des bois demandés. Un de ceux-ci, Zikarbal, est le prince de Byblos que nous rencontrerons plus loin nous ne savons qui sont les deux autres, Ouaradi et Makamarou. Zikarbal est la forme réelle du nom Acerbas, Sychas, Sichée, que portait le mari. de la fameuse Didon.
~3) C'est une formule de politesse syrienne ou égyptienne « Je me soumets par avance à ta colère ou à ta bienveillance, selon que ma conduite ou mes explications te plairont ou ne te plairont pas.

« .qui est descendu dans ton navire et. qui t'a volé. ton « argent, je te le rembourserai de mon trésor, jusqu'à ce « qu'on trouve le voleur lui-même mais si le voleur qui t'a « volé il est à toi, et s'il appartient à ton navire,, demeure quelques jours auprès de moi que je le cherche » Je fus neuf jours abordé dans son port, puis j'allai près de lui, et je lui dis « Ainsi, tu ne trouves pas mon argent. « Je partirai donc ainsi que le capitaine du navire; avec « ceux qui vont au port de Tyr. Si tu trouves mon « argent, garde-le près de toi et quand je rentrerai en « Égypte, je m'arrêterai chez toi et je te prendrai ». Il y consentit,. et le quatrième mois de la Moisson, le ~0, je m'embarquai de nouveau sur la grande mer de S yrie. J'arrivai au port de Tyr, je contai mo~ histoM'e au prince de Tyr et je me plaignis du prince de Dora qui n'avaitpas trouvé lesvoleurset quine m'avait pas rendu mon ar~e~t, mais le prince de. Tyr était l'ami de ce:lui de Dora. Il me dit « Tais-toi, ou il t'ar« rmera malheur! » Je sortis de Tyr, dès le matin,, et je descendis sur la grande mer de Syrie pour aller à l'endroit où était Zikarbal,. le prince de Byblos.. Or il y acattdesZa~hata. aùec' un co~re sur le navire j'ouvris le co ffre, j'y trouvai de l'argent, trente tabonou, je m'en emparai. Je t'cur dis « Vo~ci, je pre~tds votre « argent et il restera avec moi jusqu'à ce que vous ayez « trouvé mon argent à moi. Si vous dites « Nous ne « connaissons celui qui l'a volé, nous ne l'avons pas « pris M', je le prendrai, quand même ». Quand ils virent g~e je tenais ferme, ils s'en allèrent, et moi j'arrivai au port de Byblos. Je descendis du bateau, je pris le ~aos qui contenait la statue d'Amon, le dieu du Chemin (1), (1) C'est l'idole que Hrihorou avait donnée à Ounamounou pour le protéger dansson expédition. Golénicheff a fait remarquer des le début (~e!M:7 de r~apaM-c, t. XXI, p. 94, note 1) qu'elle était a l'Amon de

j'y mis à l'intérieur le matériel du dieu. Le prince de Byblos me fit dire « Va-t-en de mon port 1 » Je lui envoyai dire « Pourquoi me chasses-tu ? Est-ce qxe « les Zakkala t'ont dit que j'avais pris leur argent ? « mais voici, l'argent qu'ils avaient était mon argent « à moi, qui m'avait été volé tandis que j'étais dans le « port de Dora. Or, moi, je suis le messager d'Amon, « que Hrihorou, mon maître, a envoyé vers toi pour « se procurer les bois nécessaires à la barque d'Amon, « et le navire que Smendès et 7'a~~amâMOM m'avaient « donné est reparti aussitôt. Si tu veux que je m'en « aille de ton port, donne un ordre à un des capitaines « de tes navires pour que, lorsqu'on prendra le large, « je sois emmené en Égypte 1 » Je passai dix-neuf jours dans son port, et il prenait le temps de m'envoyer dire chaque jour « Va-t-en de mon port (1) »
Or, comme il sacrifiait à ses dieux, le dieu saisit un grand page d'entre les pages, et il le fit tomber en convulsions (2). Il dit « Apporte le dieu à la lumière 1 Karnak, ce que, dans la Stèle de Bakhtan (voir p. 188, note 1 du présent volume), le Khonsou envoyé en Asie est au Rhonsou demeuré a. Thèbes, un véritable ambassadeur d'Amon auprès des princes et des dieux étrangers.
(1) Les restitutions que j'ai insérées dans ce paragraphe sont imprimées en italiques eltes 'ne donnent qu'un canevas très court des événements accomplis entre Dora et Byblos. Le texte original devait renfermer deux ou trois épisodes dont je n'ai tenu aucun compte, mais auxquels il est fait allusion par la suite le départ du navire qui avait amené d'Égypte Ounamounou, l'introduction de l'idole Amon-du-Chemin, les raisons pour lesquelles le prince de Byblos refusait de recevoir Ounamounou.
(2) C'est une scène de fureur prophétique du genre de celles qui se passaient en Israël. Le page, saisi par le dieu, tombe dans une sorte d'extase épileptique pendant laquelle il sent la présence de l'idole Amondu-Chemin il donne au prince l'ordre d'en haut qui l'oblige à recevoir Ounamounou et à faire ce que celui-ci désire. Frazer (Adonis, Atlis, Osiris, p. 6'!) se refuse à croire comme Wiedeman (/l/~y!/p<McAe Sagen und Afa;'cA°n, p. 99) que le dieu possesseur soit Amon il croit que c'est plutôt Adonis, parce qu'Adonis était le dieu de la cité, et que le droit

« Amène le messager d'Amon qui est avec lui Renvoie« le, fais-le partir » Tandis que le convulsionnaire était en convulsions, cette nuit-là, j'avais trouvé un navire à destination d'Égypte, j'y avais chargé tout ce qui était à moi, et je contemplais l'obscurité, disant « Qu'elle des« cende pour que j'embarque le dieu si bien que nul œil « ne l'aperçoive que le mien » quand le commandant du port vint à moi. II me dit « Reste jusqu'à demain au gré « du prince ». Je lui dis: « N'es-tu pas celui qui prenais « le temps de venir à moi chaque jour, disant « Va-t-en « de mon port » et ne me dis-tu pas maintenant « Reste « ici! » afin que parte le navire que j'ai trouvé, après quoi « tu viendras et tu me diras de nouveau « Sauve-toi « vite! Il tourna le dos, il alla, il dit cela au prince, et le prince envoya dire au capitaine du navire « Reste « jusqu'à demain matin, au gré du prince! » Lorsqu'il fut matin, il m'envoya prendre en haut, tandis que le sacrifice avait lieu, dans le château où il réside au bord de la mer. Je le trouvai assis dans sa chambre haute, le dos appuyé à un balcon, tandis que les vagues de la grande mer syrienne battaient derrière lui. Je lui dis « A la « grâce d'Amon! » Il me dit « Combien y a-t-il jusqu'au« jourd'hui que tu as quitté l'endroit où est Amon? » Je lui répondis « Cinq mois et un jour jusqu'aujour« d'hui » II me dit « Allons, toi, sois vrai. Où sont-ils M les rescrits d'Amon qui devraient être dans ta main? « Où est-elle la lettre de ce grand-prêtre d'Amon qui « devrait être dans ta main? » Je lui dis « Je les ai « donnés à Smendès et à Tantamânou ». Il se mit fort en colère, il me dit « Ainsi donc, il n'y a plus rescrits, de possession sur un des fonctionnaires du pays lui appartenait plutôt qu'à un dieu étranger. L'exemple de Balaam prouve que le dieu d'un peuple pouvait saisir même le prophète d'un dieu étranger, et justifie notre interprétation.

« ni lettres en ta main! Et où est-il ce navire en bois « d'acacia que t'avait donné Smendès ? Où est-il son « équipage de Syriens ? Ne serait-ce pas qu'il t'avait « remis à ce capitaine de vaisseau, lors du départ, pour « qu'il te fît 'tuer et qu'on te jetât  la mer? S'il en est « ainsi, de la part de qui chercherait-on le dieu, et toi « aussi, de la part de qui chercherait-on (1)? » Ainsi me dit-il. Je lui dis « N'était-ce pas un navire d'Égypte et « n'était-ce pas un équipage d'Égypte qui navigue au « compte de Smendès? car il n'y a pas avec lui d'équipages « syriens? » Il me dit « N'y a-t-il pas vingt vaisseaux K actuellement dans mon port qui sont en association « avec Smendès ? Et cette Sidon, cette autre ville que tu ,( veux atteindre, n'y a-t-il pas chez elle dix mille autres a navires qui sont en association avec Ourakatîlou (2) et « qui voyagent vers sa maison (3) ? »
Je me tus en cette heure grave. Il reprit, il 'me dit « Tu es venu ici pour remplir quelieTnission ? )) Je lui dis (i) Le prince de Byblos, apprenant qu'Ounamounou n'a point avec lui les lettres de créance qu'il devrait avoir, lui dit ouvertement qu'il le soupçonne d'être un aventurier Hrihorou et Smendès l'auraient embarqué avec ordre au capitaine de le jeter en pleine mer. En ce cas, on .peut le traiter sans miséricorde car, s'il leur arrivait quelque mésaventure à lui et à sa statue d'Amon-du-Chemin, qui s'inquiéterait de leur destinée? On verra que, plus loin (p. 229-230 du présent volume)., Ounamounou insiste sur ce fait que s'il venait à disparaître, on le chercherait jusqu'à la consommation des temps pour venger sa 'mort. C'est à quelque discours de ce genre, mais qui se trouvait dans les ~parties perdues du texte, que le prince de Byblos répond présentement.
(2) Ouarakatilou est une forme dialectale du nom qui serait en hébreu Birkatel ou Berekôtel.
(3) Ounamounou, pour répondre au soupçon de Zikarbal, rappelle qu'il est bien venu sur un navire égyptien monté par un équipage égyptien et non-par un équipage syrien ce n'est pas, sous entend-il, à des'Egyptiens que des princes égyptiens auraient confié la besogne de supprimer un Égyptien. Zikarbal n'a pas de peine à le faire taire, en lui remontrant que'la plupartues navires qui'font'le cabotage pour'Iecompte'deTËgypte sont des navires syriens, qui,'par conséquent, n'auraient pas de-scrupule à exécuter sur 'un Égyptien les ordres que 'les princes 'd'Egypte leur auraient donnés du départ.

« Je suis venu pour la charpente de la barque très auguste « d'Amonrâ, le roi des dieux. Ce que fit ton père, ce que « ut le père de ton père, fais-le aussi M Ainsi lui 'parle-je. Il me dit <: Eux, ce qu'ils firent et que tu me donnes à « faire, je le ferai. Autrefois les miens exécutèrent cette K mission, parce que Pharaon, vie, santé, force, leur fit « /amener six navires chargés de marchandises d'Égypte « qu'on déchargeait dans leurs entrepôts. Toi -donc, fais- « m'en amener à moi aussi ))T1 fit apporter'ies journaux de ses pères et il les fit lire en ma présence, et on trouva qu'en tout mille -tabonou. d'argent (1) étaient inscrits sur son registre. Il me dit «'Si le souverain de l'Egypte « était mon maître et'que je 'fusse, moi, son serviteur~ « il n'aurait pas à faire apporter de l'argent et de l'or, di(( .sant.: « Exécute la mission d'Amon H. Ce .n'était pas .<( un'ordre royal que l'on apportait à mou 'père. Or moi, « certes, -moi, je ne suis pas, moi, ton serviteur je ne <( .suis pas, moi, le serviteur de celui qui .t'a renvoyé. Je « crie  voix forte aux arbres du Liban, et le ciel s'ouvre, « et les bois demeurent étendus sur le sol au bord de :la « mer (2) mais qu'on me montre les voiles'que tu apportes « pour conduire tes bateaux chargés de ~tes bois en Egypte « 'Qu'on me -montre les câbles que tu apportes afin de lier « les poutres que je te couperai pour t'en.faire des cadeaux! « Si moi je ne ie /ats pas les câbles, si je ne te fais pas « les voiles de tes navires, les façons de l'avant et de (1) La valeur ancienne'transcrite en'valeur moderne. représente 92 kilogrammes d'argent (cf. p. 133 note 2. du présent volume).
(3) Il semble bien qu'on doive considérer ce membre de phrase comme l'expression emphatique de la con&ance que'le prince de Byblos a. en son propre pouvoir. Il n'est pas le serviteur de'l'Égypte, et, par suite, ~'n'estpas le serviteur d'Amon, et Amon 'n'a aucun pouvoir sur )e territoire qu'il occupe. S'il crie aux cèdres du Liban de descendre à ~a mer, 'le 'ciel s'ouvre, et'les arbres, renverses par les dieux dû-pays,'tombent d'eux- mêmes au bord de la mer.

« l'arrière sont lourdes, elles se briseront (1) et tu mourras « au milieu de la mer (2); car Amon tonne et il déchaîne « Soutekhou en son temps (3). Or Amon veille sur tous les « pays; s'il les régit, il régit la terre d'Égypte d'où tu « viens, avant tous, et la perfection sort d'elle pour at« teindre celui où je suis. Qu'est-ce donc que ces courses « folles qu'on te fait faire (4) ? »
Je lui dis « Mensonge 1 II n'y a point de course folle « pour ceux à qui j'appartiens 1 Il n'y a navires sur le Nil « qui ne soient d'Amon; c'est à lui la mer, et c'est à lui « ces arbres du Liban de qui tu dis « Ils sont miens » « mais qui sont le domaine de la barque Amânousihaît, « la reine des barques. Las il a parlé Amonrâ, le roi des (1) Les navires de mer égyptiens avaient, à l'avant et à l'arrière, deux pointes recourbées qui s'élevaient au-dessus de l'eau et qui étaient décorées ordinairement de têtes de divinités, hommes ou bêtes. Ces deux extrémités étaient maintenues par des cordages qui, frappés à la proue, passaient sur des matereaux plantés le long de l'axe du pont et allaient s'attacher à la poupe vers la hauteur du gouvernail. La force de la vague et du vent fatiguait beaucoup ces avancées et elle menaçait sans cesse de les enlever lorsqu'elles venaient à se séparer de la coque, le navire sombrait sans rémission.
(2) Les lacunes qui interrompent les lignes 16 et 17 du texte rendent le sens incertain; voici pourtant comment je le conçois. Après avoir dit à Ounamounou qu'il est indépendant de lui et d'Amon, Zikarbal veut montrer qu'il peut plus pour Ounamounou qu'Ounamounou ne peut pour lui. II demande à Ounamounou de lui montrer les voiles et les câbles des vaisseaux qui emporteront les bois, et il les trouve insuffisants si lui, Zikarbal, n'en donne pas de plus résistants, les navires d'Ounamounou ne résisteront pas à l'orage et ils sombreront en pleine mer. (3) Voir ce qui est dit de Soutekhou, p. 121, note 2, du présent volume. (4) Le lien qui unit la fin de ce discours au commencement n'est pas évident au premier abord. La transition s'établit après le passage où Zikarbal montre les dangers de mort qui menacent Ounamounou pendant le retour « Ton navire, mal gréé, sombrera et tu périras dans la mer, « car après tout il ne fait pas toujours beau temps, mais, à des intervalles a fréquents, Amon fait gronder le tonnerre, et il donne pleine carrière à « Soutekhou, le dieu de l'orage. Or, Amon, s'il veille sur tous les pays, a veille principalement sur l'Egypte et il lui a donné la sagesse plus < qu'aux autres nations. Comment se fait-il que le souverain d'un pays « si sage ait commandé à Ounamounou une course aussi folle que celle a qui l'a amené à Byblos ? »

« dieux, disant à Hrihorou, mon maître « Envoie« moi » (1) et il m'a envoyé avec ce dieu grand. Or, « vois, tu as fait demeurer ce dieu grand pendant vingt« neuf jours depuis qu'il a abordé à ton port, sans que « tu susses s'il était là ou non; et n'est-ce pas lui qui est « là, tandis que tu marchandes'des cèdres du Liban avec « Amon, leur maître? Et quand tu dis « Les rois d'aupa« ravant ont envoyé de l'argent et de l'or! » oui-da, s'ils « avaient envoyé la vie et la santé, ils n'auraient pas « envoyé les présents matériels or ils ont envoyé des « présents matériels au lieu de la vie et de la santé à tes « pères. Mais Amonrâ, le roi des dieux, c'est lui le. « maître de la vie et de la santé, c'est lui le maître de « tes pères, et ils passaient leur temps de vie à sacrifier « à Amon. Toi-même, toi, tu es bon serviteur d'Amon. « Si tu dis « Je le ferai, je le ferai » à Amon et que tu « exécutes son ordre, tu vivras, tu seras sauf, tu seras « en santé, tu seras un bienfait pour ton pays tout entier « et pour ton peuple. Mais ne convoite pas la chose d'A« monrâ, le roi des dieux, car le lion il aime son bien (2)! « Et maintenant, fais-moi venir mon scribe que je l'envoie « à Smendès et à Tantamânou, les protecteurs qu'Amon a « mis au nord de son pays, et pour qu'ils te fassent appor« ter tout ce de quoi je leur mande « Que cela soit ap« porté! » en attendant que je retourne au Sud et que je (1) C'est-à-dire remets à Ounamounou une statue d'Amon, où sera enfermée un peu de.la force d'Amon et qui sera l'ambassadeur-dieu à côté de l'ambassadeur-homme. C'est la statue de l'Amon-du-Chemin dont il est question immédiatement après quand Ounamounou dit: « Hrihorou « m'a envoyé avec ce dieu grand 1 Cfr. p. 188, note 1, du présent volume les deux Khonsou et l'envoi que l'un d'eux fait au Bakhtan de la statue animée de l'autre.
(2) En d'autres termes t Donne gratuitement le bois à Amon et'ne « demande pas qu'il te le paie; car Amon est un lion et le lion n'aime « pas qu'on lui veuille prendre sa proie x La phrase est probablement un proverbe populaire.
1S

« t'expédie ton misérable reste, tout, tout! )) Ainsi lui parlé-je. Il remit ma lettre à son messager; il chargea sur un navire, la passerelle, la tête d'avant, la tête d'arrière (1) et quatre autres poutres équarries à la hache, en tout sept pièces, et il les expédia en Égypte. Son messager alla en Égypte, et il revint vers moi en Syrie au premier mois de l'hiver. Smendès et tantamânou expédièrent quatre cruches et un bassin d'or, cinq cruches d'argent, dix pièces de lin royal pour dix manteaux, cinq cents rouleaux de papyrus fin, cinq cents peaux de bœufs, cinq cents câbles, vingt sacs de lentilles, trente couffes de poisson sec et Tantamânou m'expédia cinq pièces de lin royal pour cinq manteaux, un sac de lentilles, cinq coutFes de poisson sec. Le prince se réjouit, il leva trois cents hommes, trois cents bœufs, et il mit des officiers à leur tête pour faire abattre les arbres ils les abattirent et les bois passèrent l'hiver gisant sur le sol, puis le troisième mois de la Mo~so?T. on les traîna au rivage de la mer. Le prince sortit, il se tint auprès d'eux, il me fit dire « Viens! a Comme je passai près de lui, l'ombre de son ombrelle (2) tomba sur moi, et Penamânou, un des familiers qui étaient à lui, se mit entre le prince et moi, disant « L'ombre de Pharaon, v. s. f., ton maître, tombe « sur toi (3)! » mais le prince s'irrita contre lui et lui dit (1) La barque d'Amon avait deux têtes de bélier à l'avant et à l'arriére ce sont les billes de bois destinées à ces deux têtes que Zikarbal envoie comme cadeau préliminaire, pour provoquer la libéralité de Hrihorou et de Smendès.
(2) C'est une ombrelle analogue à celle que l'on voit figurée dans les bas-reliefs assyriens et qui est tenue au-dessus de la tête des rois par un eunuque ou par un officier debout derrière eux.
(3) Le sens de ce discours qui était clair pour un Égyptien ne l'est plus pour nous. Je crois y distinguer au fond l'idée courante en Orient que toute personne sur laquelle tombe l'ombre d'un être puissant, dieu, génie, roi, est sous la protection et par suite sous l'autorité de cet être. Penamànou, voyant l'ombre de l'ombrelle du prince de Byblos tomber surOunamounou, dit à celui-ci en se moquant que t'OM&t'e de son Pho'aon-

cc Toi, laisse-le » Je passai jusqu'auprès de lui et il m'interpella disant « Vois, la mission qu'exécutèrent mes « pères auparavant, je l'ai exécutée moi aussi, quand « même tu ne m'as pas fait ce que tes pères m'avaient « fait. Or, toi, vois jusqu'au dernier de tes bois est ar<( rivé et il est là agis maintenant selon ton cœur et viens « pour les charger', carne te les a-t-on pas donnés? Tou« tefois ne viens pas pour contempler les terreurs de la cc mer, ou si tu contemples les terreurs de la mer, con« temple aussi la mienne à moi (1). Las! je ne t'ai pas « fait ce qu'on fit aux envoyés de Khâmoîs (2) qui « demeurèrent dix-sept ans en ce pays et qui y mou« rurent ». II dit à son familier « Mène-le qu'il voie leur « tombe dans laquelle ils sont couchés )). Je dis <( Ne « me la fais pas voir. Khâmoîs, les gens qu'il t'envoya « comme ambassadeurs c'étaient des gens de sa domes« ticité ce n'était pas un dieu l'un de ses ambassadeurs. « Toi pourtant, tu me dis « Cours, vois tes pairs (3) ». « Que ne te réjouis-tu plutôt et ne fais-tu pas dresser « une stèle sur laquelle tu dirais « AMONRA, LE ROI DES tombe sur lui, c'est-à-dire, en d'autres termes, que désormais il n'a plus pour Pharaon et pour maître que le prince dont l'ombre tombe sur lui, le prince de Byblos.
(1) Je crois qu'il faut comprendre ce passage comme il suit. Après avoir remis les bois à Ounamounou, le prince de Byblos, qui n'a pas encore pardonné l'insuffisance des cadeaux reçus, ajoute a Et maintenant, «va-t'en vite, quand même le temps serait mauvais, et si tu te laissais c entraîner à prendre en considération la colère de la mer lorsque tu < seras au moment de ton départ, songe que ma colère pourrait être < pire encore que celle de la mer, et que tu risquerais de t'attirer le sort < des envoyés de Khâmoîs, que j'ai retenus ici prisonniers jusqu'à leur < mort ».
(2) Ce Khâmois est le Pharaon Ramsès IX, ainsi qu'il a été dit plus haut, p. 216 du présent volume.
(3) Ounamounou développe ici le thème déjà indiqué plus haut (voir p. 224-225 du présent volume), que son ambassade n'est pas une ambassade M-dmaue, mais qu'elle renferme un dieu, l'Amon-du-Chemin. Il se .plaint donc que le prince de Byblos veuille l'assimiler aux envoyés purement humains de Khâmois, et les représenter comme étant ses pairs.

« DIEUX, M'ENVOYA L'ÂMON-DU-CHEMIN COMME SON AMBAS« SADEUR DIVIN AVEC OUNAMOUNOU COMME SON AMBASSA« DEUR HUMAIN POUR LES BOIS DE LA BARQUE TRÈS AUGUSTE « D'ÂMONRA, LE ROI DES DIEUX. JE LES COUPAI, JE LES « CHARGEAI, JE LUI FOURNIS MES NAVIRES ET MES ÉQUI« PAGES ET JE LES EXPÉDIAI EN EGYPTE, AFIN D'OBTENIR « DIX MILLE ANNÉES DE VIE D'ÂMON EN PLUS DE CE QUI « M'ÉTAIT DESTINÉ IL EN SOIT AINSI » Quand, après « d'autres jours un messager viendra de la terre d'Égypte « qui connaîtra l'écriture et qu'il lira ton nom sur la stèle, « tu recevras l'eau de l'Amentît, comme les dieux qui y « demeurent (1) » H dit & C'est un grand thème à dis« cours ce que tu m'as dit! a Je lui dis « Les nombreuses « paroles que tu m'as dites, quand je serai arrivé à l'en« droit où est ce premier prophète d'Amon, et qu'il aura « vu comme tu as exécuté sa mission, il te fera amener « des dons ))
J'allai au bord de la mer à l'endroit où les bois restaient, et j'aperçus onze navires qui venaient du large et qui appartenaient aux Zakkala avec cette mission « Qu'on « l'emprisonne et qu'il n'y ait bateau de lui qui aille au « pays d'Égypte » Je m'assis, je pleurai, le secrétaire du prince sortit vers moi, et il me dit « Qu'as-tu? » Je lui dis « Ne vois-tu pas les hérons qui redescendent vers « l'Egypte? Vois-les, ils reviennent aux eaux fraîches, « mais las, jusques à quand resterai-je abandonné? Car « ne vois-tu pas ceux-là qui viennent pour m'emprisonner « encore ? Il alla, il le dit au prince le prince se mit à pleurer à cause des paroles qu'on lui disait si tristes, il fit sortir son secrétaire qui m'apporta deux amphores de vin et un mouton, et il me fit amener Tantanouît, une (i) En récompense du service rendu par le prince, son double aura les libations d'eau fraiche que les bienheureux ont dans l'Hadès cfr. p. H, note d, du présent volume.

chanteuse d'Égypte qu'il avait avec lui, disant « Chante« lui, que son cœur se fasse des idées douces » Et il m'envoya dire « Mange, bois, que ton cœur ne se fasse <t des idées! tu entendras tout ce que j'ai à dire demain « matin » Quand il fut matin, il fit appeler ses gens sur sa jetée, II se tint au milieu d'eux, et il dit aux Zakkala « Qu'est-ce que votre manière de venir? » Ils lui dirent « Nous sommes venus à la poursuite de ces navires tout « brisés que tu expédies en Égypte avec.nos maudits ca« marades! » Il leur dit « Je ne puis pas emprisonner « le messager d'Amon dans mon pays. Laissez que je « l'expédie et puis vous courrez après lui pour l'empri« sonner».,
Il m'embarqua, il m'expédia je m'éloignai du port de la mer et le vent me jeta au pays d'Alasia (1). Ceux de la ville sortirent contre moi pour me tuer et je fus traîné au milieu d'eux à l'endroit où était Hatibi, la princesse de la ville. Je la trouvai qui sortait d'une de ses habitations et qui entrait dans l'autre, je l'implorai disant aux gens qui se tenaient auprès d'elle <f N'y a-t-il pas quelqu'un d'entre « vous qui entende le langage de l'Égypte? L'un d'eux dit « Je l'entends ». Je lui dis « Dis à ma dame « J'ai « entendu dire jusque dans la ville de Thèbes et dans « l'endroit où est Amon « Si on agit injustement en toute « ville, on agit justement au pays d'Alasia », et voici « qu'on y agit injustement chaque jour » Elle dit « Las 1 « Qu'est-ce que tu dis là? » Je lui dis « Maintenant que « la mer s'est mise en fureur et que le vent m'a jeté au « pays où tu es, ne permets-tu pas qu'ils.me prennent de« vant toi pour me tuer? Comme, moi, je suis un messager « d'Amon, certes, vois, moi, on me cherchera jusqu'à la fin (1) Pour le site du pays d'Alasia, voir ce qui est dit p. 216-211 du présent volume.

« des temps (1). Et quant à cet équipage du prince de « Byblos qu'on cherche à tuer, si leur seigneur trouve « plus tard dix de tes équipages, ne les tuera-t-il pas en « représailles? » Elle fit convoquer son peuple; on lesarrêta et elle me dit « Va reposer ».
(i) C'est le même argument qu'Ounamounou a déjà employé plus haut vis-à-vis du prince de Byblos; cf. p. 222 du présent volume.

