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Titre : Les contes populaires de l'Égypte ancienne (4e édition entièrement remaniée et augmentée) / G. Maspero,...
Auteur : Maspero, Gaston (1846-1916)
Éditeur : E. Guilmoto (Paris)
Date d'édition : 1911
Sujet : Contes égyptiens anciens -- Histoire et critique
Type : monographie imprimée
Langue : français
Format : 1 vol. (LXXXI-328 p.) ; 22 cm
Format : application/pdf
Droits : domaine public
Identifiant : ark:/12148/bpt6k36147z
Source : Bibliothèque nationale de France
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb309015863
Provenance : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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LTGYPTE ANCIENNE Qt'Tn[ÊMEHDTT[ON
LIBRAIRIE ORIENTALE & AMÉRICAINE E. GUILMOTO, Éditeur
G. MASPERO
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t'foi'esseur.in Concède France,
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G. MASPERO
Membre de l'fnstitnt,
ProJMsaur au Collège de France,
Direete~~e~r~t Service des Antiquités de t'Ëgypte. LES
CONTES POPULAIRES
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1
ENTIÈREMENy<~BMANIÉ~ AUGMENTÉE /V.C~
L'ÉGYPTE ANCIENNE
AUGMENTEE
LIBRAIRIE ORIENTALE & AMÉRICAINE E. GUILMOTO, Éditeur
6, Rue de Mézières, PARIS

INTRODUCTION
Lorsque M. de Rougé découvrit en 1853 un conte d'époque pharaonique analogue aux récits des ~~g et une Nuits, la surprise en fut grande, même chez les savants qui croyaient le mieux connaître l'Égypte ancienne. Les hauts personnages dont les momies reposent dans nos musées avaient un renom de gravité si bien établi, que personne au monde ne les soupçonnait de s'être divertis à de pareilles futilités, au temps où ils n'étaient encore momies qu'en espérance. Le conte existait pourtant; le manuscrit avait appartenu à un prince, à un enfant de roi qui fut roi lui-même, àSétou!H,nlsdeMénéphtah, petit-fils de Sésostris. Une Anglaise, madame Élisabeth d'Orbiney, l'avait acheté en Italie, et comme elle traversait Paris au retour de son voyage, M. de Rougé lui en avait enseigné le contenu. Il y était question de deux frères dont le plus jeune, accusé faussement par la femme de l'autre et contraint à la fuite, se transformait en taureau, puis en arbre, avant de renaître dans le corps d'un roi. M. de Rougé avait paraphrasé son texte plus qu'il ne l'avait traduit (1). Plusieurs parties étaient analysées simplement, d'autres étaient coupées à chaque instant par des lacunes provenant, soit de l'usure du papyrus, soit de la difficulté qu'on éprouvait alors à déchirer certains groupes de signes ou à débrouiller les subtilités de la (1) Dans la Revue a)-eM)/o~:<j'Me, 1852, t. VtU. p. 30 sqq., et dans l't~?~MM /<Mf<M, t. I, 1852, p. 280-284 cf..QEMcrM diverses, t. II, p. 303-319.

syntaxe même le nom du héros était mal transcrit (1). Depuis, nul morceau de littérature égyptienne n'a été plus minutieusement étudié, ni à plus de profit. L'industrie incessante des savants en a corrigé les fautes et comblé les vides aujourd'hui le Conte des deux Frères se lit couramment, à quelques mots près (2).
Il demeura unique de son espèce pendant douze ans. Mille reliques du passé reparurent au jour, listes de provinces conquises, catalogues de noms royaux, inscriptions funéraires, chants de victoire, des épîtres familières, des livres de comptes, des formules d'incantation magique, des pièces judiciaires, jusqu'à des traités de médecine et de géométrie, rien qui ressemblât à un roman. En 1864, le hasard des fouilles illicites ramena au jour, près de Déir-el-Médinéhet dans la tombe d'un religieux copte, un coffre en bois qui contenait, avec le cartulaire d'un couvent voisin, des manuscrits qui n'avaient rien de monastique, les recommandations morales d'un scribe à son fils (3), des prières pour les douze heures de la nuit, et un conte plus étrange encore que celui des eteu.'e Frères. Le héros s'appelle Satni-Khâmoîs et il se débat contre une bande de momies parlantes, de sorcières, de magiciens, d'êtres ambigus dont on se demande s'ils sont morts ou vivants. Ce qui justifierait la présence d'un roman païen à côté du cadavre d'un moine, on ne le voit pas bien. On conjecture que le possesseur des papyrus a dû être un des derniers Égyptiens qui aient entendu quelque chose aux écritures anciennes; lui mort, ses dévots confrères enfouirent dans sa fosse des grimoires auxquels ils ne comprenaient rien, et sous lesquels ils flairaient je ne sais quels pièges du démon. Quoi qu'il en soit, le roman était là, incomplet du début, mais assez intact (1) Sa<oM au lieu de Baili. Ce fut du reste M. de Rougé lui-même qui corrigea par la suite cette erreur de lecture.
(2) C'est le premier des contes imprimés dans ce volume,,p. 1-M. (3) Analysées par Maspero dans 77te Academy (août 1811), et par Brugsch, ~/<~yp<MC/t? Le&en~r~ M einem hieratischen Papyrus des Mct-Ao't~tc~en Museums zu Bulaq, dans la Zf:<c/t)t/'<. 1872, p. 49-51, traduit entièrement par E. de Rougé, Étude w ~e Pa~y'tM du Musée de Boulaq, lue à ~a séance du août ~7~, in-8", 12 p. (Extrait des Comptes t'enaM~ae r~caa!emM des /tMC)'07Me< JM/M-Lf~-M, 2' série, t. Vil, p. 340-351~, parChabas, L'Bç~/)~o<og:c, 1.1-11, Les Ma.c:m~dM so't&e .A?!
p. 344-351), par Chabas, L'qyptologie, t. I-I1, Les Maxianes du scribe Aazi,
in-4", 1876-1877, et par Amélineau, La Moi-ale Égyptienne, in-8', 1890.

par la suite pour qu'un savant accoutumé au démotique s'y orientât sans difficulté. L'étude de l'écriture démotique (i) n'était pas alors très populaire parmi les égyptologues la ténuité et l'indécision des caractères qui la composent, la nouveauté des formes grammaticales, l'aridité ou la niaiserie des matières, les effrayaient ou les rebutaient. Ce qu'Emmanuel de Rougé avait fait pour le papyrus d'Orbiney, Brugsch était seul capable de l'essayer.pour le papyrus de Boulaq la traduction qu'il en a imprimée, en 1867, dans la Revue archéologique, est si fidèle qu'aujourd'hui encore on y a peu changé (2). Depuis lors, les découvertes se sont succédé sans interruption. En 1874, Goodwin, furetant au hasard dans la collection Harris que le Musée Britannique venait d'acquérir, mit la main sur les Aventures du prince prédestiné (3), et sur le dénouement d'un récit auquel il attribua une valeur historique, en dépit d'une ressemblance évidente avec certains des faits et gestes d'Ali Baba (4). Quelques semaines après, Chabas signalait à Turin ce qu'il pensait être les membres disjoints d'une sorte de rapsodie licencieuse (5), et à Boulaq les restes d'une légende d'amour (6). GolénicheH' déchiffra ensuite, à Saint(1) On nomme d~o~ue l'écriture employée aux usages de la vie civile et religieuse à partir de la XXVI- dynastie. Elle dérive de l'ancienne écriture cursive connue sous le nom de hiératique.
(2) C'est l'Aventure de Sa<K!Mt?io:s avec les momies, p. 123-154 de ce volume.
(3) Transactions of the Society of Biblical ~rc/t~o~o~y, t. 111, p. 349-356, annoncé par M. Chabas à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres dans la séance du 11 avril 1874; cf. Comptes rendus, 1814, p. 92, in-120,et p. 196-201 de ce volume.
(4) Transactions o/eSoc:<'< o/'B~7-c/Mt'o~t. 111, p. 340-348. Il est publié dans ce volume sous le titre de Comment Thoutîyi prit la ville de Joppé, p. 115-122.
(5) Annoncé par M. Chabas à l'Académie des Inscriptions et BellesLettres, dans la séance du 17 avril 1875, et publié sous le titre L'Ep!sode dit Jardin des Fleurs, dans les Comptes rendus, 1814, p. 92. 120-124. L'examen attentif que j'ai fait de l'original m'a montré que les fragments en avaient été mal assemblés et qu'ils doivent être disposés d'une manière fort différente de celle que M. Chabas avait connue. Ils renferment, non pas un conte licencieux, mais des chants d'amour analogues à ceux du Papyrus Harris no 500 (Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 219-220).
(6) Comptes rendus de r~ca'/emte des ftt~cr:p<to?M et Belles-Lettres 1874, p. 124. Ces fragments n'ont été encore ni traduits ni même étudiés.

Pétersbourg, trois nouvelles dont le texte est inédit en partie jusqu'à présent (1). Puis Erman publia un long récit sur Chéops et les magiciens, dont le manuscrit, après avoir appartenu à Lepsius, est aujourd'hui au musée de Berlin (2). Krall recueillit dans l'admirable collection de l'archiduc Régnier, et il rajusta patiemment les morceaux d'une Emprise de la Cuirasse (3); ¡ Griffith tira des réserves du Musée Britannique un deuxième épisode du cycle de Satni-Khâmoîs (4), et Spiegelberg acquit pour l'Université de Strasbourg une version thébaine de la chronique du roi Pétoubastis (5). Enfin, on a signalé, dans un papyrus de Berlin, le début d'un roman fantastique trop mutilé pour qu'on en devine sûrement le sujet (6), et sur plusieurs ostraca dispersés dans les musées de l'Europe les débris d'une histoire de revenants (7). Ajoutez que certaines œuvres considérées au début comme des documents sérieux, les AfemotrM de ~MouAM (8), les Plaintes du /e«aA (9), les négociations entre le roiApôpietle roi Saqnounrîya ('i0), la Stèle de la princesse de Bakhtan (li), le Voyage d!Ounamounou (12), sont en réalité des œuvres d'imagination pure. Même après vingt siècles de ruines et d'oubli, l'Égypte possède encore presque (1) Ze:~eA)')7ï /Mr ~E~pttscAc .SpracAe und Alterthumskunde, 1816, p. 107-111, sous le titre Le ~apy?' n" 1 lte ~a:t(~e<cM&oM~, et Sur un ancien conte égyptien. ~Vu<:ce~Me au Co?!gre~ des Or<c<t<a/<M à «e?'hn, 1881, in-8*, 21 p. cfr. p. 104-114 du présent volume.
t2) Voir, pour la bibliographie et pour le conte lui-même, p. 32-44 du présent volume.
(3) La découverte fut annoncée au Congrès des Orientalistes de Genève en 1894 cfr. pour la bibliographie les pp. 231-233 de ce volume. (4) C'est le conte publié aux pp. 154-182 du présent volume. (5) Voir ce conte aux pp. 252-280 du présent volume.
(6) Lepsius, Ot-nAM~r, Abth. VI, pl. 112, et p. 283-287 de ce volume. (1) Deux au musée de Florence (Goienichetf, Notice sur un Ostracon hiératique, dans le Recueit, t. 111, p. 3-i), un au musée du Louvre (Recueil, t. 111, .p. 7), un au musée de Vienne (Bergmann, Hieratische und ~:era<McA-deMO<!M/te ï'f~e der NaMm~un~ ~<:scAer ~He<'</tM!Ker </M AllerAoeA~en Kaiserhauses, pl. IV, p. VI~; cfr. p. 295-299 du présent volume. (8) Lepsjus, ~e?<Am~~<, Abth. VI, pi. 104-106 et p. ~2-103 de ce volume.
(9) Lepsius, 7)en&)M<e/sr, Abth. VI, pl. 108-110, 113-114 pour la bibliographie, voir aux pp. 48-71 de ce volume.
(10) Papyrus Sa~te)' 7, pl. 1-3 pl. 2 verso voir p. 288-294 de ce volume. (11) Voir p. 183-191 du présent volume.
(12) II est publié aux pp. 214 et suiv. du présent volume.

autant de contes que de poèmes lyriques ou d'hymnes adressés à la divinité.
1
L'examen en soulève diverses questions difficiles à résoudre. Et d'abord de quelle manière ont-ils été composés? Ont-ils été inventés du tout par leur auteur? ou celui-ci en a-t-il emprunté la substance à des œuvres préexistantes qu'il a juxtaposées ou fondues pour en fabriquer une fable nouvelle? Plusieurs sont venus certainement d'un seul jet et ils constituent des pièces originales, les Mémoires de -StMOM/i~, le TVau/fa~ë, la Ruse de 7'AoM<~t contre Joppé, le Conte dMp)'tMce prédestiné. Une action unique s'y poursuit de la première ligne à la dernière, et si des épisodes s'y rallient en chemin, ils ne sont que le développement nécessaire de la donnée maîtresse, les organes sans lesquels elle ne pourrait atteindre le dénouement saine et sauve. D'autres au contraire se divisent presque naturellement en deux morceaux, trois au plus, qui étaient indépendants à l'origine, et entre lesquels le conteur a établi un lien souvent arbitraire afin de les disposer dans un même cadre. Ainsi ceux qui traitent de Satni-Khâmoîs contiennent chacun le sujet de deux romans, celui de Nénoferképhtah et celui de Tboubouî dans le premier, celui de la descente aux enfers et celui des magiciens éthiopiens dans le second. Toutefois l'exemple le plus évident d'une composition .artificielle nous est fourni jusqu'à présent par le conte de Chéops et des magiciens (1). Il se résout dès l'abord en deux éléments l'éloge de plusieurs magiciens morts ou vivants, et une version miraculeuse des faits qui amenèrent la chute de la IVe et l'avènement de la V* dynastie. Comment l'auteur fut-il amené à les combiner, nous le saurions peut-être si nous possédions encore les premières pages du manuscrit; en l'état, il est hasardeux de .rien conjecturer. Il paraît pourtant qu'ils n'ont pas été fabriqués tout d'une fois mais que l'œuvre s'est constituée comme à deux degrés. Il y avait, dans un temps que nous ne pouvons déterminer encore, une demi-douzaine d'histoires qui couraient à Memphis ou dans les environs et qui avaient pour héros des (1) Voir p. 22-44 du présent volume.

sorciers d'époque lointaine. Un rapsode inconnu s'avisa d'en compiler un recueil par ordre chronologique, et pour mener à bien son entreprise, il eut recours à l'un des procédés les plus en honneur dans les littératures orientales. Il supposa que l'un des Pharaons populaires, Chéops, eut un jour la fantaisie de demander à ses fils des distractions contre l'ennui qui le rongeait. Ceux-ci s'étaient levés devant lui l'un après l'autre, et ils lui avaient vanté tour à tour la prouesse de l'un des sorciers d'autrefois; seul Dadoufhorou, le dernier d'entre eux, avait entamé l'éloge d'un vivant. En considérant les choses de plus près on note que les sages étaient des hommes NM livre ou au rouleau en chef de Pharaon, c'est-à-dire des gens en place, qui tenaient leur rang dans la hiérarchie, tandis que le contemporain, Didou, ne porte aucun titre. Il était un simple provincial parvenu à l'extrême vieillesse sans avoir brigué jamais la faveur de la cour; si le prince le connaissait, c'est qu'il était lui-même un adepte, et qu'il avait parcouru l'Égypte entière à la recherche des écrits antiques ou des érudits capables de les interpréter (i). 11 se rend donc chez son protégé et il l'amène à son père pour opérer un miracle plus étonnant que ceux de ses prédécesseurs Didou refuse de toucher à un homme, mais il ressuscite une oie, il ressuscite un bœuf, puis il rentre au logis comblé d'honneurs. Le premier recueils'arrêtait ici à coup sûr, et il formait une œuvre complète en soi. Mais il y avait, dans le même temps et dans la même localité, une histoire de trois jumeaux fils du Soleil et d'une prêtresse de Râ, qui seraient devenus les premiers rois de la Ve dynastie. Didou y jouait-il un rôle dès le début.? En tout cas, l'auteur à qui nous devons la rédaction actuelle le choisit pour ménager la transition entre les deux chroniques. Il supposa qu'après avoir assisté à la résurrection de l'oie et du bœuf, Chéops avait requis Didou de lui procurer les livres de Thot. Didou ne se refuse pas à confesser qu'il les connaît, mais il déclare aussi qu'un seul homme est capable d'en assurer la possession au roi, l'aîné des trois garçons qu'une prêtresse de Râ porte actuellement dans son sein, et qui sont prédestinés à régner au bout de quatre générations. Chéops s'émeut de cette révélation, (1) Cfr. p. 25, note 4, p. M, note 4, et p. 125, note 4, p. 158 du présent volume.

ainsi qu'il est naturel, et il s'informe de la date à laquelle les enfants naîtront Didou la lui indique, il regagne son village et l'auteur, l'y laissant, s'attache sans plus tarder aux destinées de la prêtresse et de sa famille.
Il ne s'était pas torturé longuement l'esprit à chercher sa transition, et il avait eu raison, car ses auditeurs ou ses lecteurs n'étaient pas exigeants sur le point de la composition littéraire. Ils lui demandaient de les amuser, et pourvu qu'il y réussît, ils ne s'inquiétaient pas des procédés qu'il y employait. Les romanciers égyptiens n'éprouvaient donc aucun scrupule à s'approprier les récits qui circulaient autour d'eux, et à les arranger selon leur guise, les compliquant au besoin d'incidents étrangers à la rédaction première, ou les réduisant à n'être plus qu'un épisode secondaire dans un cycle différent de celui auquel ils appartenaient par l'origine. Beaucoup des éléments qu'ils combinaient présentent un caractère nettement égyptien, mais ils en utilisaient aussi qu'on rencontre dans les littératures des peuples voisins et qu'ils avaient peut-être empruntés au dehors. On se rappelle, dans l'jFusH~t/e selon saint Zttc, cet homme opulent, vêtu de pourpre et de fin lin, qui banquetait somptueusement chaque jour, tandis qu'à sa porte Lazare, rongé d'ulcères, se consumait en vain du désir de ramasser seulement les miettes qui tombaient de la table du riche. « Or, il arriva que le mendiant, étant mort, fut emporté au ciel par les anges, et que le riche mourut aussi et fut enterré pompeusement; au milieu des tortures de l'enfer, il leva les yeux, et il aperçut très loin Lazare, en paix dans le sein d'Abraham(l))). On lit, au second roman de Satni-Khâmoîs, une version égyptienne de la parabole évangëtique, mais elle y est dramatisée et amalgamée à une autre conception populaire, celle de la descente d'un vivant aux enfers (2). Sans insister sur ce sujet pour le moment, je dirai que plusieurs des motifs développés par les écrivains égyptiens leur sont communs avec les conteurs des nations étrangères, anciennes ou modernes. Analysez le Conte des deux Frères et appliquez-vous à en définir la structure intime vous serez étonnés de voir à quel point il ressemble pour la donnée et pour les détails à (1) Évangile selon saint ~,uc, XVI, 19 sqq.
(2) Maspero, Contes relatifs aux yran~)r~< de Memphis, dans le Journal des Savants, 1901, p. 496.

certains des récits qui ont cours chez beaucoup d'autres nations. il se dédouble à première vue le conteur, trop paresseux ou trop dénué d'imagination pour inventer une fable, en avait choisi deux ou plus parmi celles que .ses prédécesseurs lui avaient transmises, et il les avait soudées bout à bout de façon plus ou moins maladroite, en se contentant d'y introduire quelques menus incidents qui pussent faciliter le contact entre elles. L'Histoire véridique de -SatHt-T~Mmo~ est de même un ajustage de deux romans, la descente aux Enfers, et l'aventure du roi Siamânou; le rédacteur les a reliés en supposant que le Sénosiris du premier réincarnait l'Horus qui était le héros du second (1~. Le Conte des deMT/~fMmet d'abord en scène deux frères, l'un marié, l'autre célibataire, qui habitent ensemble et qui s'occupent aux mêmes travaux. La femme de l'aîné s'éprend du cadet sur le vu de sa force, et elle profite de l'absence du mari pour s'abandonner à un accès de passion sauvage. Baîti refuse ses avances brutalement; elle l'accuse de viol, et elle le charge avec tant d'adresse que le mari se décide à le tuer en trahison. Les bœufs qu'il rentrait à l'étable l'ayant averti du danger, il s'enfuit, il échappe à la poursuite grâce à la protection du soleil, il se mutile, il se disculpe, mais il refuse de revenir à la maison commune et il s'exile au Val de l'Acacia Anoupou, désespéré, rentre chez lui, il égorge la calomniatrice, puis il « demeure en deuil de son petit frère (2) n. Jusqu'à présent, le merveilleux ne tient pas trop de place dans l'action sauf quelques discours prononcés par les bœufs et l'apparition, entre les deux frères, d'une eau remplie de crocodiles, le narrateur s'est servi surtout de moyens empruntés à l'ordinaire de la vie. La suite n'est que prodiges d'un bout à l'autre (8). Baîti s'est retiré au Val pour vivre dans la solitude, et il a déposé son cœur sur une fleur de l'Acacia. C'est une précaution des plus naturelles. On enchante son cœur, on le place en lieu sûr, au sommet d'un arbre par exemple tant qu'il y restera, aucune force ne prévaudra contre le corps qu'il anime quand même (4). Cependant, les dieux, descendus en (t) Le premier conte occupe les pages 161-181 du présent volume, le second les pages 155-163, et la transition les pages 163-161. (2) Ce premier conte occupe les pages 3-11 du présent volume. (3; Il va de la page 11 à la page 21 du présent volume.
(4) C'est la donnée du Corps sans <hne, qui est fréquente dans les littéra-

visite sur la terre, ont pitié de l'isolement de Ba!ti et ils lui fabriquent une femme (1). Comme il l'aime éperdument, il lui confie son secret, et il lui enjoint de ne pas quitter la maison; car le Nil qui arrose là vallée est épris de sa beauté et ne manquerait pas à vouloir l'enlever. Cette confidence faite, il s'en va à la chasse~ et elle lui désobéit aussitôt le Nil l'assaille et s'emparerait d'elle) si l'Acacia, qui joue le rôle de protecteur on ne sait trop comment, ne la sauvait en jetant à l'eau une boucle de ses cheveux. Cette épave, charriée jusqu'en Égypte, est remise à Pharaon, et Pharaon; conseillé par ses magiciens, envoie ses gens à la recherche de la fille des dieux'. La force échoue la première fois à la seconde la trahison réussit, on coupe l'Acacia, et sitôt qu'il est à bas Baîti meurt. Trois années durant il reste inanimé la quatrième, il ressuscite avec l'aide d'Anoupou et il songe à tirer vengeance du crime dont il est la victime. C'est désormais entre l'épouse infidèle et le mari outragé une lutte d'adresse magique et de méchanceté. Batti se change en taureau la fille des dieux obtient qu'on égorge le taureau. Le sang; touchant le sol, en fait jaillir deux perséas qui trouvent une voix pour dénoncer la perfidie la fille des dieux obtient qu'on abatte les deux perséas, qu'on en façonne des meubles, et, pour mieux goûter sa vengeance, elle assiste à l'opération. Un copeau, envolé sous l'herminette des menuisiers; lui entre dans la bouche; elle l'avale, elle conçoit, elle accouche d'un fils qui succède à Pharaon, et qui est Baîti réincarné. A peine monté sur le trône, il rassemble les conseillers de la couronne et il leur expose ses griefs, puis il envoie au supplice celle qui, après avoir été sa femme, était devenue sa mère malgré elle. Somme toute, il y a dans ce seul tures poputaires. Lepage-Renouf a réuni des exemples assez nombreux de fictions analogues dans deux articles de la Z6!cArt/'< (1871, p. 136 sqq.) et des ProecedtH~ o/'</teSccte<t/ of Biblical ~t'c/;xo/o~)/ (t. XI, p. 1T7 sqq.), reproduits dans ie/Mye-~e7tOM/ Z.ï'/i'tudrt (t. p. 442 sqq., et t. Il, p. 311 sqq.).
(1) Hyacinthe Hiisson, qui a étudié d'assez près Le (;onte des deux Freres (La CAai'te draditionnelle, Contes et Légendes au, point de vue M~/tt~Me, Paris 1874, p. 91), a rapproché avec raison la création de cette femme par Khnoumou et la création de Pandore, fabriquée par Hephœstos sur l'ordre de Zeus. « Ces deux femmes sont gratifiées de tous les < dons de la beauté toutes deux sont pourtant funestes, l'une à son époux, l'autre à la race humaine tout entière ').

conte l'étoffé de deux romans distincts, dont le premier met en scène la donnée du serviteur accusé par la maîtresse qu'il a dédaignée, tandis que le second dépeint les métamorphoses du mari trahi par sa femme. La fantaisie populaire les a réunis par le moyen d'un troisième motif, celui de l'homme ou du démon qui cache son cœur et meurt lorsqu'un ennemi le découvre. Avant de s'expatrier, Baiti a déclaré qu'un malheur lui arriverait bientôt, et il a décrit les prodiges qui doivent annoncer la mauvaise nouvelle à son frère. Ils s'accomplissent au moment où l'Acacia tomba et Anoupou part d'urgence à la recherche du cœur l'aide qu'il prête en cette circonstance compense la tentative de meurtre du début, et elle forme la liaison entre les deux contes.
La tradition grecque, elle aussi, avait ses fables où le héros est tué ou menacé de mort pour avoir refusé les faveurs d'une femme adultère, Hippolyte, Pélée, Phinée. Bellérophon, fils de Glaucon, « à qui donnèrent les dieux la beauté et une « aimable vigueur », avait résisté aux avances de la divine Antéia, et celle-ci, furieuse, s'adressa au roi Prœtos « Meurs, « Prœtos, ou tue Bellérophon, car il a voulu s'unir d'amour avec « moi, qui n'ai point voulu «. Prœtos expédia le héros en Lycie, où il comptait que la Chimère le débarrasserait de lui (1). La Bible raconte en détail une aventure analogue au récit égyptien. Joseph vivait dans la maison de Putiphar comme Baîti dans celle d'Anoupou « Or il était beau de taille et de figure. Et il arriva à quelque temps de là que la femme du maître de Joseph jeta ses yeux sur lui et lui dit « Couche avec moi » Mais il s'y refusa et lui répondit « Vois-tu, mon maître ne se « soucie pas, avec moi, de ce qui se passe dans sa maison, et il « m'a confié tout son avoir. Lui-même n'est pas plus grand « que moi dans cette maison, et il ne m'a rien interdit si ce « n'est toi, puisque tu es sa femme. Comment donc commet« trais-je ce grand crime, ce péché contre Dieu? » Et quoiqu'elle parlât ainsi à Joseph tous les jours, il ne l'écouta point et il refusa de coucher avec elle et de rester avec elle. Or, il arriva un certain jour qu'étant entré dans la chambre pour y faire sa besogne, et personne des gens de la maison ne s'y (1) Iliade, Z, 155-210. Hyacinthe Husson avait déjà fait ce rapprochement (La Chaine traditionnelle, p. 87).

trouvant, elle le saisit par ses habits en disant « Couche avec « moi t » Mais il laissa son habit entre ses mains et il sortit en toute hâte. Alors, comme elle vit qu'il avait laissé son habit entre ses mains et qu'il s'était hâté de sortir, elle appela les gens de sa maison et elle leur parla en ces termes « Voyez « donc, on nous a amené là un homme hébreu pour nous « insulter. Il est entré chez moi pour coucher avec moi, mais « j'ai poussé un grand cri, et quand il m'entendit élever la « voix pour crier, il laissa son habit auprès de moi et il sortit « en toute hâte ». Et elle déposa l'habit près d'elle, jusqu'à ce que son maître fût rentré chez lui; puis elle lui tint le même discours, en disant « Il est entré chez moi, cet esclave hébreu « que tu nous as amené, pour m'insulter, et quand j'élevai la « voix pour crier, il laissa son habit auprès de moi et il se « hâta de sortir ». Quand son maître eut entendu les paroles de sa femme qu'elle lui adressait en disant « Voilà ce que « m'a fait ton esclave » il se mit en colère, et il le prit, et il le mit en prison, là où étaient enfermés les prisonniers du roi. Et il resta là dans cette prison (1). La comparaison avec le Conte des deux Frères est si naturelle que M. de Rougé l'avait instituée dès 1852 (2). Mais la séduction tentée, les craintes de la coupable, sa honte, la vengeance qu'elle essaie de tirer sont données assez simples pour s'être présentées à l'esprit des conteurs populaires, indépendamment et sur plusieurs points du globe à la fois (3). Il n'est pas nécessaire de reconnaître dans l'aventure de Joseph la variante d'une histoire, dont le Papyrus d'Orbiney nous aurait conservé la version courante à Thèbes, vers la fin de la XIX" dynastie.
Peut-être convient-il de traiter avec la même réserve un conte emprunté aux Mille et une Nuits, et qui n'est pas sans analogie avec le nôtre. Le thème primitif y est dédoublé et aggravé d'une manière singulière au lieu d'une belle-sœur qui s'offre à son beau-frère, ce sont deux belles-mères qui essaient de débaucher les fils de leur mari commun. Le prince Kamaralzaman avait eu Amgiâd de la princesse Badour et Assâd de la princesse Hafat-en-néfous. Amgiâd et Assâd étaient (1) Genèse, XXXIX, 6-20 (trad. Reuss).
(2) Notice sur un manuscrit égyptien, p. 7, note 5, (cf. QEuvres diverses, t. Aro<!e? 308, note 2), mais sans insister sur les ressemblances. a~fWM. t. U, p. 308, note 2), mais sans insister sur les ressemblances. (3) Ebers, ~E'~p<em und die BucAe;- JKo~M, 1868,1.1, p. 316.

si beaux que, dès l'enfance; ils inspirèrent aux sultanes une tendresse incroyable. Les années écoulées, ce qui semblait affection maternelle éclate en passion violente au lieu de combattre leur ardeur criminelle, Bàddur et Hafât-en-néfous se concertent et elles déclarent leur amour par lettres de haut style. Evincées avec mépris, elles craignent une dénonciation. A l'exemple de la femme d'Anoupou, elles prétendent qu'on a voulu leur faire violence elles pleurent elles crient, elles se couchent ensemble dans un même lit, comme si la résistance avait épuisé leurs forces. Lé lendemain matin, Kamaralzaman, revenu de la chasse, les trouve plongées dans les larmes et leur demande la cause de leur douleur. On devine la réponse: « Seigneur, la peine qui nous accable est de telle nature que « nous ne pouvons plus supporter la lumière du jour, après « l'outrage dont les deux princes vos enfants se sont rendus « coupables à notre égard. Ils ont eu, pendant votre absence; <[ l'audace d'attenter à notre honneur ». Colère du père, sentence de mort contre les fils le vieil émir chargé de l'exécuter ne l'exécute point, sans quoi il n'y aurait plus de conte. Kamaralzaman né tarde pas à reconnattre l'innocence d'Amgiâd et d'Assâd cependant, au lieu de tuer ses deux femmes comme Anoupou la sienne, il se borne à les emprisonner pour le restant de leurs jours (1). C'est la donnée du Conte des deux Frères, mais adaptée aux besoins de la polygamie musulmane à se modifier de la sorte, elle n'a gagné ni en intérêt, di en moralité (2).
Les versions du deuxième conte sont plus nombreuses et plus curieuses (3). On les rencontre partout, en France (4), en (i) Nuits 2M-M9. éd. de Breslau.
(2) Une version pehlévie de ce premier des deux contes mis eh œuvre dans le roman conservé au Papyrus d'Of6tKM/ a été signalée parNoldeke, t;McA;eA<c des ~Wac/tt/t! Pa~aM?:. dans les B~f~f ZM;' Kunde der!H~o~e'aSMc~~ A'~ac/ten, t. IV, ~9.
t3) Elles ont été recueillies et discutées par M. Emmanuel Cosquin, dans son article ~t ~ro&M~e At~o~/t/e pro~M ciM edn<C <'j~p<M?: t<M dans son (Extrait de ta ~eu;tc dM ~MMtio~ At~oft~MM, octobre i8T!.deux Fi-ères (Extrait de la Reviie des ()uestions hisioriques~ octobre i8T7, î, Tirage à part, in-8". 15 p.). Je me suis fait un devoir scrupuleux d'indiquer à chaque fois les références que j'ai empruntées à ce beau mémoire. Lepage-Renouf a repris la plupart de ces récits dans l'article dès /'roceedings que j'ai indiqué plus haut, p. ~fti, note 4 du présent volume. (4) Ca<'tn<'<f/M <'d<;s, t. XXX), p. 233 sqq., d'après E. Cosquin.

Italie (1), dans les différentes parties de l'Allemagne (2), en Transylvanie (3), en Hongrie (4), en Russie et dans les pays slaves (5), chez les Roumains (6), dans le Péloponèse (7), en Asie-Mineure (8), en Abyssinie (9), dans l'Inde (10). En Allemagne, Baîti est un berger, possesseur. d'une épée invincible. Une princesse lui dérobe son talisman il est vaincu, tué, coupé en morceaux, puis rendu à la vie par des enchanteurs qui lui concèdent la faculté de « revêtir toutes les formes qui « lui plairont ». Il se change en cheval. Vendu au roi ennemi et reconnu par la princesse qui insiste pour qu'on le décapite, il intéresse à son sort la cuisinière du château « Quand on me « tranchera la tête, trois gouttes de mon sang sauteront sur ton « tablier tu les mettras en terre pour l'amour de moi ». Le lendemain, un superbe cerisier avait poussé à l'endroit même où les trois gouttes avaient été enterrées. La princesse coupe le cerisier; la cuisinière ramasse trois copeaux et les jette dans l'étang où ils se transforment en autant de canards d'or. La princesse en tue deux à coups de Hèche, s'empare du troi(t) Giambattista Basile, Il Penlamerone, n° 49, d'après E. Cosquin. (2) En Hesse, J. W. Wolff, Deutsche 7/a~ni~rc/ten, Gottingen, 1851, p. 494 sqq.
(3) En Transylvanie, J. Haltdrich, Deutsche ~o/&<m~?-cAcm aus dem Sac/MM~an'/e in S~&eTtAKt'~cn, Berlin, 1856, n° 1, d'après E. Cosquin; cfr. Lepage-Renouf, /c-~o<-A, t. III, p. 319-321.
(4~ 0. L. B. Wolff, Die ~c/iôn~<em ~e/ten und Sagen aller Zc:<e7) und fo/Ae)'. Leipzig, 1850, t. I, p. 229 sqq. Gaal et Stier, Ungarische VolkstK~rc/icn, Pest, 1857, n" 7, d'après E. Cosquin; Majtath, .Ma~ya~c/te Sa~M. t. 11, p. 195 cf. Lepage-Renouf, <e-~or/t. t. III, p. 321. (5) En Lithuanie, Alex. Chodzko, Paris, 1864, p. 368, d'après E. Cosquin; en Russie, l'ouvrage d'Alfred Rambaud, La /!MMie épique, Paris, 1876, p. 377-380.
(6) Franz Obert, 7}(WtaMMcAe ~rc/te?: und Sagen aus S:fAenbM)'yen, dans l'Ausland, 1858, p. 118 Arthur und Albert Schott, Walachische M--rchen, Stuttgart, 1845, n'' 8, p. 322, d'après E. Cosquin; cf. Lepage-Renouf, ~c-~o~. t. UI, p. 319.
(7) P. d'Estournelles de Constant, La Vie de province en Grèce, Paris, 1878, p. 260-292, et le .B«//e< de l'Association pour l'encouragement des Études ~)'ec<y en Nattée, 1878, p. 118-123.
(8) J. G. von Hahn, Griechische und Albanesische Af~t'e/te?!, Leipzig, 1864, n" 49, d'après E. Cosquin.
(9) Leo Reinisch, Das Volk dei' Saho, dans ~'OM<e)')'e!c/tMc/te ~ona<jc/M-< /M?- den Orient, 1817, n" 5.
(10) M. Frere, Old Deccan Days o;' Bindoo Fairy Legends, London, 186S, n" 6, d'après E. Cosquin.
b

sième et l'emprisonne dans sa chambre pendant la nuit, le canard reprend l'épée et disparaît (1). En Russie, Baîti s'appelle Ivan, fils de Germain le sacristain. Il trouve une épée magique dans un buisson, il va guerroyer contre les Turcs qui avaient envahi le pays d'Arinar, il en tue quatre-vingt mille, cent mille, puis il reçoit pour prix de ses exploits la main de Cléopâtre, fille du roi. Son beau-père meurt, le voilà roi à son tour, mais sa femme le trahit et livre l'épée aux Turcs quand Ivan désarmé a péri dans la bataille, elle s'abandonne au sultan comme la fille des dieux à Pharaon. Cependant, Germain le sacristain, averti par un flot de sang qui jaillit au milieu de l'écurie, part et recueille le cadavre. « Si tu veux le ranimer, « dit son cheval, ouvre mon ventre, arrache mes entrailles, a frotte le mort de mon sang, puis, quand les corbeaux vien« dront me dévorer, prends-en un et oblige-le à t'apporter « l'eau merveilleuse de vie ». Ivan ressuscite et renvoie son père « Retourne à la maison moi je me charge de régler « mon compte avec l'ennemi ». En chemin, il aperçoit un paysan « Je me changerai pour toi en un cheval merveilleux, « avec une crinière d'or tu le conduiras devant le palais du « sultan ?. Le sultan voit le cheval, l'enferme à l'écurie et ne se lasse pas de l'aller admirer. « Pourquoi, seigneur, lui dit a Cléopâtre, es-tu toujours aux écuries? J'ai acheté un che« val qui a une crinière d'or. Ce n'est pas un cheval, c'est « Ivan, le fils du sacristain commande qu'on le tue Un bœuf au pelage d'or naît du sang du cheval Cléopâtre le fait égorger. De la tête du taureau naît un pommier aux pommes d'or Cléopâtre le fait abattre. Le premier copeau qui s'envole du tronc sous la hache se métamorphose en un canard magnifique. Le sultan ordonne qu'on lui donne la chasse et il se jette lui-même à l'eau pour l'attraper, mais le canard s'échappe vers l'autre rive. Il y reprend sa figure d'Ivan, avec des habits de sultan, il jette sur un bûcher Cléopâtre et son amant, puis il règne à leur place (2).
Voilà bien, à plus de trois mille ans d'intervalle, les grandes (1) J. W. WoU! DeK~cAe ~auf~cAM, Gôttingen. 1851, in-8", p. 394, d'après E. Cosquin.
(2) Rambaud, La Russie épique, p. 377-380. Une légende hongroise, citée par Cosquin (p. 5), ne présente que des différences fort légères avec le récit allemand et le récit russe.

lignes de la version égyptienne. Si l'on voulait se donner la peine d'en examiner les détails, les analogies se révéleraient partout presque aussi fortes. La boucle de cheveux enivre Pharaon de son parfum; dans un récit breton, la mèche de cheveux lumineuse de la princesse de Tréménéazour rend amoureux le roi de Paris (1). Baîti place son cœur sur la fleur de l'Acacia; dans le Pantchatantra, un singe raconte qu'il ne quitte jamais sa forêt sans laisser son coeur caché au creux d'un arbre (2). Anoupou est averti de la mort de Baîti par un intersigne convenu  l'avance, du vin et de la bière qui se troublent; dans divers contes européens, un frère partant en voyage annonce à son frère que, le jour où l'eau d'une certaine fiole se troublera, on saura qu'il est mort (3). Et ce n'est pas seulement la littérature populaire qui possède l'équivalent de ces aventures les religions de la Grèce et de l'Asie occidentale renferment des légendes qu'on peut leur comparer presque point par point. Pour ne citer que le mythe phrygien, Atys dédaigne l'amour de la déesse Cybèle, comme Ba~i celui de la femme d'Anoupou, et il se mutile comme Baîti (4); de même aussi que Baîti en arrive de changement en changement à n'être plus qu'un perséa, Atys se transforme en pin (5). Toutefois ni Anoupou, ni Baîti ne sont des dieux ou des héros venus à l'étranger. Le premier est allié de près au dieu chien des Égyptiens, et le second porte le nom d'une des divinités les plus vieilles de l'Égypte archaïque, ce Baîti à (1) F. M. Luzel, ï~'OMMMe rapport sur une mission en Rre<a~Me, dans les
Archives des missions scienti~ques, II° série, t. VII, p. 492 sqq.
~re/t:t)e~ cfe<M!'M:'oM ~c:e7:<yMe~, H' série, t. VU, p. 192sqq. La Chaine (2) Benfey, /'aK~cAa<an<)'a, 1, p. 426 cfr. Hyacinthe Husson, La CA<Hne traditionnelle, p. 88-90.
(3) Voir les exemples d'intersignes identiques ou analogues qui ont été réunis par Cosquin, aux pp. 10-12 de son mémoire, et par LepageRenouf, /<tVbrA, t. IH, p. 321-323.
(4) Cf. dans le De Dect St/?-:< 19-21, l'histoire de Combabos, où le thème de la mutilation est plus intelligemment développé que dans le Conte des Deux Frères. Baiti se mutile après l'accusation, ce qui ne prouve rien Combabos se mutile avant, ce qui lui permet de se disculper.
(5) Le côté mythologique de la question a été mis en lumière, avec quelque exagération, par Fr. Lenormant, dans Les PreM:erey civilisations, t. (édition in-8"), p. 315-401; cfr. H. de Charencey, Les Traditions relatives au fils de la Vierge (extraitdes Annales dephilosophie chrétienne), in-8". Paris, 1881, p. 12 sqq.

double buste et à double tête de taureau (1) dont le culte s'était localisé de très bonne heure dans la Moyenne Égypte, à Saka du nome Cynopolite (2), à côté de celui d'Anubis (3) il fut plus tard considéré comme l'un des rois antérieurs à Menés (4), et son personnage et son rôle mythique se confondirent dans ceux d'Osiris (5). D'autres ont fait ou feront mieux que moi les rapprochements nécessaires j'en ai dit assez pour montrer que les deux éléments principaux existaient ailleurs qu'en Égypte et en d'autres temps qu'aux époques pharaoniques.
Y a-t-il dans tout cela une raison suffisante de déclarer qu'ils n'en sont pas ou qu'ils en sont originaires ? Un seul point me parait hors de doute pour le moment la version égyptienne est de beaucoup la plus vieille en date que nous ayons. Elle nous est parvenue en effet dans un manuscrit du xiu' siècle avant notre ère, c'est à-dire nombre d'années avant le moment où nous commençons à relever la trace des autres. Si le peuple égyptien en a emprunté les données ou s'il les a transmises au dehors, l'opération s'est accomplie à une époque plus ancienne encore que celle où la rédaction nous reporte; qui peut dire aujourd'hui comment et par qui elle s'est faite?
(1) Ce Baiti a été signalé pour la première fuis par Naville, qui rapprocha les mentions de son nom qu'il y a dans les textes des Pyramides (Pepi 1. tâ46, Mirnirl 1. 480 = Pepi 1. 267, ~MM~l.,538 = Pepi /'r, I. 229) et les représentations du.dieu à double tête de taureau qu'on rencontre sur les monuments thinites (Petrie, Royal Jont~, t. ], pl. XI, 1. 13 et t. M, pi. X).
(2) Le rapprochement a été fait par Atan H. Gardiner (the ~/e)'o of the Papyrus d'Orbiney, dans les P)'oceed:n~ de la Société d'Archéologie biblique. 1905, t. xxvn, p. 185-186) d'après un Ostracon d'Édimbourg. (3) Dümichen, liecueil de Monuments, t. 111, pl. Il, 1. 57 cf. Brugsch, Dictionnaire géographique, p. 863. Spiegelberg en a conclu que les deux frères Anoupou et Baîti sont les deux dieux de Cynopolis, et par conséquent, que leur Conte appartiendrait à un cycle de légendes cynopolites (der Go« Bata dans la Zet<sc/t'<, t. XLIV, 1907, p. 98-99 cf. Reitzenstein, Hellenistische TVMnd'e)'e'-2H/~Mn<ye;t, p. 13 sqq.).
(4) C'est Lauth qui, le premier, a reconnu l'identité du nom de Baiti avec celui de Boutés ou Bytis (~E~y/~McAe Chronologie, 1877, p. 30-31?. (5) Virey, dans un article de la Revue des ()Mes<tons /t:s<oW~ue. 1893, pp. 337-343 et dans la Religion de /nc:e7t?te E~p<e. 1910, p. 193 sqq., a interprété le Conte des deux Frères par le mythe Osirien.