LE CYCLE DE PÉTOUBASTIS
1
L'EMPRISE DE LA CUIRASSE
Ainsi que je l'ai dit dans l'Introduction (p. xxxix-xL), nous possédons actuellement deux romans qui appartiennent au cycle de Pétoubastis. Le premier des deux, celui que j'ai appelé l'Emprise de la Cuirasse, est conservé dans un des manuscrits de l'Archiduc Régnier; les fragments en étaient perdus dans une masse de débris achetés par les agents de M. Graf à Diméh, au Fayoum, vers la pointe nord~st .du Birket-Keroun. Parmi les mille documents originaires de cette localité et qui couvrent un espace d'environ trois cents ans, du !i° siècle avant au u" siècle après J.-C., quarante-quatre morceaux de taille différente étaient épars, appartenant à un même papyrus démotique. Krall y devina du premier coup les éléments d'une composition littéraire, d'un roman historique selon les apparences, et ce lui fut un motif pressant de les étudier, toute affaire cessante. Plusieurs d'entre eux demeurèrent rebelles à la classification, mais la plupart finirent par s'assembler en trois grandes pièces, dont la première mesurait 1 m. 88 de longueur, la seconde 0 m. 79 -et la troisième 0 m. 66 sur 0 m. 28 de hauteur. La première de ces pièces, qui est composée de huit morceaux, contenait les restes de huit colonnes de 32, 33, 34, 36 et 38 lignes chacune la seconde et la troisième comprenaient cinq et quatre colonnes plus ou moins mutilées. Les vingt-trois fragments plus petits semblaient se ranger dans cinq colonnes diverses, si bien que le volume entier devait consister à l'origine de vingt-deux colonnes .au moins, comportant plus de sept cents lignes et se déployant :sur une longueur d'environ six mètres. Aucun des contes connus

jusqu'alors n'atteignait des dimensions pareilles, et pourtant l'oeuvre demeurait incomplète nous en possédions la seconde moitié sans lacunes trop fortes, mais une portion notable du début manquait encore. Krall, arrivé à ce point, crut que le moment était venu d'annoncer sa découverte. Il le fit à Genève, au mois de septembre 1894, dans une séance du Congrès des Orientalistes, mais trois années s'écoulèrent avant qu'un mémoire imprimé vint confirmer les espérances que sa communication verbale avait soulevées. fi le publia sous le titre de
Ein neuer historischer Roman in Demolischer Schrift, von Jakob Krall, dans les ~«et/Mn.q~n aus de)' SumTK/uny der P~pt/ru. Erzherzog Rame! 1897, in-4", t. VI, p. 19-80 (avec un tirage à part de 62 pages). Ce n'était à proprement parler qu'une analyse détaillée du texte, accompagnée de notes nombreuses où étaient reproduites les phrases qui présentaient des difficultés d'interprétation. Tel qu'il était, ce premier mémoire suffisait à nous montrer 1 originalité de l'oeuvre. C'était une vraie chanson de geste, la Geste de ~'e'rnoM le petit, qui nous offrait une peinture vivante des mœurs de la féodalité égyptienne aux temps des invasions assyriennes, et les principaux points en furent discutés par
G. Maspero, Un Nouveau Conte égyptien, dans le JoMr;;M< des &nja)!<s, 1898, p. 649-659 et ':17-731.
Cependant, en triant les fragments moindres de la collection de l'Archiduc, Krall y avait découvert beaucoup d'autres menues pièces qui avaient été détachées du manuscrit original, et qui unirent par porter à quatre-vingt-deux le nombre des petits fragments. II se décida donc à publier les grands fragments
J. KraH, Demotische Lesestùclie, 2" partie. 1903, pl. 10-22, puis à donner une traduction, provisoire sur certains points, mais complète, de tous les fragments grands et petits
J. Krall, De;' demotische Roman OtM dc<- Zât des K6nigs Pe<M&a~tS, dans la WtfHe?' Ze:~c/tW~ /'tM- dt'e KM'de des Morgentandes, 1903, in-8", t. XVII, (tirage à part de 36 pages in-8''j.
La découverte des petits morceaux n'a pas modifié sensiblement la première restauration que Krall avait donnée de l'ensemble du roman. L'ordre des trois grands fragments avait été rétabli exactement, mais les menues pièces ont  être réparties entre neuf colonnes au lieu de cinq, et un assez grand nombre d'entre elles proviennent des premières pages; beaucoup même sont inédites. Ce texte de Krall, le seul que nous ayons à notre disposition, a fourni à M. RéviMout la matière d'une leçon d'ouverture et d'une traduction à demi publiée seulement
E. Révillout, Le Iloi Petibustît 7~ et le t'orna?: gutpo?'<eso?!Hom, dans la Ret)Me Égyptologique, 1905, t. XI, p. llu-173, et 1908, t. XII, p. 8-59.
` · ` \c' ~'p' ,).y~ x ? ~'1. 'C

On en trouvera la transcription en caractères romains et la traduction allemande dans
W. Spiegelberg, der Sagenkreis des Kônigs Petubastis, in-4., Leipzig, 1910, p. 43-75.
La traduction que je donne a ëté faite d'après le texte même pour les parties publiées, d'après la seconde traduction de Krall pour les parties qui sont inédites. La langue de l'auteur est simple, claire, très semblable à celle du premier roman de Satni-Khâmoîs, et formée de phrases courtes en général c'est un bon ouvrage à mettre entre les mains des débutants. On y distingue un certain mouvement et une certaine chaleur de style, une entente notable de la description et une habileté assez grande à dépeindre le caractère des héros principaux en quelques traits. Le début manque, mais on peut en reconstituer la donnée sans trop de peine. Au temps où le Pharaon Pétoubastis régnait à Tanis, le pays entier était partagé entre deux factions rivales, dont l'une avait pour chef le Seigneur grand d'Amon dans Thèbes, peut-être ici la Thèbes du Delta, aujourd'hui Ibchân, avec laquelle l'auteur confond volontairement ou non la Tèbes du Said, et dont l'autre obéissait au roiprêtre d'Héliopolis lerharerôou-Inarôs, ainsi qu'à son allié Pakrourou, prince de Pisapdi, le grand chef de l'Est. Le Seigneur grand d'Amon dans Thèbes n'était soutenu que par quatre nomes au centre du Delta, mais les quatre nomes les ptus p<?MM<s, ainsi que le texte le dit (cf. p. 257), ceux de Tanis, de Mondes, de Tabaît, de Sébennytos; Inarôs au contraire avait réussi a établir ses enfants ou ses parents dans la plupart des autres nomes, et de plus il possédait une sorte de talisman, une cuirasse à laquelle il tenait beaucoup, peut-être une de ces cuirasses de fer ou d'airain qui jouent un rôle dans la légende saite et memphite de la Dodécarchie (Hérodote, M, cm). Lorsqu'il mourut, le Seigneur grand d'Amon dans Thèbes profita du trouble que le deuil avait jeté ~parmi les Héliopolitains pour s'emparer de la cuirasse et pour la déposer dans une de ses forteresses. Dès que le prince Pémou, l'héritier d'Inarôs, l'apprit, il dépêcha un messager au voleur pour le sommer de lui restituer le talisman. Le Seigneur grand d'Amon dans Thèbes refusa, et c'est sur la scène du refus que la partie conservée du roman commence. J'ai suivi le texte d'aussi près qu'il m'a été possible le faire dans l'état de mutilation où le manuscrit nous est parvenu quand la restitution des mots ou des membres de phrase perdus venait naturelle, je n'ai pas hésité à l'accepter,'mais très souvent, lorsque les lacunes étaient fortes, j'ai résumé en deux ou trois phrases la matière de plusieurs lignes. C'est donc moins une traduction littérale qu'une adaptation, et le lecteur trouvera dans bien des endroits le

~ens général plutôt que la lettre même du récit égyptien je n'ai pu faire davantage pour le moment.
« Je ne suis pas le premier qui vient à lui à ce sujet. « C'est lui qui l'a emportée dans la forteresse de Zaouî« phrê (1), sa ville, tout d'abord, après qu'il eût.pris l'ar« mure de leurs mains et qu'il l'eût transportée hors de <[leurs maisons sans que nulle personne au monde s'en aperçût. 11 l'a donc prise en sa propre ville, que je lui « ai donnée dans le district, près du surintendant des « troupeaux de Sakhmi » (2). Toutes les paroles que son jeune serviteur avait dites devant lui, il les répéta devant Pharaon, et il employa deux jours à les raconter devant Pétoubastis, sans que parole au monde y manquât. Pémou lui dit « Malheur du cœur soit pour Zaouipbrê Cette « cuirasse ne l'as-tu pas emportée chez toi? N'as-tu pas « allongé la main vers la cuirasse du prince Inarôs (3), afin « de l'emporter à Zaouipbrê, ta ville, et ne l'y as-tu pas « cachée afin de ne plus la remettre en sa place première? « As-tu pas agi de la sorte à cause de ta confiance en ta « force, ou bien à cause que ta famille est versée dans la « leçon du soldat (4) ? » Le grand seigneur d'Amon dans Thèbes lui dit « Par Horus Je ne te rendrai pas la cui« rasse sans combat. Ma famille ne connaît-elle pas la' (1) Ce nom n'est pas de lecture certaine, bien qu'il revienne souvent' dans le texte. Il se traduirait la ville des deux jumeaux du Soleit, Shou et Tafnit, et il désigne une place située au nome mendésien, dans une Me (cfr. p. 231, 242 du présent volume).
(2) Sakhmi est le nom de l'ancienne ville de Latopolis aujourd'hui Oussim, & quelque distance au Nord-Ouest du Caire.
(3) Pour la lecture Inarôs du nom égyptien, voir ce qui est dit plus haut, p. 125 n. 2.
(4) Cette expression, la leçon du soldat, qui se rencontre plusieurs fois dans le texte, parait designer l'habileté au métier militaire, soit au maniement des armes, à l'escrime, soit à la conduite des troupes, à la stratégie. Ailleurs, p. 256, faire la leçon du soldat, signifie se battre dans les règles ou simplement se battre, pousser une botte.

« leçon du soldat ? » Ils s'éloignèrent pour préparer la guerre, chacun de son côté (1), puis Pémou le petit s'embarqua sur son yacht et, ayant navigué sur le fleuve pendant la nuit, il arriva à Tanis afin de notifier au roi ce que le Grand Seigneur d'Amon dans Thébes avait fait. Pharaon Pétoubastis les fit mander devant lui, le prince de l'Est, Pakrour, et Pémou le petit, disant « Qu'ils se « prosternent sur le ventre en notre présence, et qu'ils, « se traînent ainsi devant nous ». Les sergents et les huissiers et les maîtres des cérémonies dirent « Qu'ils < viennent au pavillon d'audience )) Le prince de l'Est, Pakrour, dit « Est-ce bien beau ce qu'a fait le grand sei« gneur d'Amon de Thèbes de couvrir d'injures le prince <t Inarôs, tandis que celui-ci avait la face tournée vers ses « serviteurs? » Après que Pharaon eût entendu sa voix, Pharaon dit « Chefs de l'Est, Pakrour et Pémou le petit,, «. ne vous troublez pas en vos cœurs, à cause des paroles « qu'il a proférées. Par la vie d'Amonrâ, le seigneur de « Diospolis, le roi des dieux, le grand dieu de Tanis, je <t te le répète, je ferai donner au prince Inarôs une sépul« ture grande et belle ». L'instant que Pémou entendit ces paroles, il dit « Pharaon, mon grand maître, les paroles « que tu as prononcées sont comme du baume pour les. gens de Mendès, qui échapperaient à ma vengeance « Par Atoumou, le maître d'Héliopolis, par Râ-Horus« Khoproui-Marouîti, le dieu grand, mon dieu, qu'il ras<: semble les hommes d'Égypte qui dépendent de lui, et « je lui rendrai le coup qu'il m'a porté 1 (2) » Pharaon dit « Mon fils Pémou, ne quitte pas les voies de la sagesse, « si bien que des désastres se produisent de mon temps (1) Cette phrase correspond à quinze lignes de texte, trop mutilées pour que j'en puisse tenter la restitution.
(2) Pémou, comprenant que Pharaon a des intentions pacifiques, s'en indigne et il demande que la querelle soit. vidée par les armes.

« en Égypte » Pémou inclina la tête et sa face s'attrista. Le roi dit « 0 scribe, que l'on envoie des messagers « dans tous les nomes de l'Égypte, depuis Éléphantine « jusqu'à Souânou (1), afin de dire aux princes des nomes « Amenez votre lecteur (2), et vos taricheutes de la mai« son divine, vos bandelettes funéraires, vos parfums à « la ville de Busiris-Mendès, afin que l'on lasse ce qui « est prescrit pour Hapis, pour Mnévis, pour Pharaon le « roi des dieux, célébrant tous les rites en l'honneur du « prince Inarôs, selon ce que Sa Majesté a commandé. » Et, quand les temps furent accomplis, les pays du Sud s'empressèrent, les pays du Nord se hâtèrent, l'Ouest et l'Est accoururent, et tous ils se rendirent à Busiris-Mendès. Alors le grand chef de l'Est, Pakrour, dit « Mon fils « Pémou, vois les gens des nomes de l'Est, qu'ils prépa« rent leurs bandelettes funéraires, leurs parfums, leurs « taricheutes de la maison divine, leurs chefs-magiciens « et leurs aides qui viennent au laboratoire qu'ils se « rendent à Busiris, qu'ils introduisent le corps du défunt « roi Inarôs dans la salle de l'embaumement, qu'ils « l'embaument et l'ensevelissent de l'ensevelissement le plus considérable et le plus beau, tel que celui qu'on « fait pour Hapis et pour Pharaon le roi des dieux! Qu'on « le traite ainsi, puis qu'on le dépose dans sa tombe sur le parvis de Busiris-Mendès (3) » Après quoi, Pha(1) Le nom Souânou est celui que portait Assouan dans 1 antiquité, mais il "'applique ici à une ville du Delta, et Spiegelberg, l'identifiant avec le nom biblique Sin (Ézéchiel, xxx, 1S), conjecture qu'il désigne Péluse. Les Égyptiens de l'âge pharaonique disaient, pour exprimer la même idée, d'Aan<Mte à Nathd peut-être Souânou, qui remplace Nathô, doit-elle être cherchée plutôt dans les mêmes parages que celle-ci. (2) ëur les lecteurs, voir ce qui est dit plus haut, p. 25, note 4. (3) Ce passage semble montrer qu'à Busiris-Mendès les princes étaient enterrés en pleine ville, dans le temple d'Osiris de même, à Sais (Hérodote, If, CLXtx), on les ensevelissait dans le temple de Néith. Il devait en être ainsi dans tout le Delta, l'éloignement des deux chaînes de mon-

raon renvoya l'ost d'Égypte dans ses nomes et dans ses villes.
Alors Pémou dit au grand prince de l'Est, Pakrour « Mon père, puis-je donc retourner à Héliopolis, mon « nome, et y célébrer une fête, tandis que la cubasse de « mon père Inarôs reste dans l'île de Mendès, à Zaouî« phrê ? » Le grand prince de l'Est, Pakrour, dit « Ce « furent de grandes paroles, ô Soupditi, dieu de l'Est (1), « les tiennes quand tu dis « Tu vas contre la volonté « de mon prophète Inarôs, si tu peux rentrer à Héliopolis « sans que nous y rapportions la cuirasse avec nous ». Les deux seigneurs s'embarquèrent sur un yacht, ils voyagèrent jusqu'à ce qu'ils arrivassent à Tanis, ils coururent au pavillon d'audience devant le roi. L'heure que le roi aperçut les princes de l'Est, Pakrour et Pémou, et leur ost, son coeur en fut troublé, et il leur dit « Qu'est« ce là, mes seigneurs? Ne vous ai-je donc pas envoyés « vers vos nomes, vers vos cités et vers vos nobles « hommes, pour qu'ils célébrassent en .l'honneur de mon « prophète Inarôs des funérailles grandes et belles? 2 « Qu'est-ce donc que cette conduite fâcheuse de votre « part? » Le grand chef de l'Est, Pakrour dit « Mon « seigneur grand, pouvons-nous donc retourner à Hélio« polis sans rapporter avec nous/dans nos nomes et dans « nos cités, la cuirasse du prince Inarôs, ce qui est une « honte pour nous dans toute l'Égypte? Pouvons-nous « célébrer pour lui les fêtes des funéraiMes tant que sa cui- J.. « rasse est dans la forteresse de Zaoulphré,et que nous « ne l'avons pas rapportée à sa place première dans tagne ne permettant pas qu'on établit les cimetières sur la lisière du désert, comme c'était le cas dans la vallée.
(1) Soupditi, nommé ailleurs Soupdou (cfr. p. 94, note 3), le dieu de l'Est, est le dieu de Pakrour. Il est représenté d'ordinaire sous la forme d'un épervier accroupi et coiffé de deux plumes.

« Héliopolis ? ? Pharaon dit « 0 scribe, porte le mes« sage de mon ordre à la forteresse de Zaouiphrê, au « grand seigneur d'Amon dans Thèbes, disant « Ne « tarde pas de venir à Tanis pour certaine chose que je <t désire que tu fasses ? » Le scribe ferma la lettre, il la scella, il la remit aux mains d'un homme de couleur. Celui-ci ne tarda pas d'aller à Zaouîphrê; il mit la dépêche aux mains du grand seigneur d'Amon dans Thèbes, qui la lut et qui ne tarda pas de se rendre à Tanis, à l'endroit où Pharaon était. Pharaon dit « Grand seigneur « d'Amon dans Thèbes, vois, la cuirassse de l'Osiris, le « roi Inarôs, qu'elle soit renvoyée à sa place première, « qu'elle soit rapportée à Héliopolis, dans la maison de « Pémou, aux lieux où tu l'as prise ». L'instant que le grand seigneur d'Amon dans Thèbes l'entendit, il baissa la tête et son visage s'assombrit Pharaon l'interpela trois fois mais il ne répondit mot.
Alors Pémou s'avança en face de Pharaon et il dit « Nègre, Éthiopien, mangeur de gomme (1), est-ce ton « dessein par confiance en ta force de te battre avec moi « devant Pharaon? » Lorsque l'armée d'Égypte entendit « ces paroles, elle dit « Le grand seigneur d'Amon dans « Thèbes désire la guerre » Pémou dit « Par Atoumou, « le seigneur d'Héliopolis, le dieu grand, mon dieu, n'était « l'ordre donné (2) et le respect dû au roi qui te protège~ « je t'infligerais sur l'heure la mauvaise couleur! (3) H. Le grand seigneur d'Amon dans Thèbes dit « Par la vie « de Mendès) le dieu grand, la lutte qui éclatera dans le (1) Voir, ce qui est dit plus haut, p. 164, note 1, du présent volume c'est la haine contre Thèbes qui vaut au grand seigneur d'Amon cette insulte. (2) Le roi avait défendu plus haut (cfr. p. 235-236 du présent volume) que l'on songeât à se battre de son temps.
(3) Comme l'a vu Krail (der Demotische Roman, p. H), la couleur mauvaise, c'est la couleur de la mort, la teinte livide qui se répand sur le corps. lorsque la vie s'est éteinte.

« nome, la guerre qui éclatera dans la cité, soulèvera « clan contre clan, fera marcher homme contre homme, « au sujet de la cuirasse, avant qu'on l'arrache de la for« teresse de Zaouîphrê ». Le grand chef de l'Est, Pakrour, dit devant Pharaon « Est-ce bien beau ce que « le grand seigneur d'Amon dans Thèbes a fait et les « paroles qu'il a prononcées « Pharaon verra qui de nous « est le plus fort ? » Je ferai retomber sur le grand seigneur « d'Amon dans Thèbes et sur le nome de Mendès la honte « de leurs actes et de leurs paroles, celles qu'ils ont pro« noncées parlant de guerres civiles je les rassasierai de « guerre, et je m'évertuerai à ce que la bataille et la guerre « ne surgissent pas en Égypte aux jours de Pharaon. « Mais si on m'y autorise, je montrerai à Pharaon la guerre« entre gens de deux écussons (1). Tu seras alors témoin « de ce qui arrivera! Tu verras la montagne tressauter« jusqu'au ciel qui s'étend au-dessus de la terre et celle-ci « trembler tu verras les taureaux de Pisapdi, les lions de « Métélis et leur façon de combattre, le fer se tremper x après que nous l'aurons chauffé dans le sang. » Pha-.raon dit « Non, ô notre père, grand chef de l'Est, Pa« krour, prends patience et ne t'inquiète pas non plus. Et. « maintenant allez chacun à vos nomes et à vos villes, « et je ferai prendre la cuirasse du défunt roi Inarôs et.« la rapporter en Héliopolis à l'endroit d'où elle fut en« levée, la joie devant elle, l'amour derrière elle. Si tu « doutais [de cela] une grande guerre éclatera [donc] fais (1) Pakrour, entrant dans les bonnes intentions de Pharaon et voulant. pourtant donner satisfaction à Pémou, propose un duel entre les a deux écussons », c'est-à-dire entre les deux factions rivales représentées chacune par les armoiries du nome d'où leur chef était originaire de la sorte on évitera que la guerre civile se répande sur l'Égypte entière. La suite du récit prouve que cette proposition n'est pas, acceptée un combat en champ clos est décidé, qui mettra aux prises~Ies forces de tout. le pays.

« qu'il n'y ait aucune guerre chez nous. Si cela vous plaît, « accordez-moi cinq jours, et, par la vie d'Amonrâ, le « maître, le roi des dieux, mon grand dieu, après que « vous serez rentrés dans vos nomes et dans vos cités, je « ferai rapporter la cuirasse à sa place première ». Pharaon se tut, il se leva, il s'avança, et Pémou le petit alla devant Pharaon et dit « Mon grand Seigneur, « par Atoumou le dieu grand, si l'on me donne la cuirasse « et que je la prenne à Héliopolis, sans l'avoir enlevée de « force, alors, les lances reposeront en Égypte, à cause « de cela. Mais quand même l'armée du pays Entier re« tournerait dans ses foyers, je marcherais au nom de «mon prophète Inarôs et je rapporterais sa cuirasse à « Héliopo!is )).
Le grand seigneur d'Amon dans Thèbes dit « Pha« ruon, notre maître grand, puisses-tu parvenir à la « longue vie de Rà, puisse Pharaon ordonner au scribe de « porter ma voix dans mes nomes et dans mes villes, à « mes frères, à mes compagnons, à mes charriers, qui « sont de mon clan, afin qu'ils m'entendent ». Pharaon dit « Allons, qu'on m'amène un scribe ». Quand il fut venu, d'ordre de Pharaon, il écrivit aux gens du nome de Mendès (1), ainsi qu'à Takhôs, le chef des milices du nome et à PhrAmoon!, le fils d'Ankhhorou, disant « Faites « vos préparatifs vous et vos gens. Qu'il leur soit donné « des provisions, des vêtements, de l'argent de la maison « du roi et qu'ils reçoivent leurs ordres de départ et qui « n'a point d'armes et de fourniment qu'on les leur donne « de l'argent de mon trésor, puis qu'ils viennent avec (1) Ce membre de phrase représente deux lignes de texte qui sont trop mutilées pour qu'on puisse les traduire. Les dix lignes suivantes sont un peu mieux conservées; toutefois Spiegelberg n'en a qu'imparfaitement restitué le contexte (de;' .'t'ag~i/f'e~ des ~ô/)!~Petubaslis, p. 52-53), et je ne suis pas sûr d'en avoir rétabli le sens correctement.

<( mol à l'étang de la Gazelle (1), qui sera le lieu d'abor« dage des princes, des archontes, des chefs de milices « en vue de la lutte de ville contre ville, nome contre « nome, clan contre clan, qui va s'engager. De plus qu'on « envoie aux maisons d'Ankhhorou, fils de Harbîsa, le « prince du canton de Palakhîtit. Qu'on envoie également « aux maisons de Teniponi le fils d'Ouzakaou, le prince « de. ». Alors les princes de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, envoyèrent chercher leurs armées, et Ankhhorou, le fils de Pharaon, envoya à ses villes et à ses frères, les enfants de Pharaon, et ils se rangèrent devant le pavillon de Pharaon, chacun selon ses nomes et de ses villes. Ainsi fut fait. L'heure que Pémou le petit entendit le nom des princes et des armées des nomes et des villes auxquelles le grand seigneur d'Amon dans Thèbes avait envoyé, il pleura comme un petit enfant. Le grand chef de l'Est, Pakrour, le regarda et il vit que sa face était trouble et qu'il était triste en son cœur, et il dit « Monuts, chef des milices, Pémou le petit, « ne te trouble pas Quand ils entendront ce qui arrive, « tes alliés à toi te rejoindront eux aussi ». Le grand chef de l'Est, Pakrour, dit à Pharaon « Fais venir Sounisi, « le fils d'Ouazhor, le scribe, afin qu'il écrive un ordre « à nos nomes et à nos villes, à nos frères, à nos hom« mes ». Pharaon dit « Scribe, fais tout ce qui te sera <t commandé! ? Le grand chef de l'Est, Pakrour, dit: « Scribe )) Celui-ci lui dit « A tes ordres, mon grand « maître! » Le grand chef de l'Est, Pakrour, dit « Fais (1) Le texte emploie pour désigner cette localité une expression un peu longue, « le lac de la Gazelle, qui est le f~'rMA de la ville de la déesse « Ouotit, la dame de la ville d'Amtt », peut-être Tell-Mokdam de nos Jours, « qui est le Didou de 1 Hathor de Mafktt )), une petite ville située dans le XIX' nome du Delta (cf. Spiegelberg, der Sagenkreis des ~ôy!:y< /'f<M<'as<t~, p. 52. note 2). Pour éviter les longueurs, je traduirai partout < le lac de la Gazelle t, en supprimant les épithètes.
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a une dépêche pour Harouî, fils de Pétékhonsou, le gref« fier des quartiers de ma ville et des affaires des gens « qui y habitent, disant: « Fais tes préparatifs avec « l'ost du nome de l'Est. Qu'il leur soit donné des pro« visions, des vêtements, et à celui qui n'a point t « d'armes et de fourniment qu'on les lui donne de mon « trésor (1), et qu'ils partent en campagne, mais qu'ils « s'abstiennent de tout acte de violence jusqu'à ce que « je mouille au Lac de la Gazelle pour la lutte qui va s'en« gager de nome à nome et de clan à clan, au sujet de « Pémou le petit, le fils d'Inarôs, et de la cuirasse du « prophète, le défunt prince Inarôs, car Pémou le petit « va se battre avec le grand seigneur d'Amon dans Thèbes, « à propos de la cuirasse d'Inarôs que celui-ci a emportée « dans la forteresse de Zaouîphrê, laquelle est dans l'île « du nome de Mendès! »
« Fais une autre dépêche pour le nome de l'Est, pour la « ville de Pisapdi, pour le chef des soldats, Pétékhonsou, « disant « Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes che« vaux, ton bétail, tOD yacht, et les hommes de l'Est qui « doivent te suivre tous, et ce, au sujet de la cuirasse du « prophète, le défunt prince Inarôs, que le grand seigneur « d'Amon dans Thèbes a emportée dans la forteresse de « Zaouîphrê. Je te rejoindrai au lac dela Gazelle, à cause « de la querelle qui vient d'éclater ».
« Fais une autre dépêche pour Phrâmoonî, le fils de « Zinoufi, le prince de Pimankhi (2), dans les termes indi« qués ci-dessus.
« Fais une autre dépêche pour le prince Mînnemêî, le « fils d'Inarôs, d'Éléphantine, ainsi que pour ses trente(i) Il semble qu'ici le scribe ait passé une ligne. Je rétablis la formule dans son intégrité d'après ce qu'on a lu plus haut, p. 240.
(2) Peut être cette ville est-elle identique à celle de même nom qui est mentionnée sur une stèle des carrières de Masara (Spiegelberg, der SagenAreM des Konigs Petubastis, p. 54, note 10;.

« trois hommes d'armes, ses écuyers, ses chapelains, ses « mercenaires éthiopiens, ses fantassins, ses chevaux, «sonbétail.
« Fais une autre dépêche à Pémou, le fils d'Inarôs le « petit, au poing fort, disant « Fais tes préparatifs ainsi « que ton ost, tes hommes d'armes, tes sept chapelains », « dans les termes indiqués ci-dessus.
« Fais une autre dépêche à Busiris, pour Bakloulou, le « fils d'Inarôs, disant « Fais tes préparatifs avec ton <[ ost » dans les termes indiqués ci-dessus.
« Fais une autre dépêche à l'île d'Héracléopolis, à « Ankhhorou le manchot, disant « Fais tes préparatifs « avec ton ost ainsi que tes hommes d'armes », et fais « un autre ordre pour Mendès, le fils de Pétékhonsou et « pour ses chapelains, dans les termes indiqués ci-dessus. « Fais une autre dépêche à Athribis pour Soukhôtês, « le fils de Zinoufi, disant « Fais tes préparatifs ainsi « que ton ost et tes hommes d'armes ».
« Fais une autre dépêche à Ouilouhni, le fils d'Ankh« horou, le prince de la forteresse de Méitoum, disant <( Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes mercenaires, « tes chevaux, ton bétail »
« Fais enfin une autre dépêche au grand chef de l'Est, « Pakrour, à ses nomes et à ses villes, disant « Faites « vos préparatifs pour le lac de la Gazelle! »
Or, après cela, le grand chef de l'Est, Pakrour, dit « Mon fils Pémou, écoute les paroles que le scribe a dites « pour toi dans tes dépêches à tes nomes et à tes villes. « Va-t'en vite, préviens le grand seigneur d'Amon dans « Thèbes et sois le premier en force sur les lieux, à la « tête de tes frères qui sont de ton clan, si bien qu'ils t'y « trouvent tout rendu car, s'ils ne t'y trouvaient pas, ils « retourneraient à leurs nomes et à leurs villes. Moi« même je m'en irai à Pisapdi et j'encouragerai l'ost afin

« qu'il ne faiblisse pas, et je le ferai aller à l'endroit où « tu seras ». Pémou le petit dit « Mon cœur est content « de ce que tu as dit ». Après cela, les hauts personnages se rendirent à leurs nomes et à leurs villes. Pémou le petit partit, il monta sur une galée neuve qui était fournie de toute sorte de bonnes choses sa galée descendit le courant, et, après un certain temps, Pémou arriva au lac de la Gazelle, et on lui indiqua une place pour s'y installer en son privé.
Or, tandis que tout cela s'accomplissait, on vint l'annoncer devant le chef des milices, le grand seigneur d'Amon dans Thèbes, disant « Pémou le petit vient « d'aborder au lac de la Gazelle; il s'y est établi en son « privé et il est là seul avec Zinoufi, son jeune écuyer. « Fais donc tes préparatifs ainsi que ton ost, et que celui-ci « se hâte de s'armer. Que les gens de Tanis, de Mendès, « de Tahaît et de Sébennytos partent avec toi, et qu'ils se « concertent bien avec toi afin de livrer bataille à Pémou « le petit. Car celui-ci t'a précédé, et ils ne sont là que « deux faibles. Les nomes et les villes qui sont avec toi, « ordonne-leur de se rendre au champ de bataille, et de « l'attaquer au Sud, au Nord, à l'Est, à l'Ouest; ils ne « cesseront point les attaques qu'ils n'aient détruit sa vie. « Quand ses frères viendront et qu'ils sauront sa mort « tragique, leur cœur en sera brisé en eux et leur force en « sera amoindrie; ils retourneront à leurs villes et à leurs « nomes, sans que rien ne retienne leurs pieds, et la cui« rasse d'Inarôs ne sortira jamais de tes maisons ». Il dit: « Par la vie de Mendès, le dieu grand C'est bien à cette « intention que j'ai convoqué Mendès et les quatre nomes « qui sont avec moi! Qu'on m'arme une galée! » On la lui arma à l'instant, et le grand seigneur d'Amon dans Thèbes s'embarqua avec son ost et ses hommes d'armes. Or il arriva que l'ost et les hommes d'armes de sa ville

étaient prêts et ils partirent avec les bandes de l'ost des quatre nomes. En peu de temps le grand seigneur d'Amon dans Thèbes parvint au lac de la Gazelle il s'informa aussitôt, et il apprit que Pémou le petit y était venu avant lui. Quand le grand seigneur d'Amon dans Thèbes eut amené les siens au lieu où Pémou se trouvait au lac de la Gazelle, il dit « Battons-nous en duel une heure durant, « jusqu'à ce que l'un de nous deux ait vaincu l'autre. » L'heure que Pémou le petit entendit ces paroles, son cœur se troubla sur le champ, et il pensa « Je m'étais « dit qu'il n'y aurait pas de bataille avant que mes frères « m'eussent rejoint, car ma défaite découragerait l'ost « des nomes de l'Égypte lorsqu'il arriverait ici ». Toutefois la réponse de Pémou fut « Je suis prêt au combat » Zinoufi, son jeune écuyer, se mit à pleurer et dit « Te « protège mon Dieu, que ton bras soit heureux, et puisse « Dieu t'être pitoyable Tu sais bien qu'un seul au milieu « d'une multitude est en mauvaise posture et qu'un nome « est perdu s'il est seul. Dois-je te nommer les bandes « qui sont ici avec le grand seigneur d'Amon thébain, « celles de Tanis, celles de Mendès, celles de Tahaît, « celles de Sébennytos, ainsi que les hauts personnages « qui sont avec lui? Vois, tu entres en lice contre lui, sans « qu'un seul de notre clan soit avec toi. Hélas, s'il s'at« taque à toi, sans que nul de tes hommes d'armes soit « auprès de toi Par Atoumou, toute une armée s'approche « pour toi du champ de bataille et elle te sauvera la vie, « une grande vie ue la jette pas à la destruction par « témérité! » Pémou dit « Mon frère Zinoufi, tous les « mots que tu as dits, je les ai pensés moi-même. Mais « puisque les choses sont telles qu'il ne peut plus ne pas « y avoir de bataille jusqu'à ce que mes frères m'aient « rejoint, j'abattrai les gens de Mendès, j'humilierai « Tanis, Tahaît et Sébennytos qui ne me comptent point

« parmi les vaillants. Puisqu'il en est ainsi, mon frère « Zinoufi, aie bon courage et qu'on m'apporte l'armure « d'un hoplite! » On la lui apporta sur le champ et on Fétendit devant lui sur une natte de roseaux frais. Pémoùallongea sa main et il saisit une chemise faite de byssus multicolore, et sur le devant de laquelle étaient brodées des figures en argent, tandis que douze palmes d'argent et d'or décoraient le dos. Il allongea ensuite sa main vers une seconde chemise en toile de Byblos et en byssus de la ville de Panamhou, brochée d'or, et il l'endossa. Il allongea ensuite sa main vers une cotte teinte, longue de trois coudées et demie de laine fine, dont la doublure était en byssus de Zalchel, et il l'endossa. Il allongea ensuite sa main vers son corselet de cuivre, qui était décoré d'épis d'or et de quatre figures mâles et de quatre figures féminines représentant les dieux du combat, et il l'endossa. Il allongea sa main vers une grève d'or fondu et il l'emboîta à sa jambe, puis il saisit de sa main la seconde grève d'or et il l'emboîta à sa jambe. II attacha ensuite les courroies, puis il posa son casque sur la tête et il se rendit à l'endroit où était le grand seigneur d'Amon dans Thèbes (1). Celui-ci dit à son écuyer « Par Mendès, mon jeune « écuyer, apporte-moi mon armure » On la lui apporta sur le champ, il l'endossa, et il ne tarda pas aller à l'endroit où devait avoir lieu la bataille. Il dit à Pémou « Si tu es prêt, battons-nous l'un contre l'autre » Pémou accepta et la bataille s'engagea, mais bientôt le grand seigneur d'Amon dans Thèbes eut l'avantage (2). Quand (t~) Le texte décrivait ici, en vingt-sept lignes la forme, l'étoffe, lejnëtal, le décor de chaque pièce de l'armure par malheur il est fort mutilé et le détail n'en peut pas être rétabli. J'ai  me contenter d'en indiquerle sens général.
(2) Ici encore le texte est trop mutilé pour qu'on puisse le rendre en entier; j'ai dû resserrer en quelques mots le contenu probable d'environ dix-huit lignes.

Pémou s'en aperçut, son cœur en fut troublé. Il fit un signe avec la main et il dit à Zinoufi, son jeune écuyer « N'hésite pas à courir au port, afin de voir si nos amis « et nos compagnons n'arrivent pas avec leur ost ». Zinoufi se mit en branle (1), et il n'hésita pas à courir au port; il attendit une heure, il observa pendant un temps du haut de la berge. Enfin il leva son visage et il aperçut un yacht peint en noir avec un bordage blanc, tout garni de gabiers et de rameurs, tout chargé de gens d'armes, et il reconnut qu'il y avait des boucliers d'or sur les bordages, qu'il y avait un haut éperon d'or à la proue, qu'il y avait une image d'or à sa poupe, et que des escouades de matelots manœuvraient aux agrès derrière lui suivaient deux galèrea, cinq cents flûtes, quarante baris et soixante petits bateaux avec leurs rameurs, si bien que le fleuve était trop étroit pour ce qu'il y avait de vaisseaux, et la berge était trop étroite pour la cavalerie, pour les chariots, pour les machines de guerre, pour les fantassins. Un chef était debout dans le yacht. Zinoufi appela à voix haute et il cria bien fort, disant « 0 vous gens de la « flotte blanche, gens de la flotte verte, gens de la flotte « bariolée, qui de vos bateaux aidera la race de Pémou le « petit, le fils d'Inarôs Accourez vers lui à la lice, car « il est seul dans la bataille. Il n'y a ni calasiris (2), ni « piétons, ni cavaliers, ni chars avec lui contre le grand « seigneur d'Amon dans Thèbes. Les gens de Tanis, ceux « de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, ils « aident le grand seigneur d'Amon dans Thèbes, leur a dieu, qui réside dans la forteresse de Zaouîphrê. Ses « frères, ses alliés, ses gens d'armes le soutiennent tous M. Sur l'heure que les gens du yacht l'entendirent, un calail) Litt. <t Zinoufi trouva [ses jambes]
(2) C'est le nom qu'Hérodote (H, CLXiv-CLxvi) donnait à l'une des classes parmi lesquelles l'armée se recrutait; cf. p. 274 du présent volume.

siris se leva sur la proue disant « Malheur terrible, celui « que nous annoncent tes lèvres, en nous révèlant que « Pémou et son clan se battent contre le grand seigneur « d'Amon dans Thèbes ». Zinoufi revint pour porter la nouvelle. Il tourna ses pas vers l'endroit où était Pémou, et il le trouva engagé contre le grand Seigneur d'Amon dans Thèbes son cheval avait été tué et gisait a terre. Zinouii s'écria « Combats, mon dieu Pémou, tes frères, « les enfants d'Inarôs, ils accourent vers toi! » Lorsque le grand seigneur d'Amon dans Thèbes, vit que Zinoufi revenait, il commanda aux gens de Tanis, à ceux de Mendès, à ceux de Tahaît, à ceux de Sébennytos, de redoubler d'efforts contre Pémou (1). Zinoufi, le jeune écuyer, trouva Pémou le cœur troublé, le visage inondé de larmes, à cause de son cheval, disant « T'ont-ils donc « tuée, ma bonne bête? » Quand il entendit Zinoufi, il releva son visage et il aperçut un yacht garni de gabiers et de rameurs, chargé de gens d'armes et de matelots qui chantaient au vent et qui accouraient à la bataille. Il cria d'une voix haute à son petit écuyer Zinoufl « Frère, « qui sont ces gens-là? » « C'est le clan d'Inarôs, qui « accourt à l'aide de Pémou le petit, le fils d'Inarôs ». Pétékhonsou, le frère de Pémou, qui était à leur tête, défia Ankhhorou, le fils de Pharaon lors, la mêlée générale fut suspendue d'un commun accord et ils s'armèrent pour un combat singulier. Lors un messager ne tarda pas d'aller au lieu où le Pharaon Pétoubastis était pour lui raconter ce qui s'était passé entre Pétékhonsou et Ankhhorou', l'enfant du roi. Lorsque Sa Majesté l'apprit, elle devint furieuse « Qu'est-ce que cette mauvaise action? « voici-t-il pas que malgré mes ordres, Ankhhorou, « l'enfant du Pharaon, se bat avec le taureau dangereux (1) Une fois de plus je suis obligé de condenser en quelques mots le sens de plusieurs lignes, douze environ, qui sont à moitié détruites.

« des gens de l'Est! Par Amonrâ, le roi des dieux, mon « dieu grand, malheur à l'ost de Pisapdi! Honte aux gens « d'Athribis, à l'ost du nome de Mendès, qui écrasent les « bandes de Sébennytos en lutte à propos du clan des « hauts personnages, princes, fils du prophète Inarôs 1 La a « bannière du prince Inarôs est abaissée jusqu'à ce que « leurs alliés arrivent (1). Qu'on se prépare pour la lice, « pour le cercle du champ clos. On a répété des men« songes au prince Pétékhonsou, pour qu'il ne joute pas « avec Ankhhorou, l'infant royal, mon fils, et qu'il ne lève « pas son fanion avant que toutes les bandes n'aient « débarqué et qu'on ait érigé les étendards (2) devant « Pharaon pour le cercle du champ clos ». L'ost des deux sceptres et les gens des deux boucliers (3) se mirent donc en chemin. Quand Pharaon arriva à l'endroit où Pétékhonsou était, il aperçut les pages de Pétékhonsou et Pétékhonsou lui-même qui endossait une cuirasse de fer solide. Pharaon s'avança et dit « N'aie pas le mauvais « œil mon enfant, chef des milices, Pétékbonsou; n'en« gage pas la guerre, ne combats pas jusqu'à ce que tes « frères soient arrivés, ne lève pas ta bannière jusque ce « que ton clan soit venu Pétékhonsou vit que le Pharaon Pétoubastis se posait la couronne sur la tête Pété(1) J'ai résumé dans cette seule phrase tout un long passage mutilé de quarante-sept lignes qui contenait le défi de Pétékhonsou, la réponse d'Ankhhorou, les préparatifs du combat, et le début du discours de Pharaon j'ai essayé de rendre le sens général du morceau plutôt que d'en donner la teneur exacte.
(~)Il semble qu'au moment d engager le combat, deux troupes ou deux individus plantaient en terre, à chaque extrémité de la lice ou du champ de bataille, un fanion à côté duquel ils se retiraient après chaque reprise vers la fin de la journée, si aucun des étendards n'avait été enlevé de vive force, ce qui assurait la défaite/on les abattait pour marquer la suspension des hostilités. L'expression ~p~'t??ie<' le /a«'o?t, correspond dans nos textes à ~uc/ .Me)' une ~M', M't (n'M:ce; cf. plus loin, p. 2~8, note 1, du présent volume.
(2) En d'autres termes, les troupes de Pharaon, sa garde royale.

khonsou le loua et lui adressa la prière usuelle, et il n'engagea pas la bataille ce jour-là. Pharaon fit inscrire sur une stèle de pierre un rescrit en l'honneur du prince Pétékhonsou (1).
Or, tandis que tout cela arrivait, le yacht du grand chef de l'Est, Pakrour, aborda au lac de la Gazelle, et les transports de Pétékhonsou et des gens d'Athribis poussèrent plus au Nord on assigna un appontement à leurs transports et on attribua un appontement aux transports d'Ankhhorou le fils de Panemka. On attribua un appontement aux transports des gens d'Héliopolis et aux transports des gens de Sais. On attribua un appontement aux transports de Minnémêî le prince d'Éléphantine. On attribua un appontement aux transports de Phrâmoonî, le fils de Zinouti, et à l'ost de Pimankhi. On attribua un appontement à Pebrekhaf, le fils d'Inarôs, et à l'ost du nome de Sais. On attribua un appontement au yacht du chef Bakloulou, le fils d'Inarôs, et à l'ost du nome de Busiris. On attribua un appontement au yacht d'Ouilouhni, le fils d'Ankhhorou, et à l'ost de Méitoum. On attribua un appontement à Ouohsounefgamoul, fils d'Inarôs. On attribua un appontement au yacht de Pémou le petit, au poing vigoureux, et aux autres fils du prince d'Inarôs, ainsi qu'aux frères du chef des soldats Pétékhonsou, et à ceux du clan du prophète Inarôs. Qui voit l'étang et ses oiseaux, le fleuve et ses poissons, il voit le lac de la Gazelle avec la faction d'Inarôs Ils mugissaient à la façon des taureaux, ils étaient imbus de force comme des lions, ils faisaient rage ainsi que des lionnes. On vint donc l'annoncer à Pharaon disant « Les deux factions sont arrivées « elles semblent des lions pour leurs cuirasses et des tau« reaux pour leurs armes ». On dressa alors une estrade (1) C'était afin de célébrer à tout jamais l'acte d'obéissance de Pétékhonsou envers son suzerain.

élevée pour le roi Pétoubastis, et on dressa une autre estrade pour le grand chef de l'Est, Pakrour, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Takhôs, le fils d'Ankhhorou, et on en dressa une autre pour Pétékhonsou en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ouilouhni, le commandant des soldats de Méitoum, et on en dressa une autre pour le fils royal Anoukhhorou, le fils de Pharaon Pétoubastis, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Psintalês, le fils de Zaouîrânamhaî, le prince du grand cercle de Hanoufi, et on en dressa une autre pour Phrâmoonî, le fils de Zinoufi, le prince de Pimankhi, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ankhhorou, le fils de Harbîsa, le prince du canton de Pilakbîti, et on en dressa une autre pour Pétékhonsou de Mondes en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ankhhophis, le fils de Phrâmoonî, le prince de Pzoéis, et on en dressa une autre pour Soukbôtès, le fils de Tafnakhti d'Athribis, en face de celle-là. L'ost des quatre nomes était rangé derrière le grand Seigneur d'Amon dans Thèbes, et l'ost du nome d'Héliopolis derrière Pémou le petit.
Alors Pharaon dit « 0 grand chef de l'Est, Pakrour, « je vois qu'il n'y a personne qui puisse empêcher les « deux boucliers de se choquer, nome contre nome et « chaque ville contre sa voisine ». Le grand chef de l'Est sortit revêtu d'une cotte lamée de bon fer et de bronze coulé, ceint d'une épée de combat en bon fer coulé, et de son poignard à la mode des gens de l'Est, coulé en une seule pièce de sa poignée à sa pointe affilée. Il saisit une lance en bois d'Arabie pour un tiers, en or pour un autre tiers, et dont un tiers était de fer, et il prit à la main un bouclier d'or. Le grand chef de l'Est, Pakrour, se tint au milieu des bandes de l'Égypte, entre les deux sceptres et les deux boucliers, et il interpella à haute voix ses chève-
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taines, disant « Sus, toi, chef des milices, Grand sei« gneur d'Amon dans Thèbes C'est à toi qu'il appartient « de combattre Pémou, le chef des soldats, le petit, le fils « d'Inarôs, avec qui marchent les sept gens d'armes qui « étaient dans le camp du fils divin, du prince Inarôs et « vous, gens du nome d'Héliopolis, placez-vous en face des « bandes nombreuses du nome de Mendès. Sus toi, chef « des soldats, Pétékhonsou! C'est à toi qu'il appartient de « combattre~Ankhhprou, l'infant royal, le fils de Pharaon « Pétoubastis. Sus, vous Psitouêris, fils de Pakrour, Phrâ« moonî, fils d'Ankbhorou, Pétékhonsou, fils de Bocchoris, « et toi, sus, ost de Pisapdi. C'est à vous qu'il appartient « de combattre l'ost du nome de Sébennytos. Sus, vous, « Phrâmoonî, fils de Zinoufi, et ost de Pimankhî! C'est « à vous qu'il appartient de combattre l'ost du nome de « Tanis. Sus toi, Soukbôtés, le fils de Zinoufi, le chef « de l'ost du nome d'Athribis C'est à toi qu'il appartient « de combattre, ainsi qu'à Ankhhorou, le fils de Hâr« bisa, le prince de Tiôme, le chef des troupeaux de « Sakhmi » II les appareilla homme contre homme, et grande était leur prouesse, grande leur ardeur meurtrière Or, après cela, il arriva que le grand chef de l'Est, Pakrour, se détourna au milieu de la mêlée, et qu'il aperçut un calasiris de haute taille et de belle mine, qui se tenait debout sur le brancard d'un chariot neuf et bien décoré. Il était couvert de son armure et de toutes ses armes, et il avait quarante gens d'armes avec hr, fermes et droits sur leurs quarante chevaux, et quatre mille fantassins marchaient à sa suite, armés de pied en cap, et quatre mille autres soldats étaient derrière lui bien équipés. Il leva la main devant le grand chef de l'Est, Pakrour (1), disant « Sois-moi favorable, ô Baal, (1) C'est le geste de l'adoration, par lequel on saluait les dieux, Pharaon et les gens de.bonne famille.

« grand dieu, mon Dieu Qu'as-tu donc que tu ne m'as pas « donné une place au combat, afin de me ranger parmi « mes frères, les fils du prince Inarôs, mon père. » Le prince de t'Est, Pakrour, lui dit « Lequel es-tu des « hommes de notre clan? » Le calasiris lui dit « En « vérité, mon père, prince de l'Est, Pakrour, je suis Mon« toubaal, le fils d'Inarôs, qui avait été envoyé contre le « pays de Khoîris (1). Par ta prouesse, mon père, prince « de l'Est, Pakrour, j'étais énervé et je ne pouvais dor« mir dans ma chambre, quand je songent un songe. « Une chanteuse des paroles divines se tenait près de « moi (2) et me disait « Montoubaal, fils dInarôs, mon « fils, cours autant que tu peux courir! 1\e tarde pas plus « longtemps, mais monte en Égypte, car j'irai avec toi « au lac de la Gazelle, à cause de la bataille et de la « guerre que mènent l'ost de Mendès et le clan de Hamakbouiti, le fils de Smendèa, contre tes frères et contre « ton clan, à cause de la cuirasse qu'on a emportée dans « la forteresse de Zaouîphrê. » 0 mon père, prince de « l'Est, Pakrour, qu'on m'assigne une place dans la lice « car si on ne me la donne, que deviendrai-je, mon père, « prince de l'Est, Pakrour? » Le prince de l'Est, Pakrour, lui dit « Salut à toi, salut à toi, Montoubaal Tu arrives « avec tes bandes lorsque tout est déjà disposé toutefois, « puisque tu me demandes un ordre, voici l'ordre que je (1) C'est le Kharou des textes plus anciens (voir p. 116, note 4, du présent volume). La vocalisation Rhoiri nous est donnée pour l'époque saite et grecque par la transcription grecque Pkhoiris du nom de Pkhairi, le Syrien.
(?) Ainsi que Spiegelberg l'a remarqué, le mot que j'avais traduit ici par c/taK<fM)' est au féminin (</(;<' Sagenkreis des ~ôn:~ Pe<MtMM<n, p. 6' note 10). Comme ce sont d'ordinaire des divinités qui se montrent ainsi aux héros endormis, je crois que la chanteuse est une déesse, probablement une Ishtar ou une Astarté. Montoubaal. ayant vécu en Syrie, devait voir une déesse sémitique en songe, aussi naturellement qu'il jurait par le dieu sémitique Baal (cf. p. 25~, note 4, du présent volume).

« te donne. Reste sur ton yacht et n'envoie aucun de tes « gens à la bataille, car je ne te donnerai pas le signal du « combat avant que les bandes des nomes n'attaquent nos « vaisseaux alors, ne les laisse pas faire rage sur le « fleuve » Montoubaal lui dit « 0 mon père, prince de « l'Est, Pakrour, je resterai sur mon yacht » Pakrour lui montra le poste  il devait se placer et il monta sur son estrade pour suivre les péripéties de la bataille (1). Les deux factions se battirent donc depuis la quatrième heure du matin jusqu'à la neuvième heure du soir, sans que les gens d'armes cessassent de frapper l'un sur l'autre. Enfin Ankhhorou, fils de Harbisa, le prince de Tiômé, se leva pour délivrer un autre héros des bandes de Sébennytos et ils coururent vers le neuve. Or, Montoubaal était au fleuve sur son yacht il entendit la forte plainte qui s'élevait de l'ost et le hennissement des chevaux, et on lui dit « C'est l'est du nome de Sébennytos « qui fuit devant tes frères ». II dit « Sois avec moi, ô « Baal, le Dieu grand, mon dieu Voici, il est déjà la « neuvième heure et mon cœur est ému, pour ce que je « n'ai pris part à la bataille et à la guerre » Il endossa sa cotte et il saisit ses a'rmes de guerre, et il s'élança à .l'encontre de l'ost du nome de Sébennytos, des bandes de Mendès et de la forteresse de Zaouîphrê, de Tahait, des forces du Grand Seigneur d'Amon dans Thèbes. Il répandit la défaite et le carnage parmi eux, telle Sokhit en son heure de fureur, lorsque sa colère s'enflamme dans les herbes sèches. L'ost se dispersa devant lui, et l'on répandit la 'J'éfaite sous leurs yeux, le carnage parmi elles on ne se lassa pas de semer la mort au milieu d'elles. On le rapporta à Pharaon Pétoubastis et il ouvrit la bouche pour (1) Ces quelques lignes représentent en gros le sens probable de deux pages entières, qui sont trop mutilées pour que je me risque à les restituer de façon suivie.

un grand cri, il se jeta à bas de son estrade élevée. Pharaon dit « Grand chef de l'Est, Pakrour, rends-toi parmi « les soldats. On m'a rapporté que Montoubaal, le fils « d'Inarôs, répand la défaite et le carnage parmi l'ost des « quatre nomes. Qu'il cesse d'anéantir mon ost! » Le grand chef de l'Est dit « Plaise Pharaon se rendre avec « moi à l'endroit où Montoubaal est; je ferai qu'il cesse « d'égorger l'ost de l'Égypte » Pakrour endossa sa cotte, il monta dans une litière avec Pharaon Pétoubastis. Ils rencontrèrent Montoubaal, le fils d'Inarôs, sur le champ de bataille, et le grand chef de l'Est, Pakrour, dit « Mon « fils Montoubaal, retire-toi de la lice du combat. Est-ce « beau de répandre la défaite et la ruine parmi tes frères, « l'ost d'Égypte? » Montoubaal dit « Est-ce .beau ce « que ces gens-là ont fait d'emporter la cuirasse de mon « père Inarôs dans la forteresse de Zaouîpbrê, par ruse, « sans que tu aies fait tout ce qu'il fallait pour qu'ils nous « la rendissent ? » Le roi dit « Retiens ta main, ô mon « fils Montoubaal, et sur l'heure ce que tu as demandé se « produira. Je ferai rapporter la cuirasse à Héliopolis au <t lieu où elle se trouvait auparavant, et la joie marchera « devant elle, la jubilation derrière elle » Montoubaal fit .sonner le clairon dans son armée. On se retira hors de la lice et ce fut comme si personne ne s'était battu. Ils revinrent donc, Pharaon et Pakrour, avec Montoubaal, à la bataille, à l'endroit où Pémou était, et ils le trouvèrent engagé avec le Grand Seigneur d'Amon dans Thèbes. Pémou avait renversé à demi son adversaire sous son bouclier de joncs tressés il lança un coup de pied, il fit tomber le bouclier à terre et il leva sa main et son épée comme pour tuer. Montoubaal dit « Non, mon « frère Pémou, ne pousse pas ta main jusqu'au point de « te venger de ces gens-là, car l'homme n'est pas .commje~« un roseau qui, lorsqu'on lecou~J.~repousse.JPuisque

« Pakrour, mon père, et Pharaon Pétoubastis ont com« mandé qu'il n'y ait pas la guerre, qu'on fasse tout ce que « Pharaon a dit au sujet de la cuirasse, pour la rapporter « à sa place première, et que le Grand Seigneur d'Amon « dans Thèbes s'en aille, et qu'il rentre à sa maison. » Ils se séparèrent donc l'un de l'autre, mais il arriva ensuite que le chef des troupes, Pétékhonsou, engagea Ankhhorou, l'infant royal, et qu'il lui poussa une botte par manière de plaisanterie. Pétékhonsou sauta derrière lui d'un bond et il administra à Ankhhorou, l'infant royal, une botte plus dure que la pierre, plus brûlante que le feu, plus légère qu'un souffle d'haleine, plus rapide que le vent. Ankhhorou n'en put saisir ni l'exécution, ni la parade et Pétékhonsou le tint, renversé à demi devant lui, sous son bouclier de joncs tressés Pétékhonsou le jeta à terre, il leva son bras, il brandit sa harpé (1), et une plainte forte ainsi qu'une lamentation profonde s'élevèrent parmi l'armée de l'Égypte, au sujet d'Ankhhorou, l'infant royal. La nouvelle n'en demeura pas cachée à l'endroit où était Pharaon, à savoir « Pétékhonsou a ren« versé Ankhhorou, ton fils, à terre, et il lève son bras « et sa harpé sur lui pour l'anéantir ». Le roi Pharaon en conçut une grande angoisse. Il dit « Sois-moi pitoyable, « Amonrâ, seigneur roi de Diospolis, le dieu grand, mon « dieu J'ai agi de mon mieux'pour empêcher qu'il y,eût « bataille et guerre, mais on ne m'a pas écouté » Lorsqu'il eut dit ces choses, il s' hâta et il saisit le bras de Pétékhonsou. Le roi dit « Mon fils Pétékhonsou, con« serve-lui la vie, détourne ton bras de mon fils, de peur, « si tu le tuais, que ne vînt l'heure de mes représailles. (1) La harpé est l'épée à lame recourbée en forme de faucille qui fut, à partir des temps les plus anciens, t'arme caractéristique des troupes égyptiennes. Elle s'est conservée jusqu'à, nos jours chez les Massai, chez les Chillouks, et chez plusieurs autres tribus de l'Afrique équatoriate.

« Votre vengeance, vous l'avez prise, et vous avez vaincu « dans votre guerre, et votre bras est fort par toute « l'Égyptel » Le grand chef de l'Est, Pakrour, dit « Détourne ton bras d'Ankhhorou, à cause de Pharaon, « son père, car il est la vie (1) de celui-ci. » II se sépara donc d'Ankhhorou, l'infant royal. Pharaon dit « Par « Amonrâ, le roi de Diospolis, le dieu grand, mon Dieu, « c'en est fait de l'ost du nome de Mondes, et le Grand « Seigneur d'Amon dans Thèbes est à terre, et Pété« khonsou l'a vaincu, ainsi que l'ost des quatre nomes « qui étaient les plus pesants de l'Egypte il n'y a plus a qu'à faire cesser le carnage (2). »
Or, tandis qu'il en arrivait ainsi, Minnemêi s'avança sur le fleuve avec ses quarante sergents d'armes, ses neuf mille Éthiopiens de Méroé, avec ses écuyers de Syëne. avec ses chapelains, avec ses chiens de Khazirou (3), et les gens d'armes du nome de Thèbes marchaient derrière lui, et le fleuve était trop étroit pour les gens des yachts et la berge trop étroite pour la cavalerie. Quand il arriva au lac de la Gazelle, on assigna un appontement au taureau des milices, Minnemêi, le fils d'Inarôs, le prince de ceux d'Éléphantine, auprès du yacht de Takhôs, le chef des soldats du nome de Mendès, et près de sa galère de combat, et il arriva que la cuirasse du prince Inarôs se trouvait sur cette galère. Minnëmêl s'écria « Par Khnou« mou (4), le seigneur d'Éléphantine, le dieu grand, mon (1) Le texte dit, à 1 égyptienne, sa ''M/jt'a~'o~, son souffle. (2) Le discours du roi est trop criblé de lacunes pour qu'on puisse. le traduire exactement. J'ai résumé en quelques mots le sens qui m'a paru ressortir des lambeaux de phrases conservés.
(3) On peut se demander si ce sont des chiens de guerre, tels que ceux que les Grecs d'Asie emmenaient avec eux à la bataille dans leurs guerres contre les Cimmériens; cf. Maspero, les ~'m/):M, p. 429, note 1. (4) J'ai indiqué déjà le rôle de Khnoumou, p. 12, note 3, et p. 38, note 2, 3; comme il était le dieu d'Éléphantine, c'est par lui que jure Mmnemêi, qui est prince d'Éléphantine. Il est bon de noter du reste que, tout le long

« Dieu! Voici donc ce pourquoi je t'ai invoque, de voir la « cuirasse de mon père, l'Osiris Inarôs, afin que je « devienne l'instrument de sa reprise » Minneméi endossa sa cotte et ses armes de guerre et l'ost qui était avec lui le suivit. Il alla à la galère de Takhôs, le fils d'Aukhhorou, et il rencontra neuf mille gens d'armes qui gardaient la cuirasse de l'Osiris Inarôs. Mînnemêî se précipita au milieu d'eux. Celui qui se tenait là, prêt au combat, sa place de bataille lui devint un lieu de sommeil celui qui se tenait là, prêt à la lutte, il accueillit la lutte à son poste, et celui qui aimait le carnage, il en eut son saoul, car Minnemêi répandit la défaite et le carnage parmi eux. Ensuite, il installa des sergents d'armes à bord de la galère de Takhôs, fils d'Ankhhorou, pour empêcher qu'homme au monde y montât. Takhôs résista de son mieux, mais il plia enfin, et Minnemêi le poursuivit avec ses Éthiopiens et ses chiens de Khazirou. Les enfants d'Inarôs se précipitèrent avec lui et ils saisirent la cuirasse (1).
Après celà, ils apportèrent à Héliopolis la cuirasse de l'Osiris du prince Inarôs et ils la déposèrent a l'endroit où elle était auparavant. Et les enfants du prince Inarôs se réjouirent grandement, ainsi que l'ost du nome d'Héliopolis, et ils allèrent devant le roi et ils dirent « Notre « grand maître, saisis le calame et écris l'histoire « de la grande guerre qui .fut en Égypte au sujet de'la de ce conte, l'auteur a pris soin de mettre dans la bouche de chacun de ses héros le juron local qui convient au fief qu'il gouverne Pémou, prince d'Hêtiopotis, jure par le dieu d'Hetiopotis, Atoumou (ctt\ p. 238); Pétoubastis, qui règne à Tanis, jure par Amonra le grand Dieu de Tanis (efr. p. 235, 256; Montoubaal, qui vient de Syrie, jure par Baal (p. 252, 254); le grand seigneur d'Amon par les dieux du nome mendésien (cf. p. 234, 238, 244, 246).
(1) Les trois dernières phrases comprennent la substance d'environ vingt-sept lignes du texte qui sont trop endommagées pour qu'on puisse les rétablir entièrement.