Que le fond soit ou ne soit pas étranger, la forme est toujours indigène si par aventure il y eut emprunt du sujet, au moins l'assimilation fut-elle complète. Et d'abord les noms. Quelquesuns, Bafti et Anoupou, appartiennent à la religion ou à la légende Anoupou (1) est, je viens de le dire, en rapport avec Anubis, et son frère, Baîti, avec Baîti le double Taureau. D'autres dérivent de l'histoire et ils rappellent le souvenir des plus célèbres parmi les Pharaons. L'instinct qui porte les conteurs de tous les pays et de tous les temps à choisir comme héros des rois ou des seigneurs de haut rang, s'associait en Égypte à un sentiment patriotique très vif. Un homme de Memphis, né au pied du temple de Phtah et grandi, pour ainsi dire, à l'ombre des Pyramides, était familier avec Khoufouî et ses successeurs les bas-reliefs étalaient à ses yeux leurs portraits authentiques, les inscriptions énuméraient leurs titres et célébraient leur gloire. Sans remonter aussi loin que Memphis dans le passé de l'Égypte, Thèbes n'était pas moins riche en monuments sur la rive droite comme sur la rive gauche du Nil, à Karnak et à Louxor comme à Gournah et à MédinétHabou, les murailles parlaient à ses enfants de victoires remportées sur les nations de l'Asie ou de l'Afrique et d'expéditions lointaines au-delà des mers. Quand le conteur mettait des rois en scène, l'image qu'il évoquait n'était pas seulement celle d'un mannequin affublé d'oripeaux superbes son auditoire et lui-même songeaient à ces princes toujours triomphants, dont la figure et la mémoire se perpétuaient vivantes au milieu d'eux. Il ne suffisait pas d'avancer que le héros était un souverain et de l'appeler Pharaon il fallait dire de quel Pharaon glorieux on parlait, si c'était Pharaon Ramsès ou Pharaon Khoufouî, un constructeur de pyramides ou un conquérant des dynasties guerrières. La vérité en souffrait souvent. Si fami(1) J'ai quelques raisons de croire que le nom de personne lu Anoupou d'ordinaire doit se dire Anoupouî, celui qui a/)joa''<:en< à Anubis; tou.tefois, comme je ne les ai données encore nulle part je conserverai la vieille lecture jusqu'à nouvel ordre.
Il

liers qu'ils fussent avec les monuments; les Egyptiens qui n'avaient pas fait de leurs annales une étude attentive inclinaient assez à défigurer les noms et à brouiller les époques. Dès la XII' dynastie, Sinouhit raconte ses aventures à un certain Khopirkérïya Amenemhaît, qui joint au nom propre Amenemhaît le prénom du premier Sanouosrît on le chercherait en vain sur les listes officielles (1). Sanafrouî, de là IV" dynastie, est introduit dans le roman conservé à Saint-Pétersbourg avec Amoni de la XI" (2); Khoufoui, Khâfrîya et les trois premiers Pharaons de la V dynastie jouent les grands rôles dans les récits du papyrus Westcar (3) Nabkéourîya, de là IX., se montre dans l'un des papyrus de Berlin (4); Ouasimarîya et Mînibphtah de la XIX" (5), Siamânou de là XXI" avec un prénom Manakhphré qui rappelle celui de Thoutmôsis III (6), dans les deux Contes de Satni; Pétoubastis de la XXVI" (7); Râhotpou et Manhapouriya dans un fragment d'histoire de revenant (8), et un roi d'Égypte anonyme dans le Conte du prince prédestiné. Les noms d'autrefois prêtaient au récit un air de vraisemblance qu'il n'aurait pas eu sans cela une aventure merveilleuse, inscrite au compte de l'un des Ramsès, devenait plus probable qu'elle n'aurait été, si on l'avait attribuée à quelque bon bourgeois sans notoriété. Il s'établit ainsi, à côté des annales officielles, une chronique populaire parfois bouffonne, toujours amusante. Le carac(1) C'est peut-être une faute de copiste, comme le veut Borchardt (dans la Ze:~cA)-t/<. 1890, t. XXVIII, p. 102), peut-être aussi une combinaison suggérée à l'auteur par le souvenir du règne commun de Sanouosrit I" et d'AmenemhaitIl. Cf. dans lasuite de ce volume les -4t)en<M''M t/et):?!OMAt<, p. 72 sqq.
(2) W. Golênicheff, dans la Zeitschrift /M)' .~f/~Mc~ Sprache und Allerthumskunde, 1816, p. 109-111.
(3) Cfr. p. 24-44 du présent volume.
(4) Il est le roi à qui le fellah se plaint du vol commis à son préjudice par Thotnàkhouiti; cfr. pp. 54, 10 de ce volume.
(5) Voir pp. 125, 126, 128-130, 134,138, 140, sqq., 155,163 sqq., du présent volume.
(6) Voir pp. 161, 169, ni, 112, sqq. du présent volume. M. Legrain aen effet recueilli à Karnak, pendant notre campagne de 1904-1905, un monument d'un Thoutmôsis Manakhphré, qui me parait être Thoutmôsis 111; le monument est de basse époque saite ou du début de l'époque ptolémaïque. (7) Cf. p. 231-280 du présent volume les récits intitulés l'ntpWse de la cuirasse et l'BM~i'Me du ï*)'d)te.
(8) Cfr. p. 288-294 du présent volume.

tère des Pharaons et leur gloire même en souffrit de même qu'il y eut dans l'Europe au moyen âge le cycle de Charlemagne où le rôle et l'esprit de Charlemagne furent dénaturés complètement, on eut en Égypte des cycles de Sésôstris et d'Osimandouas, des cycles deThoutmôsis III, des cycles de Chéops, où la personne de Ramsès 11, de Thoutmôsis III, de Chéops, se modifia au point de devenir souvent méconnaissable. Des périodes entières se transformèrent en sortes d'épopées romanesques, et l'âge des grandes invasions assyriennes et éthiopiennes fournit une matière inépuisable aux rapsodes selon la mode ou selon leur propre origine, ils groupèrent les éléments que cette époque belliqueuse leur prodiguait autour des Saïtes Bocchoris et Psammétique (1), autour du Tanite Pétoubastis, ou autour du bédouin Pakrour, le grand chef de l'Est (2). Toutefois, Khoufouî est l'exemple le plus frappant peut-être que nous ayons de cette dégénérescence. Les monuments nous suggèrent de lui l'opinion la plus avantageuse. Il fut guerrier et il sut contenir les Nomades qui menaçaient les établissements miniers du Sinaï. Il fut constructeur et il bâtit en peu de temps, sans nuire à la prospérité du pays, la plus haute et la plus massive des Pyramides. Il fut dévot, il enrichit les dieux de statues en or et en matières précieuses, il restaura les temples anciens, il en édifia de nouveaux. Bref, il se montra le type accompli du Pharaon Memphite. Voilà le témoignage des documents contemporains, mais écouter celui des générations postérieures, tel que les historiens grecs l'ont r. recueilli. Chez eux, Chéops est un tyran impie qui opprime son peuple et qui prostitue _sa fille pour achever sa pyramide. Il proscrit les prêtres, il pille les temples, et il les tient fermés (1) Voir dans Hérodote, 11, CXLVII-CLII, xxx, une partie du roman de Psammétique, la Dodécarchie, l'arrivée des hommes de fer, la fuite des soldats. Hérodote s'inspirait d'un guide qui avait le plus grand respect pour l'oracle de Boutô et qui répétait les récits ou les interprétations des événements fournis par cet oracle. D'autres contemporains tenaient pour l'oracle de Jupiter Ammon et ils défendaient la version des mêmes événements que celui-ci avait lancés dans la circulation nous possédons dans l'histoire de Témenthès et des coqs cariens une des traditions ammoniennes de la Dodécarchie. (2) Voir, p. 231-280 du présent volume, l'Bmp?'!<e de <a cuirasse, et l'&'m/«':M du 7'rd/t?, et le rôle prépondérant que Pakrour y joue a. côté et presque au-dessus du Pharaon.

cinquante années durant. Le passage de Khoufouî à Chéops n'a pu s'accomplir en un jour, et, si nous possédions plus de la littérature égyptienne, nous en jalonnerions les étapes à travers les âges, comme nous faisons celui du Charlemagne des annalistes au Charlemagne des trouvères. Nous saisissons, avec le conte du Papyrus Westcar (1), un des moments de la métamorphose. Khoufouî n'y est déjà plus le Pharaon soumis religieusement aux volontés des dieux. Lorsque Râ se déclare contre lui et suscite les trois princes qui ont détrôné sa famille, il se ligue avec un magicien pour déjouer les projets du dieu ou pour en retarder l'exécution on voit qu'il n'hésiterait pas à traiter les temples de Sakhîbou aussi mal que le Chéops d'Hérodote avait traité tous ceux de l'Egypte.
Ici, du moins, le roman n'emprunte pas le ton de l'histoire sur la Stèle de la princesse de Bakhtan (2), il s'est entouré d'un appareil de noms et de dates combiné si habilement qu'il a réussi à revêtir les apparences de la vérité. Le thème fondamental n'y a rien d'essentiellement égyptien c'est celui de la princesse possédée par un revenant ou par un démon, délivrée par un magicien, par un dieu ou par un saint. La variante égyptienne, en se l'appropriant, a mis en mouvement l'inévitable Ramsès II, et elle a profité du mariage qu'il contracta en l'an XXXIV de son règne avec la fille aînée de Khattousîl II, le roi des Khâti, pour transporter en Asie le théâtre principal de l'action. Elle le marie à la princesse presque un quart de siècle avant l'époque du mariage réel, et dès l'an XV, elle lui expédie une ambassade pour lui apprendre que sa belle-sœur Bintrashît est obsédée d'un esprit, dont seuls des magiciens habiles sont capables de la délivrer. Il envoie le meilleur des siens, Thotemhabi, mais celui-ci échoue dans ses exorcismes et il revient tout penaud. Dix années s'écoulent, pendant lesquelles l'esprit reste maître du terrain, puis en l'an XXVI, nouvelle ambassade cette fois, une des formes, un des doubles de Khonsou consent à se déranger, et, partant en pompe pour l'étranger, il chasse le malin en présence du peuple de Bakhtan (3). Le prince, ravi, médite de garder le libérateur, (1) Voir p. 21-44 sqq. de ce volume.
(2) Voir p. 183-19i sqq. de ce volume.
(3) Le voyage d'Ounamounou nous fournit un second exemple d'une forme secondaire de la divinité, déléguée par la divinité elle-même à la

mais un songe suivi de maladie a promptement raison de ce projet malencontreux, et l'an XXXIII, Khonsou rentre à Thèbes, chargé d'honneurs et de présents. Ce n'est pas sans raison que le roman affecte l'allure de l'histoire. Khonsou était demeuré très longtemps obscur et de petit crédit. Sa popularité, qui ne commença guère qu'à la fin de la X1X° dynastie, crût rapidement sous les derniers Ramessides au temps des Tanites et des Bubastites, elle balançait presque celle d'Amon lui-même. Il n'en pouvait aller ainsi sans exciter la jalousie du vieux dieu et de ses partisans les prêtres de Khonsou et ses dévots durent chercher naturellement dans le passé les traditions qui étaient de nature à rehausser son prestige. Je ne crois pas qu'ils aient fabriqué notre conte de toutes pièces. H existait avant qu'ils songeassent se servir de lui, et,les conquêtes de Ramsès en Asie, ainsi que son mariage exotique, le désignaient nécessairement pour être le héros d'une aventure dont une Syrienne était l'héroïne. Voilà pour le nom du roi celui du dieu guérisseur était avant tout affaire de mode ou de piété individuelle. Khonsou étant la mode au temps que le conteur écrivait, c'est à sa statue qu'il confia l'honneur d'opérer la guérison miraculeuse. Les prêtres se bornèrent à recueillir ce roman si favorable à leur dieu; ils lui donnèrent les allures d'un acte réel, et ils l'affichèrent dans le temple (1). On conçoit que les égyptologues aient pris au sérieux les faits consignés dans une pièce qui s'offrait à eux avec toutes les apparences de l'authenticité: ils ont été victimes d'une fraude pieuse, comme nos archivistes lorsqu'ils se trouvent en face des chartes fausses d'une abbaye. On conçoit moins qu'ils se soient laissé tromper aux romans d'Apôpi ou de Thoutîyi. Dans le premier, qui est fort mutilé, le roi Pasteur Apôpi dépêche message sur message au thébain Saqnounrîya et le suppléer en pays étranger l'Amon du Chemin y est l'ambassadeur divin d'Amon, comme Ounamounou est l'ambassadeur humain (cfr. p. 219, note i du présent volume).
(1) Erman, Die Ben<McM<'<e, dans la Ze:~cArt7/, 1884, p. 59-60. Une série de documents analogues devait exister pour un ministre divinisé d'Aménôthès lit, Aménôthés fils d'Hapoui, dont nous connaissons a Thèbesun oracle et un temple funéraire. Un seul nous en est demeuré sous sa forme originale, la prétendue stèle de fondation du temple funéraire à Deir el Médinèh que Birch a traduite le premier (Chabas, Mélanges égyptologiques, 11° série, p. 324-343) d'autres nous sont arrivés sous un vêtement grec.

somme de chasser les hippopotames du lac de Thèbes qui l'empêchent de dormir. On ne se douterait guère que cette exigence bizarre sert de prétexte à une propagande religieuse c'est pourtant la vérité. Si le prince de Thèbes refuse d'obéir, on l'obligera à renoncer au culte de Râ pour adopter celui de Soutekhou (1). Aussi bien la querelle d'Apôpi et de Saqnounrîya semble n'être que la variante locale d'un thème populaire dans l'Orient entier. « Les rois d'alors s'envoyaient les uns aux autres des problèmes à résoudre sur toutes sortes de matières, à condition de se payer une espèce de tribut ou d'amende, selon qu'ils répondraient bien ou mal aux questions proposées ». C'est ainsi qu'Hiram de Tyr débrouillait par l'entremise d'un certain Abdémon les énigmes que Salomon lui intentait (2). Sans examiner ici les fictions diverses qu'on a établies sur cette donnée, j'en citerai une qui nous rend intelligible ce qui subsiste du récit égyptien. Le Pharaon Nectanébo expédie un ambassadeur à Lycérus, roi de Babylone, et à son ministre Ésope « J'ay des cavales en Égypte qui conçoivent « au bannissement des chevaux qui sont devers Babylone ,« qu'avez-vous à répondre là-dessus? » Le Phrygien remit sa réponse au lendemain; et, retourné qu'il fut au logis, il commanda à des enfants de prendre un chat et de le mener foüettant par les rües. Les Égyptiens, qui adorent cet animal, se trouvèrent extrêmement scandalisez du traitement que Ion luy faisoit. Ils l'arracherent des mains des enfans, et allerent se plaindre au Roy. On fit venir en sa présence le Phrygien. « Ne savez-vous pas, lui dit le Roy, que cet animal est un de « nos dieux? Pourquoy donc le faites-vous traiter de la sorte? « C'est pour l'offense qu'il a commise envers Lycerus, « reprit Ésope; car la huit dernière il luy a étranglé un coq « extrêmement courageux et qui chantoit à toutes les heures. « Vous estes un menteur, reprit le Roy; comment seroit-il « possible que ce chat eust fait, en si peu de temps, un si long « voyage? Et comment est-il possible, reprit Ésope, que vos « jumens entendent de si loin nos chevaux hannir et con(1) Maspero. ~x~M Égyptiennes. t. I, p. 195-216 efr. la traduction complète des débris du roman, p. 288-294 sqq. de ce volume. (2) ./Etius Dius, /')'a~. 2, dans Müller-Didot, 7'')'a</t?:<t<a ~M<or:co)-M~t G)'œcor;tM, t. IV, p. 398; cfr. A/~Meb'e rt'A'pAeM, /a~M. dans MüllerDidot, F)'ayn!en<a ~<o)-:<:ot'UHt Gt'cBcot'MM, t. fV, p. 446.

« çoivent pour les entendre? (1) Un défi porté par le roi du. pays des Nègres au Pharaon Ousimarès noue la crise du second roman de Satni, mais là du moins il s'agit d'une lettre cachetée dont on doit deviner le contenu ~2), non pas d'animaux prodigieux que les deux rivaux posséderaient. Dans la Querelle, les hippopotames du lac de Thèbes, que le roi du Sud devra chasser pour que le roi du Nord dorme en paix, sont cousins des chevaux dont le hennissement porte jusqu'à Babylone, ou du chat qui accomplit en une seule nuit le voyage d'Assyrie, aller et retour (3). Je ne doute pas qu'après avoir reçu le second message d'Apôpi, Saqnounrîya ne trouvât, dans son conseil, un sage aussi perspicace qu'Ésope le phrygien, et dont la prudence le tirait sain et sauf de l'épreuve. Le roman allait-il plus loin, et décrivait-il la guerre éclatée entre les princes du Nord et du Sud, puis l'Égypte délivrée du joug des Pasteurs? Le manuscrit ne nous mène pas assez avant pour que nous devinions le dénouement auquel l'auteur s'était arrêté. Bien que le roman de Thouttyi soit incomplet du début, l'intelligence du récit ne souffre pas trop de cette mutilation. Le sire de Joppé, s'étant révolté contre Thoutmôsis III, Thoutîyi l'attire au camp égyptien sous prétexte de lui montrer la grande canne de Pharaon et il le tue. Mais ce n'est pas tout de s'être débarrassé de l'homme, si la ville tient bon. Il empote donc cinq cents soldats dans des cruches énormes, il les transporte jusque sous les murs. et là, il contraint l'écuyer du chef à déclarer que les Égyptiens ont été battus et qu'on ramène leur général prisonnier. On le croit, on ouvre les portes, les soldats sortent de leurs cruches et enlèvent la place. Avons-nous ici le récit d'un épisode réel des guerres égyptiennes? Joppé à été l'un des premiers points de la Syrie occupés par les Égyptiens Thoutmôsis I" l'avait soumise, et elle figure sur la liste des conquêtes de Thoutmôsis III. Sa condition sous ses maîtres nouveaux n'avait rien de particulièrement fâcheux elle payait tribut, mais elle conservait ses lois propres et son chef héréditaire. Le Vaincu de Jôpoù, car ~<MncM est le titre des princes syriens dans le langage de la chancellerie égyptienne, dut agir (1) La Me d'~OjM le PAr~:e?!, traduite par La Fontaine (Fables de La FoM<a:nf, édit. Lemerre, t. J, pp. 41-42. 45).
(2) Voir pp. 163 sqq. du présent volume.
(3) Voir p. 292-293 du présent volume.

souvent comme le Vaincu de T~oumpoM, le FamcM de ~odx~oM et tant d'autres, qui se révoltaient sans cesse et qui attiraient sur leurs peuples la colère de Pharaon. Le fait d'un sire de Joppé en lutte avec son suzerain n'a rien d'invraisemblable en soi, quand même il s'agirait d'un Pharaon aussi puissant qu'était Thoutmôsis III et aussi dur à la répression. L'officier Thoutîyi n'estpas non plus un personnage entièrement fictif. On connaît un Thoutîyi qui vivait, lui aussi, sous Thoutmôsis et qui avait exercé de grands commandements en Syrie et en Phénicie. Il s'intitulait « prince héréditaire, délégué du roi en toute région étrangère des pays situés dans la Méditerranée, scribe royal, général d'armée, gouverneur des contrées du Nord » (1). Rien n'empêche que dans une de ses campagnes il ait eu à combattre le seigneur de Joppé.
Les principaux acteurs peuvent donc avoir appartenu à l'histoire. Les actions qu'on leur prête ont-elles la couleur historique, ou sont-elles du domaine de la fantaisie? Thoutîyi s'insinue comme transfuge chez le chef ennemi et il l'assassine. Il se déguise en prisonnier de guerre pour pénétrer dans la place. Il introduit avec lui des soldats habillés en esclaves et qui portent d'autres soldats cachés dans des jarres en terre. On trouve chez la plupart des écrivains classiques des exemples qui justifient suffisamment l'emploi des deux premières ruses. J'accorde volontiers qu'elles doivent avoir été employées par les généraux de l'Égypte, aussi bien que par ceux de la Grèce et de Rome. La troisième renferme un élément non seulement"- vraisemblable, mais réel l'introduction dans une forteresse de soldats habillés en esclaves ou en prisonniers de guerre. Polyen raconte comment Néarque le Crétois prit Telmissos, en 1 feignant de confier au gouverneur Antipatridas une troupe de femmes esclaves. Des enfants enchaînés accompagnaient les femmes avec l'appareil des musiciens, et une escorte d'hommes sans armes surveillait le tout. Introduits dans la citadelle, ils ouvrirent chacun l'étui de leur flûte, qui renfermait un poignard au lieu de l'instrument, puis ils fondirent sur la garnison et ils s'emparèrent de la ville (2). Si Thoutîyi s'était borné (1) Cfr. Birch, Mémoire ~M;- une patère égyptienne, dans Chabas, OEM);-M diverses, t. I, p. 225-274, et le complément du mémoire de Birch dans Th. Devéria, M~moM'ct e< ~'a~eMis, t. I, p. 35-53.
(2) Polyen, S<fa< V, x[. Cfr. des faits analogues qui se seraient passés

à charger ses gens de vases ordinaires ou de boîtes renfermant des lames bien affilées, je n'aurais rien à objecter contre l'authenticité de son aventure. Mais il les écrasa sous le poids de vastes tonneaux en terre qui contenaient chacun un soldat armé ou des chaînes au lieu d'armes. Si l'on veut trouver l'équivalent de ce stratagème, il faut descendre jusqu'aux récits véridiques des ~e et une Nuits. Le chef des quarante voleurs, pour mener incognito sa troupe chez AliBaba, n'imagine rien de mieux à faire que de la cacher en jarre, un homme par jarre, et de se représenter comme un marchand d'huile en tournée d'affaires qui désire mettre sa marchandise en sûreté. Encore le conteur arabe a-t-il plus souci de la vraisemblance que l'égyptien, et fait-il voyager les pots de la bande à dos de bêtes, non à dos d'hommes. Le cadre du récit est historique le fond du récit est de pure imagination.
Si les égyptologues modernes ont pu s'y méprendre, à plus forte raison les anciens se sont-ils laissé duper à des inventions analogues. Les interprètes et les prêtres de basse classe, qui guidaient les étrangers, connaissaient assez bien ce qu'était l'édifice qu'ils montraient, qui l'avait fondé, qui restauré ou agrandi et quelle partie portait le cartouche de quel souverain; mais, dès qu'on les poussait sur le détail, ils restaient court et ils ne savaient plus que débiter des fables. Les Grecs eurent affaire avec eux, et il n'y a qu'à lire Hérodote en son second livre pour voir comment ils furent renseignés sur le passé de l'Egypte. Quelques-uns des on-dit qu'il a recueillis renferment encore un ensemble de faits plus ou moins altérés, l'histoire de la XXVI" dynastie par exemple, ou, pour les temps anciens, celle de Sésostris. La plupart des récits antérieurs à l'avènement de Psammétique ler sont chez lui de véritables romans où la vérité n'a point de part. Le canevas de Rhampsinite et du fin larron existe ailleurs qu'en Égypte (1). La vie légendaire des rois constructeurs de pyramides n'a rien de commun avec leur vie réelle. Le chapitre consacré à Phéron renferme l'abrégé en 1037 à Édesse, d'après G. Schlumberger, <'J?popM Byzantine, t. IH, p. 198-J99, et chez les Turcs d'Asie-Mineure, d'après Casanova, Numismaligue des Datttf.twenc~M, p. 25.
(1) Les variantes ont été recueillies par M. Schiefner, dans le B!tMe<tK de ~cadewM de .S<K~e<<M&OM)~, t. XIV, col. 299-316.

d'une satire humoristique à l'adresse des femmes (1). La rencontre de Protée avec Hélène et Ménélas est l'adaptation égyptienne d'une tradition grecque (2). On pouvait se demander jadis si les guides avaient tout tiré de leur propre fonds la découverte des romans égyptiens a prouvé que, là comme ailleurs, l'imagination leur manqua. Ils se sont contentés de répéter en bons perroquets les fables qui avaient cours dans le peuple, et la tâche leur était d'autant plus facile que la plupart des héros y étaient affublés de noms ou de titres authentiques. Aussi les dynasties des historiens qui s'étaient informés auprès d'eux sont-elles un mélange de noms véritables, Ménès, Sabacon, Chéops, Chéphrên, Mykérinos, ou déformés par l'addition d'un élément parasite pour les différencier de leurs homonymes Rhampsinitos à côté de Rhamsès, Psamménitos à côté de Psammis et de Psammétique; de prénoms altérés par la prononciation, Osimandouas pour Ouasimarîya (3) de sobriquets populaires, Sésousrîya, Sèsôstris-Sésoôsis; de titres, Phérô, Prouiti, dont on a fait des noms propres, enfin de noms. forgés de toutes pièces comme Asychis, Ouchoreus, Anysis. La passion du roman historique ne disparut pas avec les dynasties nationales. Déjà, sous les Ptolémées, Nectanébo, le dernier roi de race indigène, était devenu le centre d'un cycle important. On l'avait métamorphosé en un magicien habile, un constructeur émérite de talismans on l'imposa pour père à Alexandre le Macédonien. Poussons même au delà de l'époque romaine la littérature byzantine et la littérature copte qui dérive de celle-ci avaient aussi leurs Gestes de Cambyse et d'Alexandre, cette dernière calquée sur l'écrit du Pseudo-Callistbènes (4), et il n'y a pas besoin de scruter attentivement les chroniques arabes pour extraire d'elles une histoire imaginaire de l'Égypte empruntée aux livres coptes (5). Que l'écrivain (1) Hérodote, liv. II, chap. cxi.
(2) Id., ibid., chap. cxvi.
(3) Le même phénomène de transeription d'~n r-/égyptien par la combinaison Kd, se rencontre dans la forme grecque Mandoutis du nom du dieu Nubien Marouri, Marouli, Malouli.
(4) Voir pp. 311-326 de ce volume. Les fragments du roman de Cambyse ont été découverts et publiés par H. Scheefer, dans les Sitzungsberichte de l'Académie des Sciences de Berlin.
(5) voir Maspero, le Livre des Aferuct~M, dans le Journal des Savants, 1899, pp. 69-86, lS4-n~. &

empêtré dans ce fatras soit Latin, Grec ou Arabe, on se figure aisément ce que devient la chronologie parmi ces manifestations de la fantaisie populaire. Hérodote, et à son exemple presque tous les écrivains anciens et modernes jusqu'à nos jours, ont placé Moiris, Sésostris, Rhampsinite, avant les rois constructeurs de pyramides. Les noms de Sésostris et de Rhampsinite sont un souvenir de la XIX° et de la XX" dynastie celui des roi!?constructeurs de pyramides, Chéops, Chéphrên, Mykérinos, nous reporte à la quatrième. C'est comme si un historien de la France plaçait Charlemagne après les Bonaparte, mais la façon cavalière dont les romanciers égyptiens traitent la succession des règnes nous enseigne comment il se fait qu'Hérodote ait commis pareille erreur. L'un des contes dont les papyrus nous ont conservé l'original, celui de Satni, met en scène deux rois et un prince royal. Les rois s'appellent Ouasimârïya et Mînibphtah, le prince royal Satni Khâmoîs. Ouasimârïya est un des prénoms de Ramsès IL celui qu'il avait dans sa jeunesse alors qu'il était encore associé à son père. Mînibphtah est une altération, peut-être volontaire, du nom de Mînéphtah, tils et successeur de Ramsès II. Khâmoîs, également fils de Ramsès II, administra l'empire pendant plus de vingt ans, pour le compte de son père vieilli. S'il y avait dans l'ancienne Égypte un souverain dont la mémoire fût restée populaire, c'était à coup sûr Ramsès II. La tradition avait inscrit à son compte ce que la lignée entière des Pharaons avait accompli de grand pendant de longs siècles. On devait donc espérer que le romancier respecterait la vérité au'moins en ce qui concernait cette idole et qu'il ne toucherait pas à la généalogie
OUAS!MARiYA RAMSÈS 11.
Khâmoîs MiNÉPHTAH I'"
H n'en a pas tenu compte. Khâmoîs demeure, comme dans l'histoire, le fils d'Ouasimâriya, mais Mînibphtah, l'autre fils, a été déplacé. Il est représenté comme étant tellement antérieur à Ouasimârîya, qu'un vieillard, consulté par SatniKhâmoîs sur certains événements arrivés du temps de Mînibphtah, en est réduit à invoquer le témoignage d'un aïeul très éloigné. « Le père du père de mon père a dit au père de mon père, disant a Le père du père de mon père a dit au père de

« mon père cr Les tombeaux d'Ahouri et de Maîhêt sont sous « l'angle septentrional de la maison du prêtre (1). » Voilà six générations au moins entre le Mlnibphtah etI'Ouasimâriya du roman
MÎNIBPHTAR.
Nénoferkepht.ah Ahoun
"V"
Maîhét X' '2
X'
X'
X'
X'
OUASIMARÎYA
Satni KhâmoLS.
Le fils, Mînibphtah, est passé ancêtre et prédécesseur lointain de son propre père Ouasimârîya, et pour achever la confusion, le frère de lait de Satni porte un nom de l'âge persan, Eiernharerôou, Inaros (2). Ailleurs, Satni, devenu le contemporain de l'Assyrien Sennachérib (3), est représenté comme vivant et agissant six cents ans après sa mort. Dans un troisième conte (4), il est relégué avec son père Ramsès II, quinze cents ans après un Pharaon qui paraît être un doublet de Thoutmôsis III.
Supposez un voyageur aussi disposé à enregistrer les miracles de Satni qu'Hérodote l'était à croire aux richesses de Rhampsinite. Pensez-vous pas qu'il eût commis, à propos de Mînibphtah et de Ramsès H, la même erreur qu'Hérodote au sujet (1) Voir p. 152-153 de ce volume.
(2) Sur l'identité du nom égyptien Eiernharerôou. et de la forme grecque Inanos, cf. Spiegelberg, Oemo~tsc/te Attsce~en, dans le HfCttct~ de Travaux, 1906, t. XXVIII, p. 19, 599.
(3) D'après Hérodote, 11, cxLi; cfr. pp. 181-IS2 de ce volume.
(4) L'Histoire fë)'<Me de Sa<n:MOM, voir p. 179 de ce volume.

de Rhampsinite et de Chéops? Il aurait interverti l'ordre des règnes etplacé le quatrième roi de, la XIX* dynastie longtemps avant la troisième. Le drogman qui montrait le temple de Phtah et les pyramides de Gizéh aux visiteurs avait hérité vraisemblablement d'un boniment où il exposait, sans doute après beaucoup d'autres, comme quoi, à un Ramsès dit Rhampsinite le plus opulent des rois, avait succédé Chéops le plus impie des hommes. 11 le débita devant Hérodote et le bon Hérodote l'inséra tel quel dans son livre. Comme Chéops, Chéphrên et Mykérinos forment un groupe bien circonscrit, que d'ailleurs, leurs pyramides s'élevant au même endroit, les guides n'avaient aucune raison de rompre l'ordre de succession à leur égard, Chéops une fois transposé, il devenait nécessaire de déménager avec lui Chéphrèn, Mykérinos et le prince qu'on nommait Asychis, le riche (1). Aujourd'hui que nous contrôlons le témoignage du voyageur grec par celui des monuments, peu nous importe qu'on l'ait trompé. H n'écrivait pas une histoire d'Égypte. Même bien instruit, il n'aurait pas attribué à celui de ses discours qui traitait de ce pays plus de développement qu'il ne lui en a donné. Toutes les dynasties auraient tenu en quelques pages, et il ne nous eût rien appris que les documents originaux ne nous enseignent aujourd'hui. En revanche, nous y aurions perdu la plupart de ces récits étranges et souvent bouffons qu'il nous a contés si joliment sur la foi de ses'guides. Phéron ne nous serait pas familier, ni Protée, ni Séthôn, ni Rhampsinite je crois que ce serait grand dommage. Les hiéroglyphes nous disent, ou ils nous diront un jour, ce que firent les Chéops, les Ramsès, les Thoutmôsis du monde réel. Hérodote nous apprend ce qu'on disait d'eux dans les rues de Memphis. La partie de son second livre que leurs aventures remplissent est pour nous mieux qu'un cours d'histoire c'est un chapitre d'histoire littéraire, et les romans qu'on y lit sont égyptiens au même titre que les romans conservés par les papyrus. Sans doute, il vaudrait mieux les posséder dans la langue d'origine, mais l'habit grec qu'ils ont endossé n'est pas assez lourd pour les déguiser même modifiés dans le détail, ils gardent encore des traits de leur physionomie (1; Asoukhis Asychis est la forme grécisée d'un nom .~OM&M[<OM], qui signifie le riche, et qui ne s'est pas rencontré encore avant les époques saite et grecque.
c

primitive ce qu'il en faut pour figurer, sans trop de disparate, à côté du Co~e des Deux Frères ou des ./)~ëmot?'M de Sinouhit.
lit
Voilà pour les noms la mise en scène est purement égyptienne, et si exacte qu'on pourrait tirer des seuls romans un tableau complet des mœurs et de la société. Pharaon s'y révèle moins divin qu'on ne serait disposé à le croire, si on se contentait de le juger sur la mine hautaine que ses maîtres imagiers lui prêtent dans les scènes religieuses ou triomphales. Le romancier ne répugne pas à l'imaginer parfois ridicule et à le dépeindre dans des situations qui contrastent avec l'appareil plus qu'humain de sa grandeur. H est trompé par sa femme comme un simple mortel (1), volé puis dupé à tout coup par les voleurs (2), escamoté par un magicien au milieu de son palais et rossé d'importance devant un roitelet nègre (3). C'était la revanche du menu peuple, dépouillé et battu, sur le tyran qui l'écrasait. Le fellah qui venait de passer par les verges pour avoir refusé l'impôt, se consolait de sa poche vidée et de ses chairs sanglantes en s'entendant conter comment Manakhphré Siamonou avait endossé trois cents coups de bâton en une seule nuit, et comment il avait exhibé piteusement ses meurtrissures aux courtisans. Ce n'était là que des accidents passagers, et le plus souvent sa toute-puissance demeurait intacte dans la fiction comme dans l'histoire l'étiquette se dressait toujours très haute entre ses sujets et lui. Mais le cérémonial une fois satisfait; si l'homme lui plaît, comme c'est le cas pour Sinouhit (4), il daigne s'humaniser et le dieu bon se montre bon prince (5) même il est jovial et il plaisante sur (1) Ainsi le Phérôn d'Hérodote, II, cxi.
(2) Cfr. le Conte de Rhampsinite, pp. 208-213 du présent volume. (3) Manakhphre Siamonou dans l'Nt~u~'e u~'?<Me de Satni, pp. 169-172 du, présent volume.
(4) Voir pp. 98 sqq. de ce volume.
0) 0:ettB<M, <e Dieu K.Mt, est une des formules par lesquelles le protocole des Pharaons débute et un. des titres qu'on leur. donnait le plus souvent dans les textes.

l'apparence rustique du. héros, plaisanterie de roi qui provoqua la gaieté de l'assistance mais dont le sel a dû s'évaporer à travers les âges, car nous n'en goûtons plus la saveur (1). Il. va plus loin encore avec ses intimes, et il s'enivre devant eux, malgré eux, sans vergogne (2). Il est du reste en proie à cet ennui prodigieux que les despotes orientaux ont éprouvé de tout temps, et que les plaisirs ordinaires ne suffisent plus à chasser (3). Comme Haroun-ar-raschid des Mille. et une Nuits, Khoufouî et Sanafrouî essaient de se distraire en écoutant des histoires merveilleuses, ou en assistant à des séances de magie, mais ils n'y réussissent que médiocrement. Quelquefois, pourtant, un ministre mieux avisé que les autres leur invente un divertissement dont la nouveauté les aide à passer un ou deux jours presque dans la joie. Sanafrouî devait être aussi blasé que Haroun sur les délices du harem son sorcier découvre pour.tant le moyen de réveiller son: intérêt en faisant ramer devant lui un équipage de jeunes filles à peine voilées d'un réseau à larges mailles (4). Les civilisations ont beau disparaître et tes religions changer, l'esprit de l'Orient demeure immuable sous tous les masques, et Méhémet-Ali, dans notre siècle, n'a pas trouvé mieux que Sanafrouî dans le sien. On visite encore à Choubrah les bains qu'il avait construits sur un plan particulier. « C'est, dit Gérard de Nerval, un bassin de marbre « blanc, entouré de colonnes d'un goût byzantin, avec une « fontaine dans le milieu, dont l'eau s'échappe par des gueules « de crocodiles. Toute l'enceinte est éclairée au gaz, et, dans « les nuits d'été, le pacha se fait promener sur le bassin dans « une cange dorée dont les femmes de son harem agitent les « rames. Ces belles dames s'y baignent aussi sous les yeux de « leur maître, mais avec des peignoirs en crêpe de soie, le « Coran ne permettant pas les nudités a.. Sans doute, mais le crêpe de Méhémet-Ali n'était guère moins transparent que le réseau de Sanafrouî:
Celui-là, c'est le Pharaon des grandes dynasties, dont. 1,'aut'orité s'exerçait indiscutée surTEgypte entière, et pour qui les barons n'étaient que des sujets d'un ordre un peu plus relevé. (1) Voir p. 99 de ce volume.
(2) Voir i'/fM/oM-e d'tm JMatc/o~, pp. 30D-M5 de ce volume.
(3) Cfr: p. M du présent-volume..
(4) Voir Le Roi ~AoM/<Mï ~ayctcns, pp. 29-M.

Mais il arrivait souvent qu'après des siècles de pouvoir absolu, la royauté s'affaiblît et ne tînt plus la féodalité en respect. Celle-ci reprenait le dessus avec des caractères nouveaux selon les époques, et ses chefs les plus hardis se rendaient indépendants ou peu s'en faut, chacun dans son fief héréditaire Pharaon n'était plus alors qu'un seigneur à peine plus riche ou plus fort que les autres, auquel on obéissait par tradition et avec lequel on liait partie contre les rivaux, afin d'empêcher que ceux-ci ne finissent par usurper le trône, et qu'ils ne remplaçassent une souveraineté presque nominale par une domination effective. Tel est Pétoubastis dans l'~mprise de la cuirasse et du trône (i). Il n'a plus rien du maître impérieux de qui d'autres romans nous retracent le portrait, Chéops, Thoutmôsis, Ramsès Il. Il est encore, par droit divin, le possesseur prétendu des deux Égyptes seul il coiffe le double diadème, seul il est le fils de Râ, seul il a le droit d'envelopper ses noms des cartouches, et c'est d'après les années de son règne que la chancellerie date les événements qui s'accomplissent de son vivant. Toutefois c'est avant tout un pacifique, un dévôt, soumis à toutes les prescriptions de la religion, le prototype de ce roi sans libre arbitre et sans esprit d'initiative dont les Grecs dé l'âge macédonien nous représentèrent l'image comme celle du prince idéal (2). La puissance ne réside pas entre ses mains. H ne lui reste plus en propre qu'une portion, la moindre, de l'ancien domaine pharaonique, le nome de Tanis, celui de Memphis, peut-être deux ou trois de ceux du voisinage; des familles, apparentées à la sienne pour la plupart. se sont approprié le gros du territoire et le serrent étroitement, Pakrour à l'Est dans l'Ouady Toumilàt, le grand Seigneur d'Amon à Diospolis du Nord, à Mendès et à Busiris, Pétékhonsou et Pémou au sud, l'un dans Athribis, l'autre dans Héliopolis, sans parler des sires de Sébennytos, de Sais, de Méitoum, de la lointaine Eléphantine, et d'une quinzaine d'autres plus obscurs. Ces gens-là lui doivent en principe l'hommage, le tribut, l'obéissance passive, le service de cour, la milice, mais ils ne s'astreignent pas toujours de bonne grâce à leurs obligations et la paix règne rarement autour d'eux. Ils entretiennent (1) Voir pp. 234, 235, ~36. etc. du présent volume.
(2) Cf. Diodore de Sicile (I, Lxx-Lxxn), qui avait emprunté le tableau de la vie des rois à l'ouvrage d Hecatee d'Abdère sur l'Égypte.

chacun leur armée et leur flotte, où les mercenaires libyens, syriens, éthiopiens, asianiques même, abondent à l'occasion. Ils ont leurs vassaux, leur cour, leurs finances, leurs dieux par lesquels ils jurent, leurs collèges de prêtres ou de magiciens; ils s'allient, ils se brouillent, ils se battent, ils se pourchassent d'une rive du Nil à l'autre rive, ils se coalisent contre le Pharaon pour lui arracher les lambeaux de son domaine, puis, quand l'un d'eux sort du rang et qu'il acquiert trop d'ascendant, ils s'unissent momentanément contre lui ou ils appellent les étrangers éthiopiens pour l'obliger à rentrer dans l'ordre. C'est déjà presque notre féodalité, et les mêmes conditions ont suscité chez eux des coutumes analogues à celles qui prévalurent chez nous pendant la durée du moyen âge. Voyez en effet ce qui se passe dans cette Emprise de la cuirasse dont Krall a reconstitué la fable si ingénieusement. Le sire d'Héliopolis, un Inarôs, possédait une cuirasse que ses rivaux lui enviaient. Il meurt, et pendant les jours de deuil qui précèdent les funérailles, le Grand Seigneur de Diospolis la dérobe on ne sait comment le fils de cet Inarôs, Pémou le petit, la réclame et, comme on la lui refuse, il déclare très haut qu'il la recouvrera par force. Ce serait la guerre allumée, clan contre clan, ville contre ville, nome contre nome, dieu contre dieu, si Pétoubastis n'intervenait pas. Seul, ses vassaux ne l'écouteraient peut-être guère, mais le grand chef de l'Est, Pakrourou, se joint à lui, et tous deux ensemble ils imposent leur volonté à la masse des seigneurs moindres (1). Ils décident qu'au lieu de s'aborder en rase campagne sans trêve ni merci, les adversaires et leurs partisans se battront en champ clos, selon les lois assez compliquées, ce semble, qui régissaient ce genre de rencontres. Ils font disposer des estrades sur lesquelles ils siégeront comme juges du camp, ils assignent à chacun des champions un poste particulier, puis Pakrour les appareille l'un contre l'autre, et, s'il en survient un nouveau lorsque l'appareillage est terminé, il le tient en réserve pour le cas où quelque événement imprévu se produirait (2). Tout est réglé comme dans un tournoi, et nous devons présumer que les (1) Voir p. 235, 239-240. 248-249, 251. 254-256, du présent volume, les recommandations réitérées de Pétoubastis et les efforts des différents seigneurs engagés, pour que la lutte ne dégénère pas en guerre sérieuse. (2) Voir l'épisode de Montoubaai, pp. 252 sqq. du présent volume.

armes seront courtoises, mais la traîtrise du seigneur de .Diospolis bouleverse'les mesures prises il .attaque Pémou avant l'arrivée de ses alliés, et bien que.Eiutervention de Pakrourou l'empêche de 'pousser trop loin.son .avantage, sa. félonie laisse une impression .fâcheuse .sur l'esprit .de ses adversaires A mesure que l'engagement se prolonge, les esprits s'écbauû'e.mt et les jouteurs oublient la modération que le .chef du jeu leur avait commandée ils se provoquent, ils s'insultent, ils -s'attaquent sans ménagement, et.le vainqueur, oubliant qu'il s'agit d'une simple passe d'armes, s'apprête à tuer .le vaincu comme il ferait dans lune bataille. Aussitôt le. roi accourt ou Pakrourou, et c'est à peine si leurs injonctions ou leurs prières préviennent la catastrophe. Lorsqu'aprës plusieurs .heures de mêlée ils proclament la trêve, il semble bien que les deux partis n'ont pas souffert beaucoup, mais qu'ils en sont quittes pour quelques blessures. Ou jurerait une de ces rencontres de notre xie siècle entre Français et Anglo-Normands où, après toute une journée de horions échangés, les deux armées se quittaient pleines d'admiration'pour leur prouesse et laissant sur le carreau trois chevaliers étouffés par leur armure. Ainsi font encore aujourd'hui les Bédouins de l'Arabie, et leurs coutumes nous aident à comprendre pourquoi Pétoubastis et Pakrourou s'évertuent si fort à éviter qu'il y ait mort de-prince un chef .tué, c'était l'obligation pour'son .clan de le venger et la vendetta sévissant pendant des années sans .nombre. Pétoubastis ne veut pas que' la guerre désole l'Egypte en son temps, et si amoindri que soit -son prestige, comme sa volonté est d'accord avec l'intérêt commun, il la fait prévaloir sur ce point.
Les Gestes des Pharaons ne se présentaient pas toujours de la même manière, .selon qu'elles étaient composées par des Memphites ou par des Thébains. Les provinces du Nord de l'Egypte et celles du Sud différaient grandement, non-seulement de langage, mais de tendances politiques et de caractère. Elles se méfiaient souvent l'une de l'autre, et les méfiances dégénéraient aisément en haines puis en guerres civiles. Tels rois, qui étaient populaires chez l'une, étaient peu aimés de l'autre pu n'y étaient pas connus sous le même nom. Ramsès II avait, au temple de Phtah Memphite, des. monuments où son sobriquet de Sésousi ouSésousrîyaétait~mentionné.la légende de

Sésôstris se foi-maautour d'eux (1). AThèbes, son prénom d'Ouasimarîya prédominait il y deviot l'Ousimarés des romans de Satni, et l'Osimandouas dont les écrivains copiés par Diodore de Sicile célébrèrent les victoires et décrivirent le palais.. La découverte d'un roman nouveau par Spiegelberg nous apprend que Pétoubastis eut le même sort. Une partie des personnages qui l'entouraient dans celu'i de Krall y reparaissent avec lui, mais l'objet de la querelle y est différent. C'est un trône ou une chaire, et je soupçonne qu'il s'agit ici d'une forme de la divinité fréquente à l'époque gréco-romaine dans le nome thébain, un emblème de nature indéterminé, peut-être l'image d'une pierre sacrée posée sur un fauteuil d'apparat Amon se manifesta ainsi probablement à son fils Alexandre de Macédoine, quand celui-ci vint le consulter dans son oasis (2). L'héritier légitime était, comme dans l'Emprise de la Cuirasse, l'enfant du premier propriétaire, un prophète de l'Horus de Boutô, mais il dévolut au fils du roi Ankhhorou, et le refus de le rendre fut l'origine du conflit. On assistera ailleurs (3) aux péripéties des combats que les champions des deux partis se .lïvrërent à Thèbes en présence du souverain :'ce qu'il convient de signaler dès maintenant, c'est que le prophète d':Horus est aidé dans ses revendications par treize bouviers vigoureux, dont l'énergie lui assure d'abord la victoire sur l'armée de l'Egypte. Les clans moitié de pêcheurs, moitié :de pasteurs, qui habitaient les plaines marécageuses du Delta: septentrional, les Boucolies, ne supportaient qu'à contre'-cœur le joug des autorités constituées régulièrement, grecques ou romaines ils saisissaient les moindres occasions de leur déclarer la guerre ouverte, et on ne les réduisait, d'ordinaire, qu'au prix d'efforts longs et coûteux. La plus sanglante de (1) E. de Rougé avait démontré que Sésôstris n'était autre que Ramsès H (le ~e)'a&/e Sésosiris, dans les CEMu?-~ Diverses, t. Ht, p. 11-H) Sethe a voulu prouver que c'était Sanouosrit III (SMO!<)'M, 1900, 24 p.). J'ai essayé de faire voir que Rougé avait raison, et que Manéthon, en identifiant le Sésôstris d'Hérodote avec un Pharaon de Ia.XH' dynastie, avait commis une erreur (la Geste de SM~'f:~ au Journal des Savants, 1901, p. 593-609, 665-683).
(2) Cf. sur ce point, Daressy, dans les Annales dù Service des Anti. <?MtM, t. IX, pp. 64-69.
(3) Voir p.252-280 du présent volume.

leurs révoltes fut celle de l'an 172 après J.-C. (1), mais il y en avait eu sous les Ptolémées dont le souvenir se perpétua longtemps dans la vallée du Nil si un romancier grec du BasEmpire, Héliodore, se plaisait encore à décrire leurs mœurs pillardes (2), on ne saurait s'étonner qu'un conteur indigène les ait choisis comme des types de bravoure brutale. Par contraste avec ces Gestes toutes remplies du mouvement et du bruit des armes, les premières pages du Conte des deux Frères (3) présentent une peinture excellente de ce qu'étaient la vie et les occupations habituelles du fellah ordinaire. Anoupou, l'aîné, a sa maison et sa femme Baîti. le cadet, ne possède rien, et il habite chez son frère, mais non pas comme un parent chez son parent ou comme un hôte chez son hôte. Il soigne les bestiaux,-il les conduit aux champs et il les ramène à l'étable, il dirige la charrue, il fauche, il bottèle, il bat le blé, il rentre les foins. Chaque soir, avant de se coucher, il enfourne le pain de la famille et il se lève de grand matin pour le retirer cuit. Pendant la saison du labourage, c'est lui qui court à la ferme chercher les semailles et qui rapporte sur son dos la charge de plusieurs hommes. Il file le lin ou la laine en menant ses animaux aux paturages de bonnes herbes, et quand l'inondation retient bêtes et gens au logis, il s'accroupit devant le métier et il devient tisserand. Bref, c'est un valet, un valet uni au maître par les liens du sang, mais un valet. Il ne faut pas en conclure d'une manière générale l'existence du droit d'aînesse, ni que, partout en Égypte, l'usage à défaut de la loi plaçât le plus jeune dans la main de l'aîné. Tous les enfants d'un même père héritaient également de son bien quel que fût leur ordre de géniture. La loi était formelle à cet égard, et le bénéfice s'en étendait non seulement aux légitimes mais à ceux qui naissaient hors le mariage les fils ou les filles de la concubine héritaient au même titre et dans la même proportion que les fils ou les filles de la femme épousée régulièrement (4). Anoupou et Baîti, issus de mères différentes, auraient été égaux devant la loi et devant la coutume à plus forte raison (1) Le récit sommaire nous en a été conservé par Dion Cassius, LXXI, 4. (2) Héliodore, Éthiopiques, I.
(3) Voir p. 3-6 du présent volume.
(4) Wiikinson, Manne' and Ctf~oms of the Ancient Egyptians, t'irst Series, vol. IU, p. 320.

l'étaient-ils, puisque le conteur les déclare issus d'un seul père et d'une seule mère. L'inégalité apparente de leur condition n'était donc pas commandée par le droit, et il faut lui chercher une cause ailleurs que dans la législation. Supposez qu'après la mort de leurs parents communs, Baiti, au lieu de rester chez Anoupou, eût pris la moitié qui lui revenait de l'héritage et fût allé courir la fortune à travers le monde, à quels ennuis et à quelles avanies ne se fût-il pas exposé ? Le fellah dont l'histoire est contée au Papyrus de Berlin M" 7/, et qui commerçait entre l'Égypte et le Pays du Sel (1), est volé par l'homme lige d'un grand seigneur sur les terres duquel il passait (2). Il porte plainte, l'enquête prouve la justesse de sa réclamation, vous imaginez qu'on va lui rendre aussitôt son dû? Point. Son voleur appartient à une personne de qualité, a des amis, des parents, un maître le paysan, lui, n'est qu'un homme sans maître. L'auteur a soin de nous l'apprendre, et n'avoir point de maître est un tort impardonnable dans la féodale Égypte; contre les seigneurs qui se partageaient le pays, contre les employés qui l'exploitaient pour le compte de Pharaon, l'individu isolé était sans défense. Le pauvre diable crie, supplie, présente à mainte reprise sa requête piteuse. Comme, après tout, il est dans son droit, Pharaon commande qu'on ait soin de sa femme et qu'on ne le laisse pas mourir de faim; quant à juger l'affaire et à délivrer sentence, on verra plus tard s'il y a lieu Nous savons maintenant qu'il finit par obtenir justice, après s'être répandu en belles harangues pour le plus grand plaisir de Pharaon mais les délais et les angoisses qu'il subit n'expliquent-ils pas suffisamment pourquoi Baîti est resté chez son frère? L'aîné, devenu maître par provision, était pour le cadet un protecteur qui le gardait dumal, lui et son bien, jusqu'au jour où un riche mariage, un caprice du souverain, une élévation soudaine, un héritage imprévu, ou simplementl'admission parmi les scribes, lui assurerait un protecteur plus puissant ( fl) C'est le nom de l'Oasis qui entoure les Lacs de Natron, la Scythiaca J fe~io des géographies classiques (Dümichen, Die Oasen der Libysc.hen H~~e, p. 29, sqq.; Brugsch, Reise nach der Grossen Oase, p. M, sqq.). (2) Cfr. Les plaintes dit fellah, p. 48-11 du présent volume. Une stèle d'Harmhabi, malheureusement mutilée, nous enseigne à quelles mésaventures les paysans étaient exposés lorsqu'ils se déplaçaient, ceux-là même qui n'entreprenaient le voyage que pour payer l'impôt au Pharaon.

et, par aventure, de protégé l'investirait protecteur à son tour. Donc, à discuter chaque conte détail par détail, on verrait que tout le côté matériel de la civilisation qu'ils décrivent est parement égyptien. On commenterait aisément les scènes du début au Conte dés deux frères avec les peintures des hypogées thé~bains telle des expressions que l'auteur y emploie se rencontre presque mot pour mot dans les légendes explicatives des tableaux (1). Il n'y a pas jusqu'aux actes les plus intimes de la vie privée, les accouchements par exemple, dont on ne puisse illustrer le mécanisme au moyen d'images prises dans :les temples. Que ce soit à Louxor (2), à Déir el-Babarî (3,, à Erment (4), qu'il s'agisse de Moutemoua., d'Alimasi ou de Cléopâtre, vous avez sous les yeux de quoi reconstituer exactement ce qui se passa lorsque Rouditdidit mit au monde les trois fils de  (5). La pauvrette est accroupie .sur sa chaise ou sur son lit de misère, tandis que l'une des sages-femmes l'étreint par derrière et qu'une autre, accroupie devant elle, reçoit l'enfant qui s'échappe de son sein. Elle le transmet a.ux nourrices qui le lavent, le bercent dans leurs bras~, le caressent, l'allaitent. L'examen des monuments prouverait qu'il en est de même avec ceux des contes dont nous possédons l'original hiératique, et je 1 ai constaté aussi pour la plupart de ceux dont 'n'eus ne connaissons plus que la version en une langue étrangère c'est le cas de Rhampsinite. Je n'ai pas l'intention d'en reprendre la teneur mot par mot, afin de montrer combien~il est égyptien da.ns le fond, malgré le vêtement grec qu'Hérodote lui a prêté. Je me bornerai à discuter deux des points qu'on y a relevés comme indiquant une origine étrangère. L'architecte chargé de construire un trésor pour Pharaon tailla et assit une pierre si proprement, que deux hommes, voire un seul, la pouvaient tirer de sa place (6). La pierre (1) Maspero, Notes sur quelques points de Grammaire et ~M~Otre, dans la Zetfsc/n-t/t, 1819, p. 58-63 (Cf..Me~~es de Mythologie, t. IV, p. 66-13). (2) Gayet, ~n~eck ~.oM~or, pt. Lxm-Lxvn.
(2) Gayet, le D'?:r de Ba/to! t. H. p). xui-Li.
(3) E, Naville, Deir el Bahai,i, 1. 11. pl. XLU-LT.
(4) Les scènes du temple d'Erment, aujourd'hui détruit, nous ont été conservées par Champollion, Monuments de <'B~p<e, pl. cxLv 6*-T', cxi.vm par Rosellini, dfonumenti CM~o, pi. m-Lin et par Lepsius, DM~M.. IV, pl. 59 c, 60a.
(5) Voir le récit de l'accouchement, p. 38-41 du présent volume. (6) Hérodote, 11, cxxt et p. 209 du présent volume. Cfr. A'ouuMM Frag-

mobile n'est pas, a-t-on dit, une invention égyptienne en Égypte, on bâtissait .les ëdi.fices publics <n très gros appareil, et toute l'habileté du monde n'aurait pas permis à un architecte de disposer un bloc à la façon qu'Hérodote décrit. Strabon savait-déjà pourtant qu'on pénétrait dans la grande pyramide par un couloir dont une pierre mobile dissimulait l'entrée (1), et, en dehors de la pyramide, nous axons constaté qu'il en était d~même pour les cachettes dont les temples étaient remplis. A Dendérah, -par exemple, il y a douze cryptes perdues dans les fondations ou'dans l'épaisseur des parois. « Elles « communiquent .avec le .temple par des passages étroits qui « débouchent dans les salles sous la forme de trous aujour« d'hui ouverts et libres. Mais-ils étaient autrefois J'ermés par & iune pierre ad hoc, dont la'face, tournée vers l'extérieur, était « sculptée comme le reste de la muraille (2) ». Un passage du Conte de .f/:OM/oMt semble dire que la crypte où le dieu Thot cachait sa bibliothèque était close, à Héliopolis, par un bloc analogue à ceux de Mariette (3).-Les inscriptions enseignent d'ailleurs que, la chambre secrète une fois établie, on prenait toutes les précautions pour qu'elle demeurât ignorée non seulement des visiteurs, .mais du bas sacerdoce. « Point ne la « .connaissentles profanes, la porte si on la cherche, per« :sonne ne la .trouve, excepté les prophètes de la déesse (4) D. Comme l'architecte de Rhampsinite et ses fils, ces prophètes de Dendérah savaient comment pénétrer dans un réduit encombré de métaux et d'objets précieux, et ils étaient seuls à le .savoir. Une pierre levée, que rien ne signalait au vulgaire, ils apercevaient l'or.iH.ce d'un couloir ils s'y engageaient en ~enï d'Mtt commentaire su,' le second livre d'Hérodote, dans Maspero, Ahi/a~s'M de ~</to~tfe< d'Archéologie, t. III, p. 415-416. <(!) Strabon, .XVII, p. 508; cfr. L. Borchardt, Der ~.?0; ~pM~o;, dans la Zf:<c/!f:/<, t. XXXV, p. 87-89. Flinders Petrie a montré de même que la grande pyramide de Dahchour se fermait au moyen d'une pierre à pivot (the Pyramids and Temples o/' Gizeh, p. 145-145, 167-I69, et pl. Xt). (2) Mariette, Dendérah, texte, p. 22'?-228.Jomard avait déjà 'signalé une pierre mobile de ce genre dans le temple de D6ir el Médinéh (DMc)'~t:o?! spéciale de Memt'AM c< des Pyramides dans la Description de f-~yp~e, 2' éd., t. V, p..444).
'(3) Voir le conte -intitule /.e ~o: ~OM/OMt e< <M Afo~tc:e?! p. 34-44 du présent volume. c (F '=
(-~ Mariette, Dett~r~, planches, t. III, pl. 30, c..

rampant et ils arrivaient après quelques instants au milieu du trésor. Le bloc remis sur son lit, l'œil le mieux exercé ne pouvait plus distinguer l'endroit précis où le passage débouchait (1).
Plus loin, celui des fils de l'architecte qui vient d'échapper a la mort enivre les gardes chargés de veiller sur le cadavre de son frère, et il leur rase la barbe de la joue droite (2). Wilkinson observa, le premier je crois, qu'en Égypte les soldats sont figurés imberbes et que toutes les classes de la société avaient l'habitude de se raser les seuls personnages barbus auraient été des barbares (3;. Depuis lors, on n'a jamais manqué de répéter son assertion comme une preuve de l'origine étrangère du conte. Il en est d'elle comme de bien d'autres que son ouvrage renferme elle résulte d'une étude trop hâtive des documents. Les Égyptiens de race pure pouvaient porter la barbe, et ils la portaient quand ils en avaient le caprice; les bas-reliefs de toutes les époques le prouvent suffisamment. De plus, la police ne renfermait' pas que des indigènes elle se recrutait principalement chez une tribu d'origine libyenne, les ~/azatOM, et puisque, de l'aveu de Wilkinson, les étrangers étaient exceptés de l'usage courant, pourquoi les policiers à qui Rhampsinite avait confié le cadavre n'auraient-ils pas eu du poil au menton ou sur les joues? Des soldats qui composaient l'armée égyptienne, telle qu'elle était au temps des Saïtes et des Perses, telle en un mot qu'Hérodote a pu la connaître, les uns étaient des Libyens, les autres étaient des mercenaires sémitiques, Cariens ou Grecs, d'autres enfin faisaient partie des garnisons persanes ils étaient tous barbus communément (4). M faut donc avouer que, pour les Égyptiens contemporains, il n'y avait rien que d'ordinaire à voir des gendarmes barbus, qu'ils fussent nés dans le pays ou qu'ils vinssent du dehors; l'épisode de la barbe rasée n'est pas une preuve contre l'origine indigène du conte.
(1) Voir dans Mariette, Dendérah, t. V, Supplément, la planche où sont dessinés la coupe et le mode de fermeture des cryptes.
(2) Hérodote, II, cxxt ctr. p. 212 du présent volume.
(3) Cf. I'.a<fodo<M de George Rawlinson, t. 1), p. 165, note 4. (4) Une stèle de la XVIII- dynastie nous a conservé le portrait d'un mercenaire asiatique, mort en Egypte, et qui portait toute sa barbe (Spiegelberg, dansta~e:~e/]!, t. XXXVI, p. 126-d2~.