« cuirasse de l'Osiris, le prince Inarôs, ainsi que tes com« bats que mena Pémou le petit pour la reconquérir, ce « qu'il fit en Égypte, avec les princes et l'ost qui sont dans « les nomes et dans les villes, puis fais-la graver sur « une stèle de pierre que tu érigeras dans le temple d'He« liopolis ». Et le roi Pétoubastis fit ce qu'ils avaient dit. II
L'EMPRISE DU TRÔNE
Ce second roman nous est parvenu dans un seul manuscrit thébain, qui date de la première moitié du i' siècle après J.-C et dont les fragments furent achetés chez un marchand de Gïzeh en 1904 par Borchardt et par Rubensohn, en 1905 par Seymour de Ricci. La plus grande partie, ce)le qui fut acquise par Borchardt et par Hubensohn, passa à l'Université de Strasbourg, où Spiegelberg' en découvrit le sujet elle a été publiée, ainsi que les débris recueillis par Ricci, dans
W. Spiegelberg, der Sagenkreis des K6nigs P<'<M6(M<s, nach dem S~M6Mf~?' Demotischen Papyrus «KM'e den Wiener und Pariser .BrMc/M<McAeH,.in-4< Leipzig, 1910, 80 et 102 pages, et 22 planches en phototypie.
Autant qu'il est possible d'en juger actuellement, il contient une version thébaine de ja donnée mise en œuvre dans le premier roman. La cuirasse y est remplacée par le trône d'Amon, probablement, ainsi que je l'ai dit dans l'~<rod;tc<MH (p. xxxix), par le trône sacré sur lequel les prêtres posaient l'emblème de forme bizarre qui représentait un des types du dieu à l'époque gréco-romaine. Les personnages mis en scène autour de Pétoubastis sont pour la plupart identiques à ceux de l'autre récit, Pakrour, le prince de l'Est, Pémou fils d'Eierhorérôou-Inarôs, le prince d'Héliopolis, Ankhhorou le fils du Pharaon, et son fils Tâkhôs, Minnebmêî, le prince d'Eléphantine; pourtant, ainsi que Spiegelberg le fait observer justement (der Sag~eKkreis, p. 8), les années avaient passé depuis l'affaire de la cuirasse, et des personnages nouveaux avaient surgi, Pesnouti, le fils de Pakrour, et un jeune prophète d'Horus de.Bouto qui n'est nommé nulle part, mais dont les auxiliaires s'appellent d'une manière générale, les Am~oM. Ce mot, que Spiegelberg traduit littéralement par les Pasteurs et qu'il interprète les AsM~Mes, lui fournit la matière d'un rapprochement fort ingénieux avec la légende d'Usarsouph }e prêtre d'Héliopolis,

le Moise des traditions juives, et de ses compagnons les Pasteurs ou les Impurs asiatiques ici toutefois le terme Améou aurait été appliqué d'une manière vague et incorrecte aux Assyriens, les véritables maîtres de l'Égypte au temps où vivaient le Pétoubastis et le Pakrour de l'histoire (der Sagenkreis, p. '8-9). Un passage de notre roman (cf. p. 265) parle de ces gens comme étant originaires du pays des Papyrus, et Spiegelberg, poursuivant son idée, reconnaît là une expression analogue à celle de Mer des Joncs, par laquelle les livres hébreux désignent les lacs Amers de l'isthme de Suez (der Sagenkreis, p. 86, n° 582). Il me semble que cette identification, en les rejetant au-delà du nome Arabique, le pays de l'Est sur lequel Pakrour régnait, leur assigne une situation trop éloignée de cette ville de Boutô où leur maître, le prêtre d'Horus, exerçait son sacerdoce. Je préférerais appliquer le nom de Pays dM Papyrus à ces marais de la côte Nord du Delta, où, depuis Isis et Horus, plusieurs rois de la fable populaire ou de l'histoire s'étaient réfugiés. Ces districts, presque inaccessibles, étaient habités par des pêcheurs et par des bouviers à demi-sauvages, dont la bravoure et la vigueur inspiraient une terreur extrême aux fellahs de la plaine cultivée et à leurs maîtres. J'ai rappelé dans l'Introduction (cf. p. XXXIX-XL) ce qu'étaient les Boucolies je considère le nom Amé, ou au pluriel Améou, qui signifie en copte le bouvier, comme l'original égyptien du grec Boukolos et de l'arabe Biamou, le copte Amê avec l'article. masculin, par lequel les chroniqueurs du moyen âge désignent les habitants de ces parages.
Les fragments de Ricci sont si brefs pour la plupart que je n'en ai pas tenu compte. J'ai suivi pour ceux de Strasbourg l'excellente traduction de Spiegelberg, sauf en quelques points de peu d'importance. J'ai rétabli sommairement le début du récit, mais sans essayer d'y trouver une place pour divers incidents auxquels l'auteur faisait allusion dans plusieurs parties de son œuvre, notamment pour ceux que rappellent Pétoubastis. Pémou et Pesnoufi (cf. p. 266, 272-273, 275 du présent volume) et qui inspirent à celui-ci des injures si pittoresques à l'adresse de son suzerain. Comme l'Emprise de la Cuirasse, l'Emprise du Trône est écrite d'un style simple, qui touche parfois à la platitude l'intérêt romanesque en sera médiocre aux yeux du public lettré, mais les renseignements qu'elle nous apporte sur certains usages religieux ou militaires, et sur plusieurs points d'étiquette chez les Égyptiens de l'époque gréco-romaine, sont assez précieux pour qu'elle mérite d'être étudiée de près par les archéologues.
Il y avait une fois, au temps de Pharaon Pétoubastis, un grand-prêtre d'Amon de Thèbes, qui possédait beau-

coup de terres, beaucoup de bétail, beaucoup d'esclaves, et il avait dans sa maison un trône d'Amon plus beau que toute chose au monde. Quand il mourut, ses bestiaux, ses esclaves passèrent aux mains de ses enfants, mais Ankhhorou, fils du Pharaon Pétoubastis, s'empara du trône. Or il arriva que le fils aîné du grand-prêtre, qui lui-même était prêtre d'Horus à Boutô, désira l'avoir. Il rassembla ses treize hommes d'armes, qui étaient des bouviers des Boucolies, et il envoya un message au Pharaon, disant « Si ton fils Ankhhorou ne me restitue pas « le trône d'Amon qui appartenait à mon père, le grand« prêtre d'Amon, je te ferai la guerre pour le lui enlever ». Arrivé que fut le message à Thèbes, Pharaon rassembla les princes, les chefs militaires, les principaux de l'Égypte, et il leur demanda de lui dire ce qu'il convenait faire ils lui conseillèrent de repousser la demande. Dès que le prêtre d'Horus l'apprit, il s'embarqua avec ses treize hommes d'armes et il remonta le fleuve jusqu'à ce qu'il atteignit Thèbes. Il y arriva tandis qu'on célébrait la grande fête annuelle d'Amon de Karnak, et, tombant à l'improviste sur la foule, il s~empara_de_la barque sacrée qui portait la statue du dieu. Pharaon Pétoubastis s'irrita grandement et il somma le prêtre d'Horus de rendre la barque, mais le prêtre lui déclara qu'il la garderait tant que le trône ne lui aurait pas été restitué, et, sans doute pour mieux montrer l'importance qu'il attachait à l'objet de sa réclamation, il lui vanta les mérites de la barque et il la lui décrivit partie par partie (1). Il ajouta ensuite (i) Cette description, qui occupe la première page conservée du PapyrM Spt~<°/j~, est trop endommagée pour comporter une traduction suivie. Elle est composée, ainsi que Spiegelberg l'a constaté (do- Sagenkreis des K6nigs Petubastis, p. 13), sur ie modèle des descriptions mystiques des barques du monde des morts chaque partie de la coque ou du gréement y est comparée à un dieu ou à une déesse qui la protège.

« Et Maintenant (1), y a-t-il homme qui ait droit sur le « trône plus que moi, le prophète d'Horus de Pai, dans « Boutô (2), l'enfant d'Ïsis dans Khemmis? C'est à moi « qu'appartient ce trône, et certes mon père, certes mon « père (3), le premier prophète actuel d'Amon et les « prêtres d'Amon n'ont aucun droit sur lui ».
Pharaon regarda le visage du prêtre, il dit « Avez« vous pas entendu ce que le jeune prêtre a dit ? » Les prêtres dirent devant Pharaon « Ces paroles mêmes « nous ne les avons pas entendues avant ce jour, et des « lettres ne nous en sont point parvenues autrefois. » Or tandis que le jeune prêtre disait ces paroles, Amon le dieu grand était apparu, écoutant sa voix (4). Le lecteur (5) dit donc « S'il plaît Pharaon, que Pharaon inter« roge Amon le dieu grand disant « Est-ce le jeune prêtre « celui qui a droit audit trône ? » Pharaon dit « C'est « équitable ce que tu dis. Pharaon interrogea donc Amon, disant « Est-ce le jeune prêtre, celui qui a droit « audit trône? » Amon s'avança donc à pas rapides (6), disant « C'est lui. » Pharaon dit « Jeune prêtre, puis« que ces choses t'étaient connues en ton cœur, pourquoi (1) Ici commence la portion du texte que j'ai cru pouvoir traduire. (2) Pai, Pi, Pou est le nom de l'une des cités jumelles dont se composait la ville de Boutô, aujourd'hui Tell Abtou. La seconde s'appelait Doupou.
(3) Bien que la place que les mots répétés occupent ù la fin de la ligne quatrième et au début de la suivante puisse faire croire a une dittographie inconsciente du scribe, je crois qu'ici le redoublement est volontaire. Le prêtre insiste pour donner plus de force à sa réclamation. (4) Il ne faut pas s'imaginer ici une théophanie réelle, le dieu apparaissant lui-même au conseil du souverain, mais, selon l'usage égyptien, l'arrivée, aux épaules des prêtres, de l'arche qui renfermait la Statue d'Amon cf. Maspero, CaMset'Ms d'Égypte, pp. 16~ n3, 293, 298, et Au temps c~* ~a?KSM et d'~MOMt'&a?::pa/, pp. 66-69.
(5) Sur le sens de ce titre et sur la fonction du prêtre qui le porte, voir ce qui est dit plus haut, p. 25, note 4 du présent volume.
(6) Naturellement, ce sont les prêtres qui s'avancent à pas rapides portant l'arche du dieu.

(( n'es-tu pas venu hier afin d'élever ta voix au sujet de « ces choses mêmes, avant que j'eusse délivré un bref « à leur sujet au premier prophète d'Amon? car j'aurais « obligé Ankhhorou, le fils royal, à te laisser le trône lui« même. ? Le jeune prêtre dit devant Pharaon < Mon « seigneur grand, j'étais venu devant Pharaon, monsei« gneur grand, pour en parler avec les prêtres d'Amon (1). « Car Amon, le dieu grand, étant celui qui trouva les « choses pour Horus avant que celui-ci eût vengé son « père Osiris, je suis venu pour recevoir le charme de la « couronne d'Amon le dieu grand, celui-là même qu'il fit « lorsque fut envoyé Horus, n!s d'îsis, fils d'Osiris, au « Saîd pour venger son père Osiris, je me suis entretenu « avec lui à cause de la vengeance qu'Horus avait exercée « [avec son aide.] » Tàkhôs, le fils d'Ankhhorou, dit « Puis donc que tu t'es entretenu avec lui hier, ne re« viens pas aujourd'hui et ne tiens pas des discours mau« vais. Ankhhorou, le fils royal, on l'a armé par-devant « le diadème d'Amon, le dieu grand, il est revenu au « Saîd et on l'a calmé comme au jour où il est arrivé à « Thèbes. (2). » Le jeune prêtre dit « Tais-moi ta (i) Le texte est endommagé et la suite des idées n'est pas claire. Le prêtre donne ici la raison pour laquelle il ne s'est pas présenté la veille, et avant il n'a pas réclamé le trône que Pharaon Pétoubastis avait adjugé en la forme légale à Ankhhorou. La raison qu'il invoque, et qu'il juge assez forte pour justifier son action, est tirée, autant que je puis voir, du mythe de son dieu. Il semble qu'Horus, avant d'entrer en campagne pour ra/)'a:c/i!r, –<~a&/tOM, la colère de son père Osiris, en d'autres termes pour l'apaiser en le vengeant, et plus brièvement pour le venger, avait été envoyé par sa mère Isis à Thèbes, chez Amon, pour que celui-ci lui fournît les charmes nécessaires à triompher de Typhon le plus puissant de ces charmes était fourni par la couronne du dieu, c'est-à-dire par i'ur<Bus qui orne la couronne dont la flamme détruit les ennemis. Le prêtre, partant pour le Satd afin de reconquérir son bien, agit comme l'avait fait son dieu, et il va avant tout demander à Amon le charme de la couronne, qui avait assuré la victoire à Horus. C'est tandis qu'il faisait rapport sami, semme à Amon de ses intentions que le trône a été donné à Ankhhorou.
(2) Les paroles dè takhôs renferment évidemment une menace qui

« bouche, Takhôs, fils d'Ankhhorou, et lorsqu'on 't'inter« rogera sur ces choses de chef des milices qui te regar« dent, occupe-t'en. Les trônes du temple, où les as-tu « mis? Par~ajvie d'Horus de Paî dans Boutô, mon dieu, « Amon ne reviendra point à Thèbes, en la façon ordi- « naire, jusqu'à ce qu'Ankbhorou, le fils royal, m'ait « donné le trône qui est entre ses mains » Ankbhorou, le fils royal, lui dit « Es-tu venu prendre ledit trône par « action en justice, ou es-tu venu le prendre par la « bataille? » Le jeune prêtre dit « Si on écoute ma voix, « je consens à ce qu'on décide de lui par action en jus« tice si on n'écoute pas ma voix, je consens qu'on « décide de lui par bataille (1). »
L'instant qu'il parla ainsi, Ankhhorou, le fils royal, s'emporta comme la mer, ses yeux lancèrent une flamme de feu, son cœur s'obscurcit de poussière comme la montagne d'Orient (2), il dit « Par la vie d'Amonrâ, maître « de Sébennytos, mon dieu, le trône que tu réclames tu ne « l'auras pas ;je le renverrai au premier prophète d'Amon, « à qui il appartenait au début. » Ankhhorou, le fils royal, tourna son visage vers le dais (3), il jeta à terre les vêtements de fin lin qu'il avait sur lui, ainsi que les ornements n'est exprimée qu'à moitié. Elles signifient, si j'ai bien compris, qu'Ankhhorou, lui aussi s'est muni du charme qui réside dans la couronne d'Amon. On l'a calmé talko, à grand peine, mais si le prêtre insiste, il donnera carrière à sa colère.
(1) Litt. « je donne qu'il le prenne par jugement. je donne qu'il te prenne par bataille. » Le jeune prêtre s'adresse ici au roi et à l'auditoire en général, et il désigne son adversaire par le pronom il lui-même, il se déclare prêt à accepter soit l'action en justice, soit le duel, pour régler la question de propriété.
(2) Litt. « son cœur enfanta pour lui la poussière comme la montagne d'Orient, » L'effet de la colère est comparé ici à l'effet du vent d'orage, du Khamsin.
(3) Le mot toudt, employé ici, me paraît être la forme dernière du mot zadou, zatou, de l'âge Ramesside, qui désigne l'estrade surmontée d'un dais sur laquelle Pharaon donnait audience. L'un après l'autre les deux champions se tournent vers le souverain pour le saluer avant de s'armer.

d'or dont il était paré, il se fit apporter son harnois, il alla chercher les talismans de la lice (1), il se rendit au parvis d'Amon. Lorsque le jeune prêtre eut tourné son visage vers le dais, voici il y eut un page en face de lui, qui était caché dans la foule, et qui avait une cuirasse de beau travail entre les mains; le jeune prêtre s'approcha de lui et lui prit la cuirasse des mains, il l'endossa, il se rendit au parvis d'Amon, il marcha à l'encontre d'Ankhhorou, le fils royal, il le frappa, il se battit avec lui. Alors Takhôs, fils d'Ankhhorou, ouvrit sa bouche en protestation et les gens de bataille s'indignèrent contre l'ost, disant « Allez-vous rester là auprès d'Amon, tandis qu'un « bouvier se bat avec le fils de Pharaon, sans que vous « mettiez vos armes avec celui-ci? )) L'ost d'Égypte se précipita de toute part, ceux de Tanis, ceux de Mendès, r' ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, l'ost des quatre nomes pesants de l'Égypte (2), ils vinrent, ils se rendirent à la lice pour se joindre à Ankhhorou, le fils royal. [De leur côté,] les-treize bouviers des Boucolies (3) tombèrent sur l'ost, serrés dans leur harnois, le haume à face de taureau sur la tête (4), le bouclier au bras, la harpé à la main ils se rangèrent à la gauche et à la droite du jeune prêtre, et leur voix retentit disant « Recevez « notre serment que nous prêtons devant Amon le dieu « grand, ici présent aujourd'hui! Aucun d'entre vous ne (I) C'étaient les talismans que les soldats prenaient avec eux pour les protéger pendant le combat. Il en sera question plus loin, p. 268 du présent volume.
(2) Probablement ceux dont les contingents étaient les plus nombreux et pesaient le plus fort dans la bataille; cf. p. 233 du présent volume. (3) Litt « Le district du Papyrus », les Boucolies de l'époque romaine; cf. p. 260 du présent volume.
(4) Le casque à face de taureau est probablement le casque à cornes de taureau que l'on voit chez les Pharaons par exemple au temps de Ramsès 111; cf. Champollion, Monuments de f~yp~, pl. xxvm, cxxj, cccxxvn, et RoseiIini;uonMMen<: Storici, pl. lui, 106, 129, 131.

« fera entendre au prophète d'Horus de Pou dans Boùtô « une parole qui lui déplaise, sans que nous abreuvions la « terre de son sang 1 .» L'éclat de la force du prêtre, la crainte qu'on avait des treize bouviers pour Pharaon ~ut telle dans l'ost que personne au monde ne se décida à parler. Le jeune prêtre se leva contre Ankhhoroù, le fils royal, comme fait un lion contre un onagre, comme fait une nourrice contre son gars quand il est méchant; il le saisit par dessous sa cuirasse, il le jeta à terre, il le lia solidement, il le poussa sur le chemin devant lui. Les treize bouviers se mirent en route derrière lui, et personne au monde ne les attaqua, tant était grande la crainte qu'ils imposaient. Ils se dirigèrent vers la barque d'Atnon, ils montèrent à bord, ils déposèrent leur harnois, ils poussèrent Ankhhorou, le fils royal, dans la cale de la barque d'Amon, lié avec une courroie de Gattani (1), et ils baissèrent la trappe sur lui. Les gabiers et les rameurs descendirent sur là berge ils posèrent leur bouclier à côté d'eux, ils se lavèrent pour une fête, ils apportèrent le pain, la viande, le vin qu'ils avaient à bord, ils le posèrent devant eux, ils burent, ils firent un jour heureux. Or, tandis qu'ils tournaient leur visage vers la berge, dans la direction des diadèmes d'Amon, le dieu grand, qu'ils se purifiaient par le sel et par l'encens devant lui, Pharaon ouvrit sa bouche pour un grand cri, disant « Par Amon, le dieu grand, le deuil pour Pémou est parti, « et la lamentation pour Pesnoufi a cessé (2) plus de deuil « Mon cœur est maintenant tout préoccupé de ces bou(1) Gattani ou Gatatani est un pays inconnu jusqu'à présent si on doit lire vraiment Gattani ou Kattani, on pourrait songer à la Cataonie. (2) Pétoubastis fait sans doute allusion ici aux mêmes incidents que lui-même, Pesnoufi et Pémou rappellent plus loin (cf. p. 272-273, 275 du présent volume) et qui étaient racontés soit dans la partie manquante de notre conte, soit dans un conte aujourd'hui perdu devant ce deuil nouveau qui le frappe du fait des bouviers, il ne veut plus songer au chagrin que l'au'aire de Pesnoufi et de Pémou lui avait causé.

« viers, qui sont vents à bord de la barque d'Amon « serrés dans leur harnois, et qui ont fait d'elle leur salle « de festin. » Tachôs, le fils d'Ankhhoroù, dit « Mon « seigneur grand, Amon, le dieu grand, s'est montré; « que Pharaon le consulte disant « Est-ce ton ordre « excellent, que je fasse armer l'ost dé l'Egypte contre « ces Bouviers, pour qu'il délivre Ankhhorou de leurs « mains! .» Pharaon consulta donc les diadèmes d'Amon, disant « Est-ce ton ordre excellent que je fasse armer « l'ost de l'Égypte pour qu'il combatte contre ces bou- « viers? » Amon fit le geste du refus, disant « Non ». Pharaon dit « Èst-ce ton ordre excellent, que je fasse « amener une chaise à porteurs où te poser, et que je te « recouvre d'un voile de byssus, afin que tu sois avec « nous, jusqu'à ce que l'affaire cesse entre nous et ces « bouviers? » Amon s'avança à pas rapides (1), et il dit « Qu'on l'amène f Pharaon fit donc amener une chaise à porteurs, il y posa Amon, il le recouvrit d'un voile de byssus.
Et puis après, Pharaon Pétoubastis se tint avec l'armée à la région occidentale du Said en face de Thèbes, et Amon le dieu grand reposa sous une tente de byssus, tandis que l'ost de l'Egypte endossa son harnois et que les treize bouviers restaient à bord de la barque d'Amon, gardant Ankhhorou, le fils royal, enchaîné dans la cale de la barque d'Amon, parce qu'ils n'avaient point la crainte de Pharaon non plus que des diadèmes dans leurs cœurs. Pharaon leva son visage, et il les aperçut sur la barque d'Amon Pharaon dit à Pakrdùr, fils de Pesnoufi « Qu'en est-il de nous au sujet de ces bouviers qui sont « à bord de la barque d'Amon; et qui suscitent la révolte « et la bataille devant Amon, au sujet du trône qui reve(1) Cf. p. 26. note 6, du présent volume, pour le sens de cette expression.

« nait au premier Prophète d'Horus et qui appartient « maintenant à Ankhhorou, le fils royal? Va dire au jeune « prêtre « Sus, arme-toi, revêts un vêtement de byssus, ? entre par-devant les talismans d'Amon, et deviens le « premier prophète à la face d'Amon, quand il vient à « Thèbes ». Pakrour ne tarda pas d'aller se placer en avant de la barque d'Amon, et quand il fut en présence des bouviers, il leur dit toutes les paroles que Pharaon lui avait dites. Le jeune prêtre.dit « Par Horus! J'ai « fait prisonnier Ankhhorou le fils royal, et tu viens me « parler au nom de son père (1). Va et porte ma réponse « à Pharaon, disant « N'as-tu pas dit « Sus, à la berge, « mets du byssus, et que ta main s'écarte des armes de « guerre, ou bien je tournerai contre toi l'ost de l'Égypte, « et je ferai qu'il t'inflige une injure très grande, très « grande » Si Pharaon veut m'adjuger le trône, que l'on « m'apporte aussi le voile de byssus avec les talismans « d'or ici sur la barque d'Amon alors je m'approcherai « d'eux et je déposerai mon harnois de combat. Donc fais« moi apporter à bord des diadèmes d'Amon je prendrai « la gaffe'de la barque (2) et je conduirai Amon à Thèbes, « étant seul à bord avec lui et les treize bouviers, car je « n'ai laissé homme du monde monter à bord avec nous ». Pakrour alla à l'endroit où Pharaon était, et il lui conta (4) Spiegelberg a remarqué qu'il y avait ici une lacune dans le récit, et il a supposé que le scribe avait omis par mégarde le discours de Pakrour au prêtre d'Horus, ainsi que le commencement de la réponse du prêtre (der Sagenkreis dMXotu~f~M&a~î, p. 21, note 15). L'analogie des lignes 19-21 de la même page me porte à croire que l'auteur n'avait pas mis de discours direct dans la bouche de Pakrour, et que seul le début des paroles du prêtre manque. J'en ai donné le sens probable en quelques mots.
(2) Selon l'usage égyptien, il y a deux pilotes à bord de tout navire, celui d'arrière qui manœuvre les rames-gouvernails, et celui d'avant qui, la gaB'e à la main, sonde le chenal et donne la direction à son camarade d'arrière ici, le prêtre d'Horus s'engage à jouer le rôle de pilote d'avant pour mener la barque d'Amon à Thèbes en toute sûreté.

les paroles que le jeune prêtre lui avait dites. Pharaon lui dit « Vie d'Amon! Pour ce qu'il en est de ce « que le jeune prêtre dit, disant « J'ai pris Ankhhorou, « le fils royal, ton fils, donc qu'on me donne les diadèmes « d'Amon, je les prends à bord, et le lendemain je pars « pour le Nord avec eux et je les porte à Boutô, ma ville » « Que si c'était de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, « que le jeune prêtre m'avait demandés, je les lui aurais « fait donner; mais je ne lui donnerai pas les diadèmes « pour qu'il les porte à Boutô, sa ville, et qu'il fasse un « grand concert dans Thèbes (1). »
Et puis après, vint le général, le grand Seigneur d'Amon dans Thèbes, au sud de Thèbes, pour honorer Montourâ, et quand les cérémonies furent terminées en présence de Pharaon (2), le général, grand Seigneur d'Amon dans Thèbes, se leva devant lui et dit « Mon maître « grand, les talismans sont sur moi à leur intention, et « grâce à cela, les bouviers, je vais captiver ton cœur « par ce qu'il va leur arriver. Ils ne pénétreront pas jus« qu'ici à cause de l'héritage du prophète d'Amon, mais « s'ils veulent qu'il y ait bataille entre eux et Pharaon, je « la livrerai. » I1 endossa son harnois, il s'alla mettre en avant de la barque d'Amon, il s'adressa au jeune prêtre, disant « Songes-tu bien aux actes coupables qui se sont « accomplis et par toi et par tes gens qui sont montés à « bord de la barque d'Amon, vous qui avez endossé votre « harnois et avez permis que la barque d'Amon fût au « prêtre d'un autre dieu. Si vous êtes venus ici au sujet de « l'héritage du prêtre d'Amon, descendez à terre et prenez« le toi, si tu viens ici en goût de bataille, descends à terre (1) En d'autres termes, « pour qu'il célèbre sa victoire sur nous en chantant des actions de grâces, à Thèbes même. r
(2) Ces quelques mots résument ce que je crois être le sens de trois lignes trop endommagées pour qu'il soit possible d'en rétablir le texte complètement.

« et je t'en servirai ton saoul. » Le jeune prêtre lui dit « Je te connais, générât, grand Seigneur d'Amon dans « Thèbes; tu es un homme du grand pays du Nord autant « que nous, et ton nom nous est arrivé bien souvent pour « les longs discours que tu as tenus. Je vais faire des« cendre un des bouviers à terre avec toi, afin que tu « passes une heure à causer avec lui (1). » Le jeune prêtre jeta un regard sur les treize bouviers qui étaient à bord avec lui, il se leva, il endossa son harnois, il descendit à la berge, il rencontra le général, grand Seigneur d'Amon dans Thèbes, il se leva contre lui comme fait une nourrice contre son gars.Iorsqu'il est méchant, il se rua sur le chef des milices, le grand Seigneur de Thèbes, il le saisit sous sa cuirasse, il le jeta à terre, il le lia, il le rem~t sur ses pieds, il le conduisit à bord de la barque d'Amon, il le poussa dans la cale où était déjà Ankhhorou, le fils royal, il baissa la trappe sur lui, il posa son harnois, afin de se laver pourla fête avec les prêtres ses compagnons. L'équipage alla verser la libation de vin; on but et on célébra une fête en présence d'Amon, sous les yeux de Pharaon et sous les regards de l'ost d'Égypte.
Alors Pharaon ouvrit sa bouche pour un grand cri, et il dit « Lorsque je cinglai vers le sud, la galée d'Ankhhorou, « le fils royal, naviguait en tête de la flotte que montait « Pharaon avec l'est d'Égypte, un bouclier d'or arboré « au haut de son mât, car, disait-il, « je suis le premier bou« clier de l'Egypte » et la grande galée du grand Sei« gneur d'Amon de Thèbes naviguait à l'arrière de la « flotte de Pharaon, c~ar, disait-il, « je suis le grand vais« seau de l'Égypte. » Et maintenant, un jeune bouvier « est venu au Sud qui a pris le premier bouclier de « l'Égypte et le grand vaisseau de l'Egypte; il fait trem(1) Ceci doit être pris ironiquement, comme moquerie à l'égard du chef.

hier l'Égypte à l'égal d'un navire désemparé que nul « pilote ne gouverne, et il est plus fort que tous ces « gens-ci, si bien qu'Amon, le dieu grand qui est à l'Ouest« du Saîd en face de Karnak, on~ne lui a point permis de « revenir à Karnak. Takhôs dit « Prends-y garde, mon « maître grand, si l'ost d'Égypte ne s'arme point contre « ces bouviers, ceux-ci demeureront dans l'état où ils sont « maintenant, Qu'on convoque les hommes de Pharaon « contre eux. » Pakrour s'adressa à Takhôs, disant « Est-ce pas démence ce que tu fais, et n'ont-ils pas suc« combe ceux qui provoquèrent les bouviers qui ont pris « Ankhhorou, le fils royal, et le général, le Seigneur grand « d'Amon de Thèbes ? L'ost ne pourra pas reprendre seu« lement l'un d'eux. Ce que tu as dit, disant « Que l'ost « d'Egypte s'arme contre eux! », cela ne produira-t-il pas « que les bouviers y fassent un grand carnage? Et puis« qu'Amon,  dieu grand, est ici avec nous, est-il jamais « arrivé que nous entreprissions quoi que ce fût au monde « sans le consulter? Que Pharaon le consulte, et s'il nous « dit « Bataille » nous nous battrons mais si c'est autre f< chose qu'il nous commande, nous agirons en consé« quence. » Pharaon dit « Ils sont bons les avis qui nous «viennent du prince de l'Est, Pakrour. »
Quand Pharaon eut ordonné qu'on fît paraître Amon, Pharaon vint à l'encontre de lui. Oraisons et prières qu'il fit, disant « Mon Seigneur grand, Amon, dieu grand, est« ce ton ordre excellent que je fasse armer l'ost de l'Égypte « contre ces bouviers, pour qu'il leur livre bataille? Amon fit le geste du refus, disant « Non Pharaon dit « Mon seigneur grand, Amon, dieu grand, est-ce ton « ordre excellent que, si j'abandonne le trône qui était dans « l'héritage du prophète d'Amon au jeune prêtre, celui-ci « rendra la liberté à Ankhhorou, le fils royaf, et au Sei« gneur grand d'Amon, de Thèbes ? » Amon fit le geste

du refus, disant « Non ». Pharaon dit « Mon sei« gneur grand, Amon, dieu grand, ces bouviers, arra« cheront-ils l'Égypte de mes mains, dans l'état où ils « sont? » Amonfit le geste du refus, disant: « Non! 1 » Pharaon dit « Mon maître grand, me donneras-tu la vic« toire sur ces bouviers, pour qu'ils abandonnent la « barque d'Amon? » Amon s'avança à pas rapides (1), et voici qu'il dit « Oui s Pharaon dit devant Amon, le dieu grand, le nom des chévetaines, des généraux de l'ost, des princes, des commandants des chars, des supérieurs des milices, des capitaines des milices, des chefs de l'arrièreban des hommes de l'Égypte, et Amon, le dieu grand, n'approuva aucun d'entre eux, Amon approuva seulement le prince Pesnoufi, et le capitaine des milices Pémou, disant « Ce sont ceux-là que je prends pour chasser les « bouviers aux mains de qui est la barque d'Amon ce « sont eux qui délivreront Ankhhorou, le fils royal, et le « général, le Seigneur grand d'Amon dans Thèbes; ce « sont eux qui mèneront à la bataille les jeunes troupes « de Thèbes ». Quand Pharaon eut fait désigner par Amon les chefs de l'emprise, Pharaon jeta un regard à Pakrour, le chef de l'Est, il lui parla et il posa devant Amon les questions qu'il posa. Le chef de l'Est dit « S'il plaît « Pharaon, qu'on dépêche quelqu'un aux jeunes troupes « de Thèbes, qui doivent venir au Midi, et alors ils feront « tout ce que Pharaon leur aura commandé. » Pharaon dit « Amon m'en garde Si je leur dépêche n'importe « qui vers le Sud, ils ne viendront pas à cause de l'af« front que je leur fis, quand je vins au Sud à Thèbes et « que je ne les invitai pas à la fête d'Amon, le dieu grand, « mon père (2). Chef de l'Est, Pakrour, c'est à toi qu'il (1) Voir sur le sens de cette expression, p. 262, note 6.
(2) L'épisode auquel Pétoubastis fait allusion ici était raconté probablement dans les premières pages aujourd'hui perdues de notre papyrus.

« revient de leur dépêcher un message, au cas où quel« qu'un doit leur dépêcher un message, mais ils ne « viendront pas au Sud pour moi. Le chef de l'Est, Pakrour, dit « Mon seigneur grand, ils sont grands « les affronts que tu as inuigës aux jeunes troupes; une « fois après l'autre, tu n'as pas songé aux hommes de « guerre, jusqu'à ce que tu les as eu réjouis de ton mal« heur. » Pharaon dit « Amon, le dieu grand, me garde « Ce n'est pas moi qui leur ai fait affront, mais ne sont« ce pas les mauvaises intrigues de Takhôs, le fils d'Ankh« horou? C'est lui qui me les a fait laisser, si bien que « je ne les ai pas amenés avec moi, car il disait « On « ne doit pas répandre la lutte et les querelles parmi « l'ost d'Egypte (i). » Et puis après, celui qui tend ses « filets, ils l'enveloppent, celui qui creuse une fosse per« fide, il y tombe, celui qui affile une épée, elle le frappe « au cou. Voici maintenant que les frères d'armes de « Takhôs, le fils d'Ankhhorou, sont dans les chaînes des « bouviers, sans qu'il se soit trouvé un homme qui com« batte pour eux. Et puis après, ne dispute pas sur les « mots (2), mais agis ».
Le chef de l'Est, Pakrour, dépêcha un message aux jeunes- braves, disant « Viens au Sud pour ta gloire et « ta puissance, car on les réclame dans l'ost de « l'Egypte! » Le chef de l'Est, Pakrour, dit « Qu'on « m'appelle Higa, le fils de Mînnebmêi, mon scribe. M On courut, on revint et on le lui amena sur l'instant, et le chef de l'Est; Pakrour, lui dit « Fais une lettre, et qu'on « la porte à Pisapdi (3), à l'endroit où est le prince Pes(t) Il semble que ces bandes thébaines avaient la réputation d'être turbulentes et querelleuses Takhôs avait conseillé au Pharaon de les laisser chez elles, alléguant pour raison qu'elles seraient un élément de discorde, dans son armée.
(2) Litt. « Ne fais pas un mot contre son compagnon, x
(3) Pisapdi est aujourd'hui Saft-el-Hinéh.
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« noufi. » En voici la copie « Le chef de l'Est, Pakrour, « fils de Pesnoufi, père des taureaux de l'Egypte, le bon « pasteur des Calasiris (1), salue le prince Pesnoufi, son « fils, le taureau vigoureux de ceux de Pisapdi; le lion « de ceux de l'Est, le mur d'airain que m'ont donné Isis, « le pieu de fer de la dame de Tasonout, la belle barque « de l'Égypte dans laquelle l'ost de l'Egypte a mis son « cœur. S'il te plaît, mon fils-Pesnoufi, quand cette lettre « te parviendra, si tu manges, mets le pain à terre, si tu « bois, dépose la cruche enivrante, viens, viens, accours, « accours, et qu'on s'embarque avec tes frères d'armes, « tes cinquante-six hommes de l'Est, ton frère d'armes « Pémou, le fils d'Inarôs, avec sa barque neuve l'Étoile (2) « et ses quatre chapelains. Viens au Sud de Thèbes au « sujet de certains bouviers des Boucolies, qui sont ici à « Thèbes, combattant chaque jour avec Pharaon. Ils ne « le laissent point passer vers Amon ni vers Karnak; Amon « demeure exilé à l'Ouest de Thèbes sous un voile de « byssus, et l'ost d'Egypte tremble devant son éclat et sa « rosée Ankhhorou, le fils royal, le fils de Pharaon « Pétoubastis, et le général, le Seigneur grand d'Amon « dans Thèbes, sont prisonniers des bouviers ils sont à a bord de la barque d'Amon. Sus au Sud, livre bataille, et a que l'ost de l'Égypte apprenne à connaître la crainte et « l'effroi que tu inspires. » On ferma la lettre, on la scella au sceau du chef de l'Est Pakrour, on la remit aux mains d'Hakôris, et celui-ci courut _yeJ:aJ~ Nord de nuit comme de jour. Après quelques jours, il arriva à Pisapdi, il ne tarda pas d'aller à l'endroit où était Pesnoufi, il lui donna la lettre. Celui-ci la lut, il entendit chaque (1) Sur ce mot, qui désigne certaines troupes de l'armée égyptienne, voir Hérodote, Il, CLxiv, CLxvi, CLXVIII; cf. p. 247, 252, du présent volume. (2) La 'barque royale s'appelait dès les temps les plus anciens, l'Étoile ou, tout au long, i'o!/e des dieux.

mot qu'elle contenait, il gronda comme la mer, il bouillit comme la résine [qui brûle], il dit < Ce pêcheur d'an« guilles de Tanis, cette trappe cachée dans les roseaux de « Boutô, Pétoubastis, fils d'Ankhhorou, que je n'ai jamais « appelé Pharaon, quand il me rend des honneurs, c'est « qu'il a besoin de moi contre l'affront qu'on lui fait; « mais quand il s'en va célébrer la fête de son dieu sans « qu'il y ait guerre et bataille contre lui, il ne me dépêche « pas de message. Je jure ici, voici ce que je ferai au nom « de Sapti, le chef de l'Est, mon dieu. Puisque le chef « de l'Est, Pakrour, mon père, m'a écrit dans cette « lettré disant « Amon, le dieu grand dans la partie « Ouest du Said qui est en face de Karnak, si on ne l'a « pas laissé revenir à Thèbes, c'est qu'on né veut pas se « battre pour les enfants de Tahouris, la fille de Patenu (1). « Et puis après, ni moi, ni mes frères d'armes, les cih« ~quante-six hommes de l'Est, nous ne voulons plus con« naître l'injure qu'Amon m'a faite. Nos huit chapelains « se sont embarqués et ils ont endossé leur harnois, pour « se rendre au sud de Thèbes. Pars, chien courant de « Sapdi, serviteur du trône (2), ne tarde pas, à Héliè« polis Parle à Pémou, le fils d'Inarôs, disant « Endosse ton harnois, arme ton navire neuf de cèdre, et «. tes quatre chapelains je te donne rendez-vous à toi et « à ton équipage à Pinebôthès, le pbrt d'Héliopolis (3). » Le serviteur du trône, il ne tarda pas de. se rendre à Héliopolis il se tint devant Pémou, et il lui récita tout (1) Tahouris est probablement la mère de Pétoubastis.
(2) Le messager, venant de la part de Pétoubastis et d'Amon, peut être appelé en effet le serviteur du trône.
(3) Litt. i Mon pieu d'attache avec toi et ton [équipage est] à Pinebôthès, le port d'aborder d'Héliopolis. D Le pieu dont parle Pesnoufi est celui que les matelots égyptiens plongeaient dans la berge pour y atta-' cher leur bateau (cf. plus haut, p. ~4, <! le pieu de fer de la dame de Tasonout x). La phrase égyptienne, obscure pour nous, me parait pouvoir se paraphraser ainsi que je l'ai fait dans le texte.

ce dont Pesnoufi lui avait dit « Fais-le » Pesnoufi endossa son harnois avec ses cinquante-six hommes de l'Est et ses huit chapelains il s'embarqua, il ne tarda pas de se rendre à Pinebôthës, et il y rencontra Pémou qui y était sur sa galée, avec son navire neuf nommé FjÉ~o~e et ses quatre chapelains, et ils cinglèrent vers le sud dë"Thëbes. Et puis après, comme Pharaon Pétoubastis était avec l'armée à la rive occidentale du Saîd, en face de Thèbes, et que l'ost d'Égypte se tenait tout armé, Pharaon monta C sur la barque d'Amon, regardant du côté opposé à celui par où devaient venir Pesnoufi et Pémou, le fils d'Inarôs. Au bout d'une heure Pharaon aperçut une galée neuve de cèdre qui descendait le courant. Quand elle eut abordé au quai d'Amon de Thèbes, un homme d'armes s'y précipita, cuirasse au dos, qui se fit passer à la rive Ouest du Said et qui aborda au sud du navire de Pharaon. L'homme descendit à la rive, armé de pied en cap, semblable à un taureau cornu, il se rendit à grands pas en amont de la barque d'Amon, sans aller jusqu'à l'endroit où Pharaon était, et il. parla en face de l'ost, disant « Oh donne le « bon Génie (1) la vie à Pharaon 1 Je sais le crime que vous « avez commis en abordant la barque d'Amon, la cuirasse « au dos, et en le livrant à un prêtre autre que le sien » Le prophète d'Horus de Pal lui dit « Qui es-tu, toi qui « parles ainsi? Es-tu un homme de Tanis, ou bien es-tu « un homme de Mondes ? » L'homme d'armes lui dit « Je « ne suis pas né en cette terre du Nord dont tu parles. <( Je suisMînnebmêi, le fils d'Inarôs, le grand prince d'Élé« phantine, le chef du sud de l'Égypte. » Le bouvier (2) lui (1) Pshai, l'Agathodémon, représenté souvent sous la forme d'un serpent joufflu couronné du pschent. C'est L'antique Shai, le destin, dont la religion, secondaire aux temps pharaoniques, se développa considérablement sous les Ptolémées et sous les Césars.
(2) Le bouvier n'est pas ici l'un des treize bouviers qui accompagnaient le prêtre de Boutô, c'est le prêtre de Boutô lui-même.

dit « Puisque tu n'es pas un homme de la terre du « Nord, pourquoi Pharaon t'a-t-il remis la charge de « la barque d'Amon? Allons, viens à bord avec nous, « pour faire un jour heureux devant Amon, et ce qu'il en « adviendra de nous en adviendra aussi de toi. » Et puis après, Mînnebmêî lui dit (c Me garde Khnoumou lé « grand, le seigneur d'Etéphantine, vous ne pouvez ra« cheter le crime que vous avez commis Si je me per« mettais de m'embarquer et de passer un jour heureux « avec vous, ce serait une déclaration de guerre à l'égard « de Pharaon. Or ce que je dis, je vous le fais laissez « le chemin à Amon, pour qu'il passe à Thèbes, sinon, ace que vous ferez, je vous le ferai faire par force, « malgré votre répugnance. » Un des treize bouviers se leva et dit « Je viens à toi, nègre, Éthiopien, mangeur « de gommes (1), homme d'Eléphantine! » Il endossa son harnois, il courut à la berge, il frappa, il se battit avec Mînnebmêî en amont de la barque d'Amon, du moment de lapremière heure du matin jusqu'au moment de la huitième heure du jour, sous les yeux de Pharaon et sous les regarda de l'ost de l'Égypte, chacun d'eux montrant à l'autre sa connaissance des armes, sans que l'un d'eux pût triompher de l'autre. Pharaon dit au chef de l'Est, Pakrour, et à Takhôs, le fils d'Ankhhorou « Vie d'Amon « Voilà un combat qui dure dans la lice, mais après, « je ne sais pas trop si notre chance se maintiendra (2) « jusqu'au moment de la dixième heure du soir Le bouvier parla à Mînnebmêî, disant « Aujourd'hui nous « nous sommes battus, cessons la lutte et la bataille entre (t) Cf., pour cette expression, ce qui est dit p. 164 note 1 et p. 23S, note 1, du présent volume.
(2) Litt. « Le ptedde ce combat est stable sur la lice, mais après, je ne le sais pas cela que notre chance fera pour eux j'ai dû paraphraser fortement ce passage pour le rendre intelligible aux lecteurs modernes.

« nous, abattons chacun notre fanion (1) celui qui ne « reviendra pas ici sera honni » Mînnebmêî donna assentiment aux paroles que celui-là avait dites: ils abattirent chacun son fanion, ils sortirent de la lice, et le bouvier s'en alla à bord de la barque d'Amon.
Et puis après, lorsque Mînnebméî revint à bord de sa galée, Pharaon se porta à sa rencontre avec le chef de l'Est Pakrour, et avec Takhôs, le fils d'Ankhhorou. Ils lui dirent « Est-ce qu'un homme se rend à la lice et en « sort, sans aller ensuite à l'endroit où est Pharaon, pour « que lui soit donné le prix de son combat? )) Le Calasiris se rendit à l'endroit où Pharaon était, il ôta son casque de sa tête, il se courba à terre, il prononça le salut, puis il baisa le sol (3). Pharaon l'aperçut, et quand ill'eut reconnu, il se rendit à l'endroit où celui-là était, il le serra dans ses bras, il lui posa la bouche sur la bouche, il le baisa longuement à la façon dont un homme salue sa nancée (3). Pharaon lui dit « Salut à toi, salut à toi, (1) Cf., sur cette expression, ce qui est dit plus haut, à la p. 249 note 2, du présent -volume.
(2) Ici, pour la première fois, nous trouvons énumérés tous les moments du proscynème égyptien 1° le héros se prosterne, les genoux et les mains à terre, l'échine arrondie mais la tête légèrement redressée encore; 2" il récite la formule ordinaire du salut, puis 3° il baisse la tête et il baise le sol entre ses deux mains. Sinouhit salue de façon à peu près semblable, mais en se jetant de la poussière sur le corps (cf. p. 93, note 2, du présent volume). C'est sans doute parce qu'il veut marquer son humilité le prosoynème ordinaire ne comportait pas ce complément. D'autre part l'étiquette commandait à Pharaon de ne point paraître s'apercevoir de la présence du personnage; il ne le reconnaissait qu'après un certain temps, probablement sur l'indication d'un de ses officiers, et c'est alors seulement qu'il lui adressait la parole ou, dans les grandes occasions, qu'il faisait quelques pas au-devant de lui pour le relever, pour l'embrasser et pour l'entretenir.
(3) Litt. « Il le baisa beaucoup d'heures B, avec une de ces formules exagérées dont j'ai signalé un exemple p. 4, note 4, du présent volume. Le baiser sur la bouche avait remplacé l'ancien mode de salut, le rapprochement des nez (cf. p. 1H, n. 2), peut-être sous l'inOuence grecque, au moins dans les cérémonies officielles.

Mînnebmêî, fils d'Inarôs, chef du sud de l'Egypte. « C'était bien ce que j'avais demandé à Amon, le dieu « grand, qu'il m'accordât de te voir sans dommage à ta « force excellente et à ta santé (1). Vie d'Amon, le dieu « grand, depuis l'heure que je t'ai vu dans la lice, je « dis «Nul homme ne livrera bataille pour moi, si ce n'est « un taureau, 61s d'un taureau, et un lion, fils de lion, « comme moi » Pakrour, le fils de Pesnoufi, et Takhôs, le fils d'Ankhhor, et les premiers de l'Égypte, saisirent sa main et ils lui adressèrent la parole, et Pharaon se rendit avec lui sous les draperies de sa tente. Et puis après, Mînnebmêî monta sur sa galée, et Pharaon lui fit donner des parfums et des provisions à plentée, et les grands de l'Égypte le comblèrent de cadeaux. Mînnebmêî combattit encore trois jours. Accomplis les trois jours de combat en champ clos, pendant lesquels il alla se battre avec le bouvier, et il en sortit sain et sauf sans qu'on pût rien lui faire, l'ost de l'Égypte s'entretenait disant « Il n'y « a clan de gens d'armes en Égypte qui égale le clan de « l'Osiris roi Inarôs, car Ankhhôrou, le fils royal, et le « général. Seigneur grand d'Amon dans Thèbes, ils n'ont « pu tenir un seul jour de bataille contre ces bouviers, « tandis que, trois jours durant, Mînnebmêî s'est rendu « constamment dans la lice, sans que personne lui pût « rien faire. »
Or tandis qu'il en était ainsi, Pesnoufi et Pémou arrivèrent au Sud; ils abordèrent avec leurs galées au sud du vaisseau de Pharaon, ils volèrent à la berge, cuirasse (1) C'est-à-dire, si je comprends bien, sorti sain et sauf de la bataille engagée contre le bouvier. Le mot que j'ai traduit par force est le même que celui qui, dans le Voyage f/'OunamqMtOM, sert à désigner l'état d'extase épileptique dans lequel tombe le page du roi de Byblos (cf. p. 220 du présent volume). U marque ici la force mystérieuse qui anime Mînnebmêî par l'inspiration d'Amon, et qui lui donne la faculté de résister jusqu'à. ce moment au bouvier.

au dos. Quand on l'eut annoncé à Pharaon et au chef de l'Est, Pakrour, ainsi qu'à Takhôs, fils d'Ankhhorou, Pharaon se porta à leur rencontre avec ceux-ci, et il saisit la main du prince Pesnoufi.
Après quelques lignes trop mutilées pour que j'essaie de les traduire, le manuscrit s'interrompt, sans qu'il nous soitpossible de dire combien de pages il comptait encore. On devine toutefois qu'à partir du moment où Pesnoufi et Pémou arrivaient, la chance tournait en faveur de Pétoubastis les treize bouviers périssaient ou étaient faits prisonniers ainsi que leur chef, la barque d'Amon retombait aux mains du sacerdoce thébain, et le trône d'Amon, objet de la querelle, demeurait acquis au prince Ankhhorou (1).
(1) Spiegelberg, </erSa~enAreM<~M Aon:~< Pe<M&a~M, p. 7, 35.

FRAGMENTS
Les contes qui précèdent suffisent à donner au grand public l'idée de ce qu'était la littérature romanesque des Égyptiens. J'aurais pu sans inconvénient m'arrêter après l'Emprise du trône d'Amon aucun de mes lecteurs n'aurait réclamé la publication des fragments qui suivent. J'ai cru pourtant qu'il y avait quelque intérêt à ne pas négliger ces tristes débris si les lettrés ne voient rien à y prendre, les savants trouveront peut-être leur compte à ne pas les ignorer complètement.
En premier lieu, leur nombre seul prouve clairement combien le genre auquel ils appartiennent était en faveur aux bords du Nil il fournit un argument de plus à l'appui de l'hypothèse qui place en Égypte l'origine d'une partie de nos contes populaires. Puis, quelques-uns d'entre eux ne sont pas tellement mutilés qu'on ne puisse y découvrir aucun fait intéressant. Sans doute, douze ou quinze lignes de texte ne seront jamais agréables à lire pour un simple curieux un homme du métier y relèvera peut-être tel ou tel détail qui lui permettra d'y discerner tel incident connu d'ailleurs, ou la version hiéroglyphique d'un récit qu'on possédait déjà chez des peuples différents. Le bénéfice sera double les égyptologues y gagneront de pouvoir reconstituer, au moins dans l'ensemble, certaines œuvres qui leur seraient restées incompréhensibles sans cela; les autres auront la satisfaction de constater, aux temps reculés de l'histoire, l'existence d'un conte dont ils n'avaient que des rédactions de beaucoup postérieures.

J'ai donc rassemblé dans les pages qui suivent les restes de six contes d'époques diverses
1" Une histoire fantastique dont la composition est antérieure àla dix-huitième dynastie
2° La querelle d'Apôpi et de Saqnounriya;
3° Plusieurs morceaux d'une histoire de revenant;
4° L'histoire d'un matelot;
S" Un petit fragment grec relatif au roi Nectanébo II 6° Quelques pages éparses d'une version copte du roman d'Alexandre.
Je regrette de n'avoir pu y joindre ni le roman du Musée du Caire, ni le premier conte de Saint-Pétersbourg; le manuscrit du Caire est mutilé à n'en tirer rien de suivi et le texte de SaintPétersbourg est encore inédit. Peut-être réussirai-je à combler cette lacune, s'il m'est donné d'entreprendre une cinquième édition de ce livre.

FRAGMENT
n'UN CONTE FANTASTIQUE ANTÉRIEUR A LA XVIH'* DYNASTIE Le papyrus de Berlin n° 3 renferme les débris de deux ouvrages un dialogue philosophique entre un Égyptien et son âme (1), et un conte fantastique. H semble que le conte commençait à la ligne 156 et qu'il remplissait les trente-six dernières lignes du manuscrit actuel (I. 156-191),. sans que pourtant cette évaluation de la portion qui manque au début soit bien certaine tout ce que l'on peut dire actuellement, c'est que les lignes par lesquelles le récit s'ouvrait ont été effacées dans l'antiquité. Une seconde édition du texte a été donnée en phototypie par Alan H. Gardiner, die ~za/~MM~ des Sinuhe und die Hirtengeschichte, dans le t. IV des ~era~MC/te Texten des J/tM/ereK Reiches d'Erman, in-fo. Leipzig, 1909, pl. XVIXVII. Il a été traduit, pour la première fois en français, par Maspero, Études égyptiennes, t. I. p. 73 sqq., puis en allemand par Erman, Aus den Papyrus der ~'M~/tc/teM ~TmeeM, 1899, p. 20-30, et par Alan H. Gardiner, die Frza/~MM~ ~M Sinuhe und die //M'<eM~esc&tc/~e, p. 14-1S.
Or voici, comme je descendais au marais qui touche à cet Ouadi, j'y vis une femme qui n'avait point l'apparence (1) Erman, après en avoir donné une courte analyse dans son ~p<en, p. 393-394, l'a publié, transcrit et traduit dans un mémoire spécial, intitulé Gesprach eines /,e6cttMtMe?M mit seiner Seele et qui fut inséré dans les ~6Aattd<Mn~en der Bef/Me)- Aka lemie, 1896; il en a redonné une nouvelle analyse et de longs fragments dans le volume intitulé /hM den Papyrus der ~ôtt~Hc/ie~ Mt<xee?t, 1889, p. 54-59, et dans son ~E~yptMche Chrestomathie, 1904, p. 33-53 et IG'-IT.