Mais laissons de côté le détail matériel. Le côté moral de la civilisation n'est pas reproduit moins exactement dans nos récits. Sans doute, il faut éviter de prendre au pied de la lettre tout ce qu'ils semblent nous apprendre sur la vie privée des Égyptiens. Comme les modernes, les auteurs de ces temps-là s'attachaient à développer des sentiments ou des caractères qui n'étaient, après tout, qu'une exception sur la masse de la nation. S'il fallait juger les Égyptiennes par les portraits qu'ils ont tracés d'elles, on serait porté à concevoir de leur chasteté une opinion' assez triste. La fille de Rhampsinite ouvre sa chambre et s'abandonne à qui la paie: c'est, si l'on veut, une victime de la raison d'État, mais une victime résignée (1). Thoubouî accueille Satni et se déclare prête à le recevoir dans son lit dès la première entrevue. Si elle parait incertaine au moment décisif et si elle retarde à plusieurs reprises l'heure de sa défaite, la pudeur n'entre pour rien dans son hésitation il s'agit de faire acheter au plus cher ce qu'elle a l'intention de vendre et de ne se livrer qu'après paiement du prix convenu (2). La vue de Baiti, jeune et vigoureux, allume un désir irrésistible au cœur de la femme d'Anoupou (3), et la femme d'Oubaouanir est aussi sensible que celle-là à l'attrait d'un beau gars (4). L'épouse divine de Baîti consent à trahir son mari en échange de quelques bijoux et à devenir la favorite du roi (5). Princesses, filles de la caste sacerdotale, bourgeoises, paysannes, toutes se valent en matière de vertu. Je ne vois d'honnêtes qu'Ahouri (6), Mahîtouaskhît (7) et une étrangère, la fille du chef de Naharinna encore l'emportement avec lequel cette dernière se jette dans les bras de l'homme que le hasard a fait son mari donne-t-il fort à réfléchir (8). Dans l'écrit d'un moraliste de profession, la satire des mœurs féminines a peu de valeur pour l'histoire c'est un lieu commun, dont le développement varie selon les époques ou (1) Hérodote, II, cxxi; cfr. p. 212-213 de ce volume.
(2) Voir l'épisode entier aux pp. 1t4-149 du présent volume. (3) Voir p. 6-1 du présent volume.
(4) Voir p. 25-26 du présent volume.
(5) Voir p. 15 du présent volume.
(6) Dans l'Aventure de Saht!K7[<tMo~, p. 128 sqq. du présent volume. (1) Dans l'Histoire oerMt~ue de Salni-Khdmois, p. 156 sqq. du présent volume.
(8) Dans le Conte du Prince Prédestiné, p. 200 sqq. du présent volume.

selon les pays, mais dont le thème ne prouve rien contre une époque ou contre un pays déterminé. Que Ptahhotpou définisse la femme vicieuse un faisceau de toutes les méchancetés, un sac plein de toutes sortes de malices (1), ou qu'Ani, reprenant le même thème à trois mille ans d'intervalle, la décrive comme une eau profonde et dont nul ne connaît les détours (2), leur dire est sans importance toutes les femmes de leur temps auraient été vertueuses qu'ils leur auraient inventé des vices pour en tirer des effets d'éloquence. Mais les conteurs ne faisaient pas métier de prêcher la pudeur. Ils n'avaient aucun parti pris de satire contre les femmes, et ils les peignaient telles qu'elles étaient pour les contemporains, telles peut-être qu'eux-mêmes les avaient trouvées à l'user. Je doute qu'ils eussent jamais rencontré, au cours de leurs bonnes fortunes, une princesse du harem de Pharaon; mais Tboubouî se promenait chaque jour dans les rues de Memphis, leshiérodules ne réservaient pas leurs faveurs aux princes du sang, la compagne de Baiti n'était pas seule à aimer la parure, et plus d'un beau-frère sans scrupule savait où logeait la femme d'Anoupou. Les mœurs étaient faciles en Égypte. Mûre d'une maturité précoce, l'Egyptienne vivait dans un monde où les lois et les coutumes semblaient conspirer à développer ses ardeurs natives. Enfant, elle jouait nue avec ses frères nus; femme, la mode lui mettait la gorge au vent et l'habillait d'étoffes transparentes qui la laissaient nue sous les regards des hommes. A la ville, les servantes qui l'entouraient d'ordinaire et qui se pressaient autour de son mari ou de ses hôtes se contentaient pour vêtement d'une étroite ceinture serréesurla hanche à la campagne, les paysans de ses domaines se débarrassaient de leur pagne pour travailler. La religion et les cérémonies du culte attiraient son attention sur des formes obscènes de la divinité, et l'écriture elle-même étalait à ses regards des images impudiques. Lorsqu'on lui parlait d'amour, elle n'avait pas, comme la jeune fille moderne, la rêverie de l'amour idéal, mais l'image nette et précise de l'amour physique. Rien d'éton(1) Dans le traité de morale du Papyrus Prisse, pl. X, I. t-4. Cf. Virey, Études sur le Papyrus. Prisse, p. 64-66.
(2) Dans le dialogue philosophique entre Ani et son fils Rhonshotpou (Mariette, Papyrus de Boulaq, t. I, pl. XVI, 1. 13-17 Cfr. Chabas, L.'Égyp<o&)~M, t.. 1,.p. 65 sqtp;.

nant, après cela, si la vue d'un homme robuste émeut. la.~ femme d'Anoupou au point de lui faire perdre toute retenue.. Il:suffisait à peu près qu'une Egyptienne conçût l'idée ds l'adultère pour qu'elle cherchàt à le consommer sur le champ; mais~ y avait-il en Égypte plus de femmes qu'ailleurs à. concevoir~ l'idée de l'adultère? Les guides contèrent à Hérodote, et Hérodote nous conte à ¿. son tour avec la gravité de l'historien, qu'un certain Pharaon, devenu aveugle à cause de son impiété, avait été condamné par les dieux en belle humeur à ne recouvrer la vue. Hérodote est quelquefois scabreux à traduire. Bref, il s'agissait de se procurer une femme qui n'eût jamais eu de commerce qu'avec son mari. La reine subit l'épreuve, puis les dames de la cour, puis celles de la ville, puis les provinciales, les campagnardes, les-esclaves rien n'y fit, le bon roi continuait de n'y voir goutte. Après bien des recherches, il découvrit la porteuse du remède et il l'épousa. Les autres? Il les enferma dans une ville. et, il les brûla les choses se passaient de la sorte. en ce. temps (1). Ce fabliau, débité au coin d'un carrefour par un conteur des rues ou lu à loisir après boire, devait avoir le succè.s. qu'une histoire graveleuse obtient toujours auprès des hommes; mais chaque Égyptien pensait à part soi, tout en se gaussant du voisin, qu'en pareille aventure sa ménagère saurait le guérir et il ne pensait pas mal. Les contes grivois de Memphis ne signifient rien de plus que ceux des autres nations;. ij~.pr.ocèdent. de ce fonds de rancune commune que l'homme a tpujours conservé et partout contre la femme. Les commères égrillardes de notre moyen âge et les Égyptiennes enflamméesd.es récits memphites' n'ont rien à s'envier; mais ce que les conteurs nous disent d'elles ne prouve rien contre les mœurs féminines de leur temps.
Ces restrictions faites, le menu des aventures est égyptien. Relisez le passage o.ù Satni rencontre Tboubouî et lui.confessecrûment son désir. Les noms changés, vous y avez la peinture f exacte de ce qui se passait à Thèbes ou à Memphis en cas- [ pareil, les préliminaires noués par le valet et la servante, )e rendez-vous, le- divertissement et le souper-fin, le' marchandage avant l'àbandom nnal. Les amoureux des M//è et une ~VM~s~1) Hérodote, 11, cxt.

n'agissent pas autrement; même l'inévitable cadi qu'on appelle pour célébrer le mariage de la Zobéide avec l'Ahmed ou le Noureddin d'occasion est déjà annoncé par le maître d'école qui rédige les contrats destinés à transférer sur Tboubouîles biens de Satni-Khâmoîs (1). Quant aux événements qui précipitent ou qui retardent le dënoùment, ils sont le plus souvent les incidents de la vie courante.
IV
Je dis tous les incidents sans exception, même ceux qui sont e plus invraisemblables à nos yeux, car il ne faut pas juger les conditions de la vie égyptienne par celles de la nôtre. On n'emploie pas communément chez nous, comme ressorts de romans, les apparitions de divinités, les songes, les hommes transformés en bêtes, les animaux parlants, les bateaux ou les litières magiques ceux qui croient aux prodiges de ce genre les considèrent comme un accident des plus rares, et ils n'en usent pas dans le roman bourgeois. Il n'en allait pas de même en Égypte et ce que nous appelons le surnaturel y était journalier. Les songes y jouaient un rôle décisif dans la vie des souverains ou des particuliers, soit qu'ils fussent suscités par la volonté d'un dieu, soit qu'on les provoquât en allant dormir dans certains temples pendant la nuit (2). La croyance aux intersignes régnait partout incontestée, et ce ~l'était pas seulement dans le roman que les bouillons d'un cruchon de bière ou les dépôts de lie d'une bouteille de vin prévenaient un frère de la mort de son frère (3; tant de gens avaient reçu de ces avertissements mystérieux que personne ne s'avisait de crier à l'invraisemblance lorsqu'on les retrouvait dans le roman. La sorcellerie enfin avait sa place (1) Voir p. 148 sqq. de ce volume.
(2) Cfr. <tc:<ta<on de Mahitouaskhit et d'Horus, le fils de Panishi, dans l'Histoire u~'Mh~Mcdc Satni, pp. 156-157, ni-n2, du présent volume. (3) C'est ce qui arrive au frère de Baiti dans le Conte des deux Frères, p. 11, 15, du présent volume; cfr. p. 175-176, 203, des intersignes analogues dans l'Histoire véridique de Satni Khdmois, et dans le t'rtttce Prédestiné.

dans l'ordinaire de l'existence, aussi bien que la guerre, le commerce, la littérature, les métiers, les divertissements etles plaisirs tout le monde n'avait pas été témoin de ses prestiges, mais tout le monde était lié avec quelqu'un qui les avait vu s'accomplir, en avait profité ou en avait souffert. On la tenait en effet une science, et d'un ordre très relevé. A bien considérer les choses, le prêtre était un magicien les cérémonies qu'il célébrait, les prières qu'il récitait, étaient comme autant d'arts par lesquels il obligeait ses dieux à agir pour lui de la manière qu'il lui plaisait, et à lui accorder telle ou telle faveur en ce monde ou dans l'autre. Les prêtres porteurs du rouleau ou du livre (khrihabi), qui possédaient les secrets de la divinité au ciel, sur la terre, dans l'enfer, pouvaient exécuter tous les prodiges qu'on réclamait d'eux Pharaon en avait à côté de lui, qu'il nommait khri-habi en chef, et qui étaient ses sorciers attitrés. Il les consultait, il stimulait leurs recherches, et quand ils avaient inventé pour lui quelque miracle nouveau, il les comblait de présents et d'honneurs. L'un savait rattacher au tronc une tête coupée, l'autre fabriquait un crocodile qui dévorait ses ennemis, un troisième ouvrait les eaux, les soulevait, les amoncelait à son gré (1). Les grands eux-mêmes. Satni-Khâmoîs et son frère de lait, étaient des adeptes convaincus et ils lisaient avidement les recueils de formules mystiques même Satni s'acquit un renom tel en ce genre d'études qu'un cycle complet d'histoires se groupa autour de son nom (2). Un prince à grimoires n'inspirerait chez nous qu'une estime médiocre en Égypte, la magie n'était pas incompatible avec la royauté, et les magiciens de Pharaon eurent souvent Pharaon pour élève (3).
Plusieurs de nos personnages sont donc des sorciers ama(1) Voir le conte intitulé ~/tOM/but et les ~a~c!e)t~, p. 24 sqq. La tradition juive et arabe avait gardé le souvenir de ces magiciens puissants, comme le prouvent et l'histoire de Moïse, et la description que Makrizi, par exempte (Malan, A S/torrS<o; of the Cop~ and o/' their Church, p. 13-15), fait d'une réunion de sages égyptiens.
(2) Voir les trois contes ou sommaires des contes relatifs à Satni et qui sont publiés aux p. 123-182 du présent volume.
(3) Même encore au temps de la Renaissance, un prince sorcier n'en était que plus estimé. On peut voir, par exemple, au H'ft'M~Mnt'g, le jeune Maximilien d'Autriche instruit par ses précepteurs ecclésiastiques aux secrets non seulement de la Magie Blanche, mais de la Noire.

teurs ou de profession, Tbouboui (1), Nénoferképhtah (2), Oubaou-anir et Zazamânkhou (3), Didi (4), Sénosiris (5), Horou fils de la Négresse (6). Baîti « enchante son cœur », se l'arrache de la poitrine sans 'cesser de vivre, se métamorphose en bœuf, puis en arbre (7). Khâmoîs et son frère de lait ont appris, par aventure, l'existence d'un volume que Thot avait écrit de sa propre main et qui était doué de propriétés merveilleuses on n'y comptait que deux formules, sans plus, mais quelles formules! « Si tu récites la première, tu charmeras le a ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux « tu comprendras ce que les oiseaux et les reptiles disent, tous ,( tant qu'ils sont; tu verras les poissons de l'abîme, car une « force divine les'fera monter la surface de l'eau. Si tu ré« cites la seconde formule, encore que tu sois dans la tombe, a tu reprendras la forme que tu avais sur la terre même tu « verras le soleil se levant au ciel et son cycle de dieux, la « lune en la forme qu'elle a quand elle parait (8) n. Satni-Khâmoîs tenait à se procurer, outre l'ineffable douceur de produire à son gré le lever de la lune, la certitude de ne jamais perdre la forme qu'il avait sur terre son désir du livre merveilleux devient le ressort principal du roman. La science à laquelle il se livre est d'ailleurs-exigeante et elle impose à ses fidèles la chasteté, l'abstinence et d'autres vertus qu'ils ne peuvent toujours pratiquer jusqu'au bout (9). Et pourtant elle leur est si douce qu'ils s'y. absorbent et qu'ils négligent tout pour elle ils ne voient plus, ils ne boivent plus, ils ne mangent plus, ils n'admettent plus qu'une seule occupation, lire leur grimoire (1) L'héroïne de la seconde partie de l'~Me!t<M)'e de Sa<n:Ad~!OM, p. 144 sqq. du présent volume.
(2) Voir p. 131 du présent volume, ce que l'auteur de I'/i!cn<M)-e dit des études magiques de ce personnage.
(3) Leurs exploits sont racontés tout au long au début de la partie conservée du Conte de X7tOK/&M:, p. 25-3).
(i) Voir, p. 32 sqq., la description de ce personnage et des prodiges qu'il exécute.
(5) Il est le héros de l'Histoire véridique, p. 154-181 du présent volume. (6) Celui-ci est un Éthiopien élevé aux sciences de l'Égypte par Horus, le fils de Panishi, et à celles du Soudan par sa mère Tnahslt, la Négresse; cfr. p. n4 sqq. du présent volume.
(7) Cfr. pp. 10, 16, 17, du présent volume.
(8) Cfr. p. 131-132, du présent volume.
(9) Cfr. p. 144 note 3, et p. 150 note 3, du présent volume.

sans relâche et user de l'autorité dont il les investit sur les choses et sur les êtres (1). Cet enivrement ne va pas sans danger les dieux ou les morts auxquels le sorcier a ravi leurs talismans essaient de les recouvrer et tous les moyens leur sont bons. Ils rôdent autour de lui et ils profitent de ses passions ou de ses faiblesses pour le réduire à leur discrétion l'amour est le grand auxiliaire, et c'est par le moyen de la femme qu'ils réussissent le plus souvent à reconquérir leur trésor perdu (2).
Et la puissance de l'art magique ne cessait pas avec la vie. Qu'il fe voulût ou non, chaque Égyptien était, après sa mort, soumis aussi fatalement que pendant sa vie aux charmes et aux incantations. On croyait, en effet, que l'existence de l'homme se rattachait par des liens nécessaires à celle de l'univers et des dieux. Les dieux n'avaient pas toujours marqué pour l'humanité cette indifférence dédaigneuse à laquelle ils semblaient. se complaire depuis le temps de Ménès. Ils étaient descendus jadis dans le monde récent encore de la création, ils s'étaient mêlés familièrement aux peuples nouveau-nés, et prenant un corps de chair, ils s'étaient asservis aux passions et aux faiblesses de la chair. Les gens d'alors les avaient vu s'aimer et se combattre, régner et se succéder, triompher et succomber tour à tour. La jalousie, la colère, la haine avaient agité leurs âmes divines comme si elles eussent été de simples âmes humaines. Isis, veuve et misérable, pleura de vaines larmes de femme sur son mari assassiné (3), et s'a déité ne la sauva point des douleurs de l'enfantement. Râ faillit périr de la piqûre d'un serpent (4) et détruire ses créatures dans un accès de fureur il avait vieilli et dans sa décrépitude il avait subi les déchéances de la seconde enfance, branlant de la tête et bavant comme un vieillard d'entre nous (5). Horus l'enfant (1) Ainsi Satni-Khâmois; cfr. p. 144 du présent volume.
(2) Voir p. 144 sqq. la lutte de Nénoferképhtah et de Satni, et la victoire que Nénoferképhtah remporte par l'entremise de Tboubouî. (3) Le livre des Lamentations d'Isis et de Nep/t<Ay< a été publie par M. de Horrack, (JEMix-M fA'MC~M, p. 33-53.
(4) E. Lefébure, Un Chapitre de la Chronique solaire, dans la ~e:~c/tft~f, 18S3, p. 2'33; cf. QEMurM diverses, t. I, p. 203-213,
(5) E. Naville, La.Destruction d~ Ao'KMM pa)' les dieux, dans les rt'o~sacho'is of the Society o/' Biblical ~rc/ia'o/o~y, t. IV, p. 1-19, t. VIII, p. 412-420.

conquit le trône d'Égypte les armes à la main (1). Plus tard, les dieux s'étaient retirés au ciel autant jadis ils avaient aimé se montrer ici-bas, autant maintenant ils mettaient de soin à se dissimuler dans le mystère de leur éternité. Qui, parmi les vivants, pouvait se vanter d'avoir entrevu leur face? Et pourtant, les incidents heureux ou funestes de leur vie corporelle décidaient encore à distance le bonheur ou le malheur de chaque génération, et, dans chaque génération, de chaque individu. Le ~7 Athyr d'une année si bien perdue dans les lointains du passé qu'on ignorait combien de siècles au juste s étaient écoulés depuis elle, Sitou avait attiré près de lui son frère Osiris et il l'avait tué en trahison au milieu d'un banquet ('2). Chaque année, à pareil jour, la tragédie qui s'était jouée dans le palais terrestre du dieu semblait recommencer dans les profondeurs du firmament. Comme au même instant de la mort d'Osiris, la puissance du bien s'amoindrissait, la souveraineté du mat prévalait et la nature entière, abandonnée aux divinités de ténèbres, se retournait contre l'homme. Un dévot n'avait garde de rien entreprendre ce jour-là quoi qu'il se fût avisé de faire, c'aurait échoué. S'il sortait au bord du fleuve, un crocodile l'assaillait comme le crocodile dépéché par Sitou avait assailli Osiris. S'il partait en voyage, il pouvait. dire adieu pour jamais à sa famille et à sa maison il était certain de ne plus revenir. Mieux valait s'enfermer chez soi, attendre, dans la crainte et dans l'in'action, que les heures de danger s'en fussent allées une à une. et que le soleil du jour suivant eût mis le mauvais en déroute. Le 9 Khoïak, Thot avait rencontré Sîtou et il avait remporté sur lui une victoire éclatante. Le 9 Khoïak de chaque année, il y avait fête sur la terre parmi les hommes, fête dans le ciel parmi les dieux et sécurité de tout commencer (3). Les jours se succédaient fastes ou néfastes, selon l'événement qu'ils avaient vu s'accomplir au temps des dynasties divines.
(1) E. Naville, Le Mythe d'Horus, in-folio, Genève, 1870; Brugsch, Die Sage der Ge/h~f~en Sn~ne, in-4", 18'!1, Côttingen.
(2) De Iside et Osiride, c. 13 (édit. Parthey, p. 21-23). La confirmation du texte de Plutarque se trouve dans plusieurs passages des textes magiques ou religieux (Papyrus magique Ha)'r:t, édition Chabas, pl. IX, 1. 2 sqq. etc.).
(3) Papyrus & IV, pl. X, L 8-10.

« Le 4 Tybi. Bon, bon, bon (1). Quoi que tu voies en ce jour, c'est pour toi d'heureux présage. Qui nait ce jour-là meurt le plus âgé de tous les gens de sa maison il aura longue vie succédant à son père.
a Le 5 Tybi. Mauvais, mauvais, mauvais. C'est le jour où furent brûlés les chefs par la déesse Sokhît qui réside dans la demeure blanche, lorsqu'ils sévirent, se transformèrent, vinrent(2) gâteaux d'offrandes pour Shou, Phtah, Thot encens sur le feu pour Râ et les dieux de sa suite, pour Phtah, Thot, Hou-Saou, en ce jour. Quoi que tu voies en ce jour, ce sera heureux (3).
a Le 7 Tybi. Mauvais, mauvais, mauvais Ne t'unis pas aux femmes devant l'œil d'Horus (4). Le feu qui brûle dans ta maison, garde-toi de t'exposer à son atteinte funeste.
« Le 8 Tybi. Bon, bon, bon. Quoi que tu voies en ce jour, de ton œil, le cycle divin t'exauce. Consolidation des débris (5).
(1' Les Égyptiens divisaient les douze heures du jour, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, en trois sections, ou, comme ils disaient, en trois saisons (<o') de quatre heures chacune. Les trois épithètes qu'on trouve après chaque date au Ca/e/t'/We)' Sa~t'o' s'appliquent chacune à une des sections. Le plus souvent, le présage valait pour le jour entier alors on trouve la note, bon, bon, bon; hostile, hostile, hostile. Mais il pouvait arriver que, l'une des sections étant funeste, les deux autres fussent favorables. On rencontre alors la notation ~o?;, bon, hostile, ou une notation analogue répondant à la qualité des présages observés. On remarquera qu'il n'est pas question dans ce curieux ouvrage de pronostics relatifs aux heures de la nuit. Le fait s'explique de soi dès qu'on prend connaissance des superstitions analogues qui ont existé ou qui existent encore chez d'autres.peuples anciens ou modernes. Chez tous, la nuit entière est mauvaise; c'est le temps où les esprits, les morts, les démons de toute nature à formes humaines et animales, obtiennent la plénitude de leur pouvoir et, n'ayant pas à craindre la lumière, sortent de leurs retraites. Il n'y a donc pas lieu d'indiquer pour la nuit les mêmes divisions que pour le jour.
(2) Je ne saurais dire à quel épisode des guerres osiriennes ce passage fait allusion.
(3) Pap. Sallier IV, pl. xnr, 1. 6-7.
(4) Ici le Soleil, ou peut-être le feu.
(5} Le dernier membre de phrase se rapporte à la reconstruction par Isis du corps mutilé d'Osiris. La légende voulait, en effet, qu'Osiris, mis en pièces par Sîtou, recueilli lambeau à lambeau puis placé sur un lit funéraire par Isis et Nephthys, se fût reconstitué un moment et eût engendré Horus.

« Le 9 Tybi. Bon, bon, bon. Les dieux acclament la déesse du midi en ce jour. Présenter des gâteaux de fête et des pains frais qui réjouissent le cœur des dieux et des mânes. « Le 10 Tybi. Mauvais, mauvais, mauvais. Ne fais pas un feu de joncs ce jour-là. Ce jour-là, le feu sortit du dieu Sop-ho dans le Delta, en ce jour (1).
« Le 14 Tybi. Mauvais, mauvais, mauvais. N'approche pas de la flamme en ce jour Râ, v. s. f., l'a dirigée pour anéantir tous ses ennemis, et quiconque en approche en ce jour, il ne se porte plus bien tout le temps de sa vie «. Tel officier de haut rang qui, le 13 de Tybi, affrontait la dent d'un lion en toute assurance et fierté de courage, ou qui entrait dans la mêlée sans redouter la morsure des flèches syriennes (2), le 12, s'effrayait à la vue d'un rat et, tremblant, détournait les yeux (~).
Chaque jour avait ses influences, et les influences accumulées formaient le destin. Le destin naissait avec l'homme, grandissait avec lui, le guidait à travers sa jeunesse et son âge mûr, coulait, pour ainsi dire, sa vie entière dans le moule immuable que les actions des dieux avaient préparé dès le commencement des temps. Pharaon et ses nobles étaient soumis au destin, soumis aussi les chefs des nations étrangères (4). Le destin suivait son homme jusqu'après la mort; il assistait avec la fortune au jugement de 1 âme (5), soit pour rendre au jury infernal le compte exact des vertus ou des crimes, soit afin de préparer les conditions d'une vie nouvelle,. Les traits sous lesquels on se le figurait n'avaient rien de hideux. C'était une déesse, Hâthor, ou mieux sept jeunes et belles déesses (6), des Hâthors à la face rosée et aux oreilles de (1) Je ne sais pas quel est le dieu Sop-ho, ni à quel propos il mit le Delta en feu.
(2) C'était en effet un jour heureux (Pa/ pl. XVI, I. 4). (3) On trouve, en effet, pour le 12 Tybi, la.note suivante (Pap. S.<!M: pl. XIV, 1. 3) « Le 12 Tybi. Mauvais, mauvais, mauvais. Tache de ne voir aucun rat; ne t'en approche pas dans ta maison &. (4) Il est dit d'un des princes de Khati que « sa destinée )' lui donna. son frère pour successeur (ïYa:M (~ Ramsès II avec le pt'tttcc de XA<!<
1. 10-11,).
(5) Voir le tableau du jugement de l'âme a.u chap. 125 du Livre des Afo'-ts.
(6) C'est le chiffre donné par le Conte des deux Frères (pi. IX, 1. 8; cfr.

génisse, toujours gracieuses, toujours souriantes:, qu'il s'agît d'annoncer le bonheur ou de prédire la misère. Comme les fées marraines du moyen âge, elles se pressaient autour du lit des accouchées et elles attendaient la. venue de l'enfant pour l'enrichir ou pour le'ruiner de leurs dons. Les sculptures des temples à Louxor (1), à Erment (2), à. Détr el Baharî. (3), nous les montrent qui jouent le rôle de sages-femmes auprès de Moutemoua, femme de:ThoutmôsisIV,de la reine Ahmasi et de la fameuse Cléopâtre. Les unes soutiennent tendrement la jeune mère et elles la fortifient par leurs incantations,; les autres prodiguent les premiers soins au nouveau-né et elles lui présagent à l'envi, toutes les félicités. Khnoumou ayant fabriqué une femme à Baîti, elles la viennent voir, l'examinent un moment et s'écrient d'une seule voix « Qu'elle périsse parde glaive (4)! » Elles apparaissent au berceau du Prince prédetiné et selles annoncent qu'il sera tué par le serpent, par le crocodile ou par le chien (5). Dans le conte deA~OM/OM!. et des Magiciens, quatre d'entre elles, Isis, Nephthys, Maskhonouît et Hiqaît, assistées de Khnoumou, se déguisent en almées pour délivrer la femme du prêtre'de Râ des tr.ois-enfants qui s'agitent, dans son sein. Le point par quoi elles diffèrent de nos fées marraines, c'est une passion désordonnée pour le calembour les noms qu'elles imposent, à leurs HHeuIs sont desj.eux de-mots, difficiles à comprendre pour un moderne,. plus difficiles à traduire (6). C'est un manq.ue de goût dont elles ne sont pas seules à faire preuve l'Orient a toujours été entraîné par. un penchant irrésistible vers ce genre d'esprit, et l'Arabie ou la .Ludée n'ont rien à envier à l'Egypte en matière d'ëtymologies.baroques pour les noms de leurs saints ou de-leurs héros.. p. 13 du prés. vol.), et qui est confirmé par les'reprëscntcttions de Dëir-elMédinéh. Dans d'autres documents, au Conte du. f<He?predM<:ne par exemple (cfr. p. 199-198 du prés. vol.), le nombre n'en est pas limité. (1) Champollion, Monuments de /'F~)/~<e et ~/c la Nubie, pl. CCCXLCCCXLI. Le texte reproduit par Champollion n'indique aucun nom de déesse les Hâthors représentées avec la reine sur le lit d'accouchement sont au nombre de neuf.
(2) Champollion, Monuments. de 7'~y/~e et de. la Nubie, pl. CXLV, 12. (3) Xavitle, De<t' el Bahari, t. Il, pi. ïnt-u.
(4) Papyrus 'OrMne~. pl. IX, 1. 5; cfr. p. 13 du présent volume. (5) Cfr. p. 197-198 du présent volume.
(6) Cfr. p. 39-40 du présent volume.

Voir les Hâthors et les entendre au moment même où elles prononçaient leurs arrêts était privilège réservé aux grands de ce monde les gens du commun n'étaient pas d'ordinaire dans leur confidence. Ils savaient seulement, par l'expérience de nombreuses générations, qu'elles dépariaient certaines morts aux hommes qui naissaient à de certains jours.
« Le 4 Paophi. Hostile, bon, bon. Ne sors aucunement de ta maison en ce jour. Quiconque naît en ce jour meurt de la contagion en ce jour.
Le 5 Paophi. Mauvais, mauvais, mauvais. Ne sors aucunement de ta maison en ce jour; ne t'approche pas des femmes; c'est le jour d'offrir offrande de choses par devant le Dieu, et Montou(l) repose en ce jour. Quiconque naît en ce jour, il mourra de l'amour.
« Le 6 Paophi. Bon, bon, bon. Jour heureux dans le ciel; les dieux reposent par devant le Dieu, et le cycle divin accomplit les rites par devant (2). Quiconque naît ce jour-là mourra d'ivresse.
« Le 7 Paophi. Mauvais, mauvais, mauvais. Ne fais absolument rien en ce jour. Quiconque naît ce jour-là mourra sur la pierre (3).
« Le 9 Paophi. Allégresse des dieux, les hommes sont en fête, car l'ennemi de Râest à bas. Quiconque nait ce jour-là mourra de vieillesse.
« Le 23 Paophi. Bon, bon, mauvais. Quiconque naît ce jour-là meurt par le crocodile.
« Le 27 Paophi. Hostile, hostile, hostile. Ne sors pas ce jour-là; ne t'adonne à aucun travail manuel Râ repose. Quiconque naît ce jour-là meurt par le serpent.
« Le 29 Paophi. Bon, l'on, bon. Quiconque naît ce jour-là mourra dans la vénération de tous ses gens
Tous les mois n'étaient pas également favorables à cette 'sorte de présage. A naître en Paophi, on avait huit chances sur trente de connaître, par la date de la naissance. le genre de la mort. Athyr, qui suit immédiatement Paophi, ne renfermait (1) Montou, dieu de Thèbes et d'Hermonthis, est un des dieux belliqueux par excellence.
(2) Manque ici le nom d'une divinité.
(3) Peut-être t Quiconque naitra ce jour-là mourra sur la terre ~)'a!gère.

que trois moments fatidiques (1). L'Egyptien né le 9 ou le 29 de Paophi n'avait donc qu'à se laisser vivre son bonheur ne pouvait plus lui manquer. L'Egyptien né le 7 ou le 27 du même mois n'avait pas raison de s'inquiéter outre mesure. La façon de sa mort était désormais fixée, non l'instant il était condamné, mais il avait la liberté de retarder le supplice presque à volonté. Etait-il, comme le Prince ~x'e~M~tHe, menacé de la dent d'un crocodile ou d'un serpent, s'il n'y prenait point garde, ou si, dans son enfance, ses parents n'y avisaient point pour lui, il ne languissait pas longtemps; le premier crocodile ou le premier serpent venu exécutait la sentence. Mais il pouvait s'armer de précautions contre son destin, se tenir éloigné des canaux et du neuve, ne s'embarquer jamais à de certains jours où les crocodiles étaient maîtres de l'eau (21, et, le reste du temps, faire éclairer sa navigation par des serviteurs habiles à écarter le danger au moyen de sortilèges (3~. On pensait qu'au moindre contact d'une plume d'ibis, le crocodile le plus agile et le mieux endenté devenait immobile et inoffensif (4). Je ne m'y fierais point; mais l'Egyptien, qui croyait aux vertus secrètes des choses, rien ne l'empêchait d'avoir toujours sous la main quelques plumes d'ibis et d'imaginer qu'il était garanti.
Aux précautions humaines on ne se faisait pas faute de joindre dés précautions divines, les incantations, les amulettes, les cérémonies du rituel magique. Les hymnes religieux avaient beau répéter en grandes strophes sonores qu' « on ne taille (1; Le 14, le 20, le 23. Quiconque nait le 14 mourra par l'atteinte d'une arme tranchante (Pap. Sa~tf- IV, p. 8, 1. 3 Quiconque naît te 20 mourra de la contagion annuelle (M., p. 8, 1. 9). Quiconque nait le 23 mourra sur le fleuve p. 9, I. 12).
(2) A la date du 22 Paophi, le Pa/o/~M~ Sallier IV enregistre la mention suivante « Ne te lave dans aucune eau ce jour-là; quiconque navigue sur le fleuve, c'est le jour d'être mis en pièces par la langue de Sovkou (le crocodile)
(3) Voir plus bas, p. 283-285, ce qui est dit des conjurations que les bergers employaient pour empêcher les crocodiles d'attaquer leurs.troupeaux ce qui servait aux bêtes ne servait pas moins aux hommes, et les charmes du Papyrus magique llarris étaient utiles aux uns comme aux autres.
(4) Horapollon, ~ro~/yy/tt~MM, H, Lxxxi, édit. Leemans, p. 94-95. L'hiéroglyphe dont il est question dans le texte de l'auteur grec est fréquent aux basses époques.

point le dieu dans la pierre ni dans les statues sur lesquelles on pose la double couronne on ne le voit pas nul service, nulle offrande n'arrive jusqu'à lui; on ne peut l'attirer dans les cérémonies mystérieuses on ne sait pas le lieu où il est on ne le trouve point par la force des livres sacrés (1) C'était vrai des dieux considérés chacun comme un être idéal, parfait, absolu, mais en l'ordinaire de la vie Râ, Osiris, Shou, Amon, n'étaient pas inaccessibles ils avaient gardé de leur royauté une sorte de faiblesse et d'imperfection qui les ramenait sans cesse à la terre. On les taillait dans la pierre, on les touchait par des services et par des oH'randes. on les attirait dans les sanctuaires et dans les châsses peintes. Si leur passé mortel influait sur la condition des hommes, l'homme influait à son tour sur leur présent divin. Il y avait des mots qui; prononcés avec une certaine intonation, pénétraient jusqu'au fond de l'abîme, des formules dont le son agissait irrésistible sur les intelligences surnaturelles, des amulettes où la consécration magique enfermait efficacement un peu de la toute-puissance céleste. Par leur vertu, l'homme mettait la main sur les dieux il enrôlait Anubis à son service, ou Thot, ou Bastit, ou Sitou lui-même, il les irritait et il les calmait, il les lançait et il les rappelait, il les forçait à travailler et à combattre pour lui. Ce pouvoir formidable qu'ils croyaient posséder, quelquesuns l'employaient à l'avancement de leur fortune et à la satisfaction de leurs rancunes ou de leurs passions mauvaises. Ce n'était pas seulement dans le roman qu'Horus, fils de la négresse, s'armait de maléfices afin de persécuter un Pharaon et d'humilier l'Egypte devant l'Éthiopie (2) lors d'une conspiration ourdie contre Ramsès UI, des conspirateurs s'étaient servis de livres d'incantations pour arriver jusqu'au harem de Pharaon (3). La loi punissait de mort ceux qui abusaient de la sorte, mais leur crime ne lui cachait point les services de leurs confrères moins pervers elle protégeait ceux qui exerçaient une action inoffensive ou bienfaisante.
Désormais, l'homme menacé par le sort n'était plus seuLà (1) Pop. SaMi'e?- /p. 12, 1. 6-8, et Pa/). ~a~a~t VII, p. 9, 1. 13. (2) Voir p. 176 sqq. de ce volume, t'~M<on'e t~d'~M de .S'a<n!-X.MmOM.
(3) Chabas, Papyrus magique Harris, p. 170-1T4; Dévéria, Le Pap!/7t;~ judiciaire de Turin p. 124-137.

veiller les dieux veillaient avec lui et ils suppléaient à ses défaillances par leur vigilance infaillible. Prenez un amulette qui ceprésente (, une image d'Amon à quatre têtes debélier, peinte sur argile, foulant un crocodile aux pieds, et huit dieux qui l'adorent placés à sa droite et à sa gauche (1) ». Prononcez sur lui l'adjuration que voici « Arrière, crocodile, fils de SHou! Ne vogue pas avec ta queue; ne saisis pas de tes deux bras n'ouvre pas ta bouche: Devienne l'eau une nappe de fe.u devant toi) Le charme des trente-sept dieux est dans ton oeil; tu es lié au grand croc de Râ tu es lié aux quatre piliers en. bronze du midi, à l'avant de la barque de Râ. Arrête, cr,oc:rodile, fils de Sitou! protège-moi, Amon, mari de ta mère;! » Le passage est obscur ? Il fallait qu'il le fût pour opérer avec efficacité. Les dieux comprennent à demimot ce qu'on leur dit: desallusionsaux événements de leur vie par lesquels on les conjure suffisent à les toucher sans qu'on ait besoin de les leur rappeler par le menu. Fussiez-vous né le 22 ou le 23 de Paophi, Amon était tenu de vous garder contre le crocodile et contre les périls de l'eau. D'autres grimoires et d'autres amulettes préservaient du feu, des scorpions, de la maladie (2) sous quelque forme que le destin se déguisât, il rencontrait des dieux embusqués pour la. défense. Sans doute, rien qu'on fit ne changeait son arrêt, et les dieux eux-mêmes étaient sans pouvoir sur l'issue de la lutte. Le jour naissait par se lever où précautions, magie, protections divines, tout manquait à la fois.; le destin était le plus fort. Au moins, l'homme avait-il réussi à durer, peut-être jusqu'à la vieillesse, peut-être jusqu'à cet âge de cent dix ans, limite extrême de la vie, que les sages espéraient atteindre parfois, et que nul mortel né de mère mortelle ne devait dépasser (3).
Après la mort, la magie accompag'nait l'homme au-delà de la tombe et elle continuait à le régenter. Notre terre, telle que l'imaginaient la foi aveugle du peuple et la science superstitieuse des prêtres, était comme un théâtre en deux comparti(11 Fa~y<'HA' ~a~Me ~?'y, pi. VI, 1. 8-9.
(2) Le Papyrus 3~S de Leyf~, publié par Pleyte (Études <o<ogiques, t. I, Leyde, 1866), est un recueil de formules dirigées contre diverses maladies.
(3) Sur f'age de cent dix ans, voir le curieux mémoire de Goodwin dans Cbabas, Mélanges ~o/o~Mf. 2' série, p. 23i-237.

ments. Dans l'un, l'Egypte des vivants s'étaleen pleinelumière, le vent du nord souffle son haleine délicieuse, le Nilroule à flots, la riche terre noire produit des moissons de fleurs, de céréales et de fruits Pharaon, fils du Soleil, seigneur des diadèmes, maître des deux pays, trône à Memphis ou à Thèbes, tandis que ses généraux remportent au loin des victoires et que les sculpteurs se fatiguent à tailler dans le granit les monuments de sa piété. C'est là, dans son royaume ou dans les pays étrangers qui dépendent de lui, que l'action de la plupart des contes se déroule. Celle des romans de Satni se poursuit en partie dans la seconde division de notre univers, la région des tombeaux et de la nuit. Les eaux éternelles, après avoir couru, pendant le jour, le long des remparts du monde, de l'orient au sud et du sud à l'occident, arrivaient, chaque soir, à la Bouche de la Fente (1) et elles s'engouffraient dans les montagnes qui bornent la terre vers le nord, entraînant avec elles la barque du soleil et son cortège de dieux lumineux (2). Pendant douze heures, la compagnie divine parcourait de longs corridors sombres, où des génies, les uns hostiles, les autres bienveillants, tantôt s'efForeaient de l'arrêter, tantôt l'aidaient à vaincre les dangers du voyage. D'espace en espace, une porte, défendue par un serpent gigantesque, s'ouvrait devant elle et lui livrait l'accès d'une salle immense, remplie de monstres; puis les couloirs recommençaient, étroits et obscurs, et la course à l'aveugle au milieu des ténèbres, et les luttes contre les génies malfaisants, et l'accueil joyeux des dieux propices. (1) Le Ro Pegait, ou Ro Peçartt. était situé dans le Ouou Pegait, ou Ouou Pegarit, situé lui-même à l'occident d'Abydos, par derrière la partie de la nécropole thinite que les Arabes d'aujourd'hui appellent Ommel-Gaâb. Le nom signifie littéralement Bouche de la fente, et désigne la fente, la fissure, par laquelle le soleil pénétrait dans le monde de la nuit. (2) La description de la course du soleil nocturne se trouve dans le Livre //e savoir ce qu'il y da'<~ l'hémisphère !tt/i~'t'c!/r, dont le texte, conservé sur des papyrus, sur des sarcophages et sur les parois de quelques tombeaux, peut être rétabli presque en entier dès aujourd'hui. Il donne, heure par heure, avec figures explicatives, les épisodes de la marche du soleil, le nom des salles parcourues, des génies et des dieux rencontrés. la peinture du supplice des damnés et les discours des personnages mystiques qui accueillent le soleil. On en trouvera la traduction complète et l'interprétation dans le mémoire de Maspero sur Les Hypogées t-o.aMt: de Thèbes, qui est reproduit au tome U des .M~'an~ de At~/tologie e< ff~t'e~o~te Égyptiennes, p. 1-181.

Au matin, le soleil avait atteint l'extrême limite de la contrée ténébreuse et il sortait de la montagne à l'orient pour éclairer un nouveau jour (1). Il arrivait parfois aux vivants de pénétrer par la vertu de la magie dans ces régions mystérieuses et d'en ressortir sains et'saufs le Pharaon Rhampsinite en avait remporté les dons de la déesse Nouit (2), et Satni, guidé par son fils Sénosiris, y avait assisté au jugement des âmes (3). C'était l'exception pour les affronter selon la règle, il fallait avoir subi l'épreuve de la mort.
Le tombeau des rois, des princes, des riches particuliers, était souvent construit à l'image du monde infernal. Il avait, lui aussi, son puits, par où le mort se glissait au caveau funéraire, ses couloirs enfoncés bien avant dans la rocbe vive, ses grandes salles aux piliers bariolés, à la voûte en berceau (4). dont les parois portaient, peints à même, les démons et les dieux de l'enfer (5). Tous les habitants de ces « maisons éternelles n (6)revêtaient, dans la splendeur bizarre de ses modes changeantes, la livrée de la mort égyptienne, le maillot de bandelettes fines, les cartonnages coloriés et dorés, le masque aux grands yeux d'émail toujours ouverts gardez de croire qu'ils étaient tous morts. On peut dire, d'une manière générale, que les égyptiens ne mouraient pas au sens où nous mourons. Le souffle de vie, dont leurs tissus s'étaient imprégnés au moment de la naissance, ne disparaissait pas soudain avec les derniers battements du cœur il persistait jusqu'à ]a complète déeom. position. Combien obscure et inconsciente que fût cette vie du cadavre, il fallait éviter de la laisser éteindre. Les procédés du dessèchement d'abord puis de la momification fixaient la forme et la pétrifiaient, pour ainsi dire ceux de la magie et de (1) Au pays de BUQAIT, « l'accouchement x.
(2) Hérodote, M, cxxn cfr. p. 208 de ce volume.
<3)Voir le second conte de Satni, pp. 168-163 de ce volume. Jules Baillet, reprenant ces données, en a conclu qu'elles avaient exercé de l'influence sur les descentes aux Enfers qui sont décrites dans les oeuvres des poètes grecs et romains (Descentes aux Enfers classiques et ~p<:ennM, dans la /<efMe {/Tt!ue)'<atre du 15 mars 1902, tirage à part in-8° de 7 pages).
(4) Ce qu3 les textes appellent K.HL (KERiM), des /uM' des salles à voûte arrondie.
(5) Ainsi le tombeau de Sétoui I, de Mênephtah, de Ramsès IV et V. (6) C'est l'expression consacrée dès le temps des premières dynasties.

la religion y maintenaient une sorte d'humanité latente, susceptible de se développer un jour et de se manifester. Aussi, l'embaumeur était-il un magicien et un prêtre en même temps qu'un chirurgien. Tout en macérant les chairs et en roulant les bandelettes, il récitait des oraisons, il accomplissait des rites mystérieux, il consacrait des amulettes souverains. Chaque membre recevait de lui, tour à tour, l'huile qui le rend incorruptible et les prières qui y alimentent le ferment de la vie (1) même, vers la fin de l'âge pharaonique, la magie avait envahi le cadavre et elle t'avait harnaché de ses talismans des pieds à la tête. Un disque de carton doré, chargé de légendes mystiques et placé sous la tête, y entretenait un restant de chaleur animale (2). Le scarabée de pierre, cerclé d'or, collé sur la poitrine à la naissance du cou, remplaçait le cœur immobilisé par l'arrêt du sang ou par la fuite des souffles, et il rétablissait une respiration artificielle (3). Des brins d'herbe, des fleurs sèches. .des rouleaux de papyrus, de mignonnes tigurines en terre émaillée perdues dans l'épaisseur des bandages, des bracelets, des anneaux, des plaques constellées d'hiéroglyphes, les mille petits objets qui encombrent aujourd'hui les vitrines de nos musées, couvraient le tronc, les bras, les jambes, comme les pièces d'une armure magique. L'âme, de son cûté,nes'aven'turait pas sans défense dans la vie d'outre-tombe. Les chapitres du Livre des Morts et des autres écrits théologiques, dont on déposait un exemplaire dans le cercueil, étaient pour elle autant de charmes qui lui ouvraient les chemins des sphères infernales etqui en écartaient les dangers. Si, au temps qu'elle était encore enfoncée dans la chair, elle avait eu soin de les apprendre par avance, il n'en valait que mieux. Si la pauvreté, l'ignorance,la paresse, l'incrédulité, ouquelque autre raison l'avaient empêchée de recevoir l'instruction nécessaire, même après la mort un parent ou un ami charitable pouvait lui servir d instructeur. C'en était assez de réciter chaque (1) Cfr. le Rituel de l'embaumement dans Maspero, Mémoire sur quelques ;)<t/~)'M du /.oMt)''c, p. H sqq.
(2) C'est ce qu'on nomme l'hypocéphale. Le ~we Mc''J des Mormons .est l'hypocéphale d'une momie égyptienne, transporté en Amérique et acheté par le prophète Joseph Smith (Devéria, Mémoires et fragments, .t. I, p. i9a-20t).
(3) Livre des ~or<ï, chap. xxx, Lxxu.

prière auprès de la momie ou sur les amulettes pour que la connaissance s'en infusât, par je ne sais quelle subtile opération, dans l'âme désincarnée.
'C'était le sort commun quelques-uns y échappaient par prestige et art magique, pour qui le retour dans notre monde était une renaissance véritable au sein d'une femme. Ainsi Baiti dans le Conte des deux frères (1) ainsi le sorcier Horus, le fils de Panishi. Celui-ci, apprenant que 1 Egypte est menacée parles sortilèges d'une peste d'Ethiopien, s'insinue dans ]es entrailles de .la princesse Mahitouaskhît, et renaît au monde sous Je nom de Sénosiris, comme fils de Satni-Khâmois. Il parcourt de nouveau tous les stages de l'existence humaine, mais il conserve l'acquis et la conscience de sa première vie, et il ne regagne l'Hadès qu'après avoir accompli victorieusement la tâche patriotique qu'il s'était imposée (2j. D'autres au contraire, ne désirant produire qu'un effet momentané, se dispensent d'une procédure aussi lente ils envahissent notre monde brusquement sous la forme qui leur paraît être le plus propre à favoriser leurs projets, et ils ne séjournent ici-bas que le nombre d'heures strictement indispensables. Tels les personnages que Satni trouva réunis dans la tombe de Nénoferképhtah et qui n'ont du mort que l'apparence et la livrée. Ils sont des momies si l'on veut; le sang ne coule plus dans leurs veines, leurs membres'ont été roidis par l'emmaillotement funéraire, leurs chairs sont saturées et durcies des parfums de -l'embaumement, leur crâne est vide. Pourtant ils pensent, ils parlent, ils se meuvent, ils agissent comme s'ils vivaient, je suis presque tenté de dire qu'ils vivent le livre de Thot est en eux et les porte. Madame de Sévigné écrivait d'un traité de M..Nicole « qu'elle voudrait bien en faire un bouillon « 'et l'avaler Néaoferképhtah avait copié les formules du livre magique sur du papyrus vierge, il les avait dissoutes dans de l'eau, .puis il avait avalé le breuvage. (3) Le voilà (1) Voir à la p. 20 du présent volume.
(2) Voir le second conte de Satni, pp.lS4-18i du.présent volume. (3) Aujourd'hui encore, un moyen employé en Égypte, comme dans tout l'Orient musulman, pour se débarrasser d'une maladie consiste à .écrire certains versets-dû Coran à l'intérieur d'un bol de terre cuite,'ou sur des morceaux de papier, à verser de l'eau et à ~agiter jusqu'à ce .que l'écriture ait été complètement diluée le patient boit avec Feau.les

désormais indestructible. Là mort, en le frappant, peut changer les conditions de son existence elle n'atteint pas son existence même. Il mande dans sa tombe les doubles de sa femme et de son fils, il leur infuse les vertus du livre et il reprend avec eux la routine de famille, un instant interrompue par les formalités de l'embaumement. Il peut entrer et sortir à son gré, reparaître au jour, revêtir toutes les formes qu'il lui convient revêtir, communiquer avec les vivants. Il laisse dormir son pouvoir, mais quand Satni l'a dépouillé, il n'hésite pas à l'éveiller et à user de lui énergiquement. Il délègue à Memphis sa femme Ahouri, et celle-ci, escortée des pions de l'échiquier qui deviennentautant de serviteurs pour la circonstance (1), se déguise en hiérodule pour séduire le voleur. Lorsqu'elle a réussi auprès de lui dans son œuvre de perdition, et qu'il gît sans vertu à sa merci, Nénoferképhtah se manifeste à son tour, d'abord sous la figure d'un roi, puis sous celle d'un vieillard, et il l'oblige à restituer le précieux manuscrit. Il pourrait au besoin tirer vengeance de l'imprudent qui a violé le secret de sa tombe, mais il se contente de l'employer à l'accomplissement de celui de ses désirs qu'un vivant seul peut exaucer: il le contraint de ramener à Memphis les momies d'Ahouri et de Maihêtqui étaient en exil à Coptos, et de réunir en un seul tombeau ceux que les rancunes de Thot avaient tenus séparés.
Voilà qui est égyptien et rien qu'égyptien. Si l'on persiste à prétendre que la conception originelle est étrangère, il faudra confesser que l'Egypte se l'est appropriée au point de la rendre sienne entièrement. On a signalé ailleurs des familles de spectres ou des assemblées de morts en rupture de cercueil; une famille de momies n'est possible qu'aux hypogées de la vallée du Nil. Après cela, l'apparition d'un revenantdans un fragment malheureusement trop court du Musée de Florence n'étonnera personne (2). Ce revenant ou, pour l'appeler par son nom égyptien, ce AAoM, ce /MmtHeua', fidèle à l'habitude de ses congénères, racontait son histoire, comme quoi il était né sous le propriétés bienfaisantes des mots dissous (Lane, Modern ~yp<Mn~, London, 1831, t. I, p. 34T-348).
(1) Cf. p. 145, n. 2 du présent volume.
(2) Publié par Golénicheff dans le Recueil de travaux t'c/a<t/~ à f~rchéologie égyptienne et M'~rtcnMc, 1881, t. III, p. 1 sqq. cfr. p. 295-299 du présent volume.

roi Râhotpou de la XVII' dynastie, et quelle vie il avait menée. Ses auditeurs n'avaient point l'air étonnés de le rencontrer si loquace ils savaient que le temps viendrait bientôt pour eux où ils seraient ce qu'il était, et ils comprenaient quelle joie ce devait être pour un pauvre esprit réduit depuis des siècles à la conversation des esprits, de causer enfin avec des vivants.
v
C'en est assez pour montrer avec quelle fidélité les récits populaires dépeignent les mœurs et les croyances de l'Ëgyptien en Egypte il est curieux de démêler dans d'autres contes les impressions de l'Egyptien en voyage. J'étonnerai bien des gens en avançant que, tout considéré, les Égyptiens étaient plutôt un peuple voyageur. On s'est en effet habitué à les représenter comme des. gens casaniers, routiniers, entichés de la supériorité de leur race au point de ne vouloir en fréquenter aucune autre, amoureux de leur pays à n'en sortir que par force. Le fait était peut-être vrai à l'époque gréco-romaine, bien que la présence des prêtres errants, des nécromants, des jongleurs, des matelots égyptiens, en différents points de l'Empire des Césars et jusqu'au fond de la Grande-Bretagne, montre qu'ils n'éprouvaient aucune répugnance à s'expatrier, quand ils y trouvaient leur profit. Mais ce qui était peut-être vrai de l'Egypte vieillie et dégénérée l'était-il également de l'Égypte pharaonique?
Les armées des Pharaons guerriers traînaient derrière elles des employés, des marchands, des brocanteurs, des gens de toute sorte les campagnes se renouvelant presque chaque année, c'étaient presque chaque année des milliers d'Égyptiens qui quittaient la vallée à la suite des conquérants et qui y revenaient pour la plupart l'expédition terminée (i). Grâce à ces exodes périodiques, l'idée du voyage entra si familière dans l'esprit de la nation, que les scribes n'hésitèrent, pas à en classer le thème parmi leurs exercices de style. L'un d'eux a consacré vingt pages de belle écriture à tracer l'itinéraire assez (1) Dès ta XII' dynastie, on trouve des allusions aux dangers des voyages lointains (Maspero, Du genre épisiolaire, p. 59-60).

exact d'une randonnée entreprise sous Ramsès Il à travers les provinces syriennes de l'empire (1). Les incidents habituels y sont indiqués brièvement le héros y affronte des forêts peuplées d'animaux sauvages et de bandits, des routes mal entretenues, des peuplades hostiles, des régions de montagnes où son char se brise. La plupart des villes qu'il visite ne sont qu'énumérées dans leur ordre géographique, mais quelques détails pittoresques interrompent çà et là les monotonies du dénombrement c'est la Tyr insulaire avec ses poissons plus nombreux que les grains de sable de la mer et ses bateaux qui lui apportent l'eau du rivage c'est Byblos et sa grande déesse, Joppé et ses vergers fréquents en séductions amoureuses. « Je « te ferai connaître le chemin qui passe par Magidi, car, toi, « tu es un héros habile aux œuvres de vaillance, trouve-t-on « un héros qui charge comme toi à la tête des soldats, un sei« gneur qui, mieux que toi, lance la flèche? Ty voilà donc sur « le bord d'un gouHre profond de deux mille coudées, plein K de roches et de galets, tu chemines tenant l'arc et bran« dissant le fer de la main gauche, tu le montres aux chefs « excellents et tu obliges leurs yeux à se baisser devant ta « main. « Tu es destructeur comme le dieu El, cher héros (2) « Tu te fais un nom, héros, maître des chevaliers d'Egypte, « devienne ton nom comme celui de Kazarati, chef du pays « d'Àsarou, alors que les hyènes le rencontrèrent au milieu des « halliers, dans le chemin creux, féroces comme les Bédouins « qui se cachent dans les taillis, longues quelques-unes de « quatre à cinq coudées, leur corps massif comme celui de « l'hippopotame, d'aspect féroce, impitoyables, sourdes aux « prières c. Toi, cependant, tu es seul, sans guide, sans troupe « à ta suite et tu ne trouves pas de montagnard qui t'indique « la direction que tu dois suivre, aussi l'angoisse s'empare de « toi, tes cheveux se dressent sur ta tête, ton âme passe tout (1) Le texte se trouve dans le Pap~'M! Anastasi t° pl. XVIII, 1. 3 pl. XXVUt, 1 6. Il a été analysé par Hincks, puis traduit et commenté par Chabas, Le Voyage et'Mm Égyptien, Paris, Maisonneuve, in-4", 1866. Chabas a cru que le voyage avait été entrepris véritablement H. Brugsch a montré, dans un article de la HeuM? CW~Mc, 1S66, qu'il n'avait rien de réel, et que le récit est un simple exercice de rhétorique.
(2) Ici commence un discours des chefs étrangers, intercalé dans le texte sans aucune indication que le mouvement de la phrase:

t: entière dans ta main, car la route est pleine de roches et de « galets, sans passage frayé, obstruée de houx, de ronces, « d'aloès, de Souliers de Chiens (1), le précipice d'un côté, la « montagne abrupte de l'autre. Tandis que tu y chemines, ton <f char cahote sans cesse et ton attelage s'effraie à chaque « heurt; s'il se jette de côté, il entraîne le timon, les rênes sont « arrachées violemment et on tombe; si, tandis que tu pousses « droit devant toi, le cheval arrache le timon au plus étroit du « sentier, il n'y a pas moyen de le rattacher, et, comme il n'y « a.pas moyen de le rajuster, le joug demeure en place et le « cheval s'alourdità à le porter. Ton cœur se lasse enfin, tu te « mets à galoper, mais le ciel est sans nuages, tu as soif, î'en« nemi est derrière toi, tu as peur, et, dès qu'une branche « d'acacia te happe au passage, tu te rejettes de côté, ton che« val se blesse sur l'heure, tu es précipité à terre et tu te « meurtris à grand'doulour. Entrant à Jappé, tu y rencontres « un verger fleuri en sa saison, tu fais un trou dans la haie « pour y aller manger; tu y trouves la jolie fille qui garde les a vergers, elle te prend pour ami et t'abandonne la fleur de son « sein. On t'aperçoit; tu déclares qui tu es et on reconnaît que « tu es un héros (2) ». Le tout formerait, sans peine, le canevas d'un roman géographique pareil à certains romans byzantins, les 2~/Kopt~MM d'Héliodore ou les ~MMMr~ de Clitophon et de ZeMCtppe.
11 n'y adonc point lieu de s'étonner si les héros de nos contes voyagent beaucoup à l'étranger. Ramsès II épouse la fille du prince de Bakhtan au cours d'une expédition, et Khonspu n'hésite pas à charger son arche sur un char pour s'en aller au loin guérir Bintrashit (3). Dans Le Prince prédestiné, un fils de Pharaon, s'ennuyant au logis, va courir l'aventure au Naharinna, en pleine Syrie du Nord (4). C'est dans la Syrie du Sud, à Jpppé,queThoutîyi trouve l'occasion de déployer ses qualités de soldat rusé (5). L'exil mène Sinouhît au Tonou supérieur (6). (1) Peut-être l'une des plantes épineuses appelées aujourd'hui encore J~Mah ou Omm e~-Xe~) par les Arabes d'Égypte et de Syrie. (2) Papyrus ~<M<~t m" 7, pl. XXII, 1. 1, pl. XXV, 1. 5, (3) Voir p. 183-191 du présent volume.
(4) Voir p. 196 sqq. du présent volume.
(5) Voir p. 115 sqq. du présent volume.
(6) Voir p. 81 sqq. du présent volume.

La peinture des mœurs manque presque partout, et aucun détail ne prouve que l'auteur connût autrement que de nom les pays où il conduisait ses personnages. L'homme qui a rédigé les Mémoires de Sinouhît avait ou exploré lui-même la région qu'il décrivait, ou consulté des gens qui l'avaient parcourue. Il devait avoir affronté le désert et en avoir ressenti les terreurs, pour parler comme il fait des angoisses de son héros « Alors « la soif elle fondit sur moi, je défaillis, mon gosier râla, et je a me disais déjà « C'est le goût de la mort », quand soudain c je relevai mon cœur et je rassemblai mes membres j'en« tendais la voix forte d'un troupeau ». Les mœurs des Bédouins ont été saisies sur le vif, et le combat singulier entre Sinouhit et le champion de Tonou est raconté avec-tant de fidélité, qu'on pourrait presque le donner pour le récit d'un combat d'Antar ou de Rebiâ. Il ne nous restait plus, pour compléter la série, qu'à trouver un roman maritime Golénicheff en a découvert deux à Saint-Pétersbourg (1). Les auteurs grecs et latins nous ont répété à l'envi que la mer était considérée comme impure par les Égyptiens et que nul d'entre eux n'osait s'y aventurer de son plein gré. Les modernes ont réussi pendant longtemps à se persuader, sur la foi des anciens, que l'Égypte n'avait jamais possédé ni matelots ni marine nationale le voyage d'exploration de la reine Hâtshopsouitou, les victoires navales de Ramsès Ill, auraient été le fait de Phéniciens combattant ou naviguant sous bannière égyptienne. Les romans de Saint-Pétersbourg nous contraignent de renoncer à cette hypothèse. L'un d'eux, celui d'Ounamounou, est le périple d'un officier que le grand-prêtre Hrihorou envoie acheter du bois sur la côte syrienne au xn"siècle avant notre ère (2). Les incidents y sont ceux qui survenaient dans la vie journalière des marchands ou des ambassadeurs, et l'ensemble du document laisse pour les croisières maritimes une impression analogue (1) Sur un ancien conte égyptien. Notice lue au Congrès des Orientalistes à Berlin par W. Golénicheff, 1881; voir la bibliographie complète aux pp. 104-122 du présent volume. Le second a été publié, pour la première fois, sous le titre Papyrus A:e)'a<t~ue de la Collection W. GoléntcAe~, contenant le voyage de l'Égyptien Ounou-Amon en Phénicie, dans ie Recueil de Travaux, t. XXI, p. 14-104 cfr. p. 214-230 du présent volume.
(2) Voir p. 214 sqq. du présent volume.

à celle que le Papyrus Anastasi n° I nous avait donnée des voyages de terre (1). Ce sont des mésaventures du genre de celles qu'on lit dans les relations du Levant au xvi° et au xvn' siècles, vols à bord, mauvaise volonté des capitaines de port, menaces des petits tyrans locaux, discussions et palabres interminables pour la liberté de partir et même pour la vie. Le second roman nous reporte à plus de vingt siècles plus loin, dans un temps où il n'était pas question pour l'Égypte de conquérir la Syrie. Les monuments nous avaient déjà fait connaître sous des rois de la VIe et de la XIe dynastie des expéditions maritimes au pays de Pouanît (2) le roman de Saint-Pétersbourg nous enseigne que les matelots auxquels les souverains de la XIIe confiaient la tâche d'aller acheter au loin les parfums et les denrées de l'Arabie étaient bien de race et d'éducation égyptiennes..
Mien n'est plus curieux que la mise en scène du début. Un personnage envoyé en mission revient après une croisière malheureuse où l'on dirait qu'il a perdu son navire. Un de ses compagnons, peut-être le capitaine du vaisseau qui l'a recueilli, l'encourage à se présenter hardiment devant le souverain pour plaider sa cause, et, afin de le rassurer sur les suites de la catastrophe, il lui raconte ce qui lui arriva en semblable occurrence. Le récit est construit sur le modèle des notices biographiques que les grands seigneurs faisaient graver sur les murs de leurs hypogées, ou des rapports qu'ils adressaient à leur maître après chaque mission remplie. Les phrases en sont celles-là mêmes que les scribes employaient lorsqu'ils avaient à rendre compte d'une affaire de service. « J'allai aux mines du « Souverain, et j'étais descendu en mer sur un navire de cent « cinquante coudées de long sur quarante de large, qui por« tait cent cinquante matelots de l'élite du pays d'Égypte, qui « avaient vu le ciel, qui avaient vu'la terre, et qui étaient plus « hardis de cœur que des lions (3) Le nomarque AmoniAmenemhaît, qui vivait à peu près au temps où notre ouvrage fut composé, ne parle pas autrement dans le mémoire qu'il (1) Voir plus haut, p. LXV-LXVII de cette /n<7'oa!Kc<Mn.
(2) Sous Pioupi II de la VI' dynastie (J. de Morgan, De la frontière d'Égypte à Kom-Ombo, p. 115-116) et sous Sânkhkarîya Monthotpou de la XI' (Lepsius, Denkm., II, pt. CL a).
(3) Cfr. p. 107 du présent volume.
e.

nous a laissé de sa carrière « Je remontai le Nil afin d'aller « chercher les produits des diverses sortes d'or pour la Majesté « du roi, Khopirkeriya; je le remontai avec le prince hérédi« taire, nls aîné légitime du roi, Amoni, v. s. f. je le remontai « avecun nombre de quatre cents hommes de toute l'élite de ses a soldats (1) ». Si, par une de ces mésaventures auxquelles l'égyptologie nous tient accoutumés, le manuscrit avait été déchiré en cet endroit et la fin perdue, nous aurions presque le droit d'imaginer qu'il contenait un morceau d'histoire, comme on a fait longtemps pour le Papyrus .Sauter M"/(2). Par bonheur, il est intact et nous y voyons nettement comment le héros passe sans transition du domaine de la réalité à celui de la fable. Une tempête coule son navire et le jette sur une île. Le fait n'a rien que d'ordinaire en soi, mais l'île à laquelle il aborde, seul d'entre ses camarades, n'est pas une île ordinaire. Un serpent gigantesque l'habite avec sa famille, serpent à voix humaine qui accueille le naufragé, l'entretient, le nourrit, lui prédit un heureux retour au pays, le comble de cadeaux au moment du départ. GolénichefF a rappelé à ce propos les voyages de Sindbad le marin (3), et le rapprochement une fois indiqué par lui s'est imposé de lui-même à l'esprit du lecteur. Seulement les serpents de Sindbad ne sont plus d'humeur aussi accommodante que ceux de son prédécesseur égyptien. Ils ne s'ingénient pas à divertir l'étranger par les charmes d'une causerie amicale ils l'avalent de bon appétit et s'ils l'approvisionnent de diamants, de rubis ou d'autres pierres précieuses c'est bien malgré eux, parce qu'avec toute leur voracité ils ne sont point parvenus à supprimer le chercheur de trésors.
Je ne voudrais pas cependant conclure de cette analogie que nous avons une version égyptienne du conte de Sindbad. Les récits de voyages merveilleux naissent naturels dans la bouche des matelots, et ils présentent nécessairement un certain nombre de traits communs, l'orage, le naufragé qui survit seul à tout un équipage, l'ile habitée par des monstres parlants,te retour inespéré avec une cargaison de richesses. Celui qui, (1) La Grande Inscription de Beni-Hassan, dans le Recueil de ï?'auaM.E relatifs à l'Archéologie égyptienne et assyrienne, 1.1, p. 112; cf. Mélanges de Mythologie, t. III, p. 149-185.
(2) Cfr. p. 288-294 de ce volume.
(3) Sur un ancien conte e~y~h'en, p. 14-18.

comme Ulysse, a fait un long voyage, a, par métier, la critique lâche et l'imagination inépuisable à peine s'est-il échappé du cercle où la vie ordinaire de ses auditeurs se meut, qu'il se lance à pleines voiles dans le pays des miracles. Le Livre des Merveilles de l'Inde (1), les Relations des marchands arabes (2), les Prairies d'or de Maçoudi apprendront aux curieux ce que des gens de bonne foi apercevaient à Java, en Chine, dans l'Inde, sur les côtes occidentales de l'Afrique, il y a quelques siècles à peine. Plusieurs des faits rapportés dans ces ouvrages ont été insérés tels quels dans les aventures de Sindbad ou dans les voyages surprenants du prince Séîf-el-molouk les Mille et une Nuits ne sont pas ici plus mensongères que les histoires sérieuses du moyen âge musulman. Aussi bien le bourgeois du Caire qui écrivit les sept voyages de Sindbad n'avait-il pas besoin d'en emprunter les données à un conte antérieur il n'avait qu'à lire les auteurs les plus graves ou qu'à écouter les matelots et les marchands revenus de loin, pour y recueillir à foison la matière de ses romans. L'Egypte ancienne n'aurait eu rien à envier de ce chef à la moderne. Le scribe, à qui nous devons le conte de SaintPétersbourg, avait les capitaines au long cours de son temps pour garant des balivernes étonnantes qu'il débitait. Dès la V" dynastie, et plus tôt même, on naviguait sur la mer Rouge jusqu'aux Pays des Aromates, sur lamer Méditerranée jusqu'aux îles de la côte asiatique les noms géographiques épars dans le récit indiquent que le héros dirige son voyage vers le sud. Il se rend aux mines de Pharaon l'autobiographie très authentique d'Amoni-Amenemhaît nous apprend qu'elles étaient situées en Éthiopie, dans la région de l'Etbaye actuelle, et qu'on les atteignait par la voie du Nil. Aussi le naufragé a-t-il soin de nous informer qu'après être parvenu à l'extrémité du pays des Ouaouaîtou, au sud de la Nubie, il a passé devant Sanmouît, c'est-à-dire devant l'île de Bigéh, à la première (1) Les Merveilles de r/~e, ouvrage arabe inédit du x' siècle, traduit pour la première fois, avec introduction, notes, index analytique et géographique, par Marcel Devic. Paris, A. Lemerre, MocccLxxviii, in-12. (2) Relation des !;o.a</M /a:<< par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine, dans <e IX* siècle de l'ère chrétienne. Texte arabe imprimé en 1811 par les soins de feu Langlès, publié par ;tf. Reinaud, membre de l'Institut. Paris, Imprimerie royale, 1845, 2 vol. in-18.

cataracte. Il a remonté le Nil, il est entré dans la mer, où une longue navigation a mené son navire jusque dans le voisinage du Pouanît, puis il est revenu en Thébaïde par la même voie (1). Un lecteur d'aujourd'hui ne comprend plus rien à cette façon de procéder il suffit cependant de consulter quelque carte du xvie et du xvu" siècle pour se représenter ce que le scribe égyptien a voulu dire. Le centre de l'Afrique y est occupé par un grand lac d'où sortent, d'un côté le Congo et le Zambeze, de l'autre le Nil (2). Les géographes alexandrins ne doutaient pas que l'Astapus et l'Astaboras, le Nil bleu et le Tacazzé, ne poussassent vers l'est des bras qui établissaient la communication avec la mer Rouge (3). Les marchands arabes du moyen âge croyaient qu'en suivant le Nil on gagnait le pays des Zindjes, après quoi l'on débouchait dans l'océan Indien (4). Hérodote et ses contemporains dérivaient le Nil du fleuve Océan (5). Arabes ou Grecs, ils n'avaient pas inventé cette conception ils répétaient la tradition égyptienne. Celle-ci à son tour a peut-être des fondements plus sérieux qu'on ne serait porté à lui en prêter de prime abord. La plaine basse et marécageuse où le Bahr el-Abiad s'unit aujourd'hui au Sobat et au Bahr-el Ghazâl était jadis un lac plus grand que le Nyanza Kéréwé de nos jours. Les alluvions l'ont comblé peu à peu, à l'exception d'un creux plus profond que le reste, qu'on appelle le Birket-Nou et qui se colmate de jour en jour (6), mais il devait encore être assez vaste au xvj* ou xvne siècle avant notre ère pour donner aux soldats et aux bateliers égyptiens l'idée d'une véritable mer ouverte sur l'Océan Indien.
L'île où notre héros abordé a-t-elle donc quelque droit à (1) Krman (~E~/y~m und Egyptisches Leben, p. 668) et Scbaefer (X)'M'~raM~M)an~'MnyMt<n' P.MMnte<tt M?tctS67(b!er<tM/<a!td Mn<er~pr:M, dans les B~h'ag'c zur /t«en GM<'A:c/t~. t. IV, pl. 162 et note 1) pensent que le retour seulement eut lieu par le Nil: le héros serait parti par la Mer Rouge.
(2) Cfr. la carte d'Odoardo Lopez reproduite par Maspero, dans son Histoire anct''n?;g des peuples de l'Orient classique, t. I. p. 2f. (S~Artemidore, dans Strabon, 1. XVII, p. ~0; cfr. Vivien de SaintMartin, le Nord de l'A/rique dans l'Antiquité, p. 226-268, 318. (4) Étienne Quatremëre, jU<o:?'M géographiques et historiques surl'Égypte et SM)' quelques contrées voisines, t. U, p. 181-182, d'après Maçoudi.
(5) Hérodote, II, xxt.
(6) Élisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, t. IX, p. 67 sqq.

figurer dans une géographie sérieuse du monde égyptien? On nous la dépeint comme un séjour fantastique dont il n'était pas donné à tous de trouver le chemin. Quiconque en sortait n'y pouvait plus rentrer elle se résolvait en vagues et elle s'enfonçait sous les flots. C'est un prototype lointain de ces terres enchantées, l'île de Saint-Brandan par exemple, que les marins de notre moyen âge apercevaient parfois parmi les brumes de l'horizon et qui s'évanouissaient quand on voulait en approcher. Le nom qu'elle porte est des plus significatifs à cet égard; c'est lie de double qu'elle s'appelle (1). J'ai déjà dit tant de fois ce qu'était le double (2), que j'hésite à en parler une fois de plus. En deux mots, le double est l'âme qui survit au corps et qu'il faut habiller, loger, nourrir dans l'autre monde une île de double est donc une île où l'âme des morts habite, une sorte de paradis analogue aux Iles Fortunées de l'antiquité classique. Les géographes de l'époque alexandrine la connais- saient, et c'est d'après eux que Pline (3) indique, dans la mer Rouge, une île des Morts, non loin de l'île Topazôn, qui se cache dans les brouillards (4) de la même manière que l'île du Double se dissimule au creux des vagues. Elle n'était même que le reste d'une terre plus grande, une Terre des Doubles que les Égyptiens de l'empire memphite plaçaient au voisinage du Pouanît et de la région des Aromates (5). Le serpent qui la gouverne est-il lui-même un double ou le surveillant de la demeure des doubles? Je pencherais d'autant plus volontiers vers cette seconde explication que, dans tous les livres sacrés, au Livre des morts, au Livre de savoir ce qu'il y a dans le monde (1) Erman l'appelle l'ile des provisions (Ze:~c/<, 1906, t. XLIII, p. 1415) et Golénicheff i'ite des génies, l'ile enchantée (Recueil de Travaux, t. XXVIII, p. 98).
(2) Maspero, E<M<.fe~~y~<e)t!!e!, t. I, p. 191-194.
(3) Pline, H. Nat. E. XXXVII, 9 <t Insula Rubri Maris ante Arabiam sita qusB JVfc''um vocetur, et in eâ quœ juxta gemmam topazion ferat ». Cfr. H. Na< VI, la mention de l'ile Topazôn, qui est identique à l'Ophiôdesd'Artémidore (dans .S'h-a<'on. 1. XVI, p. nO) et d'Agatharchide dans Diodore de Sicile, IH, xxxtx). Pline avait emprunté probablement à Juba la mention de cette ile des .~M-
(4) Cfr. Chassinat, Cd et là, § IH, dans le Recueil de Travaux, t. XVII, p. 53, et Maspero, Notes sur yt/e~uM points de grammaire et <fAM<0!re dans le Recueil de Travaux, t. XVII, p. ~6-~8.
(5) Elle est mentionnée dans l'inscription de Hirkhouf (Schiaparelli, Una tomba egiziana, p. 21, 33, 34; Maspero, Histoire ancienne, t. p. 19-20).

de la nuit, la garde des endroits où les âmes vivent est confiée le plus souvent à des serpents d'espèces diverses. Les doubles étaient trop ténus pour que l'ceil d'un vivant ordinaire les aperçût; aussi n'en est-il pas question dans le conte de SaintPétersbourg. Le gardien était pétri d'une manière plus solide, et c'est pourquoi le naufragé entre en relations avec lui. Lucien, dans son Histoire véritable, n'y met pas tant de façons à peine débarqué dans les Champs-Elysées, il lie commerce d'amitié avec les mânes et il fréquente les héros d'Homère. C'était afin n de mieux se moquer des romans maritimes de son temps; le scribe égyptien, qui croyait à l'existence des îles où résidaient les bienheureux, conformait les aventures de son héros aux règles de'sa religion.
N'était-ce pas en effet comme une pointe poussée dans le domaine de la théologie que ce voyage d'un simple matelot à l'7/e de Double? Selon l'une des doctrines les plus répandues, l'Egyptien, une fois mort, ne joignait l'autre monde qu'à la condition d'entreprendre une longue traversée. Il s.'embarquait sur le Nil, au jour même de l'enterrement, et il se rendait à l'ouest d'Abydos, où le canal osiriaque le conduisait hors de notre terre (1). Les monuments nous le montrent dirigeant luimême son navire et voguant à pleines voiles sur la mer mystérieuse d'Occident, mais sans nous dire quel était le but de sa course. On savait bien d'une manière générale qu'il finissait par aborder au pays qui mêle les hommes (2), et qu'il y menait une existence analogue à son existence terrestre; mais on n'avait que des notions contradictoires sur l'emplacement de ce pays. La croyance à la mer d'Occident est-elle une simple conception mythologique? Faut-il y voir un souvenir inconscient de l'époque très reculée à. laquelle les bas-fonds du désert libyen, ce qu'on appelle aujourd'hui les ~aAr-&e<d-H~, les fleuves sans eau, n'étaient pas encore asséchés et formaient en avant de la vallée une barrière de lacs et de marais? Quoi que l'on pense de ces questions, il me paraît certain qu'il y a entre le voyage du matelot à l'lle de double et la croisière du mort sur la mer d'Occident des rapports indiscutables. Le conte de Saint-Pétersbourg n'est guère que la transformation en donnée (1) Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 121 sqq.
(2) C'est l'expression même des textes égyptiens (Maspero, Études ~p<en))M, t. I, p. 135).

romanesque d'une donnée théologique. Il nous fournit le premier en date de ces récits où l'imagination populaire s'est complu à représenter un vivant admis impunément chez les morts c'est, à ce titre, un ancêtre très éloigné de la Divine Comédie. La conception première en est-elle égyptienne? Si par hasard elle ne l'était pas, il faudra;it avouer au moins que la manière dont elle a été traitée est conforme de tout point aux sentiments et aux mœurs du peuple égyptien.
L'avenir nous rendra sans doute d'autres débris de cette littérature romanesque. Plusieurs sont sortis de terre depuis la première édition de ce livre, et j'en sais d'autres qui sont cachés dans des musées de l'étranger ou dans des collections particulières dont l'accès ne m'a pas été permis. Les publications etles découvertes nouvelles nous forceront-elles à revenir sur les conclusions qu'on peut tirer de l'examen des fragments connus jusqu'à ce jour? Un égyptologue parlant en faveur de l'Égypte est toujours suspect de plaider pour sa maison il y a cependant quelques propositions que je pense pouvoir énoncer sans encourir le reproche de partialité. Un premier point que nul ne contestera, c'est que les versions égyptiennes sont parfois beaucoup plus anciennes que celles des autres peuples. Les manuscrits qui nous ont conservé le Conte des deux Frères et la Querelle d'Apôpi et de Sa~HouKr!, sont du xiv° ou du XIIIe siècle avant notre ère. Le Naufragé, le Conte fantastique de Berlin, les Mémoires de Sinouhît ont été écrits plusieurs centaines d'années plus tôt. Encore ne sont-ce là que des dates a MttHtma, car les papyrus que nous avons sont la copie de papyrus plus anciens. L'Inde n'a rien qui remonte à pareille antiquité, et la Chaldée qui, seule parmi les contrées du monde classique, possède des monuments contemporains de ceux de l'Egypte, ne nous a pas livré encore un seul roman. En second lieu, l'étude sommaire que j'achève en ce moment aura suffi, je l'espère, à convaincre le lecteur de la fidélité avec laquelle les contes dépeignent les mœurs de l'Égypte. Tout y est égyptien du commencement jusqu'à la fin, et les détails même qu'on a indiqués comme étant de provenance étrangère nous apparaissent purement indigènes, quand on les examine de près. Non seulement les vivants, mais les morts, ont la tournure particulière au peuple du Nil, et ils ne sauraient être confondus en aucune façon avec les vivants et les morts d'un

autre peuple. Je conclus de ces faits qu'il faut considérer l'Égypte, sinon comme un des pays d'origine des contes populaires, au moins comme un de ceux où ils se sont naturalisés le plus anciennement et où ils ont pris le plus tôt une forme vraiment littéraire. Je m'assure que de plus autorisés souscriront à cette conclusion

LES CONTES POPULAIRES DE
L'EGYPTE AN CI ENNE
LE CONTE DES DEUX FRÈRES (XIX" DYNASTIE)
Le manuscrit de ce conte, acheté en Italie par madame Élisabeth d'Orbiney, fut vendu par elle au British Museum en 1857 et bientôt après reproduit par Samuel Birch, dans les Select Fapt/W, t. II, pl. ix-xix (1860), in-folio. Une édition cursive de ce fac-similé couvre les pages 22-40 de l'~Eg~pMsc/te Chrestomathie de M. Leo Reinisch, Vienne, 1875, petit in-folio, et une copie très soignée en a été donnée par G. Moller, Hieratische Lesestücke, Leipzig, 1910, petit in-folio, t. II, p. 1-20. F. Ll. Griffith a revu soigneusement le texte sur l'original il a publié sa collation sous le titre de Notes on the Te.c< of the d'Orbiney Papyrus, dans les Proceedings of the Society of Biblical Archxology, t. VII, 1888-1889, p. 161-172 et 414-416.
Le texte a été traduit et analysé pour la première fois par E. de Rouge, Notice sur un manuscrit égyptien en écriture hiératique, ecn< sous le règne de Merienphtah, fils du grand Ramsès, vers le xve siècle avant l'ère chrétienne, dans l'Athénxum Français, numéro du samedi 30 octobre 1852, p. 280-284 (tirage à part chez Thunot, 1852, in-12", 24 pp.), et dans la Revue archéologique, 1~ série, t. VIII, p. 30 sqq. (tirage à part chez Leleu, 1852, in-8", 15 pp. et pi.); ce mémoire a été republié dans les OEM~rM DmersM, t. II, p. 303-319. Depuis lors des analyses et des transcriptions et traductions nombreuses en plusieurs langues ont été données par
1

C.-W. Goodwin, Hieratic Papyri, dans les Cambridge Essays, 1858, p.332-239.
Mannhardt, das atteste Marchen, dans la Zeitschrift ~Mr Deutsche Mythologie und StMe~tMnde, 18S9.
Birch, Select Papyri, part. II, London, 1860, Text, p. 7-9. Lepage-Renouf, On the Decypherment and Interpretcation of dead Languages, London, 1863, in-80; reproduit dans The L:e-WorA of Sir Peter Lepage-Renouf, l"série, t. I, p. 116-133.
Chabas, Étude analytique d'un texte di/~e:'<e, dans les Mélanges Égyptologiques, 2~ série, 1864, p. 182-230.
Brugsch, Aus dent Orient, 1864, p. 7 sqq.
Ebers, ~</p(e~ MHd die Bücher Moses, in-8°, 1' éd., 1868, p. 311316.
Vladimir Stasow, Drewnéjsaja powest wmiré « Roman dt~Mc/t 6)'a<;eM) t Le plus aMCMn conte du Monde, le Roman des deux Fro-es) dans la Revue Westnik Jewropi (les Messagers d'Europe), 1868, t. V, p. 702732.
Maspero, Le Conte des deux Frères dans la Revue des Cours littéraires, 1871, numéro du 28 février, p. 780 sqq.
Lepage-Renouf, The Tale of the Two Brothers, dans les Records of the Past, ire série, t. Il, p. 137-152; cf. ses Parallels in Folklore, dans les Proceedings of the Society of Biblical ~treA~o~og'y, t. XI, p. 177-189, reproduits dans The Life-Work, t. III, p. 311-327. Maspero, Conte des deux Frères, dans la Revue archéologique, 2" série, XtX' année (mars 1878). Tirage à part, chez Didier, Paris, in-8°, 16 p. reproduit dans les Mélanges de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. 111, p. 43-66.
Chabas, le Conte des deux Frères, dans le Choix de textes égyptiens, publié après sa mort par M. de Horrack, Paris, 1883, in-8°, p. 8 sqq., reproduit dans les OEuvres diverses, t. V, p. 424-438.
E.-M. Coemans, Manuel de la langue égyptienne, 1887, t. I, p. 95120.
W-N. GroS', Étude sur le Papyrus d'Orbiney, Paris, Leroux, 1888, in-4", 84-111 p., et Quelques Observations sur mon Étude sur le Papyrus d'Orbiney, Leroux, 1889, in-4", VIII p.
Ch.-E. Moldenke, The Tale o/ the two Brothers. A fairy tale of ancient Egypt, 6e~ the d'Orbiney Papyrus in hieratic character in the British Museum; to which is added the hieroglyphic transcription, a glossary, critical notes, etc. New-York, 1888-1893, in-8°. E.-W. Budge, EgyptianReading Book, Inédit. Londres, Nutt, 1888, in-8°, p. xi et 1-25; ne contient que la transcription du texte en hiéroglyphes.
W. Flihders Petrie, Egyptian Tales, 1895, t. I!, p. 36-86. Ch.-E. Moldenke, The Oldest Fairy Tale translated /Mm the Pa-

pyrus d'Orbiney, with Notes, dans les TrattMcMons of the Wenc~en Scientific Association, Meriden, 1895, in-8°, t. VII, p. 33-81. Karl Piehl, BM satKm~s Saga dans Bilder fran E</?/pteK, 1896, in-80. F. LI. Griffith, Egyptian Literature dans Specimen Pages of the World's best Literature, New-York, 1898, in-8", p. 5253-5262. D. A. Speransky, lz literatury Dpewnjago Jegypta, Wipuski Razskaz o divuch bratjach (Le Conte des deux Frères), Saint-Pétersbourg, 1906, in-8°, 264 p.
A. Wiedemann, AH~yph'M/te Sagen und AfarcAen, Leipzig, 1906, petit in-8", p. S8-77.
Le manuscrit renferme dix-neuf pages de dix lignes, les cinq premières assez mutilées. Quelques lacunes ont été remplies par l'un des possesseurs modernes elles ont été signalées sur le facsimilé. Le livre portait, à deux reprises, le nom de son propriétaire antique, Se<OM: ~<tMtepA<a/t, qui régna plus tard sous le nom de S~<OMt Il. Au verso de l'un des feuillets, un contemporain, peut-être S~OMt lui-même, a tracé le mémorandumsuivant (cfr. W. Spiegelberg, /{ecAnM?MyeK, p. 41, n. 8)
Grands pains. 17
Pains de seconde qualité 50
Pains de temple 68
Le manuscrit sort de l'officine du scribe Ennana, à laquelle nous devons plusieurs autres éditions d'ouvrages classiques, entre autres le Papyrus Anastasi IV, et qui était en pleine activité sous les règnes de RamsèsH, de Ménéphtah, et de Sêtoui IJ; il a plus de trois mille ans d'existence.
11 y avait une fois deux frères d'une seule mère et d'un seul père (1) Anoupou (2) était le nom du grand, tandis (1) La polygamie était permise, bien qu'elle ne fût pas toujours pratiquée par les simples particuliers. Souvent, un riche personnage, après avoir eu des enfants d'une femme légitime ou d'une concubine, la donnait en mariage à quelque subordonne qui en avait des enfants à son tour il n'était donc pas inutile de-dire, en nommant deux. frères, qu'ils étaient < d'une seule mère et d'un seul père La préséance accordée ici à la mère sur le père était de droit commun en Égypte nobles ou roturiers, chacun indiquait la filiation maternelle de préférence à la paternelle. On s'intitulait «Sanouosrit, né de la dame Mankhouit », ou bien a Sésousrîya. né de la dame Ta-Amon 0, et on négligeait le plus souvent de citer le nom du père.
(2) Forme originelle du nom divin dont les Grecs et les Latins ont fait Anoubis, Anubis.

que Baiti (1) était le nom du cadet. Or Anoupou, lui, avait maison, avait femme, mais son frère cadet était avec lui ce qu'il en est d'un cadet. C'était lui qui fabriquait les étoffes, tout en allant derrière ses bestiaux aux champs (2), c'était lui qui faisait les labours, c'était lui qui battait le grain, lui qui exécutait tous les travaux des champs; car ce petit frère était un ouvrier excellent, et il n'y avait point son pareil dans la Terre-Entière (3), mais le germe de tout dieu était en lui. Et après beaucoup de jours ensuite de cela (4), lorsque le frère cadet était derrière ses vaches, selon sa coutume de tous les jours, il venait à sa maison ,chaque soir, chargé de toutes les herbes des champs, ,ainsi qu'on fait quand on revient des champs; il les déposait devant son grand frère, qui était assis avec sa femme, il buvait, il mangeait, il dormait dans son étable, avec ses vaches, chaque jour (5). Et quand la terre (i) Baiti, Bêti, Bouti, est le nom d'un Dieu très ancien à double tête de taureau (cf. /7:o~Mc<to~, p. xix-xx), que la chronique indigène avait transformé en un roi des temps antérieurs à Menés les Grecs ont connu ce souverain mythique sous le nom de Boutès ou Boutis, Bytis. (2) Les fellahs filent aujourd'hui encore tout en menant paître leurs bestiaux; c'est à une habitude de ce genre que ce passage fait allusion. (3) L'Égypte était divisée en deux moitiés (Pas/tOM'), en deux terres (taoui), dont chacune était censée former un pays distinct, celui du nord (<o-!?)OM't) et celui du sud (<o-st ou ï'o-tan!<!H). La réunion de ces deux contrées s'appelait tantôt pftmaM, la terre noire, tantôt T'ot'ze?'OM/ la Terre-Entière.
(4) 11 ne faut pas prendre cette transition à la lettre. Beaucoup de jours après cela o n'implique pas nécessairement un laps de temps considérable c'est une formule sans valeur certaine, dont on se servait afin d'indiquer qu'un évènement était postérieur à un autre. Pour marquer le passage d'aujourd'hui à demain, on disait « Quand la terre s'éclaira, et quun second jour fut D pour aller au-delà du lendemain on ajoutait « Beaucoup de jours après cela
(5) Dans les tableaux agricoles, on voit souvent le bouvier qui pousse ses boeufs devant lui, d'où l'expression « marcher, aller derrière les bœufs D, pour < conduire les bœufs t. Il porte sur les épaules une sorte de bât, analogue à la bricole de nos porteurs d'eau, et d'où pendent, tantôt des couffes remplies de foin ou d'herbe, comme c'est le cas pour Baiti, tantôt des cages qui renferment un lièvre, un hérisson, un faon de gazelle, une oie, un animal quelconque attrapé pendant la journée.

s'éclairait et qu'un second jour était, dès que les pains étaient cuits, il les mettait devant son grand frère, et celui-ci lui donnait des pains pour les champs. Il poussait ses vaches pour les faire manger aux champs, et tandis qu'il allait derrière ses vaches, elles lui disaient « Elle « est bonne l'herbe, en tel endroit » or, lui, il écoutait tout ce qu'elles disaient, il les menait au bon herbage qu'elles souhaitaient. Elles donc, les vaches qui étaient avec lui, elles devenaient belles, beaucoup, beaucoup, elles multipliaient leurs naissances, beaucoup, beaucoup (1). Et une fois, à la saison du labourage, son grand frère lui dit « Prépare-nous notre attelage pour nous mettre a à labourer, car la terre est sortie de l'eau (2) et elle est « bonne à labourer. Toi donc, va-t'en au champ avec les « semences, car nous nous mettrons à labourer demain « matin » ainsi lui dit-il, et son frère cadet fit toutes les choses que son grand frère lui avait dites quantes elles furent. Lorsque la terre s'éclaira et qu'un second jour fut, ils allèrent aux champs avec leur attelage pour se mettre à labourer, et leur cœur fut joyeux beaucoup, beaucoup, de leur travail, et ils n'abandonnèrent pas l'ouvrage. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, tandis qu'ils étaient aux champs et qu'ils houaient, le grand frère De retour au logis, le bouvier déposait son faix devant le maître celuici est représenté tantôt debout, tantôt assis sur un fauteuil à côté de sa femme, comme Anoupou dans notre roman. La même expression, et quelques autres éparses au cours du récit, se retrouvent mot à mot dans les textes des peintures d'El-Kab, où sont reproduites des scènes de labourage (Lepsius, Dem/t7M.s~, IH, bl. 10, etMaspero, Notes sur différents p<w:<s de Grammaire et d'/jt~fwe, dans la ~et<iic/t)'t/'< /M'' ~~yp<!seAe S~jc/ie, 18'!9, p. 58-63).
(1) Toute cette partie n'était pas aussi invraisemblable aux Égyptiens qu'elle l'est pour nous (cf. /?!<t'o'/ttc<t<M, p. XLvm). Nous verrons, dans un fragment de conte fantastique qui sera donné plus loin (cf. p. 283-287), que le bon berger devait être quelque peu magicien pour protéger ses bêtes l'auteur du Conte f/es deux Ft'o'eï s'est donc borné à douer Baiti d'un peu plus de science que les bouviers ordinaires n'en possédaient. (2) C'est une allusion au retrait de l'inondation.

dépêcha son frère cadet, disant « Cours, apporte.nous « les semences du village! » Le frère cadet trouva la femme de son grand frère qu'on était occupé à coiffer (1). H lui dit « Debout! donne-moi des semences, que je « coure aux champs, car mon grand frère a dit en m'en« voyant Point de paresse 1 » Elle lui dit « Va, ouvre « la huche (2), toi, emporte ce qu'il te plaira, de peur que « ma coiffure ne reste inachevée a. Le gars entra dans son étable, il emporta une grande jarre, car son intention était de prendre beaucoup de grains, il la chargea de blé et d'orge et il sortit sous le faix. Elle lui dit « Quelle « est la quantité qui est sur ton épaule ? » II lui dit « Orge, « trois mesures, froment, deux mesures, total, cinq, voilà « ce qu'il y a sur mon épaule ». Ainsi lui dit-il, mais elle, elle lui adressa la parole, disant « II y a grand prouesse « en toi, et j'observe tes forces chaque jour (3)! » Et son cœur l'accointa comme on accointe un gars (4). Elle se leva, elle le saisit, elle lui dit « Viens reposons « ensemble, une heure durant! Si tu m'accordes cela, .« certes, je te fais deux beaux vêtements ». Le gars devint comme un guépard du midi en rage grande, à cause des vilains propos qu'elle lui disait, et elle eut peur beaucoup, (1) La coiuure des Égyptiennes se composait ordinairement de petites tresses très minces et très nombreuses il fallait plusieurs heures pour la mettre en ordre, et, une fois faite, on ne devait la renouveler qu'après un intervalle de plusieurs jours, ou même de plusieurs mois, comme aujourd'hui encore celle des femmes nubiennes.
(2) ti s'agit probablement ici de ces huches en terre battue qui sont figurées sur les tables d'offrandes anciennes en forme de maisons paysannes, et qui sont encore d'usage dans l'Égypte entière. (3) Les cinq mesures de grains représentent une capacité de 368 litres, c'est-à-dire une charge d'environ 216 kilogrammes. Nos forts de la halle portent une charge moyenne de 200 kilogrammes, et ils vont rarement jusqu'à 276 kilogrammes (Chabas, Recherches ~Mf les pot'/i, mesKt'M et ?Kun!t<M r/ex ~nc:Mt~ Égyptiens, p. 9, 11). Baiti était donc d'une force peu commune et qui justifie l'admiration de la dame.
(4) Le texte donne littéralement « Son cœur le connut en connaissance de jeune homme

beaucoup. Il lui adressa la parole, disant « Mais certes, « tu es pour moi comme une mère mais ton mari est pour « moi comme un père mais lui, qui est mon aîné, c'est « lui qui me fait vivre Ah cette grande horreur que tu « as dite, ne me la dis pas de nouveau; et moi je ne la « dirai à quiconque, et je ne la laisserai échapper de ma « bouche pour personne ». II chargea son faix, il s'en alla aux champs. Quand il fut arrivé auprès de son grand frère, ils se mirent à travailler de leur travail. Et après cela, sur le moment du soir, tandis que le grand frère retournait à sa maison, et que le frère cadet était à la suite de ses bestiaux, chargé de toutes les choses des champs, et qu'il menait ses bestiaux devant lui pour les faire coucher dans leurs étables au village (1), comme la femme du grand frère avait peur des propos qu'elle avait dits, elle prit de la graisse, un chiffon, et elle s'accoutra comme qui a été roué de coups par un malfaiteur (2), afin de dire à son mari « C'est ton frère cadet « qui m'a rouée de coups ». Quand donc son mari revint au soir, selon son habitude de chaque jour, en arrivant à sa maison, il trouva sa femme gisante et dolente comme de violence; elle ne lui versa point l'eau sur les mains selon son habitude de chaque jour, elle ne fit pas la lumière devant lui, mais sa maison était dans les ténèbres et elle gisait toute souillée. Son mari lui dit « Qui donc a parlé « avec toi? Voilà qu'elle lui dit « Nul n'a parlé avec « moi, outre ton frère cadet. Lorsqu'il vint prendre pour « toi les semences, me trouvant assise toute seule, il me (1) Le frère aîné, maître de la ferme, rentre directement chez lui, son travail une fois terminé. Le cadet, simple valet de ferme, doit encore se charger d'herbe et ramener les bestiaux à l'étable; il marche donc plus lentement. et il n'arrive à la maison que longtemps après l'autre. La femme a ainsi tout le temps de raconter une fausse histoire et d'exciter son mari contre son beau-frère.
'2) Elle se frotta de graisse pour simuler les traces luisantes et les meurtrissures que les coups laissent sur la chair humaine.