d'une mortelle mes cheveux se hérissèrent quand j'aperçus ses tresses, pour la variété de leur couleur. Je ne pus rien faire de ce qu'elle me disait, tant sa terreur pénétra dans mes membres.
Je vous dis <~ 0 taureaux, passons à gué 1 Oh! que les « veaux soient transportés et que le menu bétail repose à « l'entrée du marais, les bergers derrière eux, tandis « que notre canot, où nous passons les taureaux et les « vaches, demeure en arrière, et que ceux des bergers « qui s'entendent aux choses magiques récitent un charme « sur l'eau, en ces termes « Mon double exulte, ô ber<( gers, ô hommes, je ne m'écarterai de ce marais, pen« dant cette année de grand Nil où le dieu décrète ses « décrets concernant la terre, et où l'on ne peut distin« guer l'étang du fleuve. Retourne dans ta maison, « tandis que les vaches restent en leur place Viens, car « ta peur se perd et ta terreur se va perdant, la fureur de « la déesse Ouasrît et la peur de la Dame des deux « pays »
Le lendemain, à l'aube, tandis qu'on faisait comme il avait dit, cette déesse le rencontra quand il se rendait à l'étang elle vint à lui, dénudée de ses vêtements, les cheveux épars.
Le conte dont cê fragment révèle l'existence a été écrit avant la XVIII" dynastie, peut-être à la XII° si, comme c'est le cas pour le dialogue contenu aux premières lignes du manuscrit, le texte que nous en avons aujourd'hui est une copie exécutée d'après un manuscrit plus ancien. Le paysage et les scènes décrites sont empruntés à la nature et aux mœurs de l'Egypte. Nous sommes au bord d'une de ces nappes d'eau, moitié marais, moitié étangs, sur lesquelles les seigneurs de l'ancien empire aimaient à chasser les oiseaux, à poursuivre le crocodile et l'hippopotame. Des bergers s'entretiennent, et l'un d'eux raconte à l'autre qu'il a rencontré une créature mystérieuse qui vit dans une retraite inaccessible au milieu

des eaux. On voit, dans le tombeau de Ti, les bergers conduisant leurs taureaux et leurs génisses à travers un canal. Hommes et bêtes ont de l'eau jusqu'à mi-jambe, même un des bouviers porte sur son dos un malheureux veau que le courant aurait emporté. Un peu plus loin, d'autres bergers, montés sur des barques légères en roseaux, convoient un second troupeau de bœufs à travers un autre canal plus profond. Deux crocodiles placés de chaque côté du tableau assistent à ce défilé, mais sans pouvoir profiter de l'occasion les incantations les ont rendus immobiles. Comme la légende l'explique, la face du berger est toute-puissante sur les canaux, « et ceux qui sont dans les eaux sont frappés d'aveugle« ment (1) D. Notre conte nous montre ceux des bouviers qui s'entendaient au métier marchant derrière leurs troupeaux et récitant les formules destinées à conjurer les périls du fleuve. Le papyrus magique de la collection Harris en renfermait plusieurs qui sont dirigées contre le crocodile et, en général, contre tous les animaux dangereux qui vivent dans l'eau (2). Elles sont trop longues et trop compliquées pour avoir servi à l'usage journalier les charmes usuels étaient courts et faciles à retenir.
Il n'est pas aisé de deviner avec certitude quel était le thème développé. Les auteurs arabes qui ont écrit sur l'Egypte sont pleins de récits merveilleux où une femme répondant à la description de notre conte joue le rôle principal. « L'on dit que « l'esprit de la pyramide méridionale ne paroist iamais dehors « qu'en forme d'une femme nue, belle au reste, et dont les « manières d'agir sont telles que quand elle veut donner de « l'amour à quelqu'un et lui faire perdre l'esprit, elle lui rit, « et, incontinent, il s'approche d'elle et elle l'attire à elle et « l'affole d'amour, de sorte qu'il perd l'esprit sur l'heure et « court vagabond par le pays. Plusieurs personnes l'ont veue « tournoyer autour de la pyramide sur le midy et environ « soleil couchant (3) c. L'auteur de notre fragment affirme (l)Maspero,.Ë<M<<f~ Égyptiennes, t. Il, p. i06-ii0.
(2) Chabas, Le Papyrus ma~Mf Harris, Chaions-sur-Saône, 1860, p. 20 sqq., 92 sqq.
(3) L'EGYPTE DE MVRTADI FILS Dv GApHtpHE, où il est traité des Pyramides. du débordement du Nil, et des autres merueilles de cette Prouince, selon les opinions et traditions des Arabes. De la traduction de M. Pierre

bien que l'être avec lequel il met son héros en rapport, est une déesse, noutrît, mais c'est là une affirmation qu'il ne faut pas peut-être prendre au pied de la lettre elle est déesse, si l'on veut, comme le sont ses cousines les nymphes des religions grecques et romaines, mais elle n'a pas droit à un culte officiel du genre de celui qu'on pratique dans les temples (i). Disons donc qu'elle est une nymphe nue et dont la chevelure est d'une couleur changeante. Son teint était-il rose comme celui de Nitocris, que la tradition d'époque grecque logeait dans la Pyramide de Mykérinos? Une autre légende, que je trouve chez les historiens arabes de l'Égypte, présente également de l'analogie avec l'épisode raconté dans notre fragment (2). Les Arabes attribuent souvent la fondation d'Alexandrie à un roi Gébire et à une reine Charobe, dont les historiens occidentaux n'ont jamais entendu parler. Tandis que Gébire s'évertuait à construire la ville, son berger menait paître au bord de la mer des troupeaux qui fournissaient de lait la cuisine royale. « Un « soir, comme il remettait ses bêtes entre les mains des ber« gers qui lui obéissaient, lui, qui était beau, de bonne mine « et de belle taille, vit une belle jeune dame sortir de la mer, « qui venait vers lui, et qui, s'étant approchée de lui de fort « près, le salua. Il lui rendit le salut, et elle commença à « parler à lui avec toute la courtoisie et civilité possible, et lui « dit « 0 jeune homme, voudriez-vous lutter contre moi pour « quelque chose que je mettrai en jeu contre vous? Que « voudriez-vous mettre en jeu? répondit le berger. Si vous « me terrassez, dit la jeune dame, je serai à vous, et vous « ferez de moi ce qu'il vous plaira et si je vous terrasse, « j'aurai une bête de votre troupeau ». La lutte se termina par la défaite du berger. La jeune dame revint le lendemain et les jours suivants. Comment elle terrassa de nouveau le berger, comment le roi Gébire, voyant disparaître ses brebis, entreprit de lutter avec elle et la terrassa à son tour, cela Va«te)', Docteur en Me<~eet!:e, Lecteur e< professeur f/M Roy en Langue Arabique. Svr un manuscrit Arabe tiré de la Bibliothèque de feu Monseigneur le Cardinal Mazarin. A Paris, chez Lovvs BILLAINE, au second pillier de la grande Salle du Paiais, à la Palme et au grand Cesar n.D.c.LXVi. Avec Prïot~e du /<0! In-12, p. 65 sqq.
(1) Cfr. Virey, la Religion de l'Ancienne J~y~<c, 1910, p. 60. (2) L'Égypte de Murtadi, fils du Gaphiphe, p. 143 sqq.

n'est-il pas écrit en 1,.É,,pte de Murtadi, fils du Gaphiphe, de.la traduction de M. Pierre Vattier, docteur en médecine, lecteur et professeur du roi en langue arabique? Je pense que la belle femme du conteur égyptien adressait à notre berger quelque proposition du genre de celte que la jeune dame du conteur arabe faisait au sien. Le conte du ./VaM/rayë nous avait déjà montré un serpent doué de la parole et seigneur d'une île enchantée (1); le fragment de Berlin nous présente une nymphe, dame d'un étang. Pour peu que le hasard favorise nos recherches, nous pouvons nous attendre à retrouver dans la littérature égyptienne tous les êtres fantastiques de la littérature arabe du moyen âge.
(1) Cfr. plus haut, p. 108 sqq. du présent volume.

LA QUERELLE D'APOPI ET DE SAQNOUNRIYA (XIX~ DYNASTIE)
Ce récit couvre ce qui reste des premières pages du papyrus Sallier M" On lui a longtemps attribué la valeur d'un document historique; le style, les expressions employées, le fond même du sujet, tout indique un roman où les rôles principaux sont tenus par des personnages empruntés aux livres d'histoire, mais dont la donnée est presque entière de l'imagination populaire.
Champollion vit deux fois le papyrus chez son premier propriétaire, M. Sallier, d'Aix en Provence, en 1828 quelques jours avant son départ pour l'Égypte, et en 1830 au retour; les notes publiées par Salvolini prouvent qu'il avait reconnu, sinon la nature même du récit, du moins la signification historique des noms royaux qui s'y trouvent. Le manuscrit, acheté en 1839 par le British Museum, fut publié en fac-similé dès 1841 dans les Select papyri (1); la notice de Hawkins, rédigée évidemment sur les indications de Birch, donne le nom de l'antagoniste d'Apôphis que Champollion n'avait pas lu, mais elle attribue le cartouche d'Apôphis au roi Phiôps de la V dynastie. E. de Rougé est le premier qui ait discerné vraiment ce que contenaient les premières pages du papyrus. Dès 1847, il rendit à Saqnounrîya sa place réelle sur la liste des Pharaons; (1) Select Papyri, t. I, pl. 1 sqq.

en 1854, il signala la présence du nom d'Hâouârou dans le fragment, et il inséra dans l'A~AëtMBMm Français (1) une analyse assez détaillée du document. La découverte fut popularisée en Allemagne par Brugsch, qui essaya d'établir le mot à mot des trois premières lignes (2), puis en Angleterre par Goodwin, qui crut pouvoir risquer une traduction complète (3). Depuis lors, le texte a été souvent étudié, par Chabas (4), par Lushington (5), par Brugsch (6), par Ebers (7). Goodwin, après mûr examen, émit timidement l'avis qu'on pourrait bien y trouver non pas une relation exacte, mais une version romanesque des faits historiques (8). C'est l'opinion à laquelle je me suis rallié et qui paraît avoir prévalu dans l'école. La transcription, la traduction et le commentaire du texte sont donnés tout au long dans mes Études égyptiennes (9).
Il m'a semblé que les débris subsistants permettent de rétablir les deux premières pages presque en entier. Peut-être l'essai de restitution que je propose paraîtra-t-il hardi même aux égyptologués on verra du moins que je ne l'ai point entrepris à la légère. L'analyse minutieuse de mon texte m'a conduit aux résultats que je soumets à la critique. H arriva que la terre d'Égypte fut aux Impurs (10), et, comme il n'y avait point de seigneur v. s. f. roi ce jour(1) ~<A~~M)M Français, 1854. p. 532; cf. ŒM~fe~ tHtx'f.Ms, t. H, pp. 412-413. (2) Brugsch, ~yp<McAe StM'em, II. Ein ~g~pttsc/tes Da~MM über die Hyksoszeit, p. 8-21, in-8°, Leipzig, 1854, Extrait de la Zeitschl'ilt der Deutschen Morg~~d~c~e?! G~Msc/ja/t, t! IX.
(3) Goodwin, Hieratic Papyr!, dans les Cambridge Essays, 1858, p. 243-245.
(4) Chabas, les Pasteurs en B~p<e, Amsterdam, 1868, in-4, p. 16-18. (5) Lushingtoo, Fragment of the f'tr~ Sailier ~'ap!/?'M, dans les Transactions of the Society of Biblical j4t-eA~oto~ t. IV, p. 263-266, reproduit dans les Records of the P<M<. 1" série, t. VIII, p. 1-4.
(6) Brugsch, HM<o:~ d'p<c, in-4", 1859,' p. 78 sqq., .et Geschichte ~p<e~, in-8', 1878, p. 222-226; cfr. Tanis und Quarts dans la .Ze:<schrift /ür aM.~cme:'?:e?: Erdkunde, nouvelle série, t. XIV, p. 81 sqq. (7) Ebers, ~~yp~en und die BtïcAe'- ~MosM, 1868, p. 204 sqq. (8) Bunsen, Egypt's Place, t. IV. p. 671.
(9) Maspero, Etudes É~p<Mn~M, t. I, p. 195-216.
(10) C'est l'une des épithètes injurieuses que le ressentiment des scribes prodiguait aux Pasteurs et aux autres peuples étrangers qui avaient occupé l'Égypte; cfr. p. 163, note 2.
19

là, il arriva donc que le roi Saqnounrîya (1), v. s. f., fut souverain v. s. f. du pays du Midi, et que le fléau des villes Rà-Apôpi, v. s. f., était chef du Nord dans Hàouârou (2); la Terre Entière lui rendait tribut avec ses produits manufacturés et le comb}a~t aussi de toutes les bonnes choses du Tomouri (3). Voici que le roi Râ-Apopi, v. s. f., se prit Soutekhou pour maître, et il ne servit plus aucun dieu qui était dans la Terre-Entière si ce n'est Soutekhou, et il construisit un temple en travail excellent et éternel à la porte du roi Râ-Apôpi, v. s. f., et il se leva chaque jour pour sacrifier des victimes quotidiennes à Soutekhou, et les chefs vassaux du souverain, v. s. frétaient là avec des guirlandes de fleurs, exactement comme on faisait pour le temple de Phrâ Harmakhis. Et le roi Râ-Apôpi, v. s. f., songea à envoyer un message pour l'annoncer au roi Saqnounrîya, y. s. f., le prince de la ville du Midi (4). Et beaucoup de jours après cela, le roi Râ-Apôpi, v. s. f., fit appeler ses grands chefs.
Le texte s'interrompt ici pour ne plus reprendre qu'au début de la page 2 au moment où il reparaît, après une lacune presque complète de cinq lignes et demie, nous trouvons des phrases qui appartiennent évidemment au message du roi Apôpi. Or, des exemples nombreux, empruntés aux textes romanesques comme aux textes historiques, nous apprennent qu'un message confié à un personnage est toujours répété par lui presque mot pour mot nous pouvons donc assurer que les deux lignes mises, à la page 2, dans la bouche de l'envoyé, (1) C'est la prononciation la plus probable du prénom que l'on transcrit ordinairement /<dsAene)t. Trois rois d'Égypte ont porté ce prénom, deux du nom de Tiouâou, un du nom de Tiouâqen, qui régnait quelques années avant Ahmôsis.
(2) Haouarou, l'Avaris de Manéthon, était la forteresse des pasteurs en Égypte. E. de Rougé a prouvé que Hâouàrou était un des noms de Tanis, le plus commun aux époques anciennes.
(3) La Basse-Égypte, le ~«~ des canaux, )e pays du Nord; cf. p. 4, note 3, (4) La ville du Midi est Thèbes.

figuraient déjà parmi les lignes perdues de la page et de fait, le petit fragment isolé qui ngure au bas du fac-similé porte des débris de signes qui répqndent exactement à l'un des passages du message. Cette première version était don mise dans la bouche des conseillers du roi mais qui épatent ces conseillers? Etaient-çe les grands princes qu'il fais,ait appeler au point où j'ai arrêté le texte? Non, car dans les fragments conservés de la ligne 7 on lit le nom des sctt&es savants, et à la ligne 2 de la page 2, il est affirmé expressément qu'Apôni envoya à Saqno.unriya le message que lui avaient dit ses scribes M~H<s. 11 convient donc d'admettre qu'Apôpi, ayant cons.~té ses chefs civils et militaires, ils lui conseillèrept de s'adresser ses scribes. Le discours de ceux-ci commence à la 8n de. la ligne 7 avec l'exclamation de rigueur ~~M~er~t~, Mo<fem~<7'g/ 1 En résumé, pour toute cette première partie de la lacune, nous avons une délibération très semblable à celle qu'on yencontre plus bas à la cour de Saqnounrîya et dans le Conte des deux Frères, quand Pharaon veut savoir à qui appartient la boucle de cheveux qui parfumait son linge (1). Je reprends donc
Et beaucoup de jours après cela, le roi Râ-Apôpi, v. s. f., fit appeler ses grands chefs, aussi ses capitaines et ses généraux avisés, mais ils ne surent pas lui donner un discours bon à envoyer au roi Saqnounrîya, v. s. f., le chef du pays du Midi. Le roi Apôpi, v. s. f., fit donc appeler ses scribes magiciens. Ils lui dirent « Suzerain, v. s. f., « notre maître. » (2) et ils donnèrent au roi Râ-Apôpi, v. s. f., le discours qu'il souhaitait « Qu'un messager aille « vers le chef de la ville du Midi pour lui dire Le roi « Râ-Apôpi, v. s. f., t'envoie dire « Qu'on chasse sur « l'étang les hippopotames qui sont dans les canaux du « pays. afin qu'ils laissent venir à moi le sommeil, la « nuit et le jour. »
Voilà une portion de }a lacune comblée d'une manière cer-
taine, au moins quant, au se.ns; ma~s H reste, ap bas de la
tain~1 a,.pn<~ip.s. quant. ail s~p's; ip, il reste, q\1 bÇl~ cle la
(i) Voir plus haut, p. 24 du présent volume.
(2) Cette ligne devait !'enferH)er un. compUtPent à l'adresse du roi.

page, une bonne ligne et demie, peut-être même deux lignes et plus à remplir. Ici encore, la suite du récit nous permet de rétablir le sens exact, sinon la lettre, de ce qui manque dans le texte. On voit, eneffet, qu'après avoir recule message énoncé plus haut, le roi Saqnounrîya assemble son conseil qui demeure perplexe et ne trouve rien à répondre sur quoi le roi Apôpi envoie une seconde ambassade. Il est évident que l'embarras des Thébains et leur silence étaient prévus par les scribes d'Apôpi, et que la partie de leur discours, qui nous est conservée tout au haut de la page 2, renfermait la fin du second message qu'Apôpi devait envoyer, si le premier restait sans réponse. Dans les contes analogues, où il s'agit d'une chose extraordinaire que l'un des deux rois doit accomplir, on énonce toujours la peine à laquelle il devra se soumettre en cas d'insuccès. Il en était bien certainement de même dans notre conte, et je propose de restituer comme il suit « II ne saura que répondre ni en bien ni en mal! alors « tu lui enverras un autre message K Le roi Râ-Apôpi, « v. s. f., t'envoie dire « Si le chef du Midi ne peut pas « répondre à mon message, qu'il ne serve d'autre dieu que « Soutekhou! Mais s'il y répond, et qu'il fasse ce que je « lui dis de faire (1), alors je ne lui prendrai rien, et je ne « m'Inclinerai plus devant aucun autre dieu du pays « d'Égypte qu'Amonrâ, roi des dieux »
Et beaucoup de jours après cela, le roi Râ-Apôpi, v. s. f., envoya au prince du pays du Sud le message que ses scribes magiciens lui avaient donné et le messager du roi Râ-Apôpi, v. s. f., arriva chez le prince du pays du Sud. Celui-ci dit au messager du roi Râ-Apôpi, v. s. f. « Quel message apportes-tu au pays du Sud? Pourquoi « as-tu accompli ce voyage ? » Le messager lui dit « Le « roi Râ-Apôpi, v. s. f., t'envoie dire « Qu'on chasse sur « l'étang les hippopotames qui sont dans les canaux du « pays afin qu'ils laissent venir à moi le sommeil de jour (1) La partie conservée du texte commence en cet endroit.

« comme de nuit. » Le chef du pays du Midi fut frappé de stupeur et il ne sut que répondre au messager du roi Râ-Apôpi, v. s. f. Le chef du pays du Midi dit donc au messager « Voici ce que ton maître, v. s. f., envoie « pour. le chef du pays du Midi. les paroles qu'il m'a « envoyées. ses biens. Le chef du pays du Midi fit donner toute sorte de bonnes choses, de la viande, du gâteau, des. du vin, au messager, puis il lui dit « Retourne dire à ton maître tout ce que tu as dit, « je l'approuve. Le messager duroiRâ-Apôpi, v. s. f., se mit à marcher vers le lieu où était son maître, v. s. f. Voici que le chef du pays du Midi fit appeler ses grands chefs, aussi ses capitaines et ses généraux avisés et il leur répéta tout le message que lui avait envoyé le roi Râ-Apôpi, v. s. f. Voici qu'ils se turent d'une seule bouche pendant un long moment, et ils ne surent que répondre ni en bien ni en mal.
Le roi Râ-Apôpi, v. s. f., envoya au chef du pays du Sud l'autre message que lui avaient donné ses scribes magiciens.
Il est fâcheux que le texte s'interrompe juste en cet endroit. jjes trois Pharaons qui portentle nom de Saqnounrîya régnaient à une époque troublée et ils avaient dû laisser des souvenirs vivaces dans l'esprit de la population thébaine. C'étaient des princes remuants et guerriers, dont le dernier avait péri de mort violente, peut-être en se battant contre les Hyksôs, peutêtre par la main d'assassin. Il s'était rasé la barbe le matin même, en « se parant pour le combat comme le dieu Montou », ainsi que disaient les scribes égyptiens. Un coup de hache lui enleva une partie de la joue gauche, lui découvrit les dents, lui fendit la mâchoire, le renversa à terre étourdi un second coup pénétra profondément dans le crâne, une dague ou une lance courte lui creva le front vers la droite, un peu au-dessus de l'œil. Le corps fut embaumé à la hâte, dans l'état même où la mort l'avait immobilisé. Les traits respirent encore la rage

et la fureur de la lutte; une grande plaque blanchâtre dé cervelle épandue couvre le front, les lèvres rétractées en cercle laissent apercevoir la mâchoire et la langue mordue entre les dents (1). L'auteur de notre conte avait-il mené son récit jusqu'à la fin tragique de son héros? Le scribe à qui nous devons le manuscrit Salliern°l avait eu bien certainement l'intention de terminer son histoire il en avait recopié les dernières lignes au verso d'une des pages, et il se préparait à continuer quandr je ne sais quel accident l'interrompit. Peut-être le professeur, sous la dictée duquel il paraît avoir écrit, ne çonnaissait-il pas les dernières péripéties. J'ai déjà indiqué, dans l'Introduction, quelle était la conclusion probable le roi Saqnounrîya, après avoir hésité longtemps, réussissait à se tirer du dilemme mbarrassant où son puissant rival avait prétendu l'enfermer. Sa réponse, pour s'être fait attendre, ne devait guère être moins bizarre que le message d'Apôpi, mais rien ne nous permet de conjecturer ce qu'elle était.
(1) Masperd, Les Momies royales d'~yp<e récemment mises aù jfox' p. 14-15.

FRAGMENTS D'UNE HISTOIRE DE REVENANT (XXé DYNASTIE)
Ils nous ont été conservés sur quatre tessons de pot, dont un est aujourd'hui au Louvre et un autre au Musée de Vienne; les deux derniers sont au Musée Égyptien de Florence. L'Ostracon de Paris est formé de deux morceaux recollés ensemble et portant les débris de onze lignes. Il à été traduit, mais non publié, par Devéria, Catalogue des manuscrits égyptiens du Musée du Louvre, Paris, 1872, p. 208, et le cartouche qu'il renferme étudié par Lincke, Ueber etnem KocA nicht er~ct~eM Konigsnamen au f einem Ostracon des Louvre, dans le Recueil de Travaux relati fs à la philologie et à l'archéologie Égyptienne et Assyrienne, 1880, t. 11, p. 85-89. Cinq lignes du texte ont été publiées en fac-similé cursif par Lâtith, qui lit le nom royal Râ-Hap-Amh et le place dans la IV" dynastie (Manetho und der 7"MrtMe)' Aô'Mt~spap~rMX, p. 187); enfin l'ensemble a été donné par Spiegelberg, Varia, dans le Recueil des 7VauaMa;, t. XVI, p. 31-32. Les deux fragments de Florence. portent, sur le Catalogue de Migliarini, les numéros 2616 et 2617. Ils ont été photographiés en 1876 par Golénicheff, puis transcrits d'une manière incomplète par Ermàn dans la Zeitschrift (1880, 3" fasc.), ennn publiés en fac-similé, transcrits et traduits par Golénicheff, Notice sur un Ostracon hiératique du Musée de Florence (avec deux planches), dans le Recueil, 1881, t. 111, p. 3-7. J'ai joint au mémoire de GolénicheB' une note

(Recueil, t. III, p. 7) qui renferme quelques corrections sans grande importance. Les deux fragments de Florence ne donnent en réalité qu'un seul texte, car l'Ostracon 2617 parait n'être que la copie de l'Ostracon 2616. Enfin l'Ostracon de Vienne a été découvert, publié et traduit par E. de Bergmann, dans ses Hieratische und Hieratisch-Demotische Texte der Sammlung ~ptischer A~er~AMmer des A~erAô'cA~eM AaMer/taMSe~,Vienne, 1886, pl. IV, p. VI. Il est brisé par le milieu et la moitié de chaque ligne a disparu.
Il est impossible de deviner quelle était la donnée principale du conte. Plusieurs personnages y jouaient un rôle, un grandprêtre d'Amon Thébain, Khonsoumhabi, trois hommes sans nom, et un revenant qui parle en fort bons termes de sa vie d'autrefois. L'Ostracon de Paris paraît nous avoir conservé un fragment du début. Le grand-prêtre Khonsoumhabi semble préoccupé de l'idée de trouver un emplacement convenable pour son tombeau.
Il envoya un de ses subordonnés à l'endroit où s'élevait le tombeau du roi de la Haute et de la Basse-Égypte, Râhotpou, v..s. f. (1), et avec lui des gens sous les ordres du grand-prêtre d'Amonrâ, roi des dieux, trois hommes, en tout quatre hommes celui-ci s'embarqua avec eux, il navigua, il les amena à l'endroit indiqué, auprès du tombeau du roi Râhotpou, v. s. f. Ils s'en approchèrent avec elle, ils y pénétrèrent elle adora vingt-cinq. dans la royale. contrée, puis, ils vinrent au rivage, et ils naviguèrent vers Khonsoumhabi, le grand-prêtre d'Amonrâ, roi des dieux, et ils le' trouvèrent qui chantait les louanges du dieu dans le temple de la ville d'Amon.
(1) Le nom de Ràhotpou a été porté par un roi obscur de la XV1° ou de la XVII* dynastie, dont le tombeau parait avoir été situé à Thèbes, dans le même quartier de la Nécropole où s'élevaient les pyramides des souverains de la XI*. de la Xill', de la XIV'dynastie et des dynasties suivantes, vers Drah-Abou'1-Neggah. C'est probablement, de ce Ràhotpou qu'il est en question dans notre texte (cf. li,. Gauthier, le ~tM'e des Rois d'a~e, t. 11, pp. 88, 89).

Il leur dit « Réjouissons-nous, car je suis venu et j'ai « trouvé le lieu favorable pour y établir mon séjour à per« pétuité! » Les trois hommes lui dirent d'une seule bouche « Il est trouvé le lieu favorable pour y établir « ton séjour à perpétuité », et ils s'assirent devant elle, et elle passa un jour heureux, et son cœur se donna à la joie. Puis il leur dit « Soyez prêts demain matin, quand le « disque solaire sortira des deux horizons ». Il ordonna au lieutenant du temple d'Amon de loger ces gens-là, il dit à chacun d'eux ce qu'il avait à faire et il les fit revenir se coucher dans la ville, le soir. Il établit. 0
Dans les fragments de Florence, le grand-prêtre se trouve en tête-à-tête avec le revenant, et peut-être est-ce en faisant creuser le tombeau plus ancien, dont les hôtes se sont mis à causer avec lui, de la même façon que les momies de Nénoferképhtah avec le prince Satoi-Khâmois (1). Au point où nous prenons le texte, une des momies semble raconter sa vie terrestre au premier prophète d'Amon.
« Je grandissais et je ne voyais pas les rayons du soleil, « et je ne respirais pas le souffle de l'air, mais l'obscurité « était devant moi chaque jour, et personne ne me venait « trouver ». L'esprit lui dit « Moi, quand j'étais encore « vivant sur terre, j'étais trésorier du roi Râhotpou, « v. s. f., j'étais aussi son lieutenant d'infanterie. Puis, je « passai en avant des gens et à la suite des dieux .(2), et « je mourus en l'an XIV, pendant les mois de Shomou (3) « du roi Manhapourîya (4), v. s. f. Il me fit mes quatre enve(1) Voir plus haut, p. 127 sqq. du présent volume.
(2) Passer en avant des hommes et à la suite des dieux, c'est mourir. Le mort précède dans l'autre monde ceux qui restent sur terre et il va se ranger parmi ceux qui suivent Râ, Osiris, Sokaris ou quelqu'un des dieux funéraires.
(3) L'année égyptienne était divisée en trois saisons de quatre mois chacune celle de Shomou était la saison des moissons.
(-4) Pour ce roi qui est plus obscur encore que Ràhotpou, voir H. Gauthier, le Livre des Rois d'Égypte, t. 11, p. 95.

« loppes et mon sarcophage en albâtre; il fit faire pour « moi tout ce qu'on fait à un homme de qualité, il me « donna des offrandes. »
Tout ce qui suit est fort obscur. Le mort semble se plaindre de quelque accident qui lui serait arrivé à lui-même ou à son tombeau, mais je ne vois pas bien quel est le sujet de son mécontentement. Peut-être désirait-ilsimplement, comme Nénoferképhtah dans le conte de Satni-Khâmois, avoir à demeure auprès de lui sa femme, ses enfants, ou quelqu'une des personnes qu'il avait aimées. Son discours fini, le visiteur prend la parole à son tour.
Le premier prophète d'Amonra, roi des dieux, Khonsoumhabi, lui dit « Ah donne-moi un conseil excellent « sur ce qu'il convient que je fasse, et je le ferai faire pour « toi, ou du moins accorde qu'on me donne cinq hommes « et cinq esclaves; en tout dix personnes, pour m'apporter « de l'eau, et alors je donnerai du grain chaque jour, et « cela m'enrichira, et on m'apportera une libation d'eau « chaque jour ». L'esprit Nouîtbousokhnou (1) lui dit « Qu'est-ce donc que tu as fait ? Si on ne laisse pas le bois « au soleil, il ne restera pas desséché; ce n'est pas la « pierre vieillie qu'on fait venir. »
Le prophète d'Amon semble, comme oh voit, demander un service à l'esprit; l'esprit de son côté ne paraît pas disposé à le lui accorder, malgré les promesses que le vivant lui fait. La conversation se prolongeait sur le même. thème assez longtemps, et je crois en trouver la suite sur l'Ostracon de Vienne. Khonsoumhabi désirait savoir à quelle famille appartenait l'un de ses interlocuteurs, et celui-ci satisfaisait amplement cette curiosité bien naturelle.
(1) Ce nom signifie la demeure ne l'enferme point peut-étre, au lieu d'être le nom du mort, est-ce un terme générique servant à désigner les revenants.

L'esprit lui dit « X. est le nom de mon père, X. le « nom du père de mon père, et X. le nom de ma mère ». Le grand-prêtre Khonsoumhabi lui dit « Mais alors je « te connais bien. Cette maison éternelle où tu es, c'est « moi qui te l'ai fait faire c'est moi qui t'ai fait ense« velir, au jour où tu as rejoint la terre, c'est moi qui « t'ai fait faire tout ce qu'on doit faire à quiconque est « de haut rang. Mais moi, voici que je suis dans la « misère, un mauvais vent d'hiver a soufflé la faim sur « le pays, et je ne suis pas plus heureux, mon cœur ne « déborde pas (de joie) comme le-Nil. » Ainsi dit Khonsoumhabi, et après cela Khonsoumhabi resta là, en pleurs, pendant longtemps, sans manger, sans boire, sans. Le texte est criblé de tant de lacunes que je ne me flatte pas de l'avoir bien interprété partout. H aurait été complet que la difficulté aurait été à peine moins grande. Je ne sais si la mode était chez tous les revenants égyptiens de rendre leur langage obscur à plaisir celui-ci ne parait pas s'être préoccupé d'être clair. Son discours est interrompu brusquement au milieu d'une phrase, et, à moins que CrolénicheS* ne découvre quelque autre tesson dans un musée, je ne vois guère de chances que nous en connaissions jamais la fin, non plus que la fin de l'histoire.