« dit « Viens, toi, que nous reposions ensemble une « heure durant; revêts tes beaux vêtements H. Il me parla « ainsi, et moi, je ne l'écoutai point « Mais ne suis-je « pas, moi, ta mère ? car ton grand frère n'est-il pas pour « toi comme un père? » Ainsi lui dis-je. Il eut peur, il me « roua de coups pour que je ne te fisse point de rapport. « Si donc tu permets qu'il vive, je me tuerai; car, vois, « quand il reviendra, le soir, comme je me suis plainte de « ces vilaines paroles, ce qu'il fera est évident ». Le grand frère devint comme un guépard du midi (1) il donna du fil à son couteau, il le mit dans sa main. L'aîné se tint derrière la porte de son étable, afin de tuer son frère cadet, lorsque celui-ci viendrait, au soir, pour faire entrer ses bestiaux à l'étable. Et quand le soleil se coucha, et que le frère cadet se chargea de toutes les herbes des champs, selon son habitude de chaque jour, et qu'il vint, la vache de tête, à l'entrer dans l'étable, dit à son gardien « Voici ton grand frère qui se tient devant « toi, avec son couteau, pour te tuer; sauve-toi devant « lui! » Quand il eut entendu ce que disait sa vache de tête, la seconde, entrant, lui parla de même il regarda par-dessous la porte de son étable, il aperçut les pieds de son grand frère qui se tenait derrière la porte, son couteau à la main (2), il posa son faix à terre, il se mit à courir de toutes ses jambes, et son grand frère partit à la poursuite avec son couteau. Le frère cadet cria vers Phrâ-Harmakhis (3), disant « Mon bon maître, c'est toi (1) C'est l'expression consacrée et presque banate pour dire qu'un homme ou un souverain se met en colère Ramsès U ou l'Éthiopien Paënékhi s'emportent co~nte un gM~ard du ~t! ni plus ni moins que Baiti.
(2) Le bas de la porte égyptienne ne touchait presque jamais le seuil dans la plupart des tableaux où une porte est représentée, on aperçoit un vide assez considérable entre le battant et la ligne de terre. (3) Les Égyptiens nommaient le soleil Raiya, Riya, d'où nous avons faitRa., et, avec l'article masculin, Prâ ouPhrâ.. Harmakhouiti était Horus

« qui juges l'inique du juste » Et Phrâ entendit toutes ces plaintes, et Phrâ fit paraître une eau immense entre lui et son grand frère, et elle était pleine de crocodiles, et l'un d'eux se trouva d'un côté, l'autre de l'autre, et le grand frère par deux fois lança sa main pour le frapper, mais il ne le tua pas; voilà ce qu'il fit. Son frère cadet le héla sur la rive, disant « Reste là jusqu'à ce que la terre « blanchisse. Quand le disque du soleil se lèvera, je plai« derai avec toi devant lui, afin que je rétablisse la vérité, « car je ne serai plus avec toi jamais, je ne serai plus « dans les lieux  tu seras j'irai au Val de l'Acacia (1) » Quand la terre s'éclaira et qu'un second jour fut, PhrâHarmakhis s'étant levé, chacun d'eux aperçut l'autre. Le gars adressa la parole à son grand frère, lui disant « Pourquoi viens-tu derrière moi afin de me tuer en « fraude, sans avoir entendu ce que ma bouche avait à dans les deux horizons, c'est-à-dire le Soleil dans sa course diurne, allant de l'horizon du matin à l'horizon du soir. Les deux formes de Râ et d'Harmakhouîti, différentes à l'origine, s'étaient confondues depuis longtemps à l'époque où le Conte des deux Frères fut écrit, et l'expression PhràHarmakhouiti était employée comme simple variante de Phrâ ou de Râ dans le langage courant. D'Harmakhouîti, les Grecs ont fait Harmakhis; Harmakhis était personnifié dans le grand Sphinx de Gizéh, près des Pyramides.
(1) Le nom que je traduis acac!~ avait été traduit cèdre pendant longtemps. Loret voulait qu'il s'agît du pin, et Spiegelberg a proposé plus récemment le sens de C!/p)'e~ (Tiec/t'iM~en, p. 54 sqq., et die BauinM/t' ~n~no~/t~' 7/7, dans le /i<;ctfei7, t. XX, p. 52). Le Val de l'Acacia. du Cèdre, du Pin, ou du Cyprès, parait être en rapport avec la Vallée funéraire où Amon, le dieu de Thèbes allait en visite chaque année, afin de rendre hommage à son père et à sa mère, qui passaient pour y être enterrés Virey même, généralisant l'hypothèse (la /<e/OM de l'Ancienne Égypte, p. 194-197), a cru qu'il était l'autre monde, l'Au.'entît qui communique en effet avec l'Égypte par le Nil. Lefébure, trompé par la traduction courante Val du Cèdre, le plaçait au pays des cèdres, en Phénicie (QEM<;?-~ diverses, t. I, p. 163;, ce qui lui fournissait un point de concordance nouveau entre l'histoire de Baiti et la légende gréco-égyptienne d'Osiris. En réalité, le Val était situé, comme on le verra plus tard (cf. p. 13 du présent volume), sur les bords du Nil (iaoumd), sans doute près de l'endroit où le fleuve descendait du ciel dans notre monde.

« dire ? Mais moi, je suis réellement ton frère cadet 1 Mais « toi, tu m'es comme un père Mais ta femme m'est comme « une mère, n'est-il pas vrai? Or, quand tu m'eus envoyé « pour nous apporter des semences, ta femme m'a dit « Viens, passons une heure, couchons-nous a, et voici, cela « a été perverti pour toi en autre chose ». Il lui fit donc connaître tout ce qui s'était passé entre lui et la femme. Il jura par Phrâ-Harmakhis, disant « Toi, venir derrière « moi pour me tuer en fraude, ton poignard à la main, en « trahison, quelle infamie » II prit une serpe à couper les roseaux, il se trancha le membre, il le jeta à l'eau où le silure trembleur le dévora (1), il s'affaissa, il s'évanouit. Le grand frère en maudit son cœur beaucoup, beaucoup, et il resta là à pleurer sur lui; il s'élança, mais il ne put passer sur la rive où était son frère cadet, à cause des crocodiles. Son frère cadet le héla, disant « Ainsi, tandis que tu te « figurais une action mauvaise, tu ne t'es pas figuré une « seule des actions bonnes ou même une seule des choses « que j'ai faites pour toi Ah va-t'en à ta maison, soigne « toi-même tes bestiaux, car je ne demeurerai plus à l'en« droit où tu es, j'irai au Val de l'Acacia. Or, voici ce que « tu feras pour moi, quand tu seras retourné à tes affaires « car, apprends-le, des choses vont m'arriver. J'arracherai <[mon cœur par magie afin de le placer sur le sommet de <[ la fleur de l'Acacia; et, lorsqu'on coupera l'Acacia et (1) Selon la légende, Osiris, après avoir été coupé en morceaux par Typhon, avait été jeté au Nil tous les poissons avaient respecté les débris du dieu, sauf l'oxyrrhynque qui dévora le membre. Le scribe qui écrivit le Conte des deux Frères substitua le nom d'un autre poisson, celui de l'oxyrrhynque, sans doute par respect. Ce poisson, qui est représenté à plusieurs reprises sur les parois du tombeau de Ti, s'appelait naroM; on le reconnaît aisément aux barbillons dont le pourtour de sa bouche est hérissé et à la forme convexe de sa nageoire caudale. C'est, comme le prouve la comparaison des dessins antiques avec les planches de la DMe<<:o?t de ~<~p(c (Poissons <~M Nil, pl. 12, fig. 1-4), le malaptère électrique ou silure trembleur (Oe~c'p<!0?:, t. XXIV, p. 299 sqq.).

« que mon cœur sera tombé à terre, tu viendras le chercher. « Quand tu passerais sept années à le chercher, ne te « rebute pas, mais, une fois que tu l'auras trouvé, mets-le « dans un vase d'eau fraîche (1); certes je vivrai de « nouveau, je rendrai le mal qu'on m'aura fait (2). Or, tu « sauras qu'il m'arrive quelque chose; lorsqu'on te mettra « une cruche de bière dans la main et qu'elle jettera de « l'écume on t'en donnera une autre de vin et elle se trou« blera. Ne demeure pas en vérité, après que cela te sera « arrivé ». Il s'en alla au Val de l'Acacia, et son grand frère retourna à sa maison, la main sur sa tête, barbouillé de poussière (3). Lorsqu'il fut arrivé à sa maison, il tua sa femme, il la jeta aux chiens (4), et il demeura en deuil de son frère cadet.
Et après beaucoup de jours ensuite de cela, le frère cadet, étant au Val de l'Acacia sans personne avec lui, employait la journée à chasser les bêtes du désert, et il venait passer la nuit sous l'Acacia, au sommet de la fleur duquel son cœur était placé. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, il se construisit de sa main, dans le Val y de l'Acacia, une ferme remplie de toute bonne chose, afin ` de se monter une maison. Comme il sortait de sa ferme, il ° rencontra la Neuvaine des dieux (5) qui s'en allait régler (1) La libation d'eau fraîche est indispensable aux morts sans elle, d ils ne peuvent revivre. Encore à l'époque ptolémaïque, les Égyptiens hellénisesaffirmaient, dans leurs épitaphes en langue grecque, qu'Osiris leur avait donné sous terre l'eau fraîche
(2) Litt. « Je rendrai réponse à ce qui est transgressé x.
(3) Une des marques de douleur les plus fréquentes en Égypte comme dans le reste de l'Orient; on ramassait des poignées de poussière et de boue afin de s'en barbouiller le visage et la tête. Un tableau d'une tombe de Thèbes, reproduit par WUkinson (~an~e~ and CMj/o~ 2' édit., t. III, pl. LXVIH), nous montre la famille et les amis du mort se souil.lant de la sorte en présence de la momie.
(4) Ce même trait se retrouve dans le Conte ~Sa~i-~A~~oM où Tboubouî fait jeter les enfants du héros en bas de la fenêtre aux chiens et « aux chats, et ceux-ci en mangèrent les chairs D (cfr. p. 149). (5) Les dieux cosmogpniques de l'antique Égypte formaient un ensemble

les affaires de leur Terre-Entière (1). La Neuvaine des dieux parla tous ensemble et elle lui dit « Ahl Baîti, « taureau de la Neuvaine des dieux (2), n'es-tu pas ici « seul, pour avoir quitté ton pays devant la femme « d'Anoupou, ton grand frère ? Voici, sa femme est tuée, <[ et tu lui as rendu tout ce qui avait été fait de mal contre «toi ». Leur cœur souffrit pour lui beaucoup, beaucoup, et Phrâ-Harmakhis dit à Khnoumou (3) « Oh! fabrique une « femme à Baîti, afin que tu ne restes pas seul (4) ». Khnoumou lui fit une compagne pour demeurer avec lui, qui était belle en ses membres plus que toute femme qui théorique de neuf personnes divines, qu'on appelait psit ou ;MOMi<KOK<trou, « l'Enneade, la neuvaine des dieux o, ou pour employer un terme plus vague, le Cycle des dieux. Cette Ennéade, dont chaque personne peut se décomposer en un nombre infini de formes secondaires, présidait à la création et à la durée de l'univers, telle que certaines écoles sacerdotales l'avaient conçue. D'autres textes nous apprennent que les dieux descendaient parfois sur la terre afin de s'y promener; le 25 Paophi, par exemple, on était exposé à les rencontrer sous forme de taureau (Chabas, le Ca~t<~)':frt~oM~ fastes et n<<)i<M, p. 43).
(1) C'est-à-dire <t De l'Égypte D. Cf. plus haut, p. 4, note 3. (2) L'épithète de c Taureau est au moins bizarre, appliquée à un eunuque. On ne doit pas oublier cependant que Baiti est une forme populaire du dieu à double tête de taureau (cf. Introduction, p. xix-xx. note 1; sa mésaventure, tout en lui enlevant sur la terre la puissance virile, ne l'empêche pas, comme dieu, de garder ses facultés prolifiques. De même, dans une des variantes de la légende, Osiris, mort et mutilé, se réveille pour féconder Isis et devient le père d'Horus.
(3) Le nom de Khnoumou signifie le Mode/eur, et l'on disait que le.dieu avait MO'/e~ t'œuf ou lu. matière du monde sur un tour à potier. Khnoumou, qui était avant tout un dieu local, celui d'Éléphantine et du pays dela première Cataracte, était donc un dieu cosmique, et l'on comprend pourquoi l'Ennéade divine le choisit aiin de fabriquer une femme à Batti il la pétrit, la modèle du limon de la terre. Nous verrons plus loin (p. 38 sqq.), par le Conte de K/tOM/b:<t. qu'il assistait aux accouchements, et les tableaux bien connus des temples de Déir-eI-Babari et de Louxor nous apprennent qu'après'ia fécondation, c'était lui qui fabriquait sur son tour à potier le corps et le double de l'infant it le Mode/a!< dans le sein de la mère, et il lui donnait la forme définitive après la naissance. (4) Cette phrase renferme un brusque changement de personne. Dans la première partie, Phra s'adresse â Khnoumou et lui dit Fabrique une femme à Baiti dans la seconde, il se tourne brusquement vers Baiti et lui dit « Afin que tu ne sois plus seul t.

est en la Terre-Entière, car le germe de tous les dieux était en elle. Les Sept Hâthors (1) vinrent la voir et elles dirent d'une seule bouche « Qu'elle meure la mort du « glaive! » Baîti la désirait beaucoup, beaucoup comme elle demeurait dans sa maison, tandis qu'il passait le jour à chasser les bêtes du désert afin de les déposer devant elle, il lui dit « Ne sors pas dehors, de peur que le « fleuve (2) ne te saisisse; tu ne saurais te délivrer de lui, « car tu es une femme tout bonnement. Quant à moi, mon « cœur est posé au sommet de la fleur de l'Acacia et si un « autre le trouve, il me faudra me battre avec lui ». H lui révéla donc tout ce qui concernait son cœur (3). Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Baiti étant allé à la chasse, selon son habitude de chaque jour, comme la damoiselle était sortie pour se promener sous l'Acacia qui était auprès de sa maison, voici, elle aperçut le fleuve qui tirait ses vagues vers elle, elle se prit à courir devant lui, elle entra dans sa maison. Le fleuve cria vers l'Acacia, disant « Que je m'empare d'elle 1 » et l'Acacia livra une tresse de ses cheveux. Le fleuve la porta en Égypte, il la déposa au douet des blanchisseurs de Pharaon, v. s. f. (4). L'odeur de la boucle de cheveux se mit (1) Les Sept Hâthors jouent ici le même rôle qu'ont les fées marraines dans nos contes de fées. Elles reparaissent au début du Conte f/M Prince Pre~M'toe, ainsi qu'on le verra plus loin p. 197-198..
(2) Les Égyptiens anciens appelaient le Nil la Mer (iaoumd), comme les Égyptiens modernes (Aa/f) on retrouvera l'expression dans le premier Conte de .S<i!-A~<~OM, p. ~33, note 2, du présent volume. (3) Littéralement t il lui ouvrit son cœur en toute sa forme o. (4) Pharaon est une forme hébraïsée, puis grécisée, du titre Para~OM a la double Grande maison qui sert à désigner tous les rois. Si le souverain était la double ~fa't'~e tnaison et non pas simplement la grande maison, cela tient à ce que l'Égypte était divisée de temps immémorial en deux terres (cf. p. 4, note 3) comme le roi était un double roi, le roi de l'Egypte du Nord et le roi de l'Égypte du Sud, sa maison était une double maison pour répondre à chacune des deux personnes dont il se composait. V. s. f. est l'abréviation de la formule Vie, san force, qui suit toujours le nom d'un roi ou un titre royal.

dans le linge de Pharaon, v. s. f. et l'on querella les blanchisseurs de Pharaon, v. s. f., disant « Odeur de pom« made dans le linge de Pharaon, v. s. f. » On se mit à les quereller chaque jour, si bien qu'ils ne savaient plus ce qu'ils faisaient et que le chef des blanchisseurs de Pharaon, v. s. f., vint au douet, car son cœur était dégoûté beaucoup, beaucoup, des querelles qu'on lui faisait chaque jour. 11 s'arrêta, il se tint au douet, juste en face de la boucle de cheveux qui était dans l'eau; il fit descendre quelqu'un et on la lui apporta, trouvant qu'elle sentait bon beaucoup, beaucoup, et lui la porta à Pharaon, v. s. f. On amena les scribes sorciers de Pharaon, v. s. f. Ils dirent à Pharaon,,v. s. f. « Cette boucle de cheveux « appartient à une fille de Phrâ-Harmakhis qui a en elle « l'essence de tous les dieux (1). Puisque c'est un hommage « pour toi d'une terre étrangère, fais que des messagers, « aillent vers toute terre étrangère afin de chercher cette « fille; et le messager qui ira au Val de l'Acacia, fais que « beaucoup d'hommes aillent avec lui pour la ramener ». Voici, Sa Majesté, v. s. f., dit « C'est parfait, parfait ce « que nous avons dit » et on fit partir les messagers. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, les hommes qui étaient allés vers la Terre étrangère vinrent faire rapport à sa Majesté, v. s. f., mais ils ne vinrent pas ceux qui étaient allés vers le Val de l'Acacia Baiti, les ayant tués, laissa un seul d'entre eux pour faire rapport à Sa Majesté, (1) Dans les croyances des Égyptiens, comme dans celles de beaucoup d'autres peuples, toutes les parties du corps étaient si étroitement reliées par une sympathie mutuelle, qu'elles exerçaient encore leur action l'une sur l'autre, même séparées et transportées à de grandes distances. Le sorcier qui possédait un membre, des lambeaux de chair, des rognures d'ongles, surtout des cheveux, pouvait imposer sa volonté à l'homme de qui ces débris provenaient. On ne doit donc pas s'étonner si le Kit demande une boucle des cheveux de la Fille des Dieux, ni si les magiciens, en examinant cette boucle, reconnaissent immédiatement la nature de la personne à qui elle appartient.

v. s. f., Sa Majesté, v. s. f., fit aller beaucoup d'hommes et d'archers, aussi des gens de char, pour ramener la damoiselle; une femme était avec eux qui lui donna tous les beaux affiquets d'une femme en sa main (1). Cette femme vint en Égypte avec elle, et on se réjouit d'elle dans la Terre-Entière. Sa Majesté, v. s. f., l'aima beaucoup, beaucoup, si bien qu'On (2) là salua Grande Favorite. On lui parla pour lui faire dire ce qu'il en était de son mari, et elle dit à Sa Majesté, v. s. f. « Qu'on coupe l'Acacia, et lui il « sera détruit! ? » On fit aller des hommes et des archers avec leurs outils pour couper l'Acacia; ils coupèrent la fleur sur laquelle était le cœur de Baîti, et il tomba mort en cette male heure. Et quand la terre s'éclaira et qu'un second jour fut, après que l'Acacia eut été coupé, comme Anoupou, le grand frère de Baîti, entrait dans sa maison et s'asseyait, ayant lavé ses mains, on lui donna une cruche de bière et elle jeta de l'écume, on lui en donna une autre de vin et elle se troubla de lie. Il saisit son bâton avec ses sandales, aussi ses vêtements avec ses armes, il se mit à marcher vers le Val de l'Acacia, il entra dans la villa de son frère cadet, etil trouva son frère cadet couché sur son cadre (3), mort. Il pleura, quand il aperçut son frère cadet couché et bien mort; il s'en alla pour chercher le cœur de son frère cadet sous l'Acacia à l'abri duquel son frère cadet couchait le soir, il consuma trois années à le rechercher (1) Piehl (ZM<M/ 1886, p. 80-81) préférerait traduire « Une < femme était avec eux, elle lui donna tous les gâteaux doux d'une femme ». Cfr. Max Muller, e6er eM/~e Bte)'o~<?''te)tM!c/!eK dans le Recueil de Travaux, t. IX, p. 170, et la réponse de Piehl, Le«re à JJ. le Rédacteur du Recueil, 1888, p. 1-3.
(2) On, répondant à la forme du pronom indéfini emtoutou suivie du determinatif divin, paraît désigner constamment le Pharaon. a Oh la salua serait donc l'équivalent de « Pharaon la salua o.
(3) C'est le lit bas, rectangulaire, t'a7t~a''e6 des Berbérins d'aujourd'hui, dont le cadre était monté d'ordinaire sur quatre pieds de lion.

sans le trouver. Et il entamait la quatrième année, lorsque, son cœur désirant venir en Égypte, il dit « J'irai de« main » ainsi dit-il en son cœur. Et quand la terre s'éclaira et qu'un second jour fut, il alla sous l'Acacia, il passa la journée à chercher; tandis qu'il revenait le soir, et qu'il regardait autour-de lui pour chercher de nouveau, il trouva une graine, il revint avec elle, et voici, c'était le cœur de son frère cadet. Il apporta une tasse d'eau fraîche, il l'y jeta, il s'assit selon son habitude de chaque jour. Et lorsque la nuit fut, le cœur ayant absorbé l'eau, Baîti.tressaillit de tous ses membres, et il se mit à regarder fixement son grand frère, tandis que son cœur était dans la tasse (1). Anoupou, le grand frère, saisit la tasse d'eau fraîche où était le cœur de son frère cadet; celui-ci but et son cœur fut en place, et lui devint comme il était autrefois. Chacun d'eux embrassa l'autre, chacun parla avec son compagnon, puis Baîti dit à son grand frère « Voici, « je vais devenir un grand taureau qui aura tous les bons « poils, et dont on ne connaîtra pas la nature (2). Toi, « assieds-toi sur mon dos quand le soleil se lèvera, et, « lorsque nous serons au lieu où est ma femme, je ren(1) Cfr. la note de Sethe, zu d'Orbiney, 14, S-3, dans la Zeitschrift, t. XXIX. p. 57-59.
(2) Notre héros, étant une forme du dieu a. double tête de taureau (cf. Introduction, p. xtx-xx et note 1), devient aisément un taureau, et, par conséquent, le taureau par excellence, l'Apis. Or, Apis devait avoir sur le corps un certain nombre de marques mystiques, dessinées par des poils de couleurs diverses. Il était noir, portait au front une tache blanche triangulaire, sur le dos la figure d'un vautour ou d'un aigle aux ailes éployées, sur la langue l'image d'un scarabée les poils de la queue étaient doubles. <t Le scarabée, le vautour, et toutes celles des autres marques qui tenaient à la présence et à la disposition relative des épis, n'existaient pas réellement. Les prêtres, initiés aux mystères d'Apis, les connaissaient sans doute seuls et savaient y voir les symboles exigés de l'animal divin, à peu près comme les astronomes reconnaissaient dans certaines dispositions d'étoiles, les .linéaments d'un dragon, d'une lyre et d'une ourse D (Mariette, Renseignements ~M)' les Apis, dans le T~u~ehm archéologique de f~</t~n~M~ (ranfais,-1855, p. 54).

<. drai des réponses (1). Toi donc, conduis-moi à l'endroit « où l'On est, et on te fera toute bonne chose, on te char« gera d'argent et d'or pour m'avoir amené à Pharaon, « v. s. f., car je serai un grand miracle et on se réjouira K de moi dans la Terre-Entière, puis tu t'en iras dans ton « bourg ». Et quand la terre s'éclaira et qu'un second jour fut, Baîti se changea en la forme qu'il avait dite à son grand frère. Anoupou, son grand frère, s'assit sur son dos, à l'aube, et il arriva à l'endroit où l'On était (2). On le fit connaître à Sa Majesté, v. s. f., elle le regarda, elle entra en liesse beaucoup, beaucoup, elle lui fit grand'fête, disant « C'est un grand miracle qui se produit! » et on se réjouit de lui dans la Terre-Entière (3). On chargea d'argent et d'or son grand frère, et celui-ci s'établit dans son bourg. On donna au taureau des gens nombreux, des biens nombreux, car Pharaon, v. s. f., l'aima beaucoup, beaucoup, plus que tout homme en la Terre-Entière. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, le taureau entra au harem (4), et il s'arrêta à l'endroit où était la favorite, et il se mit à lui parler, disant « Vois, moi je « vis pourtant ». Elle lui dit « Toi, qui es-tu donc? » (1) Cfr. la même expression, p. 11, note 2.
(2) Il y a là un souvenir de la tradition très ancienne, d'après laquelle le mort était emporté vers le domaine et vers le palais d'Osiris par un taureau sacré ou par une vache Hather. On voit assez souvent, sur les cercueils thébains à fond jaune de la XXI- dynastie et des dynasties suivantes, une scène qui représente le maître en sa forme vivante, à califourchon sur la bête, ou couché sur le dos de celle-ci en sa forme de momie.
(3) Pendant le temps qui s'écoulait entre la mort d'un Apis et l'invention d'un autre Apis, l'Égypte entière était en deuil l'intronisation de l'Apis nouveau faisait cesser le deuil et était célébrée par de grandes fêtes. Le roman reproduit donc en cet endroit les habitudes de la vie réelle. (4) Les animaux sacrés avaient libre accès à toutes les parties du temple où ils vivaient. On sait les franchises dont le bouc de Mendès jouissait et les fantaisies singulières auxquelles il se,livrait parfois (Hérodote, I), XLVf; cf. Wiedemann, ~rodot~T~t~c/t. pp. 216-218). Baîti, en sa qualité de taureau sacré, pou~t~pénétre~~ans qu'on l'en empêchât, dans les parties du palais ferrnë'ës ,au vulgaire et jusque dans le harem'
r. l.j i' f::
2

Il lui dit « Moi, je suis Baiti. Tu savais bien, quand tu « faisais abattre l'Acacia par Pharaon, v. s. f., que c'était « me mettre à mal, si bien que je ne pusse plus vivre mais, « vois, moi je vis pourtant, je suis taureau ». La favorite eut peur beaucoup, beaucoup, du propos que lui avait dit son mari. Il sortit du harem, et Sa Majesté, v. s. f., étant venue passer un jour heureux avec elle, elle fut à la table de Sa Majesté et On fut bon pour elle beaucoup, beaucoup. Elle dit à Sa Majesté « Jure-moi par Dieu disant « Ce que tu diras, je l'écouterai pour toi ». Il écouta tout ce qu'elle disait « Qu'il me soit donné de manger le foie « de ce taureau, car il ne fera rien qui vaille ». C'est ainsi qu'elle lui parla. On s'affligea de ce qu'elle disait beaucoup, beaucoup, et le cœur de Pharaon en fut malade beaucoup, beaucoup. Et quand la terre s'éclaira et qu'un second jour fut, on proclama une grande fête d'offrandes en l'honneur du taureau, et on envoya un des bouchers en chef de Sa Majesté, v. s. f., pour faire égorger le taureau. Or, après qu'on l'eut fait égorger, tandis qu'il était sur les épaules des gens [qui l'emportaient], il secoua son cou, il laissa tomber deux gouttes de sang vers le double perron de Sa Majesté, v. s. f. l'une d'elles fut d'un côté de la grande porte de Pharaon, v. s. f., l'autre de l'autre côté, et elles poussèrent en deux grands perséas (1), dont chacun était de toute beauté. On alla dire à Sa Majesté, v. s. f. « Deux grands perséas ont poussé « en grand miracle pour Sa Majesté, v. s. f., pendant la « nuit, auprès de la grande porte de Sa Majesté, v. s. f. » (1) Le perséa, d'après Schweinfurth le Mimusops Schimperi, était consacré à Osiris. 11 y avait un perséa ile chaque côté de l'entrée du temple de Déir-el-Bahari, et Naville a encore trouvé des troncs d'arbres desséchés aux points où Wilkinson avait marqué sur son plan des bases d'obélisques. Spiegelberg a rapproché fort ingénieusement ce fait du passage de notre conte (Naville, Un ofet'n:e!' mot sur la succession de Thoutmès, dans a Zeitschri(t, t. XXXVII, p. 48-52).

et on se réjouit à cause d'eux dans la Terre-Entière, et On leur fit des offrandes (1).
Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., se para du diadème de lapis-lazuli, le cou ceint de guirlandes de toutes sortes de fleurs, elle monta sur son char de vermèil, elle sortit du palais royal, v. s. f. afin de voir les perséas. La favorite sortit sur un char à deux chevaux, à la suite de Pharaon, v. s. f., puis Sa Majesté, v. s. f., s'assit sous un des perséas (2), la favorite s'assit sous l'autre perséa. Quand elle se fut assise, le perséa parla à sa femme « Ah! perfide! Je suis Baîti et je « vis, maltraité de toi. Tu savais bien que faire couper « l'Acacia par Pharaon, v. s. f., c'était me mettre à mal; « je suis devenu taureau, et tu m'as fait tuer ». Et après beaucoup de jours ensuite de cela, comme la favorite était à la table de Sa Majesté, v. s. f., et qu'On était bon pour elle, elle dit à Sa Majesté, v. s. f. « Prête-moi serment « par Dieu, disant Ce que la favorite me dira, je « l'écouterai pour elle. Parle » II écouta tout ce qu'elle disait. Elle dit « Fais qu'on abatte ces deux per« séas, qu'on en fabrique de beaux coffres (3)! » On écouta tout ce qu'elle disait. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., envoya des charpentiers habiles, on coupa les perséas de Pharaon; v. s. f., et se (1) C'est une conséquence du culte que le peuple rendait aux arbres (Maspero, Histoire Ancienne, t. I, p. 121; cf. V. Scheil, Cinq tombeaux thébains, dans les Mémoires de la Mission /anpaMe, t. IV, pp. 378-579, et pl. IV), et dont beaucoup de traces subsistent encore aujourd'hui dans l'Égypte musulmane (Maspero, Afélanges f/e Mythologie, t. Il, p.224-227). (2) Le scribe égyptien a passé ici une ligne entière « Sa Majesté s'assit sous un des perséas, la favorite s'assit sous l'autre perséa. Quand elle fut assise, le pe~a se mit à parler avec sa femme o. C'est un véritable toM'Y/on que le scribe a commis. Dans l'original qu'il avait sous les yeux deux lignes consécutives se terminaient par le mot p~~a il a sauté la seconde.
(3) Cf. Chabas CE~t~M diverses, t. V, p. 434, et K. Sethe, ZM d'02,biney M, .1, dans la Ze:(!c~<, 907, p. 134-d35.

tenait là, regardant faire, la royale épouse, la favorite. Un copeau s'envola, entra dans la bouche de la favorite, et elle s'aperçut qu'elle concevait(l). On fabriqua les coffres, et On en fit tout ce qu'elle voulut.
Et après beaucoup de jours ensuite de cela, elle mit au monde un enfant mâle, et on alla dire à Sa Majesté, v. s. f. «-Il t'est né un enfant mâle! » On l'apporta, on lui donna des nourrices et des remueuses (2). On se réjouit dans la Terre-Entière. On se mit à faire un jour de fête, on commença d'être en son nom (3). Sa Majesté, v. s. f., l'aima beaucoup, beaucoup, sur l'heure, et on le salua fils royal de Kaoushou (4). Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., le fit prince héritier de la Terre-Entière. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, quand il fut resté beaucoup d'années prince héritier de la Terre-Entière, Sa Majesté, v. s. f., s'envola vers le Ciel (5). On dit <: Qu'on m'amène les grands officiers de (1) Il y a ici une allusion à un fait mythologique chaque soir, le soleil entrait dans la bouche de la déesse Nouît, qui concevait par là même, et le lendemain matin, mettait au monde un soleil nouveau (Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie égyptiennes, t. Il, p. 2S-26). (2) Cette charge de « remuouse ou de berceuse < était parfois remplie par des hommes quelques hauts fonctionnaires de la XVIU' dynastie en ont été investis. Le mot khnoumou, qui la désigne, signiSe au propre do' ~t:?', assoupi,' le /c/tnoMMOM est donc au propre la personne qui endort l'enfant, la MOH~ celle qui lui donne le sein.
(3) Cette phrase obscure peut être interprétée de plusieurs façons. Elle signifie, ou bien que l'on commença à imposer le nom du jeune prince aux enfants qui naquirent après lui, ou plutôt, comme le veut Lefébure (L'/mportanM du JVom, dans Sphinx, t. I, p. 91), que le prince, ayant reçu un nom commença d'entrer en pleine possession de sa personnalité; la personne humaine n'était complète en effet qu'après réception du nom. (4) Un des titres des princes de la famille royale. Le /H< royal de Kaoushou était, à proprement parler, le gouverneur du pays de Kaoushou, o'est-a-dire de l'Éthiopie. Dans la réalité, ce titre pouvait ne pas être simplement honorifique le jeune prince gouvernait lui-même, et il faisait l'apprentissage de son métier de roi dans les régions du haut Nil. (5) Un des euphémismes ordinaires du style otticiel égyptien, pour dire qu'un roi est mort. On en retrouve l'équivalent au début des ~fmoM'es </e Sinouhit; cf. p. 19 du présent volume.

« Sa Majesté, v. s. f., que je leur fasse connaître tout ce « qui s'est passé à mon sujet On lui amena sa femme, il la jugea par devant eux, et ils ratifièrent son jugement. On lui amena son grand frère, et il le fit prince héritier de sa Terre-Entière. Il fut vingt ans roi d'Egypte, puis il passa de la vie, et son grand frère fut en sa place le jour des funérailles. II est fini en paix ce livre, pour le double du scribe trésorier Qagabou, du trésor de Pharaon, v. s. f., du scribe Haraoui, du scribe Maîaemapît l'a fait le scribe Ennana, le maître de ce livre. Quiconque parle contre ce livre, puisse Thot le provoquer en duel (1) 1 (1) Cette formule paraît avoir été d'usage courant, car on la retrouve tracée, comme exercice de plume, par un scribe qui se faisait la main, au verso du Papyrus Salliel' IV, pl. 21 ci Fait par le scribe Amânouâ, le a maitre de cet JT?:~e:~?:en:e7t<. Quiconque parlera contre cet J?m~e~Memen< « du scribe Amânouâ, que Thot lui livre duel à mort! » Le nzaitre du liure ou de l'Enseignement est le personnage qui en avait le droit exclusif de propriété, soit qu'il en fût l'auteur, soit qu'il en fût seulement l'éditeur ou le récitateur attitré. La menace qu'il adressait à quiconque, lecteur ou auditeur, s'en permettrait la critique, se traduirait littéralement « Soit fait à lui Thot compagnon de combat )) Cette expression se comprend lorsque l'on voit à Sakkarah ou à Beni-Hassan les tableaux qui représentent les exercices de gymnastique exécutés par les soldats chacun d'eux s'appareille fait compagnon à un autre, de même qu'en Grèce les lutteurs ou les gladiateurs à Rome.

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1 .A
LE ROI KHOUFOUI ET LES MAGICIENS
XYHI" DYNASTIE ·
Le papyrus qui nous a conservé ce conte fut donné à LepsmsJ il y a plus de cinquante ans, par une dame anglaise, Miss Westcar, qui l'avait rapporté d'Egypte. Acquis en, 1886 par le Musée de Berlin, ~M~ on en connut d'abord une analyse sommaire que publia !< ) A. Erman, Ein neuer Papyrus des Berliner Museums, dans la IVatto- v. nal-Zeitung de Berlin (n° du 14 mai 1886), et que reproduisirent
A. Erman, ~</pteK und Egyptisches Leben im Altertum, in-8°, Tubingen, 1885-1887, p. 498-502,
Ed. Meyer, Geschichte des alten ~yptens, in-8, Berlin, 1887, p.129-131.
La traduction que j'en avais donnée dans la seconde édition de ces contes était moins une version littérale qu'une adaptation faite, en partie sur une traduction allemande, en partie sur une transcription en caractères hiéroglyphiques qu'Erman avait bien voulu me communiquer. Depuis lors une paraphrase anglaise en a été insérée par W. Flinders Petrie dans ses Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12", t. I, p. 97-142, et le texte lui-même a été publié en fac-similé et en transcription hiéroglyphique, puis traduit en allemand par: ~~T-tttj~ !rQA'~ ~c~ A. Erman, die Mrc/teM des Papyrus We~eor (formant les tomes VVI des ~KtM/Mt~MHS'ett aus den Orientalischen Samm~M~ett), 1890, Berlin, in-4", qui depuis a reproduit sa traduction avec quelques corrections dans son petit livre, Aus den Papyrus der R<?Ht~KcAen .MMSMK, 1899, Berlin,'in-8' p. 30-42, et a introduit la transcription en hiéroglyphes de plusieurs passages dans son ~E<y</p<Mc/te Chrestomathie, 1904, Berlin, in-12, p. 20-27.

Enfin une nouvelle traduction allemande en a été composée par A. Wiedemann, A«~</p<McAe Sagen und M<M'c/te<t, Leipsig, 1906, petit in-8", p. 1-24.
Le conte aurait été probablement l'un des plus longs que nous eussions connus, s'il nous était parvenu entier malheureusement, le commencement en a disparu. H débutait par plusieurs récits de prodiges que les fils du roi Chéops racontaient à leur père l'un après l'autre. Le premier de ceux qu'on lit sur notre manuscrit est presque entièrement détruit la formule finale subsiste seule pour nous montrer que l'action se passait au temps de Pharaon Zasiri, probablement le Zasiri que nos listes royales placent dans la HI° dynastie. Les pages suivantes contenaient le récit d'un prodige accompli par le sorcier Oubaou-anir, sous le règne de Nabka de la HP dynastie. A partir du moment où le prince Bioufrîya ouvre la bouche, le récit marche sans interruption importante jusqu'à la fin du manuscrit; il s'arrête au milieu d'une phrase, sans que nous puissions conjecturer avec vraisemblance ce qu'il lui manque pour être complet. Les romanciers égyptiens ont des façons déconcertantes de tourner court au moment où on s'y attend le moins, et de condenser en quelques lignes des faits que nous nous croyons obligés d'exposer ionguement. Peut-être une ou deux pages de' plus auraient suffi à nous conserver le dénouement; peut-être exigeait-il huit ou dix pages encore et comportait-il des péripéties que nous ne soupçonnons pas.
On peut se demander si la portion du roman où la naissance des trois premiers rois de la V" dynastie est racontée contient un fond historique. !) est certain qu'une famille nouvelle commença de régner avec Ousirkaf le Papyrus de Turin mettait une rubrique avant ce souverain, et il le séparait ainsi des Pharaons qui l'avaient précédé. Les monuments semblent n'admettre aucun interrègne entre Shopsiskaf et Ousirkaf, ce qui nous inclinerait & penser que le changement de dynastie s'opéra sans trouble. !?i l'on en croyait. la légende d'après laquelle Ousirkaf serait le fils de Rà et d'une prêtresse, il n'était pas de sang royal et il ne tenait par aucun lien de parenté aux princes qu'il remplaça; l'exemple des théogamies thébaines, telles qu'elles nous sont connues par l'histoire de la reine Hatchopsouîtou et d'Aménôthès !H, pourrait cependant nous laisser soupçonner qu'il se rattachait à la grande lignée pharaonique par l'un de ses ascendants. La donnée d'après laquelle les trois souverains étaient nés ensemble paraît avoir été assez répandue en Égypte, car un texte d'époque ptolémaïque (Brugsch, JMet..Htey., t. Vit, p. 1093), parlant de la ville de Pa-Sahouriya fondée par l'un d'eux, affirme qu'elle s'appelait aussi la Ville des TntHeaM;K (Piehl, Quelques passages du Papyrus We~car, dans Sphinx, t. I, p. 71-80);

cela ne prouve pas toutefois que nous devions lui attribuer une valeur historique. En somme, le plus prudent jusqu'à nouvel ordre est de considérer le récit de notre conte comme purement imaginaire.
Erman a constaté que l'écriture du Papyrus Westcar ressemble beaucoup à celle du Papyrus Ebers on peut donc rapporter la confection du manuscrit aux derniers règnes de la domination des Hyksôs au plus tôt, aux premiers de la XVHfe dynastie au plus tard. H est probable pourtant que la rédaction est beaucoup plus ancienne que l'exécution d'après les particularités du style, Erman est d'avis qu'elle remonte peut-être à la Xtt°dynastie. Le conte de Chéops et des magiciens appartiendrait donc au même temps à peu près que les Ate'moM'es de Sinouhit et que les P<at)~M du fellah; ce serait un spécimen du roman bourgeois de l'époque. Le début du récit et le cadre général nous sont fournis assez vraisemblablement par le préambule du P<!p)/?'tM M" ~e SaMtt-PeteT'sbourg « H arriva, au temps ou Sanafrouî était roi bienfaisant de « cette Terre entière, un jour que les conseillers intimes du palais qui étaient entrés chez Pharaon, v. s. f., pour délibérer avec lui, s'étaient déjà retirés après avoir délibéré, selon leur coutume de '< chaque jour, Sa Majesté dit au chancelier qui se trouvait près de n lui « Cours, amène-moi les conseillers intimes du palais qui sont « sortis pour s'éloigner, afin que nous délibérions de nouveau, sur « l'heure' » Les conseillers reviennent, et le roi leur confesse qu'il les a rappelés pour leur demander s'ils ne connaissaient pas un homme qui pût l'amuser en lui racontant des histoires sur quoi, ils lui recommandent un prêtre de Bastit du nom de j\eferhô (1). tl est très probable que Chéops réunit ses fils un jour d'ennui et qui! leur demanda s'ils connaissaient dans le passé ou dans le présent quelques prodiges accomplis par des magiciens. La première des histoires est perdue, mais la partie conservée du manuscrit porte encore les restes de la formule par laquelle le Pharaon, émerveillé, manifestait sa satisfaction.
La Majesté du roi des deux Égyptes Khoufoui, à la voix juste, dit « Qu'on présente à la Majesté du roi Zasiri, « à la voix juste, une offrande de mille pains, cent « cruches de bière, un bœuf, deux godets d'encens, et « qu'on fasse donner une galette, une pinte de bière, une (1) Golénicheff, le Pap~'M M" </e SaHi~-fe'/eMAoM; dans la Zeil~c/t~,)876, p 109-110.

« ration de viande, un godet d'encens pour l'homme au « rouleau en chef. car j'ai vu la preuve de sa science ». Et l'on fit ce que Sa Majesté avait ordonné (1). Lors, le fils royal Khâfrîya se leva pour parler et il dit « Je vais faire connaître à ta Majesté un prodige qui « arriva au temps de ton père, le roi Nabka (2), à la voix « juste, une fois qu'il s'était rendu au temple de Phtah, « maître d'Ankhoutaouî (3) ».
« Or, un jour que Sa Majesté était allée au temple de « Phtah maître d'Ankhoutaouî et que Sa Majesté faisait « visite à la maison du scribe, premier lecteur (4), Oubaou« anir avec sa suite, la femme du premier lecteur Oubaou« anir vit un vassal (5) de ceux qui étaient derrière le roi « [dès l'heure qu'elle l'aperçut, elle ne sut plus l'endroit « du monde où elle était. Elle lui envoya sa servante qui
(1) C'est la formule qui terminait la première histoire le nom du magicien est entièrement détruit.
(2) Le roi Nabka n'est pas le père réel de Khoufoui, mais comme il appartenait à une dynastie antérieure et que tous les Pharaons étaient censés ne former qu'une même famille, le conteur, en parlant de l'un d'eux, l'appelle le père du souverain régnant, Khoufoui.
(3) Ankhoutaoui est, comme Brugsch l'a montré, le nom d'un des quartiers de Memphis. J'ai quelque lieu de croire qu'on peut eu fixer l'emplacement près de la butte appelée aujourd'hui Kom-et Aziz. (4) L'expression /em!f7' /ee<<<)' est une traduction par à peu près du titre X/t)'Aa<)t. Le AAr<t~f): était littéralement /tomme au rouleau, celui qui, dans une cérémonie, dirigeait la mise en scène et l'exécution, plaçait les personnages, leur soufflait les termes de la formule qu'ils devaient prononcer, leur indiquait les gestes et les actions qu'il leur fallait accomplir, récitait au besoin les prières pour eux, bref un véritable maitre des cérémonies (cfr. Maspero, Études ~yp~~MMe. t. !J, p. Si sqq). Le khri-habi ou lecteur, qui savait par métier toutes les formules, devait donc connaitre les incantations et les formules magiques aussi bien que les formules religieuses; c'est pourquoi tous les sorciers de notre récit sont des /cc<fM' en chef, des pfe'nte' lecteurs (cf. Introduction, p. x, xux). Le titre qu'ils joignent à celui-là, celui d'écrivain des livres, nous montre que leur science ne se bornait pas à réciter les charmes elle allait jusqu'à copier, et, au besoin, jusqu'à composer les livres de magie. (5) Le texte égyptien donne nozesou, un petit, un homme de basse con-'dition. Le mot vassal de notre vieille langue m'a paru répondre exactement au sens du terme égyptien.

« était auprès d'elle, pour lui dire « Viens, que nous repo« sions ensemble, une heure durant; mets tes vêtements « de fête ~.] Elle lui fit porter une caisse pleine de beaux « vêtements (1), et lui il vint avec la servante à l'endroit « où elle était. Or, quand des jours eurent passé sur cela, « comme le premier lecteur Oubaou-anir avait un kiosque « au Lac d'Oubaou-anir (2), le vassal dit à la femme « d'Oubaou-anir « II y a le kiosque au Lac d'Oubaou« anir; s'il te plaît, nous y prendrons un petit moment ». « Lors la femme d'Oubaou-anir envoya dire au majordome « qui avait charge du Lac « Fais préparer le kiosque « qui est au Lac ».
« 11 fit comme elle avait dit et elle y demeura, buvant « avec le vassal jusqu'à ce que le soleil se couchât. Et « quand le soir fut venu, il descendit dans le Lac pour se « baigner et la servante était avec lui, et le majordome « sut ce qui se passait entre le vassal et la femme d'Ou« baou-anir. Et quand la terre se fut éclairée et qu'un « second jour fut., le majordome alla trouver le premier « lecteur Oubaou-anir et il lui conta ces choses que ce « vassal avait faites dans le kiosque avec sa femme. « Quand le premier lecteur Oubaou-anir sut ces choses « qui s'étaient passées dans son kiosque, il dit au majordome « Apporte-moi ma cassette en bois d'ébène « incrusté de vermeil qui contient mon grimoire (3) ». « Quand le majordome l'eut apportée, il modela un cro<t codile de cire, long de sept pouces, il récita sur lui ce « qu'il récita de son grimoire, il lui dit « Quand ce (1) Cfr. dans le Con/c '/M t!< Ft'e/'M, p. 6 du présent volume, les deux vêtements que la femme d'Anoupou promet à Baiti pour le tenter. (2) Le Lac d'Oubaou-anir est le nom d'une propriété formé avec le nom du maître et avec le mot S/te, qui signifie lac, e<a~, bassin d'inondation. C'est un procédé de formation fréquent dans la nomenclature géographique de l'Égypte (cf. p. 29, n du présent volume).
(3) C'est ainsi que dans le premier Conte de Sa<n!MMtOM, une cassette contient le livre miraculeux de Thot (cf. p. 133, 136-131).

« vassal viendra pour se baigner dans mon Lac, alors « entraîne-le au fond de l'eau (1) ». H donna le crocodile « au majordome et il lui dit « Dès que le vassal sera des« cendu dans le Lac, selon sa coutume de chaque jour, « jettes-y le crocodile de cire derrière lui ». Le major« dome alla donc et il prit le crocodile de cire avec lui. « La femme d'Oubaou-anir envoya au majordome qui « avait charge du Lac et elle lui dit « Fais préparer le « kiosque qui est au bord du Lac, car voici, je viens y « séjourner H. Le kiosque fut muni de toutes les bonnes « choses on vint et on se divertit avec le vassal. Quand « ce fut le temps du soir, le vassal alla, selon sa cou« tume de chaque jour, et le majordome jeta le crocodile « de cire à l'eau derrière lui; le crocodile se changea en « un crocodile de sept coudées, il saisit le vassal, il « l'emporta sous l'eau. Or, le premier lecteur Oubaou-anir « demeura sept jours avec la Majesté du roi de la haute « et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, tandis « que le vassal était dans l'eau sans respirer. Mais, « après que les sept jours furent révolus, quand le roi de « la haute et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, « alla et qu'il se rendit au temple, le premier lecteur « Oubaou-anir se présenta devant lui et il lui dit: « Plaise « ta Majesté venir et voir le prodige qui s'est produit au « temps de ta Majesté au sujet d'un vassal H. Sa Majesté « alla donc avec le premier lecteur Oubaou-anir. Oubaou« anir dit au crocodile « Apporte le vassal hors de « l'eau » Le crocodile sortit et apporta le vassal hors de « l'eau. Le premier lecteur Oubaou-anir dit « Qu'il « s'arrête » et il le conjura, il le fit s'arrêter devant le « roi. Lors la Majesté du roi de la haute et de la basse (1) Tout ce début est mutilé au point qu'il n'en reste plus une phrase complète. La restitution est empruntée à l'excellente traduction d'Erman (~e~~y'e~~M des ~ay~ M~M~ea; p. 22-26).

« Égypte Nabka, à la voix juste, dit « De grâce, ce cro« codile est terrifiant! » Oubaou-anir se baissa, il saisit « le crocodile, et ce ne fut plus dans ses mains qu'un cro« codile de cire. Le premier lecteur Oubaou-anir raconta à « la Majesté du roi de la haute et de la basse Égypte « Nabka, à la voix juste, ce que le vassal avait fait dans « sa maison avec sa femme. Sa Majesté dit au crocodile « Prends, toi, ce qui est tien ». Le crocodile plongea au « fond du lac et l'on n'a plus su ce qu'il advint du vassal « et de lui. La Majesté du roi de la haute et de la basse « Égypte Nabka, à la voix juste, fit conduire la femme « d'Oubaou-anir au côté nord du palais; on la brûla et « on jeta ses cendres au fleuve (1). Voici, c'est là le pro« dige qui arriva au temps de ton père, le roi de la haute « et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, et qui « est de ceux qu'opéra le premier lecteur Oubaou-anir ». La Majesté du roi Khoufouî, à la voix juste, dit donc « Qu'on présente à la Majesté du roi Nabka, à la voix « juste, une offrande de mille pains, cent cruches de « bière, un bœuf, deux godets d'encens, puis qu'on fasse (1) La façon dont le texte introduit cette fin de récit, sans commentaire, semble prouver que le feu était le châtiment réservé aux femmes adultères cette supposition est confirmée par le conte de Phéron, dans lequel le roi faisait brûler vives toutes les femmes qui, ayant eu com. merce avec un autre homme qu'avec leur mari, ne pouvaient pas lui fournir le remède nécessaire à lui rendre la vue (Hérodote. II. cxi; cf. /;i<)-o~Mc~oH, p. XLVII). Nous savions déjà que ce supplice était appliqué à plusieurs sortes de crimes, au parricide, à la sorcellerie, à l'hérésie, au moins en Éthiopie (G. Maspero, la Stèle de <<;ccw!H:!tn!ca<!nn, dans la Henue archéologique, 1811, t. 11, p. 329 sqq.), au vol ou à la destruction des temples ou des biens de main morte (T~cWph'ons in the At~'a~c and demotic characters, pl. 29, t. 8; cf. G. Moller, Dus De/o'ct des Amenophis, c~s SoAn~ des Hapu, dans les .S:<zun~Ae)-/c/t<e de l'Académie de Berlin, 1910, p. 936 i, note), à la rébellion contre le Pharaon. On devait le redouter d'autant plus, qu'en détruisant le corps il enlevait à l'âme et au double l'appui dont ils avaient besoin dans l'autre monde. A la fin du Conte des deux Fret'M (p. 21 du présent volume), l'auteur se borne à enregistrer le châtiment de la fille der dieux, sans nous dire en quoi il consista ce fut probablement, selon l'usage, le supplice du feu.

« donner une galette, une pinte de bière, un godet d'en« cens pour le premier lecteur Oubaou-anir, car j'ai vu la « preuve de sa science Et l'on fit ce que Sa Majesté é avait ordonné. Lors le fils royal Baîoufrîya se leva pour parler et il dit « Je vais faire connaître à ta Majesté un « prodige qui arriva au temps de ton père Sanatrouî, à la <t voix juste, et qui est de ceux qu'opérait hier le premier « lecteur Zazamânkhou.
« Un jour que le roi Sanafrouî, à la voix juste, s'en<[ nuyait, Sa Majesté assembla la maison du roi, v. s. f., « afin de lui chercher quelque chose qui lui allégeât (1) le « cœur. Comme on ne trouvait rien, il dit « Courez et « qu'on m'amène le premier lecteur, Zazamânkhou », et « on le lui amena sur l'heure. Sa Majesté lui dit c Zaza« mânkhou, mon frère, j'ai assemblé la maison du roi, « v. s. f.. afin qu'on cherchât quelque chose qui m'allégeât « le cœur, mais je n'ai trouvé rien ». Zazamânkhou lui « dit « Daigne ta Majesté se rendre au Lac de Pharaon, <( v. s. f., et se faire armer une barque avec toutes les «belles filles du Harem royal. Le cœur de ta Majesté K s'allégera quand tu les verras aller et venir; puis, quand « tu contempleras les beaux fourrés de ton Lac, quand tu « regarderas les belles campagnes qui le bordent et ses « belles rives, alors le cœur de ta Majesté s'allégera. « Quant à moi, voici comment je réglerai la vogue. Fais« moi apporter vingt rames en bois d'ébène, garnies d'or, H dont les pales seront de bois d'érable garni de vermeil; « qu'on m'amène aussi vingt femmes de celles qui ont « beau corps, beaux seins, belle chevelure, et qui n'aient « pas encore eu d'enfant, puis, qu'on apporte vingt « résilles et qu'on les donne à ces femmes en guise de (1) Le texte égyptien donne, ici et dans tous les endroits où j'ai employé l'expression alléger, un verbe qui signifie ''n/~ atc/tt?'. Le mot-à-mot serait donc « Quelque chose qui lui r<t~'a<c/< le cœur a.

« vêtement (1) ». On fit ce que Sa Majesté avait ordonné. « Les femmes allaient, venaient, et le cœur de Sa Majesté « se réjouissait à les voir voguer, quand la nffle de l'une K d'elles lui heurta la chevelure, et son poisson de mala« chite neuf tomba à l'eau (2). Alors elle se tut, elle cessa « de ramer, et ses camarades de la même bande se turent « et elles ne ramèrent plus (3), et Sa Majesté dit « Vous « ne ramez plus? » Elles dirent Notre compagne s'est « tue et elle ne rame plus ». Sa Majesté dit à celle-ci « Que ne rames-tu? » Elle dit « Mon poisson de malachite « neuf est tombé à l'eau ». Sa Majesté dit « Rame seu« lement, je te le remplacerai ». Elle dit « Je veux mon « bijou à moi et non un bijou pareil ». Alors, Sa Majesté « dit « Allons, qu'on m'amène le premier lecteur Zaza« mânkhou » On le lui amena sur l'heure et Sa « Majesté dit « Zazamânkhou, mon frère, j'ai fait « comme tu as dit, et le cœur de Sa Majesté s'allégeait à, « voir ramer ces femmes quand, voici, le poisson de (1) J'avais pensé qu'il s'agissait d'un de ces beaux filets de perles en faïence ou en verroterie, qu'on voit peints par-dessus le vêtement de certaines statues de l'ége Memphite ou de la XII* dynastie, ainsi sur la statue A 102 du Louvre (cf. Perrot-Chipiez, ~0!'re de l'Art, t. 1, p. 143, et J. Capart, /)'< ~<~«<t~, t. I, pl. 42); ici toutefois, les vingt jeunes filles n'avaient point de vêtement d'étoffe, mais elles étaient nues sous leur résille, ce que Piehl avait admis (Sphinx, t. t, p. 73-74, t. IV, p. 118-119'. Borchardt confirme le sens que j'avais donné par des exemples empruntés aux statues du Caire, mais il croit que les jeunes filles avaient passé les résilles par-dessus leurs vêtements (~M~(:7/, t. XXXVII, p. 81). Petrie pense qu'il s'agissait simplement d'une étoffe très fine (Des/tasAeA, p. 32). (2) Le texte met ici un mot nikhaou, déterminé par le poisson, et qui ne se rencontre dans aucun des Dictionnaires publiés jusqu'à ce jour je l'ai traduit d'une façon générale par le mot poisson. Il ne s'agit pas ici j d'un poisson réel, mais d'un de ces talismans en forme de poissons aux_) quels les anciens, les Romains et les Grecs comme les peuples de l'Orient, prêtaient toute sorte de vertus merveilleuses (F. de Mély, le Poisson d~n~ ~*J} 'j les PteffM ~ra~cM, dans la Revue a'-cAeo~o~Me, 3' série, t. XII, p. 319332).
(3) Les jeunes filles chantaient en ramant pour rythmer la vogue, selon l'usage égyptien celle qui avait perdu l'amulette se taisant, les autres se taisent et te mouvement s'arrête. r<

« malachite neuf de l'une des petites est tombé à l'eau. « Alors elle s'est tue, elle a cessé de ramer, et elle a « arrêté ses camarades. Je lui ai dit « Que ne rames« tu ? )) Elle m'a dit « Le poisson de malachite neuf est « tombé à l'eau ». Je lui ai dit « Rame seulement, et je « te le remplacerai ». Elle a dit « Je veux mon bijou à « moi et non un bijou pareil ». Lors, le premier lecteur « Zazamânkhou récita ce qu'il récita de son grimoire. <( Il enleva tout un pan d'eau et il le mit sur l'autre il « trouva le poisson posé sur un rehaut de terre, il le « prit, il le donna à sa maîtresse. Or, l'eau était profonde « de douze coudées en son milieu, et, maintenant qu'elle « était empilée, elle atteignait vingt-quatre coudées il « récita ce qu'il récita de son grimoire, et se remit l'eau « du Lac en son état. Sa Majesté passa donc un heureux « jour avec toute la maison du roi, v. s. f., et il récom« pensa le premier lecteur Zazamânkhou avec toute « sorte de bonnes choses. Voici, c'est là le prodige qui « arriva au temps de ton père, le roi Sanofroui, à la voix « juste, et qui est de ceux qu'opéra le premier lecteur, « Zazamànkhou, le magicien a.
La Majesté du roi Khoufouî, à la voix juste, dit donc « Qu'on présente à la Majesté du roi Sanafrouî, à la voix « juste, une offrande de mille pains, cent cruches de « bière, un bœuf, deux godets d'encens, puis qu'on fasse « donner une galette, une pinte de bière, un godet d'enK cens, pour le premier lecteur Zazamânkhou, le magi« cien, car j'ai vu la preuve de sa science o. Et l'on fit ce que Sa Majesté avait ordonné.
Lors, le fils du roi, Dadoûfhofou (1), se leva pour parler (1) Dadoufhorou est donné ici comme étant le fils de Khoufoui. D'autres

et il dit « Jusqu'à présent ta Majesté a entendu le récit « de prodiges que les gens d'autrefois seuls ont connus « mais dont on ne peut garantir la vérité. Je puis faire voir « à ta Majesté un sorcier qui est de ton temps et que ta « Majesté ne connaît pas. » Sa Majesté dit « Qu'est-ce là, « Dadoufhorou? » Le fils du roi, Dadoufhorou, dit « II y « a un vassal qui s'appelle Didi, et qui demeure à Didou« sanafrouî (1). C'est un vassal de cent dix ans (2), qui « mange encore ses cinq cents miches de pain avec une « cuisse de bœuf entière, et qui boit jusqu'à ce jour ses « cent cruches de bière. II sait remettre en place une tête « coupée il sait se faire suivre d'un lion sans laisse (3), il « connaît le nombre des écrins à livres de la crypte de « Thot (4))). Or voici, la Majesté du roi Khoufoui, à la voix documents font de lui le petit-fils de ce Pharaon et le fils de Menkaouriya (Livre des Morts, ch. LXtv, 1. 30-32).
(i) Le nom de cette localité est formé avec celui du roi Sanafrou!; l'emplacement n'en est pas connu. Il résulte des expressions employées dans notre texte qu'on s'y rendait, de l'endroit où Khoufoui siégeait, en remontant le neuve. Comme cet endroit est probablement Memphis, il faut enconclure que Didousanatroui était au sud de Memphis.
(2) Cent dix ans est le terme extrême de la vie égyptienne; on souhaite aux gens qu'on aime ou qu'on respecte de vivre jusqu'à cent dix ans. Aller au delà, c'est dépasser les bornes de la longévité humaine seuls, quelques privilégiés, comme Joseph, le mari de la Vierge, dans l'Egypte chrétienne, sont assez heureux pour atteindre l'âge de cent onze ans (Ctr. Goodwin dans Chabas, Mélanges JT~y~<o~t~M< 2' série, p. 231 sqq.). Plus tard, on ne s'arrêta plus là, et Maçoudi nous parle, dans ses Prairies d'Or (trad. Barbier de Meynard, t. M, p. 372 sqq.), d'un savant copte de cent trente ans qu'Ahmed-Ibn-Touloun envoya chercher pour le consulter.
(3) Litt. « laisse à terre n, c'est-à-dire un lion qu'on avait détaché et dont la laisse avait été jetée a terre. Pour se faire obéir, le magicien n'avait pas besoin d'une laisse telle que les dompteurs en ont d'ordinaire c'était à l'mil et à la voix qu'il menait sa bête.
(4) Les Égyptiens serraient leurs livres dans des boîtes en bois ou en pierre; les boites à livres de la crypte de Thot forment ce que nous appellerions sa Bibliothèque. Thot, le secrétaire des dieux, était le savant, et, par suite, le magicien par excellence c'est lui que les divinités supérieures, Phtah, Horus, Amon, Rà, Osiris, chargeaient de classer ce qu'elles avaient créé et de coucher par écrit .les noms, la hiérarchie, les qualités des choses et des êtres, les formules qui obligeaient les hommes et les dieux.

juste, avait employé beaucoup de temps à chercher ces écrins à livres de la crypte de Thot, afin de s'en faire une copie pour sa pyramide (1). Sa Majesté dit donc « Toimême, Dadoufhorou, mon fils, amène-le-moi H. Onarma des barques pour le fils du roi, Dadoufhorou, et il fit voile vers Didousanafrouî. Quand les vaisseaux eurent abordé à la berge, il débarqua et il se plaça sur une chaise de bois d'ébène dont les brancards étaient en bois de napéca (2) garni d'or (3); puis, quand il fut arrivé à Didousanafrouî, la chaise fut posée à terre, il se leva pour saluer le magicien, et il le trouva étendu Sur un lit bas (4) au seuil de sa maison, un esclave à la tête qui le grattait, un autre qui lui chatouillait les pieds. Le fils royal Dadoufhorou lui dit M Ta condition est celle de qui vit à l'abri de l'âge. La « vieillesse c'est d'ordinaire l'arrivée au port (5), c'est la Le travail du magicien ordinaire consistait à chercher, à lire, à comprendre et à recopier les livres de cette bibliothèque celui qui les connaissait et qui les possédait tous était aussi puissant que Thot, et il devenait le maitre réel de l'univers.
(1) La Grande Pyramide ne renferme pas une ligne d'écriture, mais les chambres ménagées dans les pyramides d'Ounas et des quatre premiers rois de la VI* dynastie sont couvertes d'hiéroglyphes ce sont des prières et des formules qui assurent au double et à l'âme du roi mort une vie heureuse dans l'autre monde. L'auteur de notre conte, qui savait combien certains rois de l'antiquité avaient travaillé pour graver dans leurs tombes des extraits des livres sacrés, imaginait sans doute que son Khoufou! avait désiré en faire autant, mais qu'il n'avait pas réussi à se les procurer, sans doute à cause de son impiété légendaire. C'était une manière comme une autre d'expliquer pourquoi il n'y avait aucune inscription dans la Grande Pyramide.
(2) Le napéca est une sorte de jujubier, Z:)AMx 5piK~ C/')'t!/< la tige et les branches, très droites, très résistantes, peuvent former d'excellents brancards pour une litière.
(3) Voir dans Wilkinson, J~Hn~j and CM!<~M~. t. l, p. 2i7, ainsi que dans Lepsius, Df~/c~ 1), pl. 43 a, !lf. pl. 121 a, etc., des représentations de chaises à porteurs analogues à celle que Dadoufhorou emploie dans notre conte.
(4) Probablement un f!M~a''f& de ceux qu'on recueille dans les tombeaux et qui sont analogues aux nm</a:)'s&s des Egyptiens ou des Berbêrins d'aujourd'hui cfr., p. la, note 3, du présent volume.
(5) Aborder, pM'oent;' au /'or<, est un des nombreux euphémismes dont

« mise en bandelettes, c'est le retour à la terre mais « rester ainsi étendu bien avant dans le jour, sans infir« mités du corps, sans décrépitude de la sagesse ni du « bon conseil, c'est vraiment d'un bienheureux (1)! Je suis « accouru en hâte pour t'inviter, par message de mon « père Khoufouî, à la voix juste tu mangeras du meilleur « que donne le roi, et des provisions qu'ont ceux qui sont « parmi ses serviteurs, et grâce à lui tu parviendras en « une bonne condition de vie à tes pères qui sont dans la « « tombe )\ Ce Didi lui dit « En paix, en paix (2), Dadouf« « horou, fils royal chéri de son père 1 Que te loue ton père « Khoufouî, àla voix juste, et qu'il t'assure taplace en avant « des vieillards puisse ton double avoir gain de cause « contre les ennemis, et ton âme connaître les chemins ar« dus qui mènent à la porte de Hobs-bagaî (3), car celui qui « est de bon conseil, c'est toi, fils du roi (4) 1. Le fils du roi, Dadoufhorou, lui tendit les deux mains; il le fit lever, les Égyptiens se servaient pour exprimer l'idée de mort. Il s'explique aisément par l'idée du voyage en bateau que le mort était obligé de faire pour arriver à l'autre monde, et par le transport de la momie en barque, au delà du fleuve, le jour de l'enterrement.
(1) Le compliment est si embrouillé que je crains de ne pas l'avoir compris tout entier je me suis inspiré pour le traduire des observations de Piehl, dans Sphinx, t. I, p. T4-7S.
(2) C'est en langue antique, me /<a</)OM, me /ia</jou, l'équivalent du salut bi-s-salamah qu'on entend si souvent aujourd'hui dans l'Egypte arabe. (3) Ho&s-a~ est un personnage important, sous l'autorité de qui une partie des portes d'entrée de l'autre monde étaient placées (Erman, die ~M~rc/te?: des f'~p'/rm: tVM<c<M', p: 49) c'est un doublet d'une des formes d'Osiris, l'Osiris immobile dans son maillot.
(4) Cette phrase, très claire pour les lecteurs anciens, l'est moins pour les modernes. Selon les exigences de la civilité puérile et honnête du temps, Didi doit répondre au compliment par un compliment il constate donc que Dadoufhorou, jeune qu il est, a un poste qui le met au-dessus des vieillards, et il explique cet excès d'honneur par la science profonde de son interlocuteur. Dadoufborou avait en eil'et une réputation de savant, c'est-à-dire de. magicien, qui lui mérita d'être cité au Livre des Mo; comme l'inventeur du chapitre Lxiv, l'un des plus importants du recueil, et au Papyrus Anastasi (pi. X, 1. 8), comme un des interprètes les plus accrédités des livres les moins compréhensibles au vulgaire.
1.

et comme il se rendait ayep lui au port, il lui tenait la main. Didi lui dit « Qu'on me donne un caïque pour « m'apporter mes enfants et mes livres » on lui donna deux bateaux avec leur équipage, et Didi lui-même navigua dans la barque où était le fils du roi, Dadoufhorou. Or, quand il fut arrivé à la cour, dès que le fils du roi, Dadoufhorou, fut entré pour faire son rapport àla Majesté du roi des deux Égyptes Khoufouî, à la voix juste, le fils du roi, Dadoufhorou, dit « Sire, v. s. f., mon maître, j'ai amené « Didi ». Sa Majesté dit « Vite, amène-le-moi », et quand Sa Majesté se fut rendue à la salle d'audience de Pharaon, v. s. f., on lui présenta Didi. Sa Majesté dit « Qu'est « cela, Didi, que je ne t'aie jamais encore vu? » Didi lui dit: « Qui est appelé il vient; le souverain, v. s. f., « m'appelle, me voici, je suis venu ». Sa Majesté dit « Est-ce vrai ce qu'on dit, que tu sais remettre en place « une tête coupée? » Didi lui dit « Oui, je le sais, sire, « v. s. f., mon maître Sa Majesté dit « Qu'on m'amène « un prisonnier de ceux qui sont en prison, et dont la con« damnation est prononcée ». Didi lui dit « Non, non, « pas d'homme, sire, v. s. f., mon maître qu'on n'ordonne « pas de faire rien de tel au bétail noble (1) ». On lui apporta une oie à qui l'on trancha la tête, et l'oie fut mise à main droite de la salle et la tête de l'oie à main gauche de la salle Didi récita ce qu'il récita de son grimoire, l'oie se dressa, sautilla, la tête fit de même, et quand l'une eut rejoint l'autre, l'oie se mit à glousser. Il se fit apporter un pélican (?) autant lui en advint. Sa Majesté iui fit amener un taureau dont on abattit la tête à terre, et Didi récita ce qu'il récita de son grimoire le taureau se mit debout derrière lui mais son licou resta à terre (2). Le (1) Piehl a montré que, par cette expression, l'auteur entendait l'humanité (Sphinx, t. I, p. 1S) les textes relatifs aux quatre races humaines appellent en eS'et les hommes le troupeau de Rd.
(2) Cfr. plus haut p. 32, note 3, du présent volume. Au moment où le

roi Khoufouî, à la voix juste, dit « Qu'est-ce qu'on dit, « que tu connais les nombres des écrins à livres de la « crypte de Thot? » Didi lui dit « Pardon, si je n'en sais « le nombre, sire, v. s. f., mon maître, mais je connais « l'endroit où ils sont Sa Majesté dit « Cet endroit, où « est-il? M Ce Didi lui dit « Il y a un bloc de grès « dans ce qu'on appelle la Chambre des rôles à Onou (1), « et les écrins à livres de la crypte de Thot sont dans le « bloc ». Le roi dit « Apporte-moi les écrins qui sont « dans ce bloc (2) ». Didi lui dit « Sire, v. s. f., mon « maître, voici, ce n'est point moi qui te les apporterai ». Sa Majesté dit « Qui donc me les apportera ? » Didi lui dit « L'aîné des trois enfants qui sont dans le sein de « Roudîtdidît.ilteles apportera ». Sa Majesté dit « Par« bleu celle-là dont tu parles, qui est-elle, la Roudît« didît? » Didi lui dit « C'est la femme d'un. prêtre de « Râ, seigneur de Sakhîbou. Elle est enceinte de trois « enfants de Râ, seigneur de Sakhîbou, et le dieu lui a dit « qu'ils rempliraient cette fonction bienfaisante en cette « Terre-Entière (3), et que l'aîné d'entre eux serait grand « pontife à Onou ». Sa Majesté, son cœur en fut troublé, mais Didi lui dit « Qu'est-ce que ces pensers, sire, cou du taureau avait été tranché, leiicou était tombé à terre; la tête et le corps se rejoignent, mais le licou reste où il était tombé.
(1) Onou est Héliopolis, la Ville du Soleil. Chaque chambre de temple avait son nom particulier, qui était inscrit souvent sur la porte principale, et qui était dérivé, soit de l'aspect de la décoration, la Chambre ~'Or, soit de la nature des objets qu'on y conservait, la Chambre des Par/MM)!, la Chambre de l'Eau, soit du sens des cérémonies qu'on y accomplissait. Le bloc mentionné ici est probablement un bloc mobile, comme celui du Con<e de «Aa'M~tnt/e (cfr. p. 209), et il servait à cacher l'entrée~ de la crypte où Thot avait déposé ses livres. (2) Le.scfibe a passé ici la fin de la réponse de Didi et le commence- d ment d'une nouvelle question du roi (Erman, die Af~'c/teTt des ~a/~t-Ms Westcar, p. 55) j'ai rétabli, d'après le contexte, ce qui manque au manuscrit.
(3) Euphémisme pour désigner la royauté. Sur le sens de l'expression la ï'e'-fe-B'M<!ere, v. plus haut, page 4, note 3.

<t v. s. f., mon maître? Est-ce que c'est à cause de ces « trois enfants? Je te dis Ton fils, son fils, et un de « celle-ci (1) ». Sa Majesté dit « Quand enfantera-t-elle, « cette Rouditdidit? Il dit « Elle enfantera, le 15 du « mois de,Tybi ». Sa Majesté dit « Si'les bas-fonds du « canal des Deux-Poissons ne coupaient le chemin, j'irais « moi-même, afin de voir le temple de Râ, maître de « Sakhibou ». Didi lui dit « Alors, je fèrai qu'il y ait « quatre coudées d'eau sur les bas-fonds du canal des « Deux-Poissons (2) )). Quand Sa Majesté se fut rendue en son logis, Sa Majesté dit « Qu'on mette Didi en « charge de la maison du fils royal Dadoufhorou, pour y « demeurer avec lui, et qu'on lui donne un traitement de « mille pains, cent cruches de bière, un bœuf, et cent bottes « d'éehaloteH. Eti'on fit tout ce que Sa Majesté avaitordonné. (1) Cette phrase est rédigée'en style d'oracle, comme il convient à une réponse de magicien. Elle parait être destinée à rassurer le roi, en lui affirmant que l'avènement des trois enfants de Râ n'est pas proche, mais que son fils à lui régnera, puis le fils de son fils, avant que les destinées s'accomplissent. Les listes royales mettent, après Khoufoui, d'abord Didoufriya, puis Khâfrîya, puis Menkaouriya, puis Shopseskaf, avant Ousirkaf, le premier des trois rois de la V* dynastie dont notre conte annonce la grandeur future. L'auteur de notre conte a omis Didoufrîya et Shopseskaf dont le peuple n'avait garde aucun souvenir ~Erman, t/:e Af~'cAcH des 7'ap)/?'!M Westcar, p. 19).
(2) Les résolutions du roi sont exprimées en termes qui nous paraissent peu clairs, sans doute parce que nous n'avons pas la fin du récit. Le roi ne songe plus à tuer les enfants après ce que le magicien lui a dit, mais il ne renonce pas pour cela à lutter contre le destin, et d'abord il demande quel jour Rouditdidit accouchera. Didi sait déjà le jour, le 15 de Tybi, grâce a cette intuition surprenante que possèdent souvent les héros des contes égyptiens (cfr. p. 14, où les magiciens ont l'air de savoir déjà que la fille des dieux est au Val de l'Acacia). Si le roi lui pose cette question, c'est sans doute afin de faire tirer l'horoscope des enfants et de voir si les astres confirment la prédiction du sorcier. Il se demande un moment s'il n'ira pas à Sakhîbou étudier ce qui se passe dans le temple de Ra, mais l'état du canal ne lui permet pas de donner suite à son projet, bien que le magicien lui promette de jeter quatre coudées d'eau sur les bas-fonds afin que sa barque navigue sans peine. Le canal des Deux-Poissons était le canal qui traversait le nome Létopolite (Brugsch, Dictionnaire GM~)'ap/t:~Me,p.621).

Or, un de ces jours-là, il arriva que Roudîtdidît souffrit les douleurs de l'enfantement. La Majesté de Râ, seigneur de Sàkhîbou, dit à Isis, à Nephthys, à Maskhonouît (1), à Hiqaît (2), à Khnoumou « Hop courez déli« vier la Roudîtdidît de ces trois enfants qui sont dans son « sein et qui rempliront cette fonction bienfaisante en « cette Terre-Entière, vous bâtissant vos temples, four« nissant vos autels d'offrandes, approvisionnant vos « tables à libations, augmentant vos biens de main« morte ». Lors ces dieux allèrent les déesses se changèrent en musiciennes, et Khnoumou fut avec elles comme homme de peine (3). Elles arrivèrent à la maison de Râoùsir, et elles le trouvèrent qui se tenait là, déployant le linge (4); Elles passèrent devant lui avec leurs crotales et avec leurs sistres (5), mais il leur dit « Mes« dames, voyez, il y a ici une femme qui souffre lés dou<( leurs de l'enfantement ». Elles dirent « Permets-nous « de la voir, car, voici, nous sommes habiles aux accou(1) Maskhonouît est la déesse du ~fa~/tonoM, c'est-à-dire du berceau, et, en cette qualité, elle assiste à l'accouchement elle réunit en elle S/ta« et lianénit, c'est-à-dire la déesse qui règle la destinée, et celle qui allaite ()'aKOM?:ou) l'enfant et lui donne son nom (W~oK), par suite, sa personnalité(cfr. Maspero..E<t<e~/jhe?:HM, t. I, p. 2'7).
(2) Hiqait, qui est nommée avec Rhhoumoù i'MK des p?,enziers Ao'ceaM. f~&t/o~ (Louvre C 3), c'est-à-dire l'une des divinités qui ont présidé à la J fondation de la ville, est là déesse Grenouille ou à tête de grenouille, une des déesses cosmiques qui avaient agi lors de la naissance dn monde. Sa (j présence est donc naturelle auprès d'une accouchée.
(3) Le texte dit « comme porte-coffret, porte-sac ». Khnoumou prend le rôle du domestique qui accompagne les almées, porte leurs bagages, et, au besoin, fait sa partie vocale et instrumentale dans le concert. L'un des petits personnages en bois trouvés à Méîr et qui sont au Musée du Càire porte un coffret et me parait définir nettement ce qu'un /t)'a7(! pouvait être (Màspero, Guide dM F:s:<eM<' at< niusée du Caire, 1910, 5° édit. anglaise, p. 500, n" 155).
(4) Il déployait le linge destiné à l'accouchement.
(5) Nous rencontrerons plus bas. dans les MdmoM'es Sinouhit (cf. p. 99-100), une scène de famille analogue, mais où les acteurs sont les princes de la maison de Pharaon.

« chements ». Il leur dit « Venez donc n, et elles entrèrent devant Rouditdidit, puis elles fermèrent la chambre sûr elle et sur elles-mêmes. Alors, Isis se mit devant ellé, Nephthys derrière elle, Hiqaît facilita l'accouchement (1). Isis dit « 0 enfant, ne fais pas. le fort en son ventre, « en ton nom d'Ousirraf, celui dont la bouche est forte (2) » Alors cet enfant lui sortit sur les mains, un enfant d'une coudée de long (3), aux os vigoureux, aux membres couleur d'or, à la coiffure de lapis-lazuli vrai (4). Les déesses (t) Pour comprendre la position que prennent les déesses par rapport à t'accouchée, il faut se rappeler que les femmes égyptiennes en travail ne choisissaient pas comme les nôtres la position horizontale. Elles se tenaient, ainsi que le prouvent certains tableaux, soit accroupies sur une natte ou sur un lit, les jambes repliées sous elles, soit assises sur une chaise qui ne parait différer en rien des chaises ordinaires. Les femmes accourues pour les aider se répartissaient la besogne l'une se plaçait derrière la patiente et la serrait à bras le corps, pendant les douleurs, pour lui servir de point d'appui et pour favoriser l'expulsion, l'autre se mettait devant elle, agenouillée ou accroupie, afin de recevoir l'enfant dans ses mains et d'empêcher qu'il ne tombât à terre brutalement. Les deux déesses Isis et Nephthys, venues pour accoucher Rouditdidit, n'agissent pas autrement que les sages-femmes ordinaires, et Hiqaît précipite la délivrance par des massages opérés sur le sein maternel, ainsi que les sagesfemmes égyptiennes le font aujourd'hui encore.
(2) Selon une habitude fréquente non seulement en Égypte, mais dans l'Orient entier, la sage-femme, en donnant à l'enfant le nom qu'il portera, fait un calembour plus ou moins intelligible sur le sens des mots dont ce nom se compose. Ici l'enfant s'appelle 0!M:')--)-o/ OM:a/ ce qui est, pour le sens, une variante du nom 0:M!t-Aa/' que portait le premier roi de la V* dynastie. ~M~ signifie celui dont la bouche est forte, 0!MtfAa/' est celui dont le double est fort, aussi la déesse emploie-t-elle le verbe 0!M:< ou dans la première partie de la phrase c Ne sois pas fort (o!M!OK) « dans son ventre, probablement, ne meurtris pas le ventre de la « mère, en ton nom de celui dont la bouche est forte ». C'est le même procédé par lequel les historiens Hébreux expliquaient le nom des enfants de Jacob (Genèse, xxix, 32-xxx, 24).
(3) C'est la taille normale des enfants nouveau-nés dans les textes égyptiens (Erman, dM Afœre/ten des Papyrus Westcar, p. 62).
(4) Le texte dit littéralement que « la couleur de ses membres était d'or et sa perruque de lapis-lazuli vrai a, en d'autres termes que ses membres étaient précieux comme l'or, sa chevelure bleue comme le lapis-lazuli. Y a-t-il un calembour entre nuM&Q!~ l'or, et noubou, modeler, fondre, que les tejtt&s_emploient souyent_pour exprimer ta creation'des membres d'un homme par tes dieux? En tout cas, la coiffure des têtes

le lavèrent, elles lui coupèrent le cordon ombilical, elles le posèrent sur un lit de briques, puis Maskhonouît s'approcha de lui et elle lui dit « C'est un roi qui exercera « la royauté en ce Pays Entier ». Khnoumou lui mit la santé dans les membres (1). Ensuite Isis se plaça devant Roudîtdidît, Nephthys derrière elle, Hiqaît facilita l'accouchement. Isis dit « Enfant, ne voyage pas plus longtemps « dans son ventre, en ton nom de Sâhourîya, celui qui est « Râ voyageant au ciel (2) ». Alors cet enfant lui sortit sur les mains, un enfant d'une coudée de long, aux os vigoureux, aux membres couleur d'or, à la coiffure de lapislazuli vrai. Les déesses le lavèrent, elles lui coupèrent le cordon, elles le portèrent sur un berceau de briques, puis Maskhonouît s'approcha de lui et elle dit « C'est un roi « qui exercera la royauté en ce Pays Entier ». Khnoumou lui mit la santé dans les membres. Ensuite, Isis se plaça devant Roudîtdidît, Nephthys se plaça derrière elle, Hiqait facilita l'accouchement. Isis dit « Enfant, ne reste pas <( plus longtemps dans les ténèbres de son ventre, en ton « nom de Kakaouî, le ténébreux (3) ». Alors cet enfant lui sortit sur les mains, un enfant d'une coudée de long, aux humaines dont les cercueils de momie sont décorés est presque toujours teinte en bleu, si bien que l'expression de notre texte répond exactement à un détail d'art ou d'industrie égyptienne. Somme toute, ce n'est pas un enfant naturel que notre auteur décrit, mais une statuette de divinité, avec ses incrustations d'or et avec sa coiffure.
(i) Maskhonouît étant, comme j'ai dit (p. 38, note 1), la destinée humaine, on l'appelle pour rendre l'arrêt de vie de l'enfant. Khnoumou, le modeleur, complète l'oeuvre des déesses il masse le corps du nouveauné et il lui infuse ainsi la santé (cfr. p. 12, note 3).
(2) Le calembour roule ici sur le mot -Set/;OM, qui entre dans 'e nom du roi Sdhouriya. ~'Aox signiCe ~'appt'oc/fr de. voyager.. La déesse dit à l'enfant de ne pas circuler plus longtemps dans le sein de sa mère, et cela parce qu'il s'appelle Sâhourîya, celui qui voyage au ciel comme le Soleil.
(3) Le troisième roi de la V dynastie, Naferarkerîya, s'appelle aussi Kakaoui, et nous ne savons pas quel était le sens de ce nom. Pour obtenir le jeu de mots sur kakauui, les ténèbres, le scribe a été forcé d'altérer l'orthographe traditionnelle,

os vigoureux, aux membres d'or, à la coiffure de lapislazuli vrai. Les déesses le lavèrent, elles lui coupèrent le cordon, elles le posèrent sur un lit de briques, puis Maskhonouît s'approcha de lui et elle dit « C'est un roi qui « exercera la royauté en ce Pays Entier ». Khnoumou lui mit la santé dans les membres (1). Quand ces dieux sortirent, après avoir délivré la Rouditdidît de ses trois enfants, ils dirent « Réjouis-toi, Râousir, car, voici, trois « enfants te sont nés ». Il leur dit: « Mesdames, que ferai-je « pour vous ? Ah, donnez ce grain que voici à votre homme « de peine, pour que vous l'emportiez en paiement aux Il silos (2) » Et Khnoumou chargea ce grain, puis ils repartirent pour l'endroit d'où ils étaient venus. Mais Isis dit à ces dieux « A quoi songeons-nous d'être venus à « Râousir sans accomplir, pour ces enfants, un prodige par « lequel nous puissions faire savoir l'événement à leur « père qui nous a envoyés (3) ». Alors elles fabriquèrent trois diadèmes de maître souverain, v. s. f. (4), et elles les placèrent dans le grain elles précipitèrent du haut du ciel l'orage et la pluie, elles revinrent à la maison, puis elles dirent <! Déposez ce grain dans une chambre scellée, « jusqu'à ce que nous revenions baller au nord (5) ». Et l'on déposa ce grain dans une chambre scellée. (1) Le manuscrit original change ici la succession des opérations je les ai remises chacune dans l'ordre adopté lors de la naissance des deux premiers enfants.
(2; Cfr., pour le sens de ce dernier membre de phrase, Bissing, Zu /'a~)-u< We~car XI, 8, dans la ZM~c/ir:/<, 1905, t. xnv, p. 90. (3) /.c;< pène désigne ici non pas ltàousir, le mari de Rouditdidît, qui ne connaît pas l'origine divine des trois enfants, mais le dieu Râ de Sakhibou, le père réel, qui a en etfet envoyé les déesses au secours de sa maîtresse.
(4< Cfr., sur ce point, la note de Sethe, Zu Westcar dans la Zeitschrift, 1891, t. XXIX, p. 84.
(5) II ne faut pas oublier que les déesses se sont déguisées en aimées. Elles prient donc les gens de la maison de leur garder le blé en dépôt, jusqu'à ce qu'elles aient fini leur tournée dans le pays du sud et qu'elles reviennent au nord une seconde fois.

Roudîtdidît se purifia d'une purification de quatorze jours, puis elle dit à sa servante « La maison est-elle en « bon ordre? » La servante lui dit « Elle est garnie de « toutes les bonnes choses pourtant, les pots pour la « bouza, on ne les a pas apportés (1) H. Alors Roudîtdidît lui dit <' Pourquoi n'a-t-on pas apporté les pots ? » La servante dit Il serait bon de brasser sans retard, si le « grain de ces chanteuses n'était pas dans une chambre « scellée de leur cachet ». Alors Roudîtdidît lui dit « Des« cends (2), apporte-nous-en; Râousir leur en donnera « d'autre en place, lorsqu'elles reviendront ». La servante alla et elle ouvrit la chambre; elle entendit des voix, du chant, de la musique, des danses, du zaggar~t (3), tout ce qu'on fait à un roi, dans la chambre (4). Elle revint, elle rapporta tout ce qu'elle avait entendu à Rouditdidit. Celle-ci parcourut la chambre et elle ne trouva point la place d'où le bruit venait. Elle appliqua sa tempe contre la huche et elle trouva que le bruit était à l'intérieur elle mit donc la huche dans un coHt'e en bois, elle apposa un (1) Le texte dit « sauf les vases », et comme Erman l'a bien vu (die Mxrc'.en des Pa/T'tM Westcar, p. 61), le mot vase doit désigner ici une boisson rase aura pris le même sens que cup, verre, pichet, litre, dans nos langues modernes, le contenant pour le contenu. Comme il faut, pour préparer ces vases, le grain qui a été donné aux déesses, je crois qu'il s'agit ici de la bouza, la bière douce des anciens Égyptiens comme des Égyptiens modernes.
(2) L'appartement des femmes est à L'étage supérieur la servante doit descendre pour aller chercher le grain.
(3) C'est le mot qui sert à désigner, en arabe, une sorte de cri suraigu que les femmes poussent en chœur, dans les fêtes, pour témoigner leur joie. Elles le produisent en appuyant la pointe de la langue contre les dents d'en haut et en la faisant vibrer rapidement.
(4) Un auteur arabe raconte qu'il y avait dans la grande Pyramide une chambre fermée d'où sortait un bourdonnement d'une force incroyable (Carra de Vaux, l'Abrégé des Afo'M!;<M, p. 214); c'était évidemment ce que nous appelons le .!e<a&, et qui contenait les statues du roi. Notre texte explique la légende arabe et il nous montre qu'elle a une origine antique les visiteurs de la grande Pyramide croyaient entendre le même bruit de fête royale que Rouditdidit et sa servante entendirent dans la huche qui renfermait les couronnes des trois enfants.

autre sceau, elle l'entoura de cuir, elle plaça le tout dans la chambre où étaient ses vases et elle ferma celle-ci de son sceau (1). Quand Râousir arriva de retour du jardin, Roudîtdidît lui répéta ces choses et il en fut content extrêmement, et ils s'assirent et ils passèrent un jour de bonheur.
Or, beaucoup de jours après cela, voici que Roudîtdidît se disputa avec la servante et qu'elle la.fit fouetter. La servante dit aux gens qui étaient dans la maison « Est« ce ainsi qu'elle me traite, elle qui a enfanté trois rois ? « J'irai et je le dirai à La Majesté du roi Khoufouî, à « la voix juste ?. Elle alla donc et elle trouva son frère aîné de mère, qui liait le lin qu'on avait teillé sur l'aire. Il lui dit « Où vas-tu, ma petite damoiselle ? » et elle lui raconta ces choses. Son frère lui dit « C'est bien faire ce « qu'il y avait à faire que venir à moi; je vais t'apprendre « à te révolter ». Voici qu'il prit une botte de lin contre elle et il lui administra une correction. La servante courut se puiser un peu d'eau, et le crocodile l'enleva (2). Quand son frère courut vers Roudîtdidît pour lui dire cela, il trouva Roudîtdidît assise, la tête aux genoux, le cœur triste plus que toute chose. Il lui dit « Madame, pour« quoi ce cœur? » Elle dit « C'est à cause de cette petite « qui était dans la maison voici qu'elle est partie disant a J'irai et je dénoncerai ». Il se prosterna la face contre terre, il lui dit « Ma dame, quand elle vint me conter ce (t) Le texte est assez embrouillé à cet endroit. Je crois comprendre que Rouditdidit prend la huche en terre où tes dieux ont enfermé leur blé, qu'elle la met dans une caisse de bois qu'elle recouvre de cuir et sur laquelle elle appose un sceau, puis qu'elle l'enferme dans son cellier, afin d'empêcher que personne n'entendit le bruit mystérieux.
(2) Le crocodile, ou l'hippopotame sont assez souvent en Égypte les ministres de la vengeance divine Ménès est enlevé par un hippopotame, et Akhthoès, le premier roi de la IX. dynastie, par un crocodile (Manéthon, e«:'<. Unger, p. 18,101). La servante, battue par son frère, court au canal le plus voisin, afin d'y puiser un peu d'eau pour se panser et pour se rafraîchir le crocodile, envoyé par Râ, l'emporte et la noie.

« qui est arrivé et qu'elle se plaignit à moi, voici que je « lui donnai de mauvais coups alors elle alla se puiser « un peu d'eau, et le crocodile l'emporta. »
La fin du roman pouvait contenir, entre autres épisodes, le voyage à Sakhîbou auquel Chéops fait allusion vers la Un de son entretien avec Didi. Le roi échouait dans ses entreprises contre les enfants divins; ses successeurs, Chéphrên et Mykérinos, n'étaient pas plus heureux que lui, et l intrigue se dénouait par l'avènement d'Ousirkaf. Peut-être ces dernières pages renfermaient-elles des allusions a quelques-unes des traditions que les écrivains grecs avaient recueillies. Chéops et Chéphrên se vengeaient de l'inimitié que Râ leur témoignait en fermant son temple à Sakhîbou et dans d'autres villes ils justifiaient ainsi une des histoires qui leur avaient valu leur renom d'impiété. De toute façon, le Papyrus Westcar est le premier qui nous arrive en rédaction originale des romans dont se composait le cycle de Chéops et des rois constructeurs de pyramides.