HISTOIRE D'UN MATELOT (ÉPOQUE PTOLÉMAÎQUE)
Ce fragment est extrait du grand papyrus démotique de la Bibliothèque nationale. Ce document, rapporté en France au commencement du Xtx" siècle par un des membres de l'expédition d'Égypte, était demeuré, jusqu'en lb73, perdu dans une liasse de papiers de famille. Offert par la librairie Maisonneuve à la Bibliothèque nationale de Paris, il fut acquis par celle-ci, sur mes instances, moyennant la faible somme de mille francs.
H est écrit sur les deux faces et il renferme plusieurs compositions d'un caractère particulier, prophéties messianiques, dialogues à demi-religieux, apologues. Le seul fragment qui ait sa place bien nettement marquée dans ce recueil est celui dont je donne la traduction dans les pages suivantes. Le mérite d'en avoir découvert et publié le texte revient à M. Eugène Révillout, qui était alors conservateur-adjoint au Musée égyptien du Louvre
Premier ea:<?'a:t de la Chronique Démotique de Pans le roi Amasis et les Mefcenatrcs, selon les données d'Hérodote et les renseignements de la Chronique dans la Revue égyptologique, t. L, p. 4.9-82, et planche I!, in-Paris, 1880, E. Leroux.
Depuis lors M. Révillout en a donné en français une traduction plus complète
E. Réviilout, Hérodote et les oracles Égyptiens, dans la Revue Égyp<o~:o'Me,t. IX, 1900, p. 2-3, puis une transcription en hiéroglyphes avec une traduction nouvelle en français
E. Révillout, Amasis sur le lac et le Conte du Nautonnier, dans la Revue Égyptologique, 1908, t. XH, p. 113-116.
Le roi Amasis eut, parait-il, le privilège d'inspirer les conteurs

égyptiens. Sa basse origine, la causticité de son esprit, la hardiesse de sa politique à l'égard des Grecs soulevèrent contre lui la haine tenace desuns, si elleslui valurent l'admiration passionnée desautres. Hérodote recueillit sur son compte les renseignements les plus contradictoires, et l'Histoire du Matelot nous rend, dans la forme.originale, une des anecdotes qu'on racontait de lui. L'auteur prétend que le roi Amasis, s'étant enivré un soir, se réveilla, la tête lourde, le lendemain matin ne se sentant pas bien disposé à traiter d'affaires sérieuses, il demanda à ses courtisans si aucun d'eux ne connaissait quelque histoire amusante. Un des assistants saisit cette occasion de raconter les aventures d'un matelot. Le récit est trop tôt interrompu pour qu'on puisse juger de la. tournure qu'il prenait. Rien ne nous empêche de supposer que le narrateur en tirait une morale applicable au roi lui même toutefois il me parait assez vraisemblable que l'épisode du début n'était qu'un prétexte à l'histoire. Sans parler du passage du livre d'Esther où Assuérus, tourmenté d'insomnie, se fait lire les annales de son règne, le premier roman égyptien de Saint-Pétersbourg commence à peu près de la même manière le roi Sanofrouî assemble son conseil et lui demande une histoire (i). On me permettra donc de ne pas attacher à ce récit plus d'importance que je n'en ai accordée aux récits de Sinouhît ou de Thoutiyi. Il arriva un jour, au temps du roi Ahmasi, que le roi dit à ses grands « II me plaît boire du brandevin « d'Égypte )) Usdirent « Notre grand maître, c'est dur de « boire du brandevin d'Egypte ». Il leur dit « Est-ce que « vous trouveriez à reprendre à ce que je vous dis (2) ? » Ils dirent « Notre grand maître, ce qui plaît au roi, qu'il « le fasse ». Le roi dit « Qu'on porte du brandevin « d'Egypte sur le lac! » Ils agirent selon l'ordre du roi. Le roi se lava avec ses enfants, et il n'y eut vin du monde avec eux, si ce n'est le brandevin d'Égypte; le roi se délecta avec ses enfants, il but du vin en très grande quantité à cause de l'avidité que marquait le roi pour le brandevin d'Égypte, puis le roi s'endormit sur le lac, le soir de ce jour-là, car il avait fait apporter par les matelots un lit de repos sous une treille, au bord du lac. (1) Voir ce qui est dit à ce sujet, p. 24 du présent volume. (2) Litt. <* Est-ce que cela a mauvaise odeur, ce que je vous dis?

Le matin arrivé, le roi ne put se lever à cause de la grandeur de l'ivresse dans laquelle il était plongé. Passée une heure sans qu'il pût se lever encore, les courtisans proférèrent une plainte disant « Est-il possible que, s'il « arrive au roi de s'enivrer autant qu'homme au monde, « homme au monde ne puisse plus entrer vers le roi pour « une affaire (1)? » Les courtisans entrèrent donc au lieu où le roi était et ils dirent « Notre grand .maître, quel « est le désir qui possède le roi ? » Le roi dit « II me << plaît m'enivrer beaucoup. N'y a-t-il personne parmi M vous qui puisse me conter une histoire, afin que je puisse « me tenir éveillé par là? » Or, il y avait un Frère royal (2) parmi les courtisans dont le nom était Péoun (3), et qui connaissait beaucoup d'histoires. Il s'avança devant le roi, il dit « Notre grand maître, est-ce que le roi ignore « l'aventure qui arriva à un jeune pilote à qui l'on donnait « nom. ? M
Il arriva au temps du roi Psamitikou (4) qu'il y eut un pilote marié un autre pilote, à qui on donnait nom. se prit d'amour pour la femme du premier, à qui on donnait nom Taônkh. (5), et elle l'aimait et il l'aimait. Il arriva qu'un jour le roi le fit venir dans la barque nommée. ce jour-là. Passée la fête, un grand désir le (1) Litt Est-ce chose qui peut arriver ceHe-Ià. s'il arrive que.le roi « fasse ivresse d'homme tout du monde, que ne fasse pas homme tout du monde entrée pour affaire vers le roi? o
(2) La lecture est douteuse. Le titre de Fr~'e Royal, assez rare en Égypte, marquait un degré élevé de la hiérarchie nobiliaire. (3j La lecture du nom est incertaine Revillout le lit Pentsate, Pété~M. J'ai pris, parmi les signes connus, celui dont la figure se rapproche le plus de la formule qu'il donne sur son fac-similé.
(4) Le nom remplit la fin d'une ligne et est fort mutité j'ai cru reconnaitre un P dans le premier signe, tel qu'il est sur le fac-similé, et cette lecture m'a suggéré le nom de Psauntikou. Révillout transcrit QMd;a-Hor. (S) Litt. « Prit amour d'elle-même on lui disait Taônkh (?) ou Sônkh « son nom, un autre pilote était à lui nom. » Révillout lit pins simplement ~n/<A le nom de la femme.

prit. que lui avait donné le roi; il dit « », et on le fit entrer en présence du roi. Il arriva à sa maison, il se lava avec sa femme, il ne put boire comme à l'ordinaire arriva l'heure de se coucher tous les deux, il ne put la connaître, par l'excès de la douleur où il se trouvait. Elle lui dit « Que t'est"il arrivé sur le fleuve ?.. » La publication d'un fac-similé exact nous permettra peut-être un jour de traduire complètement les dernières lignes. J'essaierai, en attendant, de commenter le petit épisode du début, celui qui servait de cadre à 1 histoire du Matelot.
Le roi Ahmasi, l'Amasis des Grecs, veut boire une sorte de liqueur que le texte nomme toujours Kolobi d'Égypte, sans doute par opposition aux liqueurs d'origine étrangère que le commerce importait en grandes quantités. M. Révillout conjecture que le Kolobi d'j6'e pourrait bien être le vin âpre du Fayoum ou de Maréa (1). On pourrait penser que le Kolobi n'était pas fabriqué avec du raisin, auquel cas il y aurait lieu de le comparer à l'espèce de bière que les Grecs nommaient Koumi (2). Je suis assez porté à croire que ce breuvage, si dur à boire et dont l'ivresse rend le roi incapable de travail, n'était pas un vin naturel. Peut-être doit-on y reconnaître un vin singulier dont parle Pline (3) et dont le nom grec eA&o~M pourrait être une assonance lointaine du terme égyptien kolobi. Peutêtre encore désignait-on de la sorte des vins si chargés d'alcool qu'on pouvait les enflammer comme nous faisons l'eau-devie c'est cette seconde hypothèse que j'ai admise et qui m'a décidé choisir le terme inexact de ~NK~euMt pour rendre kolobi (4).
La scène se passe sur un lac, mais je ne crois point qu'il s'agisse ici du lac Maréotis (5) ni d'aucun des lacs naturels, du (i) Revue ~t/p~o~ogt~Me, t. I, p. 63, note 1 dans son article du t. X, p. 2, il se décide pour le vin du Fayoum.
(2) Dioscoride, De la Ma<e m~ca/e, t. H, ch. 109 et 110.
(3) Pline, Il. N, xiv, 18.
(4) M. Groff a émis l'opinion que le kolobi était un vin cuit de qualité supérieure (Note sur le mot ledloiei du Papyrus B$'~j).<o-ap!~?t dM Louvre dans le Journal asiatique, VHI* s., t. XI, p. 30S-306), (5) Révillout, Premier extrait de la Chronique dans la Revue ~s'y~to~o-. gique, t. I, p. 65, note 2.

Delta. Le terme shi, lac, est appliqué perpétuellement, dans les écrits égyptiens, aux pièces d'eau artificielles dont les riches particuliers aimaient à orner leur jardin (1). On souhaite souvent au mort, comme suprême faveur, qu'il puisse se promener en paix sur les rives de la pièce d'eau qu'il s'est creusée dans son jardin, et l'on n'a point besoin d'être demeuré longtemps en Égypte pour comprendre l'opportunité d'un souhait pareil. Les peintures des tombeaux thébains nous montrent le défunt assis au bord de son étang; plusieurs tableaux prouvent d'ailleurs que ces étangs étaient parfois placés dans le voisinage immédiat de vignes et d'arbres fruitiers. L'une des histoires magiques que le conte de Chéops renferme nous a enseigné que les palais royaux avaient leur shi, tout comme les maisons de simples particuliers. Ils étaient ordinairement de dimensions très restreintes celui de Sanafrou! était pourtant bordé de campagnes fleuries et il présentait assez de surface pour suffire aux évolutions d'une barque montée par vingt femmes et par un pilote (2). L'auteur du récit démotique ne fait donc que rappeler un petit fait de vie courante, lorsqu'il nous dépeint Ahmasi buvant du vin sur le lac de sa villa ou de son palais et passant la nuit sous une treille au bord de l'eau (3). Un passage de Plutarque, où l'on raconte que Psammétique fut le premier à boire du vin (4), semble montrer qu'Ahmasi n'était pas le seul à qui l'on prêtât des habitudes de ce genre. Peut-être avait-on raconté de Psammétique les mêmes histoires d'ivresse qu'on attribue ici à l'un de ses successeurs l'auteur à qui Plutarque empruntait son renseignement aurait connu le Conte du Matelot ou un conte de cette espèce, dans lequel Psammétique I" tenait le personnage du Pharaon ivrogne. Les récits d'Hérodote nous prouvent du moins qu'Amasis était, à l'époque persane, celui des rois saïtes à qui l'on prêtait le rôle le plus ignoble j'y vois la conséquence naturelle de la haine que lui portaient la classe sacerdotale et les partisans de la vieille famille saïte. Ces bruits avaient-ils quelque fondement dans la réalité, et les contes recueillis par Hérodote n'étaient-ils que l'exagération (i) Cfr. sur le 1 ac, ce qui est dit p. 26-28, et p. 103 n. 1 du présent volume. (2) Voir plus haut, p. 29-31 du présent volume.
(3) Wilkinson, A popular Account of the Antient Egyptians, t. I, p. 25, 38, 42.
(4) Plutarque, de Iside et (Mndf, 6.

maligne d'une faiblesse du prince? Les scribes égyptiens devenaient éloquents lorsqu'ils discouraient sur l'ivresse, et ils mettaient volontiers leurs élèves et leurs subordonnés en garde contre les maisons d'almées et les hôtels où l'on boit de la bière (1). L'ivresse n'en était pas moins un vice fréquent chez les gens de condition élevée, même chez les femmes; les peintres qui décoraient les tombeaux thébains n'hésitaient pas à en noter les effets avec fidélité. Si donc rien ne s'oppose à ce qu'un Pharaon comme Ahmasi ait eu du goût pour le vin, rien non plus, sur les monuments connus, ne nous autorise à affirmer qu'il ait péché par ivrognerie. Je me permettrai, jusqu'à nouvel ordre, de considérer les données que le conte démotique et les contes recueillis par Hérodote nous fournissent sur son caractère comme tout aussi peu authentiques que celles que les histoires de Sésostris ou de Chéops nous fournissent sur le caractère de Khoufouî et de Ramsès II.
(1) Pap~t'iM ~tta~s: ft° pl. X[, I. 8 sqq., et Papyrus de Boulaq, t. J, pi. XVII, 1. 6-11 efr. Chabas, L'M-. t. I, p. lût sqq.

L'AVENTURE DU SCULPTEUR PÉTÊSIS
ET DU ROI NECTONABO
(ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE)
Le'papyrus grec qui nous a conservé ce conte faisait primitivement partie de la collection Anastasi. Acquis par lejnusée de Leyde en 1829, il y fut découvert et analysé par
Reuvens, Lettres à .M. Letronne sur les Papyrus bilingues et grecs et sur quelques autres MOKMmc~s gréco-égyptiens du Musée d'antiquités de Leyde, Leyde, 1830, in-4", 76-79.
Il fut ensuite publié entièrement, traduit et commenté par t Leemans, PcjOMr< Cr~ct Jt~MScB! antiquari publici Lugduni Bs<a~ j Lugduni Batavoruni~ clOtncccxxxvui, p. 1~2-129.
Il a été étudié depuis lors par (U. Wilcken, der Traum des RoHt~s Nektonabos (extrait du volume des Ne~nges Nicole, p. 879-~96), in-8", Genève, 1906, 18 p. et par St. Witkowski, jht Somnium Nectanebi (Pap. Leid. U), observationes aliquot scripsit (extrait de l'~os, t. XIV, pp. 11-18), in-8", Léopold, 1908, 8 p.
La forme des caractères et la contexture du papyrus avaient déterminé Leemans à placer l'écriture du morceau dans la seconde moitié du deuxième siècle avant notre ère Wilcken l'a reportée à la première moitié du même siècle, et il l'attribuerait volontiers à un personnage qui vivait alors dans le cercle des reclus du Sérapéum. La partie conservée se compose de cinq colonnes de longueur inégale. La première, fort étroite, comptait douze lignes; quelques mots seulement y sont lisibles, qui permettent de rétablir par conjecture le titre du conte, « du sculpteur Pétêsisau roi Necto'< nabo. » La seconde et la quatrième comptaient vingt et une lignes chacune, la troisième vingt-quatre. La cinquième ne contient que-

quatre lignes, après lesquelles le récit s'interrompt brusquement au milieu d'une phrase, comme la Querelle d'Apôpi et de Saqnounrîya au Papyrus Sallier H" Le scribe s'est amusé à dessiner un bonhomme contrefait au-dessous de l'écriture et il a laissé son histoire inachevée.
L'écrivain à qui nous devons ce morceau ne l'avait pas rédigé lui-même, d'après un récit qui lui en aurait été fait par un conteur de profession les erreurs dont son texte est rempli prouvent qu'il l'avait copié, et d'après un assez mauvais manuscrit. Le prototype était-il conçu en langue égyptienne? Les mots égyptiens qu'on trouve dans la rédaction actuelle l'indiquent suffisamment. Le sculpteur Pétêsis nous est inconnu. Le roi Nectanébo, dont le nom est vocalisé ici Nectonabo, était célèbre chez les Grecs de l'époque alexandrine, comme magicien et comme astrologue il était donc tout indiqué pour avoir un rêve tel que celui que le conte lui prête. L'ouvrage démotique d'où j'ai extrait l'Histoire du matelot renferme de longues imprécations dirigées contre lui. Le roman d'Alexandre, écrit longtemps après par le pseudo-Callisthène, prétend qu'il fut père du conquérant Alexandre, aux lieu et place de Philippe le Macédonien. Le conte de Leyde, transcrit deux cents ans environ après sa mort, est, jusqu'à présent, le premier connu des récits plus ou moins romanesques qui coururent sur lui dans l'antiquité et pendant la durée du Moyen-Age.
L'an XVI, le 21 de Pharmouti, dans la nuit de pleine lune qui va au 22, le roi Nectonabo, qui présidait à Memphis, ayant fait un sacrifice et prié les dieux de lui montrer l'avenir (1), imagina qu'il voyait en songe le bateau de papyrus appelé Rhôps (2) en égyptien aborder à Memphis (1) C'est le même début que dans le conte utilisé par les Égyptiens pour expliquer l'Exode des Juifs et que Manéthon avait consigné dans son ouvrage Aménophis aurait désiré voir les dieux, comme Horus l'avait fait avant lui (Josèphe, Contra Apionem, I, 26), et les dieux offensés de son désir, lui auraient prédit la ruine.
(2) J'avais conjecturé, dans la précédente édition de cet ouvrage (p. 255, note 2) que l'original égyptien de ce mot était romes, rames, qui désigne une sorte de barque (cf. p. 135 note 2 du présent volume) Wilcken a retrouvé depuis lors, dans un papyrus de Paris, une forme Rhômpsis.qui est plus proche du terme égyptien que Rhôps (der Traum des XôK~s Nectonabos, p. SS1), et ce qui n'était qu'une conjecture est devenu une réalité. Le mot égyptien s'est conservé dans le terme !-OMO!M usité en Nubie et en Haute-Égypte (Burckhardt, Trcœe~ in Nubia, p. 241) pour désigner un canot de joncs (cfr. Maspero, Notes ~MMpechoM, § 11, dans les ~M~a~M du Service des Antiquités, 1909, t. X, p. 138-141).

il y avait sur ce bateau un grand trône, et sur le trône était assise la glorieuse, la distributrice bienfaisante des fruits de la terre, la reine des dieux, Isis, et tous les dieux de l'Égypte se tenaient debout autour d'elle, à sa droite et à sa gauche (1). L'un d'eux s'avança au milieu de l'assemblée, dont le roi estima la hauteur à vingt coudées, celui qu'on nomme Onouris en égyptien (2), Arès en grec, et, se prosternant, il parla ainsi « Viens à moi, déesse « des dieux, toi qui as le plus de puissance sur la terre, « qui commandes à tout ce qui est dans l'univers et qui « préserves tousles dieux, ô Isis, sois miséricordieuse et « m'écoute. Ainsi que tu l'as ordonné, j'ai gardé le pays « sans faillir, et, bien que jusqu'à présent je me sois donné « toute peine pour le roi Nectonabo, Samaous (3), entre « les mains de qui tu as constitué l'autorité, a_negligé « mon temple et il s'est montré contraire à mes lois. Je « suis hors de mon propre temple, et les travaux du « sanctuaire appelé Phersô (4) sont à moitié inachevés par (1) C'est la description exacte de certaines scènes assez fréquentes dans les temples d'époque ptolémaïque et romaine.
(2) La transcription adoptée aujourd'hui pour ce nom est Anhour, Anhouri. Onhouri. Anhouri est une des nombreuses variantes du dieu soleil il était adoré, entre autres, dans le nome Thinite et à Sébennytos. On le représente de forme humaine, la tête surmontée d'une couronne de hautes plumes et perçant de la pique un ennemi terrassé. La XXX* dynastie étant Sébennytique d'origine, Anhouri en était le protecteur en titre le premier Nectanébo s'intitulait dans son cartouche Meionhouri, l'aimé d'OTtOMrM.
(3) L'équivalent hiéroglyphique de ce nom n'a pas encore été retrouvé dans les textes. Wilcken (der VfaKm des A'ô/t~ A~c<o?;<~o~pp. 586-589), croit y reconnaître une transcription du nom de bannière de Nectanébo yamdou, et, par suite, la personne du souverain lui-même. Mais le nom de bannière n'est pas Vam~oM seul, il est Afo;tM<!oM, et il me parait difficile de croire que l'écrivain eût passé dans sa transcription un élément aussi important que le nom d'Horus. Witkowski de son côté (ln Som?!!Mm ~Vec<atte/ p. H-1S) préfère voir dans Samaous, comme Leemans l'avait fait avant lui, le nom du gouverneur de la ville. (4) Wilcken (ticrTraum des ~on; A'e/~oM~tM, p. SS9-590) arétabli.ici ce 'membre de phrase qui manque dans l'original. D'après des inscriptions recueillies dans les ruines de Sébennytos, le nom d'un des principaux
~~)f~ C~~C~'M~T! C!. F- C. –T~ 1

« la méchanceté du souverain ». La reine des dieux, ayant ouï ce qui vient d'être dit, ne répondit rien.
Ayant vu le songe, le roi s'éveilla et il ordonna en hâte qu'on envoyât à Sébennytos de l'intérieur (1), mander le grand-prêtre et le prophète d'Onouris. Quand ils furent arrivés à la salle d'audience, le roi leur demanda « Quels « sont les travaux en suspens dans le sanctuaire appelé « Phersô? » Comme ils lui dirent :.«Toutestterminé, sauf « la gravure des textes hiéroglyphiques sur les murs de « pierre )), il ordonna en hâte qu'on écrivît aux principaux temples de l'Égypte pour mander les sculpteurs sacrés. Quand ils furent arrivés selon l'ordre, le roi leur demanda qui était parmi eux le plus habile, celui qui pourrait terminer promptement les travaux en suspens dans le sanctuaire appelé .Phersô ? Cela dit, celui de la ville d'Aphrodite, du nome Aphroditopolite, le nommé Pétêsis, fils d'Ergeus, se leva et dit qu'il pourrait terminer tous les travaux en peu de jours (2). Le roi interrogea de même tous les autres, et ils affirmèrent que Pétêsis disait vrai, et qu'il n'y avait pas dans le pays entier un homme qui l'approchât en ingéniosité. C'est pourquoi le roi lui adjugea les travaux en question, et il lui confia ensemble de grandes sommes, et il lui recommanda de s'arranger sanctuaires de cette ville était P~SMoM « la maison du dieu Shôou-Shou a (Ahmed bey Kémal, S<'Ae7t)!<o~e< son temple, dans Ies~K?ia:~c<M~'t)!ce des Antiquités, 1906, t. VII, p. 90); peut-être correspond-il à notre Pbersô. (1) Sébennytos est dite ici </e t't~e~eM'' pour la distinguer de l'autre ville du même nom, qui était située près de la tH?)'(WiIcken, der 7')'aM?K des Konigs AM<o?!a~o, p. S90.)
(2~ La reine Hatshopsouitou se vante d'avoir fait extraire de la carrière, près d'Assouan, transporter à Thèbes, sculpter, polir, ériger, le tout en sept mois, les deux grands obélisques de granit rose dont 1 un est encore debout à l'entrée du sanctuaire du temple de Karnak. La rapidité avec ,laquelle on exécutait des travaux de ce genre était une marque d'habileté ou de pouvoir dont on aimait à se vanter. L'auteur de notre conte est donc dans la tradition purement égyptienne, lorsqu'il nous représente son architecte fixant un délai très bref à l'accomplissement des travaux.

pour avoir terminé l'ouvrage en peu de jours, ainsi qu'il l'avait dit lui-même selon la volonté du dieu. Pétêsis, après avoir reçu beaucoup d'argent, se rendit à Sébennytos, et comme il était par nature biberon insigne, il résolut de se donner du bon temps avant de se mettre à l'oeuvre. Or il lui arriva, comme il se promenait dans la partie méridionale du temple, de rencontrer la fille d'un parfumeur (1), qui était la plus belle de celles qui se distinguaient par leur beauté en cet endroit.
Le récit s'arrête au moment même où l'action s'engage. La rencontrefaite par Pétêsis dans la partie méridionale du temple rappelle immédiatement à l'esprit celle que Satni avait faite sur le parvis du temple de Phtah (2). On peut en conclure, si l'on veut, que l'auteur avait introduit dans son roman une héroïne dugenre de Tboubouî. Peut-être l'intriguereposait-elle entière sur l'engagement un peu fanfaron que l'architecteavait pris de terminer les travaux de Phersô en cent jours. Le dieu Onouris, mécontent de voir Pétêsis débuter par le plaisir dans une œuvre sainte, ou simplement désireux de lui infliger une leçon, lui dépêchait une tentatrice qui lui faisait perdre son temps et son argent. Il y a place pour bieu des conjectures. Le plus sûr est de ne s'arrêter à aucune d'elles et d'avouer que rien, dans les parties conservées, ne nous permet de déterminer avec une certitude suffisante quelles étaient les péripéties du drame ou son dénoûment.
(1) J'ai suivi ici la. lecture et la correction de Wilcken Witkowski (in SomtM'MM Nectonabi, p. n) préférerait reconnaître dans le mot grec le nom de la jeune fille.
(2) Voir p. 144 sqq. du présent volume.

FRAGMENTS
DE LA VERSION COPTE-THÉBAtNE DU ROMAN D'ALEXANDRE (EPOQUE ARABE)
Les débris du roman d'Alexandre ont été découverts parmi les manuscrits du DéîrAmba Shenoudah, acquis par mes soins en 18851888 pour la Bibliothèque nationale de Paris. Trois feuillets en furent publiés d'abord par
U. Bouriant, Fragments d'un roman d'Alexandre en dialecte thébain, dans le Journal asiatique, 1887, vin" série, t. IX, p. 1-38, avec une planche tirage à part, in 8°, 36 p.
puis trois autres, quelques mois plus tard, par
U. Bouriant, Fragments d'un t'omaK d'Alexandre en dialecte thébain (Nouveau Mémoire) dans le Journal asiatique, vnf série, t. X, p. 340349 tirage à part, in-8", 12p.
Plusieurs feuillets provenant du même manuscrit se retrouvèrent bientôt après dans les différentes bibliothèques de l'Europe: en 1891, un seul au British Muséum, qui fut publié par
W. E. Crum, Aitother fragment of the Story of Alexander, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, 1892, t. XIX, p. 473-482 (tirage à part, in-8", 10 p.);
deux à Berlin, qui furent signalés, dès 1888, par L. Stern (Zeitschrift, t. XXVI, p. 56), mais qui ne furent publiés que quinze ans plus tard par.
0. de Lemm, der Alexanderroman !:M der Kopter, ein Beitrag zur Geschichte der Alexandersage îm Orient, gr. in-8", Saint-Pétersbourg, 1903, t. XVIII, 161 p. et deux plqnches.
L'ensemble des fragments et leur disposition, la nature des épisodes conservés et la constitution du texte, ont été étudiés presque

simultanément par 0. de Lemm dans l'ouvrage dont je viens de citer le titre, et par
R. Pietschmann, zu den !7e6e?'6<6!'6~e~ des KopMsc/t~ Alexander&MC/tM,dans les Be:<y'M~e .:Mf BMcAersAMnde und Philologie, August Wt<m<[))ns zum 25 ~a)'z ~903 ~e!Ctdme<, in-8", Leipzig, 1903, p. 304-313. tirage à part, 12p.
Le manuscrit était écrit sur du papier de coton, mince et lisse, et mesurait environ 0 m. 18 de hauteur sur 0 m. 1M de largeur. L'écriture en est écrasée, petite, rapide les lettres y sont déformées, l'orthographe y est corrompue, la grammaire parfois fautive. Il me paraît difficile d'admettre que le manuscrit soit antérieur au x)v° siècle, mais la rédaction de l'ouvrage pourrait remonter jusqu'au xe siècle ou au x;° siècle après notre ère.
Autant qu'on peut en juger d'après le petit nombre de fragments qui nous ont été conservés, notre roman n'est pas la reproduction pure et simple de la vie d'Alexandre du Pseudo-Callisthènes. Ce qui reste des chapitres consacrés à l'empoisonnement d'Alexandre est tellement voisin du grec qu'on dirait une traduction. D'autre part, les fragments relatifs au vieillard Éléazar et à ses rapports avec Alexandre, au songe de Ménandre et au retour imprévu du héros macédonien dans son camp, ne répondent pas aux versions du Pseudo-CaItisthènes publiées jusqu'à présent. Je conclus de ces observations qu'entre le moment où tes rédactions que nous possédons du Pseudo-Caliisthènes ont été fixées, et celui où notre traduction thébaine a été entreprise, le texte du roman s'était accru d'épisodes nouveaux, propres sans doute à l'Égypte ou à la Syrie c'est cette recension, encore inconnue, que nos fragments nous ont transmise en partie. Etait-elle en copte, en grec ou en arabe? Je crois que l'examen du texte nous permet de répondre aisément à cette question. Ce que nous avons du copte a tous les caractères d'une traduction or, dans le récit du complot contre Alexandre, la phrase copte suit si exactement le mouvement de la phrase grecque qu'il estimpossible de ne pas admettre qu'elle la transcrive. J'admettrai donc jusqu'à nouvel ordre que notre texte copte thébain a été traduit directement sur un texte grec, et, par suite, qu'on peut s'attendre à découvrir un jour une ou plusieurs versions grecques plus complètes que les versions connues actuellement. Elles auront sans doute été confinées à l'Égypte, et c'est pour cela qu'on ne trouve, dans les recensions occidentales, aucune trace de plusieurs épisodes que les feuillets du manuscrit copte nous ont révélés en partie.
L'ordre des fragments publiés ci-joint est celui que leur a donné 0. de Lemm, et ma traduction a été refaite sur le texte qu'ila établi.