LES PLAINTES DU FELLAH (Xfft" DYNASTIE)
Ce conte paraît avoir été très populaire pendant la durée de l'Empire thébain, car nous connaissons quatre manuscrits qui le renferment, trois à Berlin, un à Londres. Les trois manuscrits de Berlin ont été publiés dans les DeH&mft~er aus Egypten und Etttiopieil de Lepsius, Abtheilung VI, puis dans Vogelsang-Gardiner, die K~ett des Bauern (forme le tome 1 des Literarischc Te~Ot des ~t«/erfK Reiches d'Erman), 1908, Leipzig, in-folio.
1° Le Papyrus de BeWtK ? 2 (Berlin 3023), de la planche 108 à la 110 des DeH/tMeB/ef (cf. les planches 5,5~ –1'7,1'7~ des Klagen), renferme trois cent vingt-cinq lignes d'une grosse écriture des premiers temps de la XVHI~ dynastie, soignée au commencement, de plus en plus négligée à mesure qu'on avance vers la fin. Le début et la conclusion de l'histoire manquent.
 Le Papyrus de Berlin K° 4 (Berlin 3025), de la planche H3 à la planche 114 des Denkmxler (cf. pl. 18,18'~ 24,24~ des J~a;/<;K), renferme cent quarante-deux lignes d'une écriture très rapide de la même époque que celle du manuscrit précédent. Il parait avoir été détérioré par un maniement prolongé, et les lacunes provenant de l'usure, jointes au peu de netteté du caractère, le rendent difficile à déchiNrer. Les parties conservées contiennent, vers la fin, une cinquantaine de lignes en plus; cependant la conclusion du récit manque encore. Des fragments de ces deux manuscrits, qui avaient échappé à Lepsius, ont été acquis par lord Amherst of Hackney et sont conservés dans sa collection à Didlington Hall. Les plus importants contiennent quelques débris des pages qui manquent

au PojM/rMs de Berlin K" 2, les autres appartenaient au Papyrus de Berlin M" 4, et tous ont été publiés par
Percy E. Newberry, the Amherst Papyri, 1901, t. I, pi. 1 A-L et p. 9-10.
3° Le Papyrus du Ramesséum (Berlin 10.499) faisait partie d'un lot de papyrus découverts pendant l'hiver de 1895-1896 près du Ramesséum, au cours des fouilles de Quibell; cédé par Petrie à Alan H. Gardiner, celui-ci en fit hommage au Musée de Berlin. H contient au recto le début des Plaintes du fellah, correspondant au Papyrus Butler en son entier, et aux lignes 1-87, 130-146 du Papyrus de BeWtM no 2. Son existence fut signalée par Alan H. Gardiner, Eine neue ~f<:MdM/M't/'< des Sinuhegedichtes, dans les Sitzungsberichte de l'Académie des Sciences de Berlin, 1906, p. 142-143, p. 1-2 du tirage à part.
Ha été publié en fac-simile eten transcription hiéroglyphique dans Volgelsang-Gardiner, dteK~endMBauefn.pl.l, 1~–4bi~ ~.bis-o. 4<' Papyrus Butler H" 527 (British Museum 10274 verso). Il est d'une grosse écriture, assez soignée, peut-être des premiers temps de la XVIIIe dynastie. M est plus développé que les deux anciens manuscrits de Berlin, et il ajoute à ce qu'ils nous font connaître une quinzaine de lignes d'introduction, qui ne nous donnent'pas encore le commencement de l'histoire. Une portion en a été publiée en fac-similé cursif par
F. LI. Griffith, Fragments of Old J~p<t<!K Stories, dans les Proceedings of the Society o/'Btt)HM<Afc?Meo~i/, 1891-1892, t. XIV, pl. I-IV En combinant les éléments que nous fournissent ces quatre manuscrits, on arrive à reconstituer le texte presque complètement. Borchardt a démontré dans la Zeitschrift y'Mf 7Eg~pMse~e Sprache, t. XXVII, p. 12, que divers fragments, placés par Lepsius au début du Papyrus M" 4, doivent être reportés à la fin du même papyrus, et qu'ils nous fournissent à peu près le dénouement de l'histoire. Le sujet en fut découvert et signalé presque simultanément par Chabas et par Goodwin. Chabas donna la traduction suivie des premières lignes dans son mémoire sur
Les Papyrus hiératiques de Berlin, récits d'il y a quatre mille ans, Paris, 1863, in-8", p. 5-36; cf. OEuvres diverses, t. II, p. 292 sqq. Goodwin se contenta de publier une analyse fort courte de l'ensemble dans un article intitulé
The Story of SaHe/M, An .Eg~p<«Mt Tale of FoMf Thousand Years a~/o, dans le Frazer's .Ma.'ya.MMc (n° du 15 février 1865, p. 18S-202), p. 188. Chabas n'avait utilisé, pour établir son texte, que les Papyrus de Berlin, Goodwin eut la bonne fortune de découvrir le Papyrus Butler au British Museum, et il inséra la traduction raisonnée des premières lignes dans les

~e7o:K$'M ~yp~og~ïMS de Chabas, 2'= série, Paris, 1864, Benjamin Duprat, in-8", p. 249-266, ce qui fournit à Chabas lui-même (p. 266-272) l'occasion de rectifier quelques détails de sa propre traduction et de la traduction anglaise.
Depuis lors le texte a été étudié plusieurs fois. Je l'avais transcrit et traduit en 1877 au Collège de France, en 1893 et 1894 à l'École des Hautes-Études, et c'est le commencement de cette traduction qui figurait dans les trois premières éditions de ces Contes. Une version anglaise, couvrant les parties du texte sur lesquelles j'avais travaillé déjà, fut publiée plus tard par
F.-L1. Griffith, F/'aymeH~ of Old Egptian Stories, dans les Proceedings of the Society of Biblical ~rc/t~o~y, 1891-1892, t. XIV, p. 459-472.
Une transcription hiéroglyphique de quelques parties, puis une traduction complète de l'ensemble a été donnée en allemand par Erman, ~E~</p<Mc~e Grammatik, 1~ édition, 1899, p. 28*-37*; Erman, Aus den Papyrus der R'OKt~Kc/teH ~Mseen, Berlin, Speeman, 1899, p. 46-53;
Erman, jEg~phsc/te Chrestomathie, Berlin, Reuther et Richard, 1904, p. 11-19 et 6*-10*,
et l'on trouve une traduction anglaise un peu libre d'allure dans
Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, t. I, p. 61-80.
Enfin la transcription et la traduction en allemand de l'ensemble ont été publiées en 1907 par Vogelsang-Gardiner, die Ë~e~ des BaMem, p. 8-15.
Le nom et la qualité des deux personnages principaux de cette histoire ont donné lieu à de nombreuses recherches. Pleyte avait lu celui du persécuteur Sati, le Chasseur (Sur gue~Mes groupes hiéroglyphiques, dans la Zeitschrift, 1869, p. 82), et sa lecture prévalut longtemps. En 189), Griffith ledéchiffra avecdoute SoM<t ou Soutenti (Ffs~men<so/'0<dE~i/p<M}tS<or!es, dans les ProcMdMtf/s, 1891-1892, t, XIV, p. 468, note 3), et bientôt après Max Mûller le rendit par hamouîti, le charpentier, l'artisan (the Story o/e Peasant, dans les Proceedings, 1892-1893, t. XV, p. 343-344). Schœfer a démontré (Eine kursive Form von Dhwti, dans la Zeitschrift, 1902-1903, t. XL,, p. 121-124) que c'était non pas un terme de métier mais un nom propre, Thotnakhouîti. Le sobriquet du persécuté, So/t/M<t, a été rendu d'accord commun paysan, cultivateur, fellah, et c'est bien le sens qu'il a dans les textes ordinaires. Ici le contexte me paraît indiquer qu'on doit le considérer comme un ethnique le ~oA'AM de notre conte est donc l'homme de la Sokhît hamaît, de l'Oasis du JVa~on, et, par abréviation, je l'avais traduit <e Saunier dans l'édition précédente de ces contes. Pour éviter les confusions que cette traduc-

~tion trop littérale n'a pas manqué de produire dans l'esprit des lecteurs, je reviens à l'ancienne traduction de fellah..
Comme le conte précédent, celui-ci nous apporte quantité de
détails sur les usages, la condition, les misères des petites gens. La ressemblance des mœurs anciennes et des moeurs actuelles s'y révèle d'une manière frappante, et l'homme auquel un petit fonc- tionnaire de village vole un âne ou un chameau, ses plaintes et ses récriminations inutiles, ses séances prolongées à la porte de l'officier de police ou du grand seigneur qui est censé devoir lui rendre justice, sont expériences journalières pour quiconque a vécu hors d'Alexandrie et du Caire. II n'est pas jusqu'aux harangues interminables du fellah ancien qu'on ne retrouve, presque avec les mêmes hyperboles, dans la bouche du fellah contemporain. Le pauvre diable se croit obligé de parler beau afin d'attendrir son juge, et il débite tout ce que son imagination lui suggère de grands mots et de fortes images, le plus souvent sans trop se soucier du sens et sans bien calculer ses effets. Les difficultés que ses discours présentent tiennent sans doute à la même cause qui empêche l'Européen de comprendre un fellah qui porte plainte. L'incohérence des idées et l'obscurité du langage sont dues au désir de bien dire qui le possède et au peu d'habitude qu'il a de manier le langage relevé l'auteur de notre conte me semble avoir réussi trop complètement pour nous à rendre ce côté légèrement comique du caractère national.
Le nom du Pharaon Nabkaourlya et le lieu de la scène nous
prouvent que l'auteur faisait vivre son héros au temps des dynasties héracléopolitaines. Je reporterai donc volontiers la composition au premier âge thébain, comme on a fait depuis Chabas, et plutôt aux siècles qui suivirent la XII" dynastie qu'à la XII" dynastie elle-même; c'est là toutefois un point qui ne pourrait être établi sans de longues discussions.
Il y avait une fois un homme, Khounianoupou de son
nom, qui était un fellah de la Plaine du Sel (i), et il avait une femme, Nofrît de son nom (2). Ce fellah dit à cette sienne femme « Hé toi, je descends en Egypte pour en « rapporter du pain (3) à nos enfants. Va là, mesure-moi (i) La Plaine du Sel est le pays de l'Ouady-Na.troun, à l'ouest du Delta et au nord-ouest de Unes.
?*°* (2) Le nom de la femme est mutilé du début si les deux signes qui en restent sont bien un r et un t, il y. a. quelque vraisemblance qu'on peut te lire Nofrît ou Nofrét.
(3)11 ne faut pas prendre ce mot au pied de la lettre et s'imaginer que

« le grain qui est dans le magasin, du reste du grain de « [cette année] ». Alors il lui mesura [huit] boisseaux de grain. Ce fellah dit à cette sienne femme « Hé toi, voici « ces deux boisseaux de grain pour tes enfants, mais « fais-moi, des six boisseaux de grain, de pain et de la « bière (1) pour chaque jour que je serai en voyage ». Quand donc ce fellah descendit en Egypte, il chargea ses ânes de roseaux, de joncs (2), de natron, de sel, du bois d'Ouîti (3), de l'acacia du Pays des bœufs (4), de peaux de loup, de cuirs de chacal (5), de sauge, d'onyx, de la gaude, de la coloquinte, du coriandre, de l'anis, du talc, de la pierreollaire, de la menthe sauvage, du raisin, des pigeons, des perdrix, des cailles, des anémones, des narcisses, des ) graines de soleil, des Cheveux de terre, des piments, tout plein de tous les bons produits de la Plaine du Sel (6). Lors donc que ce fellah s'en fut allé au sud, vers Khininnotre homme compte rapporter une charge de pain. Le mot aikou était pris par les Égyptiens anciens de la même manière que &;Ae en pareil cas par les Égyptiens modernes. afin de désigner toute espèce de denrées pouvant servir à la nourriture d'une famille.
(1) Le rapprochement s'explique lorsque l'on connait les procédés que les Égyptiens employaient à la fabrication de la bière ils se servaient de mie de pain rassis en guise de levure. Les scènes reproduites en bas-relief ou en poupées de bois, dans les tombeaux du premier empire thébain ou de l'empire memphite, reunissent toujours la boulangerie et la brasserie sur les mêmes tableaux on ne doit donc pas s'étonner si notre fellah commande à sa femme de fabriquer à la fois le pain et la bière avec le grain qu'il lui remet.
(2) Aujourd'hui encore on exporte de l'Ouady-Natroun deux espèces de joncs, le M'n<h- et le &< qui servent à fabriquer des nattes. La meilleure qualité de ces joncs vient d'au delà de l'Ouady Natroun, de l'Ouady Maghara qu'on appelle aussi l'Ouady es-Soumàra.
(3) Le nom est incomplet il me semble reconnaître les traces du nom de l'Oasis d'Ouîti, conservé dans celui du village de Baouiti, un des villages de l'Oasis du Nord.
(4) Le Pays des Bœufs est l'Oasis de Farafrah.
(5) Les peaux de chacal paraissent avoir été exportées en paquets de trois, comme on le voit par la forme du signe mos en hiéroglyphes. (6) Les noms de ces minéraux et de ces graines sont encore mal identifiés à ceux des espèces moderpes correspondantes je les ai traduits

souton (1), et qu'il fut arrivé au lieu dit Pafifi, au nord du bourgdeMadenit(2), il rencontra un individu qui se tenait sur la berge, Thotnakhouîti de son nom, fils d'un individu, Asari de son nom, tous deux serfs du maire du palais Marouîtensi. Ce Thotnakhouîti dit, dès qu'il vit les ânes de ce fellah, s~émerveiMaat en son cœur « Me favorise « toute idole, si bien que je m'empare des biens de ce « fellah ». Or le logis de ce Thotnakhouîti était contigu à la chaussée, qui en était resserrée, pas ample, si bien qu'elle n'avait plus que lalargeur d'une pièce d'étoffe avec de l'eau sur un côté et du blé sur l'autre. Ce Thotnakhouîti dit à son serviteur « Cours et m'apporte une pièce « de toile de ma maison. » Elle lui fut apportée sur-lechamp et il la déploya à même Ja chaussée, si bien que le liteau touchait à l'eau et l'effilé au blé (3).Lors donc que ce fellah vint sur le chemin de tout le monde, ce Thotnakhouîli dit « Fais-moi plaisir (4), fellah, ne marche pas c sur mon linge H. Ce fellah dit « A fâire airisi que tii « dis, ma route est bonne ». Comme il se portait vers le haut, Thotnakbouîti dit « Mon blé va-t-H pas te servir (1) Hakhininsouton ou llakhininsou est la ville que les Assyriens nommaient Khininsou, les Hébreux Khanès, les Coptes Hoes c'est aujourd'hui ~tta~S~A ou ~n<Mei-~</Mte'A.
(2) Les deux bourgs de PaSS et de Madenit ne nous sont pas connus d'auleurs il faut les chercher quelque part entre l'Ouady Natroun et Ahnas, mais beaucoup plus près de cette ville, probablement vers l'entrée du Fayoum.
(3) La suite du récit nous donne la raison de ces préparatifs. Thotnakhouiti, en barrant le sentier, compte obliger le paysan à se porter vers le haut de la route au voisinage du champ. En chemin, l'âne happera quelques tiges; Thotnakhouîti constatera le délit et confisquera la bête. Aujourd'hui, le propriétaire d'un champ se contente de couper une oreille au baudet on peut néanmoins citer tel cas où, comme le personnage de notre conte, il s'empare du voleur.
(4) Les mots que je traduis Fais-moi plaisir par à peu près, Id /t<M'ou, forment une phrase polie par laquelle les Égyptiens appelaient l'attention de leurs camarades ou des passants sur une opération qu'ils exécutaient ou sur un fait qui les intéressait également. C'est l'équivalent de i'<!me/ maaioufou ~Me~: e/-MiaaroM/,des Égyptiens modernes.

« de chemin, fellah ? » Ce fellah dit « Ma route est « bonne, mais la berge est haute, la route a du blé, tu « as barré le chemin avec ton linge. Est-ce que tu ne « permets pas que je passe? » Tandis qu'il lui disait ces paroles, un des ânes prit une pleine bouchée de tiges de blé. Ce Thotnakhouîti dit « Hé toi, puisque ton âne « mange mon blé, je le mettrai au labour à cause de sa « force ». Ce fellah dit « Ma route est bonne. Pour « éviter une avanie, j'avais emmené mon âne, et mainte« nant tu le saisis parce qu'il a pris une bouchée de tiges « de blé Mais certes je connais le maître de ce domaine, « qui est le grand intendant Marouîteosi c'est lui, certes, « qui écarte tout voleur dans cette Terre entière (1), et je « serais volé sur son domaine ? a Ce Thotnakhouîti dit « N'est-ce pas là vraiment le proverbe que disent les « gens « On cite le nom du pauvre diable à cause de son « maître? » C'est moi qui te parle, et c'est au maire du « palais Marouîtensique tu penses (2) ». Alors il saisit une branche verte de tamarisque et il lui en fouetta tous les membres, puis il lui enleva ses ânes et il les fit entrer dans son champ. Ce fellah se mit à pleurer très fort par douleur de ce qu'on lui faisait, et, ce Thotnakhouîti dit: « N'élève pas la voix, fellah, bu tu iras à la ville du dieu « seigneur du silence (3) 1 » Ce fellah dit « Tu m'as « frappé, tu as volé ma propriété, et maintenant tu enlèves « là plainte de ma bouche Divin seigneur du silence, (1) Comme nous l'avons dit, la 7'e<vc entière est un des noms que les Égyptiens donnaient couramment à l'Égypte (cfr. p. 4, note 3).
(2) Le dicton cité se traduirait littéralement Est prononcé le nom « du pauvre diable poursonmaitre Il semble signifier, d'après le contexte, que celui qui croit avoir à se plaindre d'un subalterne ne s'arrête pas à maudire celui-ci, mais qu'il cherche aussitôt à en appeler au chef. (3) La réponse de Thotnakhouîti est une véritable menace de nioït. Le .tet~netf)- dit silence, c'est Osiris, ie dieu de l'autre monde sa villè est le tombeau. Osiris, dans ce rôle, avait pour équivalent à Thèbes une déesse qui porte le nom significatif de Mat'oM!~a/f)'o, celle qui aime le silence.

CONTES DE L'ÉGYPTE ANCIENNE
S2
« rends-moi mon bien, afin que je ne crie ta crainte (1) ». Ce fellah passa la durée de quatre jours à se plaindre à ce
Thotnakhouîti, sans que celui-ci lui donnât son droit. Quand ce fellah se fut rendu à Khininsouton afin de se plaindre au maire du palais Marouîtensi, il le trouva qui sortait de la porte de sa maison pour s'embarquer dans la cange de son service. Ce fellah dit « Ah permets « que je réconforte ton cœur par mon discours (2). C'est « le cas d'envoyer vers moi ton serviteur, l'intime de ton « cœur, pour que je te le renvoie instruit de monaffaire ». Le maire du palais Marouitensi fit aller son serviteur, l'intime de son cœur, le premier auprès de lui, et ce fellah le renvoya instruit de cette affaire, telle qu'elle était. Le maire du palais Marouîtensi informa de ce Thotnakhouîti les prud'hommes (3) qui étaient auprès de lui, et ils dirent à leur maître « Voire, s'agit-il ici d'un paysan de Thot« nakhouîti qui s'en était allé faire affaire avec un autre, « au lieu de faire affaire avec lui c'est ainsi, en effet, que « ces gens-là en agissent envers leurs fellahs, quand ceux« ci vont vers d'autres au lieu d'aller à eux, c'est bien « ainsi qu'ils en agissent (4). Est-ce la peine de poursuivre (1) Autant que je puis voir, cette locution, trop concise pour nous, semble devoir se, paraphraser, « de peur que je n'aille crier partout que tu es un homme à craindre! t
(2) Le début du discours rappelle la formule par laquelle commencent les lettres qu'un homme de moindre condition adressait à son supérieur. (Griffith, //)e''a<!c Papyri from Kahun, p. 68.)
(3) Les personnages de haut rang, fonctionnaires royaux ou administrateurs de nomes et de villages, avaient à côté d'eux un certain nombre de notables qui les assistaient dans l'accomplissement de leurs fonctions c'était, ce semble. l'équivalent de la cohors de jeunes gens qui accompagnaient les magistrats romains dans leurs provinces. Ces gens, qu'on appelait Mro:t, les n:e~/iet&/t d'aujourd'hui, les prud'hommes, avaient parfois des suppléants n<<t Mo sârou qu'on trouve mentionnés souvent sur '"f les monuments de la. XH' dynastie. (Cf. Maspero, Mélanges de Mythologie, t. IV, p. 446-447.)
(4j La construction de ces membres de phrase est assez elliptique dans l'original, et le sens n'en ressort pas très clair. La. traduction littérale en e

« ce Thotnakhouîti pour un peu de natron et pour un peu « de sel ? Qu'on lui ordonne de les rendre et il les « rendra (1) ». Le maire du palais Marouîtensi garda le silence il ne répondit pas à ces notables, il ne répondit pas à ce fellah.
Quand ce fellah vint se plaindre au grand intendant Marouîtensi pour la première fois, il dit « Maire du « palais, mon seigneur, le grand des grands, le guide de « ceux qui sont et de ceux qui ne sont pas, quand tu « descends au Bassin de la Justice (2) et que tu y navi« gués avec du vent, puisse l'écoute de ta voile ne pas « s'arracher, puisse ton esquif ne pas aller à la dérive, '< puisse aucun malheur ne venir à ton mât, puissent tes « bordages ne pas se briser puisses-tu ne pas être « emporté, quand tu accostes à la terre puisse le flot ne « pas te saisir, puisses-tu ne pas goûter aux malices du « fleuve, puisses-tu ne pas voir la face terrible, mais « que viennent à toi les poissons les plus rebelles et « puisses-tu atteindre les oiseaux bien gras Car c'est toi est « Voire, c'est son fellah qui vient à un autre à côte de lui; voici « pour toi ce qu'ils font à leurs fellahs, qui viennent à d'autres à côté <f d'eux, voici pour toi ce qu'ils font ». Les notables semblent supposer que le fellah était en rapports suivis avec Thotnakhouiti, qu'il était le fellah de celui-ci, et qu'il le fournissait de sef, de natron et d'autres produits. Le fellah, au lieu de venir tout droit à son patron attitré comme d'habitude, aurait voulu olfrir sa marchandise à d autres, d'où l'incident. Il ne se j~ serait agi que d'une batterie vulgaire entre marchand et pratique. t (d) Litt. Fois d'être poursuivi (repoussé) le Thotnakhouîti, pour un « peu de natron, pour un peu de sel, soit ordonné à lui rendre cela, il <: rendra cela! » Peut-être vaudrait-il mieux traduire avec l'autre sens du verbe touba « Qu'on lui ordonne de le payer, et il le paiera c. (2) Le Bassin n'e la ./M<<tce est le nom d'un des canaux de l'autre morde et du canal qui, dans ce monde-ci, passait à Khininsouton., Le fellah, jouant sur le double sens de l'expression, comme Griffith t'a remarqué (Fragments of Old .E~t/p~OM t'~o)'!M, dans les ~)'oceecii!t~, t. XIV, p. 468, note 2), souhaite à Marouitensi une navigation prospère à la fois sur les eaux terrestres et sur les eaux célestes. La suite de cette première plainte n'est que le développement raisonné de cette première équivoque et de la métaphore d'où elle résulte.

« le père du manant, le mari de la veuve, le frère de la « divorcée, le vêtenient..de~guin'a plus-de~mère! Fais « que je puisse proclamer ton nom dans ce pays comme « supérieur à toute bonne loi. Guide sans caprice, grand « sans petitesse, toi qui anéantis le mensonge et fais être « la vérité, viens à la voix qu'émet ma bouche Je parle, « écoute, fais justice, louable que les plus louables louent, « détruis mes misères me voici chargé de tristesses, me u voici désespéré, juge-moi, car me voici en grand « besoin »
Or ce fellah disait ces paroles au temps du roi de la Haute et de la Basse-Égypte, Nabkaourîya, à la voix juste. Le maire du palais Marouîtensi alla devant Sa Majesté, et il dit « Mon seigneur, j'ai rencontré un « de ces fellahs, beaux parleurs en vérité, à qui son bien « a été volé par un homme qui relève de moi voici qu'il « vient pour se plaindre à moi de cela ». Le roi dit « Marouîtensi, si tu me veux conserver dispos, traîne-le « en longueur, ne réponds rien à tout ce qu'il dira. « Quoi qu'il lui plaise dire,,rapporte-le-nous par écrit pour « que nous l'entendions. Veille à ce que sa femme et ses « enfants vivent, et toi, envoie un de ces fellahs pour « écarter le besoin de sa maison, fais aussi que ce paysan « vive en ses membres, mais quand tuluiferas donner du « pain, donne qu'il ne sache pas que c'est toi qui le lui « donnes )). On lui servit quatre pains et deux pots de bière chaque jour; le maire du palais Maroultensi les fournissait, mais il les donnait à'un de ses clients et c'était celui-ci qui les donnait à l'autre. Voici que le maire du palais Marouitensi envoya vers le châtelain de l'Oasis du Sel, afin que l'on fît du pain pour la femme de ce paysan, dans la proportion de trois mesures.par jour.
Ce fellah vint se plaindre pour la seconde fois, disant « Maire du palais, mon maître, grand des grands, riche

« des riches, toi qui es le plus grand de tes grands et le plus « riche de tes riches, gouvernail du ciel, étai de la terre, « corde qui porte les poids lourds, gouvernail ne t'affole « pas(l),étaineploiepas,cordenet'échappepas!Donc,Ie « grand seigneur prend de celle qui n'a pas de maître (2), « il dépouille qui est seul! Ta ration dans ta maison, c'est « une cruche de bière, trois pains [par jour], et qu'est-ce « que tu dépenses à nourrir tes clients? Qui meurt « meurt-il avec ses gens? toi seras-tu éternel (3)? Aussi « bien, c'est un mal, une balance qui ploie, un peson qui « perd l'aplomb, un juste intègre qui dévie. Hé toi, si la « justice qui marche sous toi s'échappe de sa place, les « prud'hommes commettent des écarts, celui qui tenait « compte des discours [prononcés des deux parts] penche « vers un côté, la valetaille vole, celui qui est chargé de « saisir l'infidèle qui n'accomplit point la parole [du juge] « dans sa rigueur, lui-même il s'égare loin d'elle, celui qui « doit donner le souffle [de la vie] en manque sur terre, « celui qui est calme halète [de colère], celui qui divise en « parts justes n'est plus qu'un prépotent, celui qui ré« prime l'oppresseur donne l'ordre qu'il maltraite la ville « comme l'inondation, celui qui repousse le mal commet « des écarts. »
Le maire du palais Marouîtensi dit « Est-ce donc (1~ Litt. Gouvernail ne va pas en arrière. ') Le gouvernail était une c~ grande rame, &an<Bum'ée''d~a.yaL~tt~en~'S'r?ière si le courant ou une faute y du timonier le déplaçait, si bien qu'il se trouvât placé d'arrière en 0 avant, il n'avait plus d'action sur la marche du bateau. D'où la métaphore de notre texte a//b<~ n'est qu'une traduction par à peu près. (2) La veuve ou la répudiée, qui n'a plus d'homme pour la protéger. (3) Ce dévèloppement, qui nous parait un peu décousu, semble signiSër que le maitre a tort de dépouiller les êtres sans défense, car enfin, ses besoins sont si bornés et il dépense si peu à nourrir ses clients, qu'il ne lui est pas nécessaire d'accroître sa fortune aux dépens d'autrui. D ailleurs, quand on meurt, emmène-t-on avec soin tous ces gens qu'il faut entretenir? et le maître se croit-il éternel qu'il songe à toujours accroître sa fortune?

« pour toi si grand'chose et qui te tienne tant au cœur « que mon serviteur (1) soit saisi? »
Ce fellah dit « Lorsque le boisseleur de grains fraude « pour soi un autre se prend à perdre son avoir. Celui « qui guide [à l'observance de] la loi, s'il commande qu'on « vole, qui donc alors repoussera le crime ? Celui qui écrase « l'erreur, s'il s'écarte lui-même de l'équité, un autre a « le droit de plier. Si un autre approuve tes écarts, « comment trouveras-tu, toi, le moyen de repousser les « écarts [d'autrui]t Quand l'homme opulent vient à la 't place qu'il occupait hier, c'est un ordre de faire à qui « fait pour l'engager à faire ce qu'on l'a honoré d'avoir « fait, c'est administrer sagement les biens au lieu de « les gaspiller, c'est attribuer les biens à qui possédait « déjà la fortune (2). Oh, la minute qui anéantit, quand « tout sera bouleversé dans tes vignes, quant ta basse'< cour sera détruite et que seront décimés tes gibiers « d'eau, quand celui qui voyait se manifeste aveugle et « celui qui entendait sourd, quand celui qui guidait dans « le droit chemin devient celui qui égare! Donc es-tu « sain ? Agis pour toi, car, toi, tu es fort puissant, ton bras « est vaillant, ton cœur est hardi, l'indulgence s'éloigne « de toi, la prière des misérables est ta destruction, tu « sembles le messager du dieu Crocodile; toi, tu es le « compagnon de route de la Dame de Peste, si tu n'es (1) Le serviteur dont parle Maroultensi est lc Thotnakhouîti dont le fellah réclame le charment.
(2) Le cliquetis de mots par quoi cette phrase commence signiCe simplement que, si on remet l'homme opulent dans le poste qu'il avait quitté, c'est pour l'encourager à continuer d'agir bien comme précédemment pendant son premier temps d'emploi on espère en effet, qu étant riche déjà il n'aura plus besoin de pilier le pays pour s'enrichir et qu'il gérera honnêtement la fortune publique. Or il se trouve que Marouitensi, honnête lui-même, ne sait pas imposer l'honnêteté à ses gens il finira par être leur victime et par être ruiné, ainsi qu'il est dit dans la phrase qui suit.

« pas elle n'est pas, si elle n'est pas tu n'es pas, ce que « tu ne fais pas elle ne le fait pas (1). Le riche en revenus « légitimes qui est fort est gracieux pour le mendiant, celui « qui est ferme en la possession de ses rapines est gracieux '< pour qui n'a point de biens, mais si le mendiant est dé« pouillé de son bien c'est action mauvaise pour qui n'est « pas dénué de tout, on ne saurait en être relevé, et on est « recherché pour elle. Mais toi, tu te rassasies de ton <' pain à toi, tu t'enivres de ta bière, tu es riche plus que « tous les vivants. Lorsque le visage du timonier se « tourne vers l'avant (2), le bateau s'égare où il lui plaît. ° < Lorsque le roi est dans le harem et que le gouvernail « est dans ta main, il y a des abus autour de toi, la « plainte est ample, la ruine est lourde. Qu'est-ce donc « qu'il y a là? Tu as fait des places d'asile, ta digue est « saine, et voici que ta ville conteste le bien jugé de ta « langue (3)? Ne te rebute pas pourtant C'est le ver des« tructeur de l'homme que'ses propres membres (4)! Ne « dis pas de mensonge, surveille les notables du fisc; « lorsque les servants récoltent leurs herbages, dire le « mensonge est une tradition qui leur tient au cœur. Toi « qui connais l'avoir des gens, ignores-tu ma fortune? « 0 toi qui réduis à néant tout accident par l'eau, me « voici, moi, sur les voies du malheur 0 toi qui ramènes (1) Le dieu crocodile est ou Sovkou ou Set-Typhon, et la dame de la peste est Sokhit-Sakhmit Il semble que le fellah remontrait à Marouitensi, qu'il était fort et qu'il devrait sévir à la façon de ces deux divinités contre ceux qui commettaient des injustices sous sa protection. « (2) Au lieu d'observer le fleuve et son régime de courants et de vents. t (3) Marouitensi, dans sa justice, a voulu que le pauvre eût un asile auprès de lui contre la violence, et la digue qu'il a construite, par métaphore, pour l'opposer au torrent de l'injustice, est en bon état, mais la ville d'asile elle-même se révolte contre l'intention du maitre et se joint aux oppresseurs.
(4) Les membres d'un grand seigneur sont ses vassaux et ses serviteurs, comme les membres de Râ sont les dieux moindres le grand seigneur périt par les fautes des siens plus que par ses propres fautes.

« à terre quiconque se noie et qui sauves le naufragé, je « suis opprimé de par toi! »
Ce fellah vint se plaindre pour la troisième fois, disant « Maire du palais, mon maître, tu es Râ, maître du ciel, « avec ta cour, et c'est l'intérêt de tout le monde. Tu es « comme la vague d'eau, tu es le Nil qui engraisse les « champs, qui permets la culture des îles. Réprime le « vol, protège les misères, ne sois pas un courant des« tructeur contre qui se plaint [à toi], mais prends garde « que l'éternité approche, et te plaise qu'il en soit [pour « toi] ainsi qu'il est dit « C'est de l'air au nez que de « faire la justice (1). » Charge qui a chargé, et cela ne sera « point porté à ton compte. Est-ce que la bascule fléchit? & Est-ce que la balance penche d'un côté? Est-ce que a Thot est indulgent? Si tu commets des.écarts tu te fais c l~égtti de ces trois-là (2). Si tu es indulgent, ton indul« gence est de qui répond le bien comme si c'était le mal, « comme qui met ce dernier à la place de l'autre. La « parole prospère plus que les herbes vivaces, elle pros« père autant qu'est fort celui qui lui répond, et celui-ci « est l'eau qui fait prospérer ses vêtements à elle, pendant <~ces jours qu'il le fait faire (3). Quand tu tires des bor« dées à la voile, et que tu prends le courant pour arriver
T~
(1) Transcrite de la phraséologie égyptienne en expressions modernes, cette phrase signifie qu'être juste, c'est, pour qui l'est, s'assurer la vie devant le roi et les dieux, car rendre au malfaiteur la pareille de ce qu'il a fait, ce n'est pas inscrit comme crime au compte de celui qui agit de la sorte.
(2) Litt « Tu es placé le second de ces trois. » En d'autres termes tu deviens une bascule mal équilibrée, une balance fausse, un Thot indulgent où il ne faudrait pas l'être.
(3) Autant que je puis le comprendre, la parole, c'est-à-dire la sentence ou l'ordre équitable rendus par le chef, ont une efficacité proportionnée à la vigueur de celui qui lui répond, c'est-à-dire qui en assure l'exécution. Il est comme l'eau qui donne la vigueur aux vêtements de la parole juste, c'est-à-dire, qui les rend propres et intacts, pendant tout le temps qu'il agit de manière à obtenir ce résultat.

K à agir ainsi qu'il est juste, fais attention et manœuvre « bien la barre quand tu seras en face de la terre (1). « Fais le juste; ne mens pas, tu es la grandeur, ne sois « pas léger, tu es la lourdeur! Ne mens pas; tu es la ro« maine, ne perds pas l'aplomb; tu es le compte exact, a hé toi, tu es d'accord avec la bascule, si bien que si « elle ploie, toi aussi tu ploies. Ne t'affole pas quand tu K gouvernes, mais manie bien la barre. Ne prends rien « quand tu iras contre celui qui prend, car ce n'est pas un « grand, ce grand-là qui est rapace. Ta langue est un « peson de balance et ton cœur est le poids que tes deux « lèvres font basculer. Si tu voiles ta face pour celui dont « le~visage est ferme (2), qui donc repoussera le mal? <f Hé toi, tu es comme un méchant blanchisseur rapace « qui rudoie un ami et qui lie un client qui est pauvre, « mais qui tient pour son frère celui qui vient et qui lui
t~'l- ~1&3 T., t
« apporte~[son du]. Hé toi, tu es le passeur qui passe « seulement celui qui possède le montant du droit de f péage, et dont le droit de péage [pour les autres] est la « ruine. Hé toi, tu es le chef de grenier qui ne permet pas « de passer celui qui vient les mains vides aussitôt. Hé « toi, tu es un homme-oiseau de proie qui vis des miséK rables petits oiseaux. Hé toi, tu es le cuisinier dont la « joie est de tuer et à qui aucun animal n'échappe. Hé « toi, tu es le berger qui ne se soucie de rien tu n'as pas « compté combien tu as perdu [de tes bêtes] par le croco(i) L'image est empruntée aux incidents de la navigation sur le Nil Lorsque le vent est contraire, le pilote navigue au plus près en zigzags, courant d'un bord à l'autre et gagnant un peu à chaque fois. Il y a dans ° cette manoeuvre un moment dangereux, celui où la barque étant arrivée la proue en avant à l'une des rives, d~a:fnîti ~aMi, <t juste en face de la « terre j), comme dit le texte, il faut changer de direction si le coup de tt barre n'est pas donné au moment voulu, la barque risque d'aller se briser à la berge.
(2) En d'autres mots « Si tu t'arranges complaisamment pour ne pas <. voir ce que le puissant fait au faible a.
/1 y f~ .1 r n

« dile, ce violateur des lieux d'asile, qui attaque la cité « de la Terre-Entière (1). 0 auditeur, qui n'as pas entendu, « que n'entends-tu donc, puisqu'ici j'ai repoussé le furieux « [des eauxj~ Être poursuivi d'un crocodile, combien de « temps cela durera-t-il? Que soit trouvée [dès aujour« d'hui] la vérité cachée, et que soit rué le mensonge à « terre! N'escompte pas le lendemain qui n'est pas venu K encore on ne sait pas quels maux il y a en lui 1 » Après que ce fellah eut tenu ce discours au maire du palais Marouitensi, sur l'esplanade qui est devant la Porte, celui-ci expédia contre lui deux hommes de son clan avec des courbaches, et ils flagellèrent tous ses membres.
Ce fellah dit « Le fils que j'aime, il dévie donc sa « face est aveugle à ce qu'il voit, il est sourd à ce qu'il « entend, il passe oublieux de ce qu'on lui signale. Hé « toi, tu es comme une ville qui n'a pas de châtelain, « comme une communauté qui n'a point de chef, comme « un bateau qui n'a point de capitaine, comme une cara« vane sans guide. Hé toi, tu es comme un ghafir qui vole, « comme un châtelain qui prend, comme un chef de dis« trict chargé de réprimer le brigandage et qui se met à « la tête de ceux qui le commettent »
Lorsque ce paysan vint se plaindre pour la quatrième fois, il trouva le maire du paiais qui sortait de la porte du temple d'Harchafi, et il dit « 0 béni, le béni d'Har« chafi et qui vient de son temple, lorsque le bien périt « sans opposition, le mensonge se propage sur la terre. (1) Le fellah fait ici allusion à un incident de vie rura)e qui est souvent représenté dans les tombeaux de i'age memphite, le passage d'un gué par un troupeaude bœufs (cf. p. 284-285 du présent volume) que les crocodiles menacent le mauvais berger, au lieu de veiller à ses bêtes, les laisse aller, et au sortir de l'eau, il ne s'inquiète pas de savoir si le nombre des têtes de bétail est encore exact, ou bien si les crocodiles

« Et en effet, le bac où l'on vous fait entrer et tra« verser le fleuve, lorsqu'arrive la saison de l'étiage, « traverser le fleuve en sandales, n'est-ce pas un bon « moyen de traverser? Et qu'en est-il de qui dort jusqu'en « plein jour ? Périssent' [par là] et l'aller [en sûreté] pen« dant la nuit, et le voyager [sans danger] pendant le K jour, et [la possibilité que] l'individu profite de sa for« tune en vérité. Hé toi, il ne faut pas s'arrêter de te le « dire. L'indulgence s'éloigne de toi, la prière des misé« rables est ta destruction (1). Tu es comme le chasseur, « au cœur clair, hardi à faire ce qu'il lui plaît, harponner « l'hippopotame, percer de flèches les taureaux sauvages, « atteindre [au bident] les poissons (2), emmailler les « oiseaux. 0 toi qui n'as pas la bouche courante et qui es « sans flux de paroles, toi qui n'as pas le cœur léger « mais dont le sein est lourd de desseins, applique-toi de « cœur à connaître la vérité, réprime ton inclination « [mauvaise] jusqu'à ce que survienne le silencieux (3). « Ne sois pas l'enquêteur [malhabite] qui écrase la perfec« tion, ni un cœur rapide [qui se dérobe] lorsqu'on lui « apporte la vérité, mais soit fait que tes deux yeux aper« çoivent, que ton cœur se satisfasse, et ne te trouble « pas doutant de ta force (4), de peur que le malheur ne « t'atteigne celui qui passe outre à sa fortune [sans la sai« sir] sera [toujours] ausecondrang. L'homme qui mange (1) Voir le même dicton un peu plus haut, p. 56 du présent volume. (2) Seuls les pêcheurs de profession et les paysans pêchaient euxmêmes à la ligne, à la nasse ou au Ctet ainsi qu'on le voit sur les tableaux des tombes memphites et thébaines. les nobles prenaient le poisson avec un harpon à pointe simple ou double. La pêche, ainsi entendue, était un exercice d'adresse et de force, comparable aux chasses à l'hippopotame.
(3) Le silencieux est ici. je crois, le dieu de la mort, Osiris ou une autre divinité (cf. p. SI, note 3 du présent volume).
)4)Litt. « Ne te trouble pas selon ta force x. Celui qui doute de sa force et qui se trouble lorsqu'il ne se croit pas assez fort n'arrivera à rien.

« déguste~ celui qu'on interroge répond, celui qui est couché « fait des rêves, mais le juge à la porte (1) ne lui fais oppo« sition car il est à la tête des malfaiteurs; [et alors, grâce « à lui,] imbécile on arrive, ignorant de tout on est con« suite, si l'on est comme un courant d'eau qui se déverse « les gens y entrent. 0 timonier, n'affole pas ta barque; « toi qui donnes la vie ne fais pas.qu'on meure; toi qui peux « anéantir, ne fais pas qu'on soit anéanti. Lumineux, ne « sois pas comme l'ombre place d'asile, ne permets pas <f au crocodile d'enlever [ses victimes en toi] 1 Quatre fois « que je me plains à toi, n'est-ce pas assez de temps « passé à cela ? »
Ce fellah vint pour se plaindre la cinquième fois, disant « Maire du palais, Marouîtensi, mon maître, le « pêcheur à la nasse embouteille les perches, le pêcheur « au couteau égorge les anguilles, le pêcheur au trident « harponne les bayyâds, les pêcheurs à l'épervier pren« nent les châls (2), bref les pêcheurs dépeuplent le fleuve. a Hé toi, tu es de leur sorte; ne ravis pas au misérable « son avoir, car sa peine, tu la connais. Ses biens, c'est « l'air vital du misérable c'est lui boucher le nez que <( de les lui ravir. Tu as été commis à entendre la parole, « à juger entre deux frères, à réprimer le vol, et le mal« faiteur est avec toi, et c'est un lourd faix de vols, ce que « tu fais! On t'a fait le favori (3), et tu es devenu un cri« minel; tu as été donné comme une digue au misérable « pour empêcher qu'il se noie, et toi, tu es l'homme (1) Ne pas oublier qu'en Egypte, comme dans tout l'Orient ancien, le prince et les notables rendaient la justice à la po?'~ de leur maison ou à celle de la ville.
(2) Tous les noms de poissons cités ici ne sont que des équivalents incertains pour les noms égyptiens, dont nous ne connaissons pas la valeur exacte le bayyad et le c/to/ sont deux poissons bons à manger, le premier surtout.
(3) On est ici Pharaon qui a Marouitensi pour maire de son palais.

« semblable au bassin qui se vide rapidement (i) 1 » Ce fellah vint pour se plaindre la sixième fois, disant « Maire du palais, Marouitensi (2), mon maître, maître « silencieux de la ruine, fais que la justice soit, fais que « soit le bien;. anéantis le mal, comme vient la satiété qui (( arrête la faim, l'habillement qui fait cesser la nudité, « comme le ciel se rassérène après la bise, et que son « ardeur réchauffe tous ceux qui avaient froid, comme le « feu cuit les crudités, comme l'eau éteint la soif. 0 toi « qui vois, ne [détourne pas] ta face (3); toi qui partages « équitablement, ne sois pas rapace (4) toi qui consoles, « ne cause pas de rancœur; toi qui guéris, ne cause pas ( de maladies. Le délinquant diminue la vérité; celui qui « remplit bien [ses devoirs] ne lèse pas, ne blesse pas la « vérité. Si tu as des revenus légitimes, donnes-en à ton « frère l'égoïsme manque d'à-propos, car celui qui a <' rancœur, il est un guide de discorde, et celui qui conte sa « peine tout bas amène les scissions, sans qu'on ait su ce « qu'il avait dans le cœur (5). Ne sois donc pas inactif 1 Si tu (1) Et dont les eaux, par conséquent, emportent la digue, ruinant le champ que la digue était censée protéger.
(2) Marouttensi est appelé « maître de là ruine parce qu'il ne fait pas restituer son dû au fellah, et t maître silencieux parce qu'il ne répond pas à ses plaintes.
(3) Le scribe a passé ici un mot, par assonance me [/t<M'o!<] Aa~oM-A'. Le fellah prie Marouitensi qui, voyant tout, peut remédier à tout, de ne pas détourner de lui sa face et de ne pas le laisser dans sa misère. (4) Marouîtensi, étant équitable, partage en deux moitiés exactes le bien de ses subordonnés et il ne prend que la moitié qui lui est due le fellah le supplie ici de ne pas se montrer rapace et de ne pas garder le tout. (5)L'opposition est ici entre le bien acquis par des moyens illégaux et les biens légitimes, ceux qui sont apportés anoM au maitre ou que le maître apporte lui-même. Le fellah conseille âMarouitenside donner à son frère c'est-à-dire à son prochain, ce qu'il apporte de ses domaines, une portion de ses revenus légitimes, car le fait de les garder pour lui seul, de les manger ouagait; comme dit le texte, est « sang exactitude, » est un mal à propos, une maladresse. Le pauvre à qui rien n'est donné en devient rancunier ahou et il « conduit à séparer il conduit à la discorde, et celui qui conte sa peine tout bas, « celui qui

« agis selon ton intention de détruire, qui livrera bataille ? « L'eau de la brèche est avec toi, à la façon dont la brèche « s'ouvre, au temps où l'inondation est étale si la barque « y entre, comme elle est saisie [par le courant], sa car« gaison périt à terre [dispersée] sur toutes les berges (i). K Tu es instruit, tu es bien dressé, tu es établi solidement « et non par la violence, mais tandis que tu établis des « règlements pour tout le monde, ceux qui t'entourent « s'écartent de la voie droite. Équitable [à la fois] et cou« pable envers la Terre-Entière, jardinier de misère qui « irrigue son terrain de vilenies pour que son terrain « devienne un terrain de ménsonge, pour répandre les « crimes sur le bien-fond ))
Ce fellah vint se plaindre pour la septième fois, disant « Maire du palais, mon maître, tu es le gouvernail de la « Terre-Entière, qui navigues la terre à ton gré. Tu es « le second Thot (2), qui jugeant ne penche pas d'un côté. « 0 mon maître, te plaise n'assigner un individu [à com« paraître au tribunal] que pour les actes qu'il a commis « réellement! Ne restreins pas ton cœur il n'est pas dans « ta nature que de large d'esprit tu deviennes borné de « cœur (3)! Ne te préoccupe pas de ce qui n'arrive pas « encore et ne te réjouis pas de ce qui n'est pas encore fait savoir M~cA:, il apporte les scissions mais sans qu'on soupçonne ses sentiments.
(1) La suite des idées n'est pas facile à saisir voici comme je l'établis. Après avoir montré combien il est dangereux pour l'homme en place qu'est Marouitensi de soulever des rancunes cachées, le fellah, revenant à son affaire, le supplie de réprimer l'injustice s'il veut le faire, qui osera lui résister ouvertement? Son action sera comme celle du courant qui se forme à la rupture d'une digue, quand la crue est dans son fort les bateaux entraînés par lui font naufrage et leur cargaison s'éparpille le long des berges. ~M" (2) Lit « Tu es le second de Thot o. ou peut-être, « tu es le (frère ~de <[ Thot », le dieu qui joue le rôle de greffier au jugement des âmes. (3) Littér. < N'est pas à toi cela devenir le large de face un étroit de < cœur ».

« venu! Comme l'homme impartial est large en amitié, il « tient pour nul l'acte qui s'est accompli sans qu'on ait cc su quelle intention il y avait au fond du cœur (1). Celui « qui rabaisse la loi et qui détruit le compte [des actions « humaines], il n'y a misérable qui vive [parmi ceux] qu'il t< a volés, et la vérité ne l'interpelle plus (2). Mais mon sein « est plein, mon cœur est chargé et ce qui sort de mon « sein en conséquence, c'est la brèche d'une digue d'où « l'eau s'écoule ma bouche s'ouvre à la parole, j'ai « lutté [pour boucher] ma brèche, j'ai versé mon courant, « j'ai piloté [à bon port] ce qui était dans mon sein, j'ai « lavé mes haillons, mon discours se produit et ma misère « est complète devant toi quelle est ton appréciation « finale ? Ton inertie te nuira, ta rapacité te rendra imbé;< cile, ton avidité te fera des ennemis mais où trouveras< tu un autre fellah tel que moi ? Sera-ce un paresseux qui, « se plaignant, se tiendra à la porte de sa maison (3) ? II « n'y a silencieux que tu ne fasses parler, il n'y a endormi « que tu ne réveilles, il n'y a timide que tu ne rendes « audacieux (4), il n'y a muet dont tu n'ouvres la bouche, « il n'y a ignorant que tu ne changes en savant, il n'y a « stupide que tu n'instruises. Ce sont des destructeurs du « mal, les notables [qui t'entourent], ce sont les maitres du « bien, ce sont des artisans qui produisent [tout] ce qui « existe, des remetteurs en place de tête coupée (5) B (1) Litt. < Étant l'impartial il se fait large en amitié, il anéantit action < qui se produit, n'a pas été su ce y qu'il a dans le cœur:o.
(2) Les vertus qui pour nous sont des abstractions, la Vérité, la Justice, étaient pour les Égyptiens des déesses ne nous étonnons point de voir qu'on leur appliquait des formes de langage en usage pour les êtres vivants. Nous dirions ici « la Vérité ne le connaît plus B.
(3) Au lieu devenir, comme notre homme.-obaque-jour'à la porte du p~ais.(0~(~ l
(4) Lit. « Il n'y a pas restreint de face, que tu n'aies fait être muni [de < face]. e
(5) Cf. plus haut, p. 32, 35, du présent volume, l'histoire du magicien Didi qui rattachait à leur place les têtes coupées. L'expression ri'mctteMrs 5

Ce fellah vint se plaindre pour la huitième fois, disant « Maire du palais, mon maître, puisqu'on tombe par œuvre f< de violence, puisque le rapace n'a point de fortune [ou « plutôt] que sa fortune est vaine, puisque tu es violent « quand ce n'est pas ta nature de l'être, et que tu voles « sans que cela te soit utile, laisse les gens s'en tenir à « leur bonne fortune. Tu as ce qu'il te faut dans ta mai« son, ton ventre est plein, mais le tas de grains s'épar« pille (1) et ce qui sort de lui périt sur le sol, le voleur « pille, ravissant par force les notables qui sont faits « pour repousser les crimes et qui sont l'asile du persécuté, « les notables qui sont faits pour repousser le mensonge. « La crainte de toi n'a pas permis que je te supplie « [comme il faut], et tu n'as pas compris mon cœur. 0 « silencieux (2), celui qui revient pour te faire ses objur~!( gations, il ne craint plus de te les présenter, bien que ij  son frère ne t'apporte pas [des cadeaux] dans ton habi\<( tation privée. Tu as des pièces de terrain à la campagne, « tu as des revenus à la ville, tu as ton pain aux entre« pots (3), les notables t'apportent des cadeaux, et tu « prends 1 N'es-tu donc pas un voleur puisque, lorsqu'on « défile avec la redevance pour toi, il y a des pillards « avec toi pour prélever le métayage des terres (4) ? Fais le en place de têtes coupées semble avoir été une locution toute faite pour désigner les plus savants d'entre les savants.
(1) Litt. « il danse avec le mot employé pour désigner les diverses sortes de danses qu'on voit figurer sur les murailles des mastabas memphites.
(2) Ici encore Marouitensi est désigne par cette épithète, pour la raison indiquée plus haut, p. 63, note 2, du présent volume.
(3) Le mot faqaou désigne les revenus que Marouitensi tirait de ses propriétés urbaines, maisons, boutiques ou usines; <~aoM, lit. les pains, comprend en soi-même le traitement en nature qu'il touchait aux entrepôts royaux en tant qu'employé de l'État.
(4) Littéral. « pour les moitiés de terres affermées. » Il semble que, dans la pratique de l'Égypte antique, l'État, les villes ou les riches propriétaires affermaient les terres qui leur appartenaient aux paysans contre partage des produits du sol par moitié. tC. (~(.