Les premiers feuillets conservés ont trait à une aventure qui n'est racontée dans aucune des versions orientales ou occidentales que je connais jusqu'à présent. Alexandre s'est déguisé en messager, comme le jour où il alla chez la reine d'Éthiopie (1), et il s'est rendu dans une ville où règne un de ses ennemis, probablement le roi des Lamites (2). Là, après a.voir exposé son affaire à celui-ci, il rencontre un vieillard perse (3) du nom d'Éléazar, qui l'emmène avec lui et lui apprend que le roi ne renvoie jamais les messagers des souverains étrangers, mais qu'il les garde prisonniers jusqu'à leur mort. Les messagers sont là qui se pressent pour voir le nouveau venu au moment où le récit commence, Alexandre vient de leur être présenté et Eléazar achève de l'informer du sort qui l'attend. Il dit à Alexandre « Demande à chacun de ceux-ci « depuis combien de temps es-tu en ce lieu? » Le premier d'entre eux dit « Écoute-moi, mon frère. Je suis du
« pays de Thrace, et voici quarante ans que je suis venu « en cet endroit, car on m'avait envoyé avec des lettres « en ce pays ». Le second dit « Quant à moi, mon frère, « voici vingt-deux ans que j'ai accomplis depuis queje « suis venu du pays des Lektouménos (4) )). Le troisième lui dit « Voici soixante-six ans que je suis venu en ce lieu, « car on m'avait envoyé avec des lettres de mon seigneur « le roi. es. Maintenant donc, console-toi! » Eléazar dit à Alexandre « J'ai entendu que c'est le fils (1) Dans le Pseudo-Callisthènes (II, 14), il s'était déguisé en Hermès pour se rendre à la cour de Darius.
(2) C'est, du moins, la conjecture très vraisemblable que la suite du texte a suggérée à Lemm (der~/c.t'andet'roma't, p. 20).
(3) Selon une hypothèse fort ingénieuse de Lemm (der .~e.rando'rtmu: p. 22-23). le mot vieillard du copte n'est que la traduction littérale du mot qui se trouvait dans l'original grec, ~pMJ3u; Éléazar était en réalité l'ambassadeur des Perses auprès du roi des Lamites.
(4) Si nous n'avons pas ici un mot inventé de toutes pièces, il faut du moins admettre que le copiste copte asinguliêrementdéOgurë le nom du 'peuple qu'il trouvait dans cet endroit de l'original grec. Lektouménos, prononcé ~eMoMMeno~, renferme tous les éléments du grec La~edœmoM!M. Je pense qu'il s'agit ici d'un envoyé Lacédémonien.

« du roi qui est roi aujourd'hui. Quant à toi, mon frère, « tu ne reverras plus ton maître, ton roi, à jamais ». Alexandre pleura amèrement, tous ceux qui le voyaient s'en admirèrent et quelques-uns de la foule dirent « II « ne fait que d'arriver tout droit et son cœur est encore « chaud en lui 1 » Éléazar, le vieillard perse, il se saisit d'Alexandre, il l'emmena à sa maison. Les messagers le suivirent et ils s'assirent chacun parla de son pays et ils se lamentèrent sur leur famille, et ils pleurèrent sur Alexandre qui pleurait. Monseigneur. Éléazar dit. Je ne saurais définir exactement ce qui se passe ensuite. Dans le gros, on peut dire qu'Alexandre réussit à prendre la ville des Lamites et à délivrer les prisonniers qui s'y trouvaient. Un des feuillets conservés nous apprend ce qu'il fit à cette occasion
II prit le commandement des troupes; il les envoya avec des hommes qu'on crucifia, tandis qu'on enchaînait les femmes par groupes. Alexandre commanda à ses troupes de se tenir à la porte de la ville et de ne laisser sortir personne. Or, quand l'aube fut venue, le vieillard Éléazar fit porter un vêtement royal, et tous les messagers qui étaient là, il les chargea de la sorte, d'or, d'argent, de. pierres précieuses de choix qu'on avait trouvées dans le palais en question, de sardoines, de topazes, de jaspe, d'onyx, d'agathe, d'ambre, de chrysolithe, de chrysoprase, d'améthyste or, cette pierre qui est l'améthyste, c'est celle avec laquelle on essaie l'or. Puis on dépouilla les Lamites (1), et ils sortirent de la ville, (1) Des Lamites sont mentionnés dans le martyre de saint Jean de Phanizo!t (Amélineau, Un Documentcopte du XIII- siècle. ~a''<y~ de Jean de ~A<!n:d~ot<, p. 20, 52, 65) où le mot est une abréviation pour /~a/?HM.y, Musulman (Lemm, ~e'M:an~e)'on!a?:, p. 41). Ici on doit y reconnaître une abréviation d'jE'/at?t:< comme Bouriant l'avait vu et comme Lemm l'a démontré après lui (der A/e;Mnc(e!Ton:an, p. 38-42.) La résidence des

et il établit lôdaê pour la gouverner (1). Alexandre dit «
Le discours d'Alexandre manque. Il n'était pas long, mais la perte en est d'autant plus fâcheuse qu'il terminait l'épisode. Au verso du feuillet, nous sommes déjà engagés dans une aventure nouvelle dont le héros est un certain Antipater. Cet Antipater paraît avoir été le fils d'un des messagers qui se trouvaient chez les Lamites, et ce messager lui-même était roi d'une ville sur laquelle Antipater régnait présentement. Le père, délivré par Alexandre et se doutant bien que sa longue captivité l'avait fait oublier, ne voulut pas rentrer ouvertement dans ses Etats.
Il prit les vêtements d'un mendiant, et il dit « J'éprou« verai tous les notables (2) qui sont dans la ville et je saurai « ce qu'ils font )). 11 entra donc dans la ville et il s'y assit en face la maison du roi. Le roi ne l'avait jamais vu, il savait seulement que son père était depuis soixante-dix-sept ans avec les Lamites. Il n'interpella donc pas le vieillard, car il ne savait pas qu'il était son fils, et d'autre part le vieillard ne savait pas que c'était son père, l'homme qui était là enveloppé dans un manteau. Mais, voici, une femme l'interpella et lui dit « Antipater, pourquoi ne vas-tu pas chercher ton « père? Car j'ai entendu dire des Lamites qu'Alexandre « est leur maître et qu'il a renvoyé tous les messagers ». Le jeune homme dit « Mon père est mort, et certes de« puis plus de quarante ans. Car mon père partit avant rois de Perse, Suse, étant en Élam, on ne saurait s'étonner si le nom des Élamites a joué un rôle important dans les traditions qui couraient dans le peuple au sujet d'Alexandre.
(l)Le nom 7dda~ n'est pas certain. Si on doit réellement le lire en cet endroit, le voisinage d'Éléazar nous permettrait d'y reconnaitre un nom ladoué, identique à celui du grand-prêtre de Jérusalem que la légende met en rapport direct avec Alexandre..
(2) Le texte porte ici le mot apa, avec la prononciation aniba, qui est appliquée en copte aux religieux. C'est une preuve à joindre à celles que nous avons déjà de l'origine égyptienne et chrétienne de cet épisode.

c que je ne fusse au monde et ma mère m'a raconté l'his« toire de mon père. »
Les trois feuillets suivants nous transportent en Gédrosie. Alexandre est tombé, nous ne savons par quelle aventure, aux mains du roi de la contrée, et celui-ci l'a condamné à être précipité dans le Chaos (1), dans le gouffre ou l'on jetait les criminels. Un des conseillers Gédrosiens, Antilochos, a essayé vainement d'adoucir la sentence chargé de l'exécuter, il négocie avec Alexandre et il cherche un moyen de le sauver. Il semble résulter des premières lignes du fragment, qu'au moment d'entrer dans la prison, il avait entendu Alexandre qui se lamentait sur son sort et qui s'écriait « Que ne ferais-je « pas pour qui me délivrerait?
Lorsqu'Antilochos l'entendit, il entra vers Alexandre sur l'heure et il lui dit « Si je dis au roi de te relâcher, « que me feras-tu? » Alexandre lui dit « Te verrai-je « une fois que je vais libre par ma ville? S'il en est ainsi, « la moitié de mon royaume prends-la de moi dès aujour« d'hui! » Antilochos lui donna de l'encre et du papier et il écrivit ce qui suit « Par le trône de ma royauté et par « mon salut personnel, si tu me délivres, tout ce que tu « me demanderas, je te le donnerai ?. Antilochos envoya donc en hâte au gardien du Chaos et il lui dit « Prends « de moi trois quintaux d'or, à une condition que je te « .vais dire. Alexandre, le roi a commandé de le jeter dans « le Chaos, mais, quand on te l'amènera, cache-le dans ta '< cachette et jette une pierre de sa taille dans le Chaos, « que nous l'entendions, nous et ceux qui sont avec nous. « Si tu agis ainsi, tu vivras et tu trouveras grâce devant « moi, et quand cet homme viendra vers toi, tu trouveras « beaucoup de corbeilles et il te donnera de nombreux (1) Le texte porte tantôt Chaos, tantôt C/taMM. C'est une mauvaise lecture du traducteur copte l'original grec portait évidemment Khasma, <' un gouffre », qui est devenu nom propre sous la plume d'un scribe ignorant.

« présents)). Ils passèrent leur parole et Antilochos rentra chez lui.
Lorsque l'aube fut venue, Antilochos chargea Alexandre de liens. Alexandre suivit Antilochos jusqu'à ce qu'il arrivât au bord du Chaos et qu'il le vît de ses yeux. Alexandre, dont le pouvoir avait cessé et que sa force avait abandonné, leva ses yeux au ciel et il parla à ceux qui le tenaient « Permettez, mes frères, que je voie le soleil! » Alexandre pleura, disant « 0 soleil qui donnes la lumière, « te verrai-je de nouveau à l'heure du matin ? » On le fit entrer et Antilochos lui dit « Prends du vin et du « pain et mange avant que tu voies le Chaos 1 » Alexandre dit « Si c'est la dernière nourriture que je dois manger, « je ne la mangerai pas! » Mais Antilochos lui parla à voix basse, lui.disant « Mange et bois! Ton âme, je la « délivrerai, car je suis déjà convenu de ce moyen lors« qu'on saisira la pierre et qu'on la jettera, crie d'une « voix forte, si bien que ce soit toi que nous entendions ». Antilochos sortit avec dix soldats, Antilochos dit « Sor« tons pour que nos yeux ne voient pas sa misère » On saisit la pierre, Alexandre cria d'une voix forte, Antilochos dit en pleurant à ceux qui étaient avec lui « 0 la misère du « roi Alexandre et la pauvreté des grandeurs de ce monde » Or Alexandre, le gardien du Chaos le reconduisit à la ville.
La lacune qui sépare ce fragment du fragment suivant ne peut pas être bien considérable. Le gardien du Chaos, après avoir reconduit Alexandre à la ville, l'enferme dans une cachette ainsi qu'il était convenu cependant Antilochos court de son côté rendre compte de sa mission au roi, et le bruit se répand partout qu'Alexandre est mort. L'effet produit par la nouvelle est tel que le roi lui-même en est effrayé et qu'il regrette d'avoir fait périr le héros.
« .Alexandre est mort dans le Chaos )). Tous ceux qui

l'entendirent s'écrièrent; en les entendant, le roi s'affligea et il gémit avec la reine et avec Antilochos, et il dit « Je « me repens d'avoir précipité ce grand roi dans le « Chaos, et je crains que son armée ne marche contre « nous H. Antilochos lui dit « Je me suis épuisé à te sup« plier « Laisse-le partir! » et tu ne t'es pas laissé per« suader de m'écouter et tu n'as pas incliné ton visage « vers moi ». Le roi dit « Que n'as-tu trouvé un moyen « de le renvoyer? » Or, pendant la nuit, on conduisit Alexandre à la maison d'Antilochos, et on le reçut, et on le descendit dans un trou, et on lui fournit tout le nécessaire. La nouvelle se répandit dans tout le pays « Alexandre est mort », et tous ceux qui l'entendirent devinrent tous figés comme des pierres à cause de ce qui était arrivé.
Après cela, Ménandre vit un songe de cette sorte et il aperçut une vision de cette manière il voyait un lion chargé de fers que l'on jetait dans une fosse. Et voici qu'un homme lui parla « Ménandre, pourquoi ne des« cends-tu pas avec ce lion, puisque sa pourpre est « tombée? Lève-toi maintenant et saisis-le par l'encolure « de sa pourpre '). En hâte il se leva et il adressa la parole à Selpharios ainsi qu'à Diatrophê, disant: « Vous dormez? » Ils dirent « Qu'y a-t-il donc, ô le premier des philo« sophes (1), Ménandre? » Il dit en pleurant « Le rêve « que j'ai vu s'accomplira contre les ennemis d'Alexandre, « car la vision de ceux qui le haïssent est passée devant « moi en un songe, et j'ai été pétrifié de douleur ». Ménandre leur dit « Le lion que j'ai vu, c'est le roi ». Tandis qu'ils échangeaient ces paroles jusqu'au matin, voici, (1) C'est ainsi que j'ai restitué le texte, par analogie avec les titres byzantins, protospathaire, protostrator, protovestarque, protonosocome, protonotaire. M. de Lemm préfère rétablir le titre prôlophilos, le premier ami (der ~.Mn~-rt-o~an, p. 68-69, 132-133), ce qui n'est pas moins vraisemblable.

un messager vint vers Selpharios, Ménandre et Diatrophê, criant et pleurant, et il leur dit « Qui entendra ces paroles « que j'ai entendues et se taira? c'est une terreur de les « dire, c'est une infamie de les prononcer ». Ménandre dit « Quel est ce discours, mon fils? Je sais déjà ce qui est « arrivé au roi Alexandre ». Le messager leur dit « Des « hommes dignes de mort ont porté la main sur mon« seigneur le roi, en Gédrosie, et ils l'ont tué ». Ménandre prit son vêtement de pourpre et il le déchira; Selpharios et Diatrophê déchirèrent leur chlamyde, ils gémirent et ils se conduisirent tout comme si la terre tremblait. Diatrophê dit « J'irai et je rapporterai des nouvelles de « mon Seigneur ». Il prit avec lui un khiliarque (1) et trois soldats, et ils allèrent en Gédrosie, ils entendirent la nouvelle, ils surent tout ce qui était arrivé et ils revinrent au camp, et ils en informèrent Ménandre, et ils le répétèrent avec gémissements et pleurs, disant «
Les trois personnages mis en scène ne figurent pas d'ordinaire parmi les compagnons d'Alexandre. Deux d'entre eux, Selpharios et Diatrophê, celui-ci un homme, malgré la tournure féminine de son nom, sont complètement inconnus. Ménandre me paraît être le poète comique Ménandre, à qui les maximes morales tirées de ses comédies avaient valu une grande réputation dans le monde chrétien le titre qu'il porte, premier des philosophes ou premier des amis, nous montre que la tradition lui assignait un haut rang parmi cette troupe de savants et d'écrivains qui avaient accompagné Alexandre en Orient. 11 paraît, en effet, exercer une autorité considérable sur ceux qui l'entourent, car c'est lui qui prend, de concert avec Selpharios, les mesures que les circonstances ont rendues nécessaires dans deux ou trois pages, aujourd'hui perdues, il annonçait aux troupes la nouvelle de la mort d'Alexandre, il ordonnait le deuil et il venait mettre le siège devant la ville où le crime avait été commis pour en tirer vengeance. Cependant, (1) Un mot mutilé où je crois reconnaître le terme de khiliarque, qui désigne un commandant de mille hommes.

Antilochos, profitant des remords du roi, lui apprenait qu'Alexandre vivait encore, et l'aventure se terminait par une convention grâce à laquelle le Macédonien recouvrait la liberté, à la condition d'oublier l'injure qu'il avait reçue. Sachant que son armée le croyait mort, il voulut éprouver la fidélité de ses lieutenants et il se déguisa afin de pouvoir circuler librement parmi eux.
Lorsque le soir fut venu, Alexandre prit un équipage de simple soldat et il sortit pour se rendre aux camps. Or Selpharios avait prescrit dans sa proclamation que personne ne bût du vin ou ne se revêtit d'habits précieux, pendant les quarante jours de deuil en l'honneur du roi Alexandre. Alexandre donc vint et il aperçut Agricolaos, le roi des Perses, étendu sur son lit, qui parlait à ses gens « Debout maintenant, les hommes qui ont du cœur, « mangez et buvez, car un joug est tombé de vous, cet « Alexandre qu'on vient de tuer. Qu'est-ce donc qu'il y a « en vos cœurs? Je ne permettrai pas que vous restiez < ainsi esclaves de la Macédoine et de l'Égypte (1) D. Alexandre dit à part soi « Non certes, il ne sera pas « aujourd'hui que tu manges et que tu boives, excellent « homme et qui es si content de toi-même II se leva donc et il leur dit Pourquoi ne mangez-vous ni ne « buvez-vous? Car le voilà mort celui qui vous faisait « mourir dans les guerres; maintenant qu'on l'a fait t mourir lui-même, réjouissez-vous, soyez remplis d'allé« gresse! B Ils lui dirent « Tu es fou! & et lorsqu'ils lui eurent dit cela, ils commencèrent à lui jeter des pierres. Alexandre se tint caché jusqu'au milieu de la nuit, puis il alla à la maison d'Antilochos, il monta sur Chiron (2) et il (1) fi ne faut pas oublier que, dans la donnée du roman, Alexandre est le fils de Nectanébo, c'est-à-dire d'un roi d'Égypte lui obéir, c'est donc obéir à l'Égypte comme à la Macédoine.
(2) C'est bien du centaure Chiron qu'il s'agit ici, car Alexandre dira plus loin « Chiruu, raconte-leur ce qui m'est arrivé cette phrase ne

se rendit à l'endroit où était Ménandre, car ses yeux étaient lourds de sommeil. 11 dit à Ménandre, à Selpharios et à Diatrophê cc C'est vous ma force! » Ménandre dit « Mon père, qu'y a-t-il? C'est donc une invention que K j'avais entendue à ton sujet Quand ils se turent, il reprit la parole « Je suis bien Alexandre, celui qu'ont « tué ceux de Gédrosië, mais Antilochos m'a rendu la « vie Chiron, dis-leur ce qui m'est arrivé! 1 Quand l'aube se fit, il s'assit sur le trône de sa royauté. Alexandre sur l'heure fit crier par le héraut, disant K Le roi « Alexandre est arrivé ». Et, sur l'heure, la multitude vint. Agricolaos vint lui-même et il dit « Nous avons « vu ta face et nous vivons » Le roi Alexandre lui dit « Tu t'es donc éveillé de ton ivresse de hier soir, quand « tu disais « II a été retiré de nous le joug d'Alexandre, « mangez, buvez » Le roi ordonna sur l'heure de lui trancher la tête avec l'épée le roi dit o: Prends main'( tenant du vinaigre au lieu du vin que tu avais bu jusqu'à « en être ivre. » Puis le roi Alexandre dit « Amenez-moi « les ilarques » (1), et on les lui amena.
Selpharios est le héros du fragment suivant, mais je ne vois rien chez le Pseudo-Callisthènes qui ressemble à ce qu'on lit dans le texte copte. Vaincu dans une première expédition contre les Perses et sur le point de repartir en guerre, il dicte son testament
« Ils s'en iront. ils entendront le nom de. Jérémie. « ta santé. le roi, voici ce que tu feras Celui qui t'ap(c portera ma lettre, fais-lui grâce et délivre-le, si bien peut s'adresser qu'à un personnage doué de voix humaine, comme l'était le centaure. La substitution de Chiron à Bucëphale est à elle seule un indice de mauvaise époque une telle confusion n'a pu se produire qu'en un temps et dans un pays où la tradition antique était déjà fort effacée. (1) J'avais pris le mot ~(at'tc/tfM employé dans le texte pour un nom d'homme. Lemm (c~' .Mn~erroMaT:, p. 86) y a reconnu le titre !<a)'~Me des commandants de la cavalerie macédonienne.
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« qu'il s'en aille avec tout ce qui est sien. Je salue. le « général; je salue Jérémie et Dracontios, je salue Ser« gios et Philéa. Mon fils, qui posera ta bouche sur ma « bouche, tes yeux sur mes yeux, mes mains sur ta che« velure? Les oiseaux du ciel qui volent, ils emplissent « leur bec des fruits des champs et ils les apportent au « bec de leurs petits; et ceux-ci, les oiselets, ils se ré« jouissent de la présence de leurs parents à cause de la « récolte que ceux-ci ont faite pour eux, et ils battent « leurs petites ailés, et c'est ainsi que les petits oiseaux « manifestent leur apprivoisement. Toi même, Philéa, « mon fils à moi, rappelle-toi l'heure où je sortis de. « En un rêve, il a vu la ruine de notre Seigneur Alexan« dre. que se repose un instant Alexandre, notre roi; « songe. mon pouvoir pour toi. J'ai combattu. Okianos, « et je l'ai renversé, mais je n'ai pu triompher de la vail« lance des Perses, ils ont été les plus puissants et ils « m'ont vaincu. Moi, Selpharios, j'ai écrit ceci de ma « propre main; quand tu seras grand, regarde-le et « prends-en connaissance, et lis-le et récite-le avec des « pleurs et des gémissements. J'ai écrit les lignes de mon « testament avec les pleurs de mes yeux pour encre, car « les endroits où je buvais sont devenus des solitudes et « les endroits où je me rafraîchissais sont devenus des « déserts Je vous salue tous un à un, mes frères portez« vous bien, mes aimés, et vous souvenez de moi » Lorsqu'il eut écrit cela, il donna le papier à Alexandre, et Alexandre pleura et il détourna les yeux pour que Selpharios ne le vît point. Alexandre dit.
L'épisode suivant rappelle un des passages les plus curieux du Pseudo-Callisthènes, celui où Alexandre, arrivé aux confins de la Terre des Morts, y veut pénétrer et s'enfonce dans les ténèbres qui la séparent de la terre des vivants

Il s'émerveilla de la beauté du jardin, duquel quatre fleuves s'échappaient, qui sont le Pisôn, le Gihon, le Tigre et l'Euphrate ils y burent de l'eau et ils se réjouirent car elle était douce. Ensuite ils aperçurent des ténèbres profondes et ils dirent « Nous ne pouvons y pénétrer ». Ménandre dit « Prenons des juments poulinières, mon« tons-les et qu'on retienne leurs poulains, tandis que « nous nous enfoncerons dans les ténèbres » Ils s'émerveillèrent, car il faisait très sombre, si bien que les gens n'apercevaient pas le visage de leurs camarades. Alexandre dit.: « Venez avec moi, toi Ménandre ainsi que Selpharios « et Diatrophê! » Ils enfourchèrent quatre juments poulinières, dont les poulains demeurèrent à la lumière de telle sorte que les unes entendissent la voix des autres, et ils s'enfoncèrent dans les ténèbres. Mais ils entendirent une voix qui disait « Alexandre et Ménandre ainsi que Sel« pharios et Diatrophê, tenez-vous heureux d'avoir pénétré « jusqu'ici! » Alexandre dit « Je ne me tiendrai pas « heureux, jusqu'à ce que je trouve ce que je cherche ». Il poussa en avant un petit et il s'arrêta avec les juments. La voix lui dit une seconde fois « Tiens-toi pour heu« reux, ô Alexandre! Mais Alexandre ne voulut pas s'arrêter. Il regarda sous les pieds des chevaux et il aperçut des lumières. Alexandre dit « Prenons. ces « lumières, car ce sont des pierres précieuses Selpharios allongea sa main et il en prit quatre, Ménandre trois, Selpharios deux quant à Alexandre il allongea sa main gauche et il la remplit, et il prit trois pierres de la main droite, et sur l'heure sa main gauche devint telle que sa main droite, et lorsqu'il alla à la guerre, depuis cette heure il combattit avec ses deux mains. Alexandre sentit un parfum violent, mais la voix frappa les oreilles d'Alexandre pour la troisième fois « Tiens-toi pour « content, ô Alexandre Lorsqu'un cheval se presse trop

« pour courir, il bute et tombe » Et la voix parla de nouveau « Je te le demande, que veux-tu? » Alexandre dit « Donne-moi la puissance sur la terre entière et que mes & ennemis se soumettent à moi » La voix lui dit « Parce que tu n'as pas demandé une vie longue, mais « seulement la puissance sur la terre entière, voici, la « terre entière tu la verras de tes yeux et tu seras son « maître; mais quand le matin répandra sa lumière, « alors.
La voix annonçait probablement une mort immédiate, mais Alexandre réussissait par ruse ou par prière à obtenir une prolongation de vie, de laquelle il profitait pour aller visiter les Brachmanes dans leur pays. Un feuillet nous avait conservé la description de leur costume et de leurs mœurs, mais toutes les lignes en sont mutilées à tel point qu'on ne peut plus en tirer un texte suivi. On voit seulement qu'il y était question du pays des Homérites, de Kalanos dont le nom est déformé en Kalynas, de l'Inde, des lits de feuilles sur lesquels les Gymnosophistes se couchaient, de leur nudité, sans que le lien soit évident entre toutes ces notions éparses.
Le dernier des fragments que nous possédons appartenait à la fin de l'ouvrage. H racontait, dans des termes qui rappellent t beaucoup ceux que le Pseudo-Callisthènes emploie, les intrigues qui précédèrent la mort d'Alexandre, et la manière dont Antipater aurait procédé pour préparer et pour faire verser le poison dont le héros serait mort.
Il calma la rage d'Olympias et sa rancune contre Antipater, en envoyant Kratéros en Macédoine et en Thessalie. Lorsqu'Antipater sut la colère d'Alexandre, car il l'apprit par des hommes qui avaient été licenciés du service militaire, Antipater complota de tuer Alexandre, afin de ne pas être soumis à de grandes tortures car il avait appris et il savait ce qu'Alexandre méditait contre lui, à cause de sa superbe et de ses intrigues. Or, Alexandre fit venir la troupe des archers, qui était trèa s

considérable, à Babylone. Il y avait parmi eux un fils d'Antipater, nommé Joulios, qui servait Alexandre. Antipater prépara une potion mortelle dont aucun vase ni de bronze, ni de terre, ne peut supporter la force, mais tous se brisaient dès qu'elle les touchait. Lors donc qu'il l'eut préparée, il la mit dans un récipient de fer et il la donna à Casandre, son nls, qu'il envoya comme page à Alexandre celui-ci devait s'entretenir avec son frère Joulios d'un entretien secret sur la façon de servir le poison à Alexandre. Quand Casandre vint à Babylone, il trouva Alexandre occupé à faire un sacrifice et à recevoir ceux qui venaient à lui. Il parla à Joulios, son frère, car celuici était le premier échanson d'Alexandre. Or, il était arrivé, peu de jours auparavant, qu'Alexandre avait frappé le serviteur Joulios d'un bâton sur la tête, tandis qu'il était assis, pour un motif qui provenait d'un manque de soin c'est pourquoi le jeune homme était furieux et se déclara volontiers prêt à commettre le crime. Il prit avec lui Mésios le Thessalien, l'ami d'Alexandre, et un de ses juges qu'il avait puni pour prévarication, et ils convinrent entre eux de faire boire le poison à Alexandre.

CHAPITRE XXXIII
SUR CEUX QUI FIRENT BOIRE LA POTION DE MORT A ALEXANDRE
Qui regarde une table qui ne lui appartient pas, son existence n'est pas une vie.
Le début de ce chapitre n'appartient pas au roman; c'est, comme Lemm (1) l'a reconnu, une simple épigraphe empruntée à l'un des livres de l'Ancien Testament, celui de Jésus, fils de Sirach (2). Il ne reste rien du récit même. Ici s'arrête ce que j'avais à dire sur la version thébaine du roman d'Alexandre: on peut espérer encore que des fragments nouveaux viendront enrichir notre collection et qu'ils nous permettront un jour de reconnaître plus exactement quels liens la rattachent aux versions connues jusqu'à présent. Ce qui, pour le moment, lui prête une valeur particulière, c'est qu'elle est, avec les débris du Roman de Carnée que M. Schâfera a découverts récemment, le seul témoignage qui nous reste de l'existence réelle de ces manuscrits coptes dont les écrivains arabes nous parlent si souvent, et auxquels ils disent avoir emprunté leur histoire fabuleuse de l'Égypte antique.
(1) 0. de Lemm, de)' Alexanderroman, p. 129-151.
(2) Jésus, fils de Sirach, xi, 29.

TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 1-LXXVI CONTES COMPLETS
Le Conte des deux Frères. 1-31 Le Roi Khoufouî et les Magiciens. 22-44 Les plaintes du fellah 45-71 LesMëmoiresdeSinouhit. 72-103 LeNaufragé. 104-114 Comment Thoutîy prit la ville de Joppé. 113-122 LecyctedeSâtni-Khâmois. 123-182 I. L'Aventure de Sâtni-Khâmoîs avec les momies 123-154 II. L'Histoire véridique de Sâtni-Khâmois et de son fiIsSénosiris. 154-181 III. Comment Sâtni-Khâmois triompha des Assyriens. 181-182 LecyciedeRamsèsII. 183-195I. La Fille du prince de Bakhtan et l'Esprit posses-
seur. 183-191 II. –LagestedeSésostris. 191-194 HL–La geste d'Osymandouas 194-195 Le Prince prédestiné. 196-207 Le Conte de Rhampsinite. 208-2t3 Le Voyage d'Ounamounou aux côtes de Syrie 214-230 Le cycle de Pétoubastis 231-280 I. L'Emprise de la-Cuirasse 231-252 II. L'Emprise du trône. 252-280

Avertissement. 281-282 Fragmentd'un Conte fantastique antérieur à IaXVHI° dynastie. 283-287 La Querelle d'Apôpi et de Saqnounriya 288-294 Fragments d'une Histoire de Revenant 295-299 Histoire d'un Mate)ot.300-305 L'aventure du sculpteur Petêsis et du roi Néctonabo 306-310 Fragments de la version c baine du Roman d'Alexandre. 311-326
FRAGMENTS
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