« vrai du maître du vrai, ce qui est le vrai du vrai (1). « Toi le calame, le rouleau du papyrus, la palette, le dieu « Thot, garde-toi de faire des écarts [de la justice]; bon, « sois bon, vraiment bon, sois bon! Car la vérité est « pour l'Éternité; elle descend dans l'Hadès avec qui la « pratique. Lorsqu'il a été mis au cercueil et déposé dans « le sol, son nom n'a pas été en'acé sur terre, et on se « le rappelle en bien, en conséquence de la parole du « dieu (2). C'est qu'en effet la bascule n'a point ployé, « la balance n'a point penché d'un côté. Et pourtant, « quand moi je viens, quand un autre vient te prier, « répondant, priant le silencieux (3), s'efforçant d'atteindre « ce qui ne peut pas être atteint, tu ne t'es pas adouci, tu « n'as pas compati, tu n'as pas reculé, tu n'as pas sup« primé [le maF), tu n'as pas tenu envers moi la conduite « qui répond à cette parole excellente qui est sortie de 1 a « bouche de Râ lui-même (4) « Dis le vrai, fais le vrai, « fais ce qui est conforme au vrai, parce que la vérité est « puissante, parce qu'elle est grande, parce qu'elle est « durable, et lorsqu'on trouve ses limites, elle conduit à la « béatitude Si la balance ne ploie pas, si ses plateaux « portent des objets [au même niveau], les résultats du
(1) Le maître du vrai ou du juste est Thot le D'à: du maitre du vrai c'est la vérité et la justice telles que Thot les pratique, et qui sont /ef)-~ ~M vrai et /e!dM/yMs<e./M<<e, nous dirions la quintessence du vrai et du juste.
(2) Litt. < compte du discours du dieu a. Thot, greffier du tribunal osirien (cf. plus haut, p. 64, note 2). notait les indications de la balance à la pesée des actes, et il proclamait le résultat de cette pesée dans un discours selon ce qu'il avait consigné dans ce rapport, le mort était admis au paradis osiriaque ou en était exclu, et son nom restait en bonne ou en mauvaise odeur sur la terre.
(3) Çf. pour le sens de ce mot, ce qui est dit plus haut, p. 51, note 3, et p 61. note 3.
(4) Littér. « Tu ne m'as pas donné les équivalents de cette parole ». Le paysan veut dire par là que Marouîtensi n'a pas agi envers lui comme il aurait dû le faire, s'il avait pris en considération l'aphorisme que la tradition mettait dans la bouche de R&.

« compte ne se feront pas sentir [contre moi], et la honte « n'arrivera pas derrière moi à la ville, et elle ne prendra «pas terres.
Ce fellah vint se plaindre pour la neuvième fois, disant « Maire du palais, mon maître, la balance des gens « c'est léur langue, et c'est la balance qui vérifie les « comptes (1). Lors donc que tu punis celui qui avait mal « agi, le compte est apuré en ta faveur (2). [Au contraire, « celui qui pactise avec] le mensonge, sa part [désormais] « c'est que la vérité se détourne de lui, car alors son bien « c'est le mensonge, et la vérité ne se soucie plus de « lui (3). Lors donc que marche le menteur, il s'égare, il « ne passe pas l'eau dans le bac, il n'est pas [accueilli] (4). « S'il est riche, lui, il n'a pas d'enfants, il n'a pas de « postérité sur la terre (5). S'il voyage, il n'accoste pas à « terre, et sa barque n'aborde pas à sa ville (6). Donc ne « te fais pas lourd, car déjà tu n'es pas un petit poids, ne f< fonce pas, car déjà tu n'es pas léger à la course (7), ne (1) C'est d'après la langue des gens qu'on apprécie ce qu'ils valent, et d'autre part, c'est en pesant les paroles qu'on vérifie si l'appréciation qu'on s'est formée d'eux est exacte.
(2) Lit. < est égalisé le compte à toi ». En d'autres termes, lors du jugement des morts, le châtiment inHigé par Marouitensi à un criminel ne lui sera pas imputé à mal, ou mieux ne figurera pas au compte des mauvaises actions.
(3) Le début de la phrase se traduirait littéralement « deviènt sa part << se retourne la vérité en face de lui ». La fin en est de lecture diflicile, et je me suis borné a indiquer en gros le sens que j'ai cru y reconnaitre, sans essayer de la traduire exactement.
) (4) II y a ici, je crois, une allusion au bac qui transportait les doubles h de ce monde au domaine d'Osiris celui qui n'exerce pas la justice et la vérité ne sera pas admis, après sa mort, à vivre chez ce dieu.
(5) N'ayant pas de postérité, personne ne se souciera de célébrer pour lui le culte funéraire son âme sera'condamnée à l'oubli, puis au néant. f (6) Le terme employé ici pour la navigation, saqdoudou est celui f~f qu'on appliquait à la course du Soleil autour du monde, pendant le jour j~~ j et pendant la nuit le mort ne sera pas admis à suivre le dieu, et sa barque périra avant d'atteindre le port céleste où il voulait aborder. ('!) Litt. « Ne sois pas lourd, tu n'es pas léger; ne marche pas pesam« ment. tu ne cours pas ». Si je comprends bien la phrase, elle signifie

« crie pas fort, ne sois pas égoïste (1), ne voile pas ta face « à ce que tu sais, ne ferme pas les yeux à ce que tu as « vu, n'écarte pas celui qui mendie de toi. Si tu tombes « dans la négligence, on fait usage de ta conduite contre « toi (2). Agis donc envers qui a agi contre toi, mais que « tout le monde n'en entende point parler n'assigne un « individu que pour l'acte qu'il aura commis en vérité. Il « n'y a pas de hier pour le négligent (3); il n'y a pas « d'ami pour qui est sourd au vrai; il n'y a pas de bonheur « pour le rapace. [D'autre part] celui qui proteste devient « misérable, et le misérable passe à l'état de plaignant « [perpétuel, et le plaignant] est égorgé. Hé toi, je me « suis plaint à toi et tu n'as pas écouté ma plainte j'irai < « me plaindre de toi à Anubis (4) ».
Le maire du palais, Màrouîtensi, envoya deux hommes de son clan pour que le fellah revint. Ce fellah donc eut peur et il eut soif, [craignant] que le maire n'agît ainsi afin de le punir pour ce discours qu'il avait tenu, et ce que le fellah recommande à Marouîtensi de ne pas traiter brutalement ses subordonnés il n'a pas besoin de peser sur eux ni de les attaquer avec force, il est déjà assez pesant et son allure est déjà assez lourde pour qu'il n'aggrave pas le mal qu'il leur cause naturellement, sans y prendre garde, par le jeu de sa seule nature.
(1) Litt. « N'écoute pas de ton cœur fcoM<e'' de ca'ur veut dire obéiu dans le copte et dans la langue ancienne ici je pense qu'il faut lui prêter un sens un peu différent, s'écouter iOt-m~tf, K'ccoMte;' que soi, dire égoïste.
(2) Lit. « Si tu tombes dans la négligence, est fait rapport de ton « concept, de ta conduite ?.
(3) Donné le contexte, cette phrase me parait signifier que le négligent, il vaudrait peut-être mieux traduire l'indifl'érent, ne peut pas compter sur la reconnaissance, puisqu'il n'a fait aucun bien à autrui dans le passé, Aie'comme\dit notre texte.
(4) Ainsi que Vogelsang l'a bien vu, le fellah désespéré songe ici à transporter sa plainte dans l'autre monde, auprès du dieu des morts (die ~ayet! des BaMf' p. la, note 2). Est-ce en se tuant lui-même? Le mot MMamOMemployé plus haut s'applique plutôt à un assassinat ou à une exécution. Le fellah craint 6yMe~nEe3\que Marouitensi, fatigué et blessé de ses plaintes, ne se débarrasse de lui sans autre forme de procès.

fellah dit « Écarte ma soif. » (1). Le maire du palais, Marouîtensi, dit « Ne crains rien, fellah. J'agirai envers
« toi ainsi que tu agis envers moi )). Ce fellah dit « Puisse-je vivre mangeant ton pain et buvant ta [bière] « éternellement » Le maire du palais, Marouîtensi, dit « Garde donc [désormais] qu'on entende ici toi et tes « plaintes » Puis il fit coucher sur une feuille de papyrus neuve toutes les plaintes du fellah jusqu'à ce jour. Le maire du palais, Marouîtensi, l'envoya à la Majesté du roi des deux Égyptes Nabkaourîya, à la voix juste, et cela lui fut agréable par-dessus toutes choses qu'il y a en cette terre-Entière, et Sa Majesté dit « Juge toi-même, mon « fiisbien-aimé)). Le maire du palais, Marouîtensi, manda donc deux hommes de son clan pour qu'on lui amenât le greffier, et il lui fit donner six esclaves mâles et femelles, en plus de [ce qu'il possédait déjà en] esclaves, en blé du midi, en dourah, en ânes, en [biens de toute sorte. H ordonna que restituât] ce Thotnakhouiti à ce paysan [ses ânes avec] tous ses biens qu'il lui avait pris. La fin manque, et il est difficile de dire si les exercices de style noble auxquels ce fellah s'était livré ne continuaient pas quelque temps encore, cette fois pour rendre gloire au Pharaon et pour remercier Marouitensi de son équité. Le fellah d'aujourd'hui ne se lasse jamais de parler quand son intérêt entre en jeu ou que sa cupidité est satisfaite celui que nous venons de quitter avait l'haleine non moins longue, et il ne devait pas être embarrassé de trouver dans sa mémoire autant de belles phrases qu'il en avait déjà tiré. Je crains bien que mes lecteurs, s'ils ont eu la patience d'aller jusqu'au bout de cette rapsodie, n'aient pas ressenti plus de plaisir à la parcourir que je n'en éprouvai à mettre la traduction sur pied. Auront-ils toujours bien apprécié le détail? Les concepts des Égyptiens ne répondent pas souvent aux nôtres, et l'on en réu(1) La réponse du fellah est trop souvent interrompue par des lacunes pour qu'il me soit possible d'en deviner le sens. Dans ce qui précède, je crois voir une allusion à la soif qui accompagne souvent les grandes émotions ou les grandes soufl'rances corporelles.

nissait sous une expression unique plusieurs que nous avons l'habitude de séparer. Il n'y avait qu'un seul mot pour le vrai et pour le juste, pour le mensonge et pourle mal, pour la paresse personnelle ou pour l'indifférence aux actes ou aux intérêts d'autrui par contre, l'auteur rend par des termes auxquels je n'ai pas réussi à attribuer d'équivalents, les variétés diverses du mal physique ou moral. J'ai dû paraphraser résolument des passages qu'un moderne étranger à l'Égyptologie n'aurait pas compris si je les avais transcrits littéralement. Le gros sens y est ce sera affaire à d'autres d'approfondir chaque membre de phrase et d'en dégager les nuances subtiles de pensée et de langage qui y charmèrent les Égyptiens.

LES MÉMOIRES DE SINOUHIT
Les Mémoires de Sinouhit paraissent avoir joui d'une grande réputation dans les cercles littéraires de l'Égypte Pharaonique, car ils ont été recopiés assez souvent en tout ou en partie, et nous possédons encore les restes de trois manuscrits qui les contenaient au complet, le Papyrus de Berlin ?]." auquel appartiennent les débris du Papyrus Amherst, le Papyrus Golénicheff et le Papyrus no Y dt< Ramesséum à Berlin (Berlin 3022).
LeP<M)?/7'us de Berlin m" 1, acheté par Lepsius en Égypte, et inséré par lui dans les Denkmxler aus ~Es'1/pten und JEfMopte~ VI, pl. 104107, est mutilé au début. H a été publié en fac-similé photographique avec transcription hiéroglyphique, par Alan H. Gardiner, die Erzâhlung des Sinuhe und die Hirtengeschichte, dans les Hieratische Texte des Mittleren Reiches d'Erman, in-8o, Leipzig, 1909, t. I!, pl. 5-15. Il contient, dans son état actuel, trois cent onze lignes de texte. Les cent soixante-dix-neuf lignes du commencement sont verticales; viennent ensuite quatre-vingt-seize lignes (180-276) horizontales, mais, à partir de la ligne deux cent soixante-dix-sept jusqu'à.la fin, le scribe est revenu au système des colonnes verticales. Les quarante premières lignes de la partie conservée ont plus ou moins souffert de l'usure et des déchirures cinq d'entre elles (lignes 1, 13, 15, 38) renferment des lacunes que je n'aurais pas réussi à combler, si je n'avais eu la bonne fortune de découvrir à Thèbes un manuscrit nouveau. La fin est intacte et se termine par la formule connue C'est venu de son commencement jusqu'à sa fin, comme il a été trouvé dans le livre. L'écriture, très nette et très hardie dans les portions

verticales, devient lourde et confuse dans les portions horizontales; elle est remplie de ligatures et de formes rapides qui en rendent parfois le déchiffrement difficile. Quelques parcelles des portions qui manquent au début ont été retrouvées dans des fragments qui appartiennent à la collection de lord Amherst of Hackney; elles ont été publiées en trar<ription hiéroglyphique par F. U. Griffith, Fragments o/'0/d~yp<MM Stories dans les Proceedings of the Society of biblical ~7-c/ta'o/og~, 1891-1892, t. XIV, p. 452-454, puis en facsimilé par P. Newberry dans les Amherst Papyri, 1901, t. 1, pi. 1 M-Q et p. 9-10. D'après G. MollerHterattsc/te Pa<a'o~e,Theil I, p. 1415, et aussi, d'après Alan H. Gardiner, die X<ag'e?t des Bauern, p. 5-6, puis die Erzâhlung des Sinuhe, p. 5, il aurait été écrit pendant la seconde moitié de la Xlle dynastie ou la première moitié de la XMI"certains détails, entre autres la corruption du nom royal, me paraissent indiquer dans la X!H° une date plus rapprochée de nous.
_L Le Papyrus Golénicheff renferme les débris très mutilés de quatre pages. Les treize premières lignes de la page 1 comprenaient le début du texte qui manque au Papyrus de Berlin n<* les morceaux conservés de cette page et des pages suivantes appartenaient à la portion du récit qui s'étend de la ligne 1 du Papyrus de Berlin à sa ligne 66. !1 est inédit, mais M. GolénichefT a bien voulu m'en communiquer des photographies et une transcription hiéroglyphique, que j'ai publiée dans G. Maspero, les Memotfes de Sinouhît (forme le tome Icr de la Bibliothèque d'Étude), 1906, p. 32-33, et qui m'ont aidé à reconstituer le texte. L'écriture est le bon hiératique de la XIX" et de la XX* dynasties.
Le Papyrus de Berlin a été analysé et traduit en français par Chabas, Le Papyrus deBerlin, récits d'il y a quatre mille ans, p. 37-51, et Bibliothèque Universelle, 1870, t. p. 174, en partie seulement (cf. (JEMt)7'es diverses, t. IV, p. 254-255).
M. Goodwin a donné une version anglaise du tout dans le Fraxer's Magazine, 1865, sous le titre de the Story of Saiteha, p. 185-202, puis, dans la brochure The Story of Saneha, an Egyptian Tale of Four T/tOMMnd Years ago, translated from the ~/era<:c <e.ct by Charles Wycliffe Goodwin, M. A. (Reprinted from Fraze)''s Magasine, London, Williams and Norgate, 1866, in-8°, 46 p.) Cette traduction a été corrigée par l'auteur lui-même dans la Zeitschrift, 1872, p. 10-24, et reproduite intégralement dans les Records of the Past, l''° série, t. VI, p. 131150, avec une division un peu arbitraire des lignes.
Une seconde traduction française est celle qu'on lit, sous le titre Le Papyrus dé Berlin M" transcrit, traduit, commenté par G. Maspero (Cours au Collège de France, 1874-1876), dans les Mélanges d'archéologie égyptienne et assyrienne, t. HI, p. 68-82, 140 sqq.; reproduite

en partie avec des corrections dans l'Histoire ancienne des peuples de l'Orient, 6° édition, p. 115-116, 121-124.
Enfin Henry Daniel Haigh examina les données historiques et géographiques de ce document dans un article spécial de la Ze:<schrift, 1875, p. 78-107, et Erman en inséra une courte analyse allemande dans son livre Egypten und ~yp<Mc/tes .Leten im Altertum, 1885-1888, p. 404-497.
Le Papyrus t).o du Itamesséum contenait au verso une copie complète des Mémoires de Sinouhit, mais nous n'en possédons plus qu'une vingtaine de pages plus ou moins mutilées. Les premières représentent cent quatre lignes horizontales, qui correspondent au texte complet de l'Ox~'acOK 27~/9 d:f Caire dont il sera question plus loin, au Papyrus GoMMte/te~, aux fragments du Papyrus Amherst et aux lignes 1-77 du Papyrus deBeWM).  Y. Après ce début, il ne nous reste plus qu'une page à peu près intacte, avec les extrémités des lignes qui appartenaient aux deux pages de droite et de gauche on y lit, avec beaucoup de lacunes, le récit du duel entre Sinouhît et le brave de Tonou, de la ligne 131 à la ligne 145 du Papyrus de Berlin no La découverte en fut annoncée par Alan H. Gardiner, Eine HCMe Ha)tdsc/t?'t des Sinuhegedichtes, dans les Sitzungsberichte de l'Académie des Sciences de Berlin, 1907, p 142-150, tirage à part in-8° de 9 pages. Le texte en a été publié en fac-similé, avec une transcription hiéroglyphique, par Alan H. Gardiner, die ErzaMungr des S:HM/'e und die H!r<<'Hg'esc/McA<e, pl. 1-4.
Outre les éditions sur papyrus, nous possédons sur deux ostraca la copie de deux portions assez considérables du commencement et de la fin du récit. Le plus anciennement connu d'entre eux est conservé au Musée Britan_nique._o.u il porte le numêro_8629. Il a été signale d'abord par Birch dans son ~ën!0:re sur le Papyrus Abbott (traduction française de Chabas, dans la Revue archéologique, 1858, p. 264; cf. OEuvres diverses, t. t, p. 284), puis publié en fac-similé dans les 7Ksertp<tOKS in the Bt<'?'a<:c and D~mo!tc Character, from the CoMec<<OKS of the British Museum, in-folio, London, M DCCC LXVIII, pi. XXin et p. 8.
Lauth le transcrivit et le traduisit dans Die zMe:a~<es<e Landkarte nebst Gr~&efp~KeM (extrait des Sitznngsberichte de l'Académie des Sciences de Munich, 1871, p. 233-236), mais l'identité du texte qu'il renferme avec le texte des lignes 300-310 du Papyrus de Berlin H" a été découverte par
Goodwin, On a Hieratic JnscytpMon upon a Stone in the British Museum, dans la Zeitschrift, 1872, p. 20-24, où la transcription et la traduction du texte sont consignées tout au long. L'écriture est de la X!X° et de la XXe dynasties, de même que celle du Papyrus Golénicheff. Comme la version qu'il porte diffère par certains détails

de celle du Papyrus de Berlin, il né sera pas inutile d'en insérer une traduction complète
[OH me ~:lcons~EM!fe [MHe pyramide] en pierre dans le cercle des pt/ramtdes. Les tailleurs de pierre taillerent le tombeau e< ett deutsèrent les murs; les dessinateurs y dessinèrent, le chef des sculp<eMfS y sculpta, le chef des travaux qui se font à la nécropole parcourut le pays [pour] tout le mobilier dont je garnis ce tombeau. Je lui assignai des paysans, et il eut des domaines, des tj/tamps au voisinage de la ville comme on fait aux Amis du premier rang. [N y eut] une statue d'or à ~ft jupe de vermeil que me firent à moi les fils du roi, se réjouissant de faire cela pour moi; car je fus dans les faveurs de par le roi, jusqu'à ce que vint le jour où on aborde a l'autre rive.
C'es< fini heureusement en paix.
Le second~.Ostracon est conservé au Musée du Caire, et il a été ramassé, le 6 février 1886, dans )a_tombe de Sannpzmou, à Thèbes. C'est une pièce de calcaire, brisée en deux morceaux, longue d'un mètre, haute de vingt centimètres en moyenne, couverte d'assez gros caractères hiératiques ponctués à l'encre rouge et divisés en paragraphes, comme c'est le cas dans la plupart des manuscrits de l'époque des Ramessides. Au dos, deux lignes malheureusement presque illisibles contiennent un nom que je n'ai pas réussi à déchiffrer, probablement le nom du scribe qui écrivit notre texte. La cassure n'est pas récente. Le calcaire a été brisé au moment de la mise au tombeau, et cette exécution ne s'est pas accomplie sans dommages quelques éclats de la pierre ont disparu et ils ont emporté des fragments de mots avec eux. La plupart de ces lacunes peuvent se combler sans peine. Le texte est très incorrect, comme celui des ouvrages destinés à l'usage des morts. Beaucoup des variantes qu'il renferme proviennent de mauvaises lectures du manuscrit original le scribe ne savait pas lire avec exactitude les écritures archaïques et il les transcrivait au hasard. L'Ostracon a été publié une première fois, avec transcription en hiéroglyphes et traduction française, par
G. Maspero, Les premières lignes des jfemotfes de Sinouhit, restituées d'après l'Ostracon 374~9 du musée de BoM~tg, avec deux planches de fac-similé, dans les Mémoires de rins<t<M< égyptien, in-4", t. H, p 1-23; tirage à part, in-4o, avec titre spécial et la mention Boulaq, 1886, reproduit dans les Études de ~~to/o~'eetd'~fcAe'ologie Égyptiennes, t. IV, p. 281-305.
Il a été décrit et facsimilé depuis lors dans le Catalogue Général du jUMsee du Caire, par

G. Daressy, Ostraca, in-4", 1901, pl. XLI et p. 46-47, où il porte le numéro nouveau 25218.
Le texte complet des Mémoires, restitué pour la première fois, il y a vingt ans, dans la seconde édition de ces Contes, a été depuis lors traduit en anglais par
W. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12", t. I, p. 97-142;
F. Ll. Griffith, Egyptian Literature, dans les Specimen Pages of a Library of the World's best Literature, 1898, New-York, in-4o, p. 5238-5249;
Puis en allemand par
A. Erman, Aus den Papyrus der KôM~Hc/te~ Museen, 1899, Berlin, in-8", p. 14-29, qui a inséré aussi la transcription en hiéroglyphes de plusieurs passages dans son ./E~yp<sc/te Grammatik, 1' édit., 1894, p. 17-18, et dans son ~g~pttscAe Chrestomathie, 1904, p. 1-11. A. Wiedemann, Altxgyptischc Sagen und AfcBrc/tCK, in-8", Leipzig, 1906, p. 34-57.
Alan H. Gardiner, die B~tt/~Mn~ des StHuAe und die Hirtengeschichte, in-fo, Leipzig, 1909, p. 9-15.
Gardiner a refait, presque aussitôt après l'apparition de ce volume, une traduction anglaise, avec notes critiques et commentaire perpétuel, qu'il a donnée au Recueil de Travaux (1910, t. XXXtI, p. 1-28, 214-230,1911, t. XXXtII, p. 67-94,etc.,) sous le titre Notes on the Story oy Sinuhe, avec tirage à part, comprenant un Index, chez Champion, in-4", Paris.
Enfin une édition critique du texte avec introduction et glossaire a été essayée par
G. Maspero, les JJemotres de Sinouhit (forme le tome I" de la Bibliothèque d'Étude), 1906, in-4", le Caire, n-184 p.
La découverte des premières lignes nous a permis de reconstituer l'itinéraire que Sinouhît suivit dans sa fuite. Il quitta le camp établi dans la région libyenne, au pays des Timihou, en d'autres termes, il partit d'un point du désert occidental, traversa le canal AfaoMt<t, le canal des deux Vérités, c'est-à-dire la partie du Bahr-Yousouf, qui, dépassant l'entrée du Fayoum, allait rejoindre le Nit près de Terranéh en longeant la montagne. Il pénétra dans la vallée près d'une localité appelée Nouhit, Sycomore. D'après Brugsch (Dictionnaire géographique, p. 53), Nouhit serait la Panaho des Coptes, l'Athribis des Grecs, aujourd'hui Benha-el-Assal. Cette identification tombe à priori puisque Nouhit est mentionnée au début même du voyage, c'est-à-dire sur la rive occidentale du Nil, et que Benha est sur la rive orientale. J'avais d'abord considéré le Sycomore comme une manière de désigner l'Égypte entière, mais on connaît depuis longtemps une Nouhit ou Pu-nabit-nouhit, qui paraît n'avoir été

d'abord qu'un bourg voisin de Memphis, puis dont le nom s'appliqua à Memphis même (Brugsch, Dictionnaire géographique, p. 330-332). Le Sycomore est probablement ce Quartier du Sycomore consacré à Hathor comme toutes les localités où l'on rencontrait un sycomore sacré peut-être même le nom du héros, Sinouhit, signifie-til le fils de la déesse Sycomore, analogue à Sihathor, le fils d'Hathor. De Nouhit le récit de la fuite le mène à S/M-Sana/rout ou AiSanafroui. Le Lac-Sanafroui ou l'~e-Scwa/rout n'est pas connu d'ailleurs, mais Brugsch le rapproche du nome Myekphoritès d'Hérodote (III, CLXVI), grâce à une prononciation Afout-/H&-Sno/'rou qu'auraient eue, dit-il, les signes dont se compose le nom (Dtc<. géog., p. 54). La place que ce bourg occupe dans l'itinéraire me porte à le chercher entre le désert Libyque, Memphis et le Nil, à une journée de marche environ de la ville de Nagaou, peut-être à proximité des pyramides de Gizéh ou d'Abou-Roàsh. Le soir venu, Sinouhît franchit le Nil au voisinage de Nagaou, vers Embabéh probablement, et il reprend sa route en passant à l'orient du canton d'Iaoukou. C'est le pays des tailleurs de pierre, toute la région des carrières qui s'étend de Tourah jusqu'au désert, le long du Gebel Ahmar, la Jfontagne rouge, et peut-être doit-on penser que le lieu dit HaroMt<-TtaM<Douou-doshir, « la déesse Firmament dame de la Montagne Rouge M est plus spécialement la pointe du Gebel-Giyouchi. De là, Sinouhit se rend à pied jusqu'à l'un des postes fortifiés qui protégeaient l'Egypte de ce côté, entre Abou-Zabel et Belbéis, mais plus loin il ne mentionne plus que Pouteni et Qamouêri. Brugsch identiBe Pouteni à un pays de Pât, qu'il a rencontré sur un monument d'époque salte, et dont la ville de Belbéis indiquerait le centre (Dict. géog., p. 54-5S). La grande stèle ptolémaïque découverte par M. Naville à Tell-el-Maskhouta, fournit quelques éléments pour déterminer exactement la position de Qamouêri. Elle renferme un nom, Qamouèr, que M. Naville a identifié, non sans raison, avec la Qamouêri des Mémoires de Sinouhît (The Store-City of Pithom and the Route of the Exodus, p. 21-22). PtolémeePhiladelphe construisit en cet endroit la ville qu'il appela Arsinoé d'après sa sœur, et qui devint un des entrepôts du commerce de l'Egypte avec la Mer Rouge. M. Naville place Arsinoé, et, par conséquent. Qamouêri, près d'elMaghfàr, au fond même de l'ancien golfe de Suez. Ce site conviendrait bien à notre récit: après avoir quitté Pouteni, Sinouhit se serait enfoncé dans le désert, vers le nord-est, et il se serait perdu dans les sables, en essayant d'atteindre Qamouêri.
Au delà de ce point, les localités qu'il traverse et dans lesquelles il séjourne ont été étudiées par Maspero (Notes sur quelques points de Grammaire et d'Histoire, dans le Recueil, t. XVII, p. 142) et par Isidore Lévy (Lotânu-Lotan, dans Sphinx, t. IX, p. 76-86), qui

s'accordent à les placer dans le désert stnaîtique. Tout d'abord, Sinouhît aborde deux contrées, dont le nom a été interprété de manière différente et a donné déjà lieu à des discussions nombreuses. Le premier, lu par moi avec doute Souanou, a été transcrit Kapouna par Gardiner (Et'ne neue Handschrift des Sinuhegedichtes, p. 7, 8 et Notes on the Story of StttM/te dans le Recueil, t. XXXII, p. 2t-23), puis identifié par lui avec la ville de Hybtos j'ai exposé (Mémoiresde Sinouhit, p. XLII-XLIV)les raisons qui m'empêchent d'accepter la lecture et l'identification proposées. Le second nom, déchiffré Edimà, JMouma, par Chabas, avait été identifié avec l'Idumée (les Papyrus de Berlin, p. 39, 75-76) aujourd'hui, on le lit Kadimâ, Kedem. L'auteur dit que c'était un canton du Tonou supérieur, et un scribe contemporain de Thoutmôsis Ht l'a mis à côté de Mageddo (Max Mutter, Egyptological Reseanches, t. If, p. 81 et 82). Le Tonou devait renfermer au moins l'espace compris entre la Mer Morte et la péninsule sinaïtique, mais il ne serait pas besoin de reculer plus avant vers le nord de la Syrie, si la version Tonou était une faute pour Hatonou le Latonou, ainsi que Max Militer l'a dit le premier (Asien und Europa, p. 211 cfr. Isidore Lévy, Lotanu-Lotân, p. 72 sqq.) et qu'Alan Gardiner le maintient avec force (Bt'ne neue Handschrift des Sinuhegedichtes, p. 8, die Erzeihlung des Sinuhe, p. 10, note 4), aurait été à l'origine un canton voisin de celui du Kharou, les Horites. Le prince de Tonou ou de Lotanou donne au héros égyptien un district, Aàà ou plutôt Aîa, dont le nom désignait une espèce de plante, l'Arundo-Isiacca selon Loret (Saccharum ~E~yp<MCMm, dans SpAt'n.E t. VIlI, p. 157-158). Max MùHer l'a retrouvé à la suite de Mageddo et en avant de Qadimâ dans ia liste de Thoutmôsis III (Egyptological Researches, t. IL p. 81 et 82). Est-ce l'Aiah de la Genèse (xxxvi, 24), neveu de Lotân-Lotanou, et par suite un canton du Sinaï (Maspero, Notes sur quelques points, dans le Recueil, t. XVII, p. 142)? Sinouhît y resta des années, en rapport avec les nomades archers, Saatiou au retour, il fut reçu par la garnison égyptienne d'un poste-frontière, J~M'MM-HoT'OM, les chemins d'Ho?'s. Erman (die Ho/'Utitoe~g, dans la Zeitschrift, t. XLHI, p. 72-73), a montré qu'à l'époque ptolémaïque oh donnait ce nom à la marche orientale du Delta –XAoMt-aM, et que c'était une désignation mythologique de la localité qui, dans la géographie politique, s'appelait ZtM'OM. C'est un emprunt au mythe d'ftorus Horus, lancé à la poursuite de Set-Typhon, aurait passé par l'Ouady-Toumitât et lui aurait laissé son nom. Sinouhît se serait transporté d'Ismaïliah à Dahchour, où la cour résidait.
Un romancier anglais, Guy Boothby, a fait de la fuite de Sinouhît le point de départ d'une nouvelle à tendances théosophiques elle est intitulée A professor of Egyptology.

Le prince héréditaire, l'homme du roi, l'Ami unique (1), le chacal, administrateur des domaines du Souverain et son lieutenant chez les Bédouins, le connu du roi en vérité et qui l'aime, le serviteur Sinouhit (2), dit
Moi, je suis le suivant qui suit son maître, le serviteur du harem royal de la princesse héréditaire, la favorite suprême, l'épouse royale de Sanouosnt dans Khnoumisouîtpu, la fille royale d'Amenemhaît dans Qanofir, oNofrît (3), la dame de féauté. L'an XXX, le troisième mois d'Iakhouit (4), le 7, le dieu entra en son double horizon, le roi Sahotpiabourîya s'élança au ciel (5), s'unissant au disque solaire, et les membres du dieu s'absorbèrent en celui qui les avait créés. Or le palais était en silence, les coeurs endeuillés; la double Grande Porte était scellée, les courtisans restaient accroupis la tête aux genoux et le peuple se lamentait lui aussi. Or, sa majesté v. s. f.
(1) Les amis occupaient les postes les plus élevés à la cour de Pharaon au P<)/rM{ Hood du British Muséum, la hiérarchie les place au septième rang après le roi. Ils se divisaient en plusieurs catégories les amis uniques, les uMts </Mse<'a~, I~s~'Mfs t~pt~s, les~eMMM, dont il n'est guère possible d'établir la position ~xa~të. ~e*titre continua, d'exister à la cour des Ptolémées et il se répandit dans le monde macédonien (cfr. Maspero, ~<tM~' égyptiennes, t. 11, p. 20-21).
(2) Le protocole de Sinouhit renferme, à côté des dignités égyptiennes ordinaires, un titre malheureusement mutité et qu'on n'est pas accoutumé à rencontrer sur les monuments, mais qui le met en rapport avec les Bédouins de l'Asie. Sinouhit avait été en effet chef de tribu chez les Saatiou et il lui en restait quelque chose, même après être rentré en Égypte, à la cour de Pharaon. C'est un fait nouveau et qu'il n'est pas inutile de signaler à l'attention des Égyptologues.
(3) Le Sanouosrit et l'Amenemhait dont la princesse est la femme et la fille sont désignés ici par le nom des pyramides dans lesquels ils étaient enterrês,.Khnôumisouitou et Qanofir. Le Musée du Caire possède deux statues d'une princesse Nofrit, qui ont été découvertes par Mariette à Sân, l'antique Tanis (Maspero, Guide <o.< Ca~'o Museum, 5' éd., d910,p. 93, 94, n'' 200 et 201).
(4) L'un des textes, celui que l'Os~'aeo~ du Co;:re nous a conserve, porte ici la mention du (/eu.rtemc mois d'Iakhouit.
(5) En d'autres termes, le roi ~tMe?tentAa:( n:oMrM<. On a déjà vu, p. 20 du présent volume, un autre exemple de cet euphémisme. 1 l''loo.

~0~" MONTES HE L'EGYPTE ,Amt~~ t~~<A~< r~"
avait dépêché une armée nombreuse au pays des Timi-/ hou (i), et son fils aîné, le dieu bon, Sanouosrît, v. s. f., en était le chef. II avait été envoyé pour frapper les pays étrangers et pour réduire les Tihonou en esclavage, et maintenant il revenait, il amenait des prison-, niers vivants faits chez les Timihou et toute sorte de bestiaux sans nombre. Les Amis du Sérail, v. s. f., mandèrent des gens du côté de l'Occident, pour informer le fils du roi des affaires qui leur étaient survenues au Palais, v. s. f. (2). Les messagers le trouvèrent en route, et ils l'atteignirent à la nuit jamais il ne tarda moins. Le faucon s'envola avec ses serviteurs (3), sans rien faire savoir à l'armée; on manda aux fils royaux qui étaient avec cette armée de ne l'annoncer à personne de ceux qui étaient là. Or moi, j'étais là, j'entendis sa voix tandis qu'il parlait, alors que je m'éloignais, mon cœur se fendit, les bras me tombèrent, la peur s'abattit sur tous mes membres, je me dérobai en tours et en détours pour chercher une place où me cacher (4); me glissant entre deux buissons, afin de m'écarter de la router battue (5), je cheminai vers le sud, mais je ne songeai pas à revenir au Palais, car j'imaginais que la guerre y avait (i) Les Timihou sont les tribus berbères qui habitaient le désert libyen, à l'occident de l'Égypte.
(2) Le roi mort, les amis du sérail avaient dû prendre la régence en l'absence de l'héritier.
(3) Le faucon qui ~'ono~ est, selon l'usage égyptien, le nouveau roi, identiné soit à Harouêri, Horus l'aîné, soit à Harsiésit. Horus fils d'Isis. (4) Sinouhit évite de nous apprendre par quel accident il se trouvait en postured'entendre, à l'insu de tous, la nouvelle que le messager apportait au nouveau roi. Nous ne savons pas si la loi égyptienne décrétait de mort le malheureux qui commettait en pareil cas une indiscrétion même involontaire le certain est que Sinouhit craint pour sa vie et qu'il se décide à la fuite. (5) Sinouhit se cache dans les buissons tandis que le cortège royal défile secrètement sous ses yeux, puis il se fraie un chemin à travers les fourrés, évitant la route suivie par le Pharaon.

LES MÉMOIRES DE SINOUHIT Si
LES MÉMOIRES DE SINOUHIT Si
déjà éclaté (1). Sans dire un souhait de vie pour ce palais, je traversai le canal Maouîti au lieu dit du Sycomore (2). J'atteignis l'Ile-Sanafrouî et j'y passai la journée dans un v champ, puis je repartis à l'aube et je voyageai un homme qui se tenait à l'orée du chemin me demanda merci, car il avait peur. Vers le temps du souper, j'approchai de la ville de Nagaou, je traversai l'eau sur un chaland sans gouvernail, grâce au vent d'Ouest, et je passai à l'Orient, par le canton des Carrières dans le lieu dit < déesse Harouît-nabît-douou-doshir, puis faisant route à pied vers le Nord, je gagnai la Muraille du prince, qui a été construite pour repousser les Saatiou et pour écraser < les Nomiou-Shâiou; je me tins courbé dans un buisson, de peur d'être vu par le gardien qui guette sur la courtine ¡ du mur en son jour. Je me mis en route à la nuit, et le lendemain à l'aube, j'atteignis Pouteni et je me reposai à l'IIe-Qamouêri. Alors la soif elle tomba et elle m'assaillit; je défaillis, mon gosier râla, et je me disais déjà « C'est a le goût de la mort » quand je relevai mon cœur et je rassemblai mes membres; j'entendais la voix forte d'un troupeau. Les Bédouins m'aperçurent, et un de leurs cheikhs (3) qui avait séjourné en Égypte me reconnut voici qu'il me donna de l'eau et me fit cuire du lait, puis j'allai avec lui dans sa tribu et ils me rendirent le service de me passer de contrée en contrée. Je partis pour Souânou, je gagnai le Kadimâi, et j'y demeurai un an et demi. Ammouianashi, qui est le prince du Tonou supé-
(1) Ce passagère e peut guère faire allusion qu'à une guerre civile. En Égypte, comme dans tous les pays d'Orient, un changement-de règne entraînait souvent une révolte les princes qui n'avaient pas été choisis t pour succéder au père prenaient les armes contre leur frère plus heureux. (2) Pour ce nom géographique et pour les suivants, voir l'introduction de ce conte, p. ~6-~8.
(3) Cfr. L. Borchardt, :u S!nu/tc25/ dans la ~e:<tc/t)-ï, 1891, t. XXIX, p. f JL

rieur (1), nié manda et me dit « Tu te trouves bien chëz « moi, car tu y entends le parler de l'Egypte ». II disait cela parce qu'il savait qui j'étais et qu'il avait entendu parler de mon talent; des Égyptiens qui se trouvaient dans le pays avec moi lui avaient rendu témoignage sur moi (2). Voici donc ce qu'il me dit « Qu'est-ce que la « raison pourquoi tu es venu ici? Qu'y a-t-il? Se serait-il « produit un voyage à l'horizon dans le palais du roi des « deux Égyptes Sabotpiabourîya (3), sans qu'on ait su ce « qui s'est passé à cette occasion ? » Je lui répondis avec astuce « Oui certes, quand je revins de l'expédition « au pays des Timihou, quelque chose me fut répété mon « cœur se déroba, mon cœur il ne fut plus dans mon « sein, mais il m'entraîna sur les voies du désert. Je « n'avais pas été blâmé, personne ne m'avait craché à la « face, je n'avais entendu aucune vilenie et mon nom « n~avait pas été entendu dans la bouche du Héraut! Je « ne sais pas ce qui m'amena en ce pays; ce fut comme « un dessein de Dieu 1 » « Qu'en sera-t-il de cette « terre d'Égypte sans ce dieu bienfaisant dont la terreur se « répand chez les nations étrangères, comme Sokhît (4) « en une année de peste? Je lui dis ma pensée et je lüi (i) Le papyrus du Ramesséum donne ici en variante le Lotanou supérieur; cf. l'introduction de ce conte, p. 78 du présent volume. (2) Probablement des transfuges échappés d'Égypte dans des conditions analogues à celles où l'évasion de Sinouhit s'était produite. (3) La question du prince de Tonou, un peu obscure à dessein, est d'autant plus naturelle que nous savons par d'autres documents (Papyrus SaMer Il, p. 1, lign. dern., p. 2, lign. I-) qu'Amenemhait I" avait failli succomber à une conspiration de palais. Ammouianashi demande à Sinouhit s'il n'a pas été impliqué dans quelque tentative de ce genre/et s'il n'a pas dû s'échapper à la suite de l'assassinat du roi.
(4) ~o&A~, ou Sakhmit, qu'on a longtemps confondue avec Pakhouit, était une des principales déesses du Panthéon égyptien. Elle appartenait à la triade de Memphis et elle avait le titre de <<!M</e an:c de Phtah. C'était une lionne ou une déesse à tête de lionne avec une tête de chatte, elle se nommait Bastît et elle était adorée à Bubaste, dans le Delta.

répondis (1) « Dieu nous délivre son fils est entré au « palais et il a appris l'Héritage de son père. Il est un « dieu qui certes n'a point de seconds aucun n'est « devant lui. Il est un maître de sagesse, prudent en ses « desseins, bienfaisant en ses décrets, sur l'ordre dé qui « l'on va et l'on vient. C'était déjà lui qui domptait « les régions étrangères, tandis que son père restait « dans l'intérieur de son palais, et il reridâit compte à « celui-ci de ce que celui-ci avait décidé qui se ferait. Il « est le fort qui certes travaille de. son glaive, un vaillant' « qui n'a point soii semblable, quand on le voit qui « s'élance contre les barbares et qui entre dans la mêlée. « C'en est un qüi joue de la corne et qui rend débiles les « mains des ennemis plus ne peuvent ses ennemis « remettre l'ordre dans leurs rangs. Il est le chàtieur qui « défonce les fronts nul n'a tenu devant lui. II est le « coureur rapide qui détruit le fuyard il n'y a plus « d'asile à atteindre pour qui lui a montré le dos. Il est « le cœur ferme à l'instant du choc. Il est celui qui « revient sans cesse à la charge et qui jamais n'a tourné « le dos. Il est le cœur solide qui, lorsqu'il voit les mul« titudes, ne laisse point la lassitude entrer dans son « cœur. Il est le brave qui se lance en avant, quand il « voit la résistance. Il est celui qui se réjouit quand il « fond sur les barbares il saisit son bouclier, il culbute « l'adversaire, il n'a jamais redoublé son coup, lorsqu'il « tue, mais il n'y a personne qui puisse détourner sa (i) Sinouhit répond à la question par laquelle le chef de Tonou lui demandait si son exil n'avait point pour motif quelque complicité dans un attentat dirigé contre la vie du roi. Sa fuite est comme une volonté de Dieu, c&mme une fatalité; et, en effet, nous l'avons vu plus haut (p. 80), ` c'est par hasard et sans le vouloir qu'il a appris la mort d'Amenemhait. Afin de mieux montrer qu'il n'a jamais trempé et ne trempera jamais dans aucun complot, il se lance dans un éloge emphatique du nouveau Pharaon Sanouosrit 1" l'exagération du compliment devient ici une preuve de loyalisme et d'innocence.

« lance, personne qui puisse tendre son arc; les barbares « fuient, car ses deux bras sont forts comme les âmes de « la grande déesse (1). Combattant il ne sait plus s'arrêter, « il ne garde rien, il ne laisse rien subsister. Il est le <( bien-aimé, le très charmant, qui a conquis l'amour, et « sa cité l'aime plus que soi-même; elle se réjouit en lui « plus qu'en son propre dieu, et hommes et femmes s'en « vont exultant à son sujet. Il est le roi qui a gouverné dès « l'œuf(2) et il a porté des diadèmes depuis sa naissance; « il est celui qui a fait multiplier ses contemporains (3), « et il est l'un que le dieu nous a donné et par qui cette « terre se réjouit d'être gouvernée. Il est celui qui élargit « les frontières il prendra les pays du Midi et il ne songe « pas aux pays du Nord. Il a été créé pour frapper les « Saatiou et pour écraser les Nomiou-sh&îou (4). S'il <f envoie ici une expédition, puisse-t-il connaître ton « nom en bien et que nulle malédiction de toi n'arrive « à Sa Majesté! Car il ne cesse jamais de faire le bien « à la contrée qui lui est soumise? )) Le chef de Tonou me répondit « Certes, l'Égypte est heureuse puisqu'elle « connaît la verdeur de son prince! Quantàtoi,puis« que tu es ici, reste avec moi, et je te ferai du bien! » II me mit avant ses enfants, il me maria avec sa fille aînée, et il accorda que je choisisse pour moi, dans son pays, parmi le meilleur de ce qu'il possédait sur la fron(1) Un des titres qu'on donne à Sokhit (cf. p. 83, note 4) et à ses formes belliqueuses.
(2) C'est la formute égyptienne pour indiquer que le pouvoir royal appartient au roi dès le moment qu'il est conçu dans le sein de sa mère. (3) D'après Gardiner (Noies on </«- Story of Stnt~tc, dans le /'ecM'-t/, t. XXXII, p. 224), ce passage signifierait qu'il laisse l'Égypte plus populeuse qu'elle ne l'était au temps de sa naissance il rappelle à ce propos les noms d'Horus, celui qui renouvelle les naissances pour Amenemhaît I", et celui qui est la vie des naissances, pour Sanouosrit I".
(4) Les peuptades nomades qui habitent le désert à l'Orient de l'Égypte. Ils sont appelés ailleurs ~<t)'oHtoM-S/)uMM, les maitres f/M .~a~M la variante Nomiou-shdiou parait signifier ceux qui don<:y!en< les sables.

tière d'un pays voisin. C'est une terre excellente, Aîa (1) de son nom. Il y a des figues en elle et des raisins; le vin y est en plus grande quantité que l'eau, abondant y est le miel, l'huile à plentée, et toutes sortes de fruits y sont sur ses arbres on y a de l'orge et du froment sans limites, et toute espèce de bestiaux. Et de grands privilèges me furent conférés quand le prince vint à mon intention et qu'il m'installa prince d'une tribu du meilleur de son pays. J'eus du pain pour ordinaire et du vin pour chaque jour, de la viande bouillie, de la volaille pour rôti, plus le gibier du pays, car on le chassait pour moi et on me le présentait en outre de ce que rapportaient mes propres chiens de chasse. On me faisait beaucoup de gâteaux (2) et du lait cuit de toute manière. Je passai des années nombreuses; mes enfants devinrent des forts, chacun maîtrisant sa tribu: Le messager qui descendait au Nord ou qui remontait au Sud vers l'Égypte, il s'arrêtait chez moi, car j'accueillais bien tout le monde, je donnais de l'eau à l'altéré, je remettais en route le voyageur égaré, je sauvais le pillé. Les Bédouins (3) qui s'enhardissaient jusqu'à résister aux princes des pays, je dirigeais leurs mouvements, car ce prince de Tonou, il accorda que je fusse pendant de longues années le géné rai de ses soldats. Tout pays contre lequel je marchais, quand je me précipitais sur lui, on tremblait dans les pâturages aux bords de ses puits; je prenais ses bestiaux, j'emmenais ses vassaux et j'enlevais leurs esclaves, je (1) V. à la p. 78, dans l'introduction de ce conte, l'identification proposée pour cette tocaiité.
(2) Le mot a été laissé en blanc dans le manuscrit de Berlin. Très probablement il était illisible dans le papyrus original, d'après lequel la copie que nous possédons du conte de Sinouhit a été faite; le scribe a préféré ne rien mettre plutôt que de combler la lacune de sa propre autorité. (3) Litt. les archers. C'est le nom générique que les Égyptiens donnaient aux peuplades nomades de la Syrie, par opposition a. MonahoM, qui en désignait les peuplades agricoles.

tuais ses hommes (1). Par mon glaive, par mon arc, par mes marches, par mes plans bien conçus, je gagnai le coeur de mon prince et il m'aima quand il connut ma vaillance, il me fit le chef de ses enfants quand il vit la verdeur de mes bras.
Un fort de Tonou vint, il me défia dans ma tente c'était un héros qui n'avait point de seconds, car il avait vaincu Tpnou tout entier. Il disait qu'il lutterait avec moi, il se proposait de me dépouiller, il déclarait hautement qu'il prendrait mes bestiaux à l'instigation de sa tribu. Ce prince en délibéra avec moi et je dis « Je ne le connais « point, je ne suis certes pas son allié, qui ai libre accès « à sa tente; est-ce que j'ai jamais ouvert sa porte ou « forcé ses clôtures? C'est pure jalousie, parce qu'il me « voit qui fais tes affaires. Dieu nous sauve, je suis tel le « taureau au milieu de ses vaches, lorsque fond sur lui « un jeune taureau du dehors afin de les prendre pour « lui. Est-ce qu'un mendiant plaît lorsqu'il passe chef? Il « n'y a nomade qui s'associe volontiers à un fellah du « Delta, car comment transplanter un fourré de joncs à « la montagne? Est-ce qu'il est un taureau amoureux « de bataille, un taureau d'élite qui aime à rendre coup « pour coup, et qui craint de trouver qui l'égale? Alors, « s'il a le cœur a combattre, qu'il dise l'intention de son « cœur! Dieu ignore-t-il ce qu'il a décidé à son sujet ou « s'il en est ainsi, comment le savoir (2) ? Je passai la nuit (1) Ce sont les expressions dont on se servait dans les rapports oOiciels, pour décrire les ravages des guerres conduites par les Pharaons. Sanouosrit 111 dit de même « J'ai pris leurs femmes, j'ai emmené leurs « subordonnés, me manifestant vers leurs puits, chassant devant moi « leurs bestiaux, gâtant leurs maisons et y mettant le feu a (Lepsius, D<Tt/cm.,H,pt.i36,A,l.<4-<6).
(2) Tout ce passage est d'interprétation difficile. J'ai adopté dans l'ensemble la dernière traduction de Gardiner (Notes on the S<0)-</ oy Stn'iAe, dans le Recueil, t. XXXIII, p. 68-72). Sinouhit parait penser que son origine étrangère est la cause de la provocation dont autrement il ne com-

à bander mon arc, à dégager mes flèches, à donner du jeu à mon poignard, à fourbir mes armes. A l'aube, le pays de Tonou accourut; il avait réuni ses tribus, convoqué tous les pays voisins, car il avait prévu ce combat. Quand le fort vint, je me dressai, je me mis en face de lui tous les cœurs brûlaient pour moi, hommes et femmes poussaient des cris, tout cœur était anxieux à mon sujet, et on disait « Y a-t-il véritablement un autre champion assez fort pour « pouvoir lutter contre lui? » Voici, il prit son bouclier, sa lance, sa brassée de javelines. Quand je lui eus fait user en vain ses armes et que j'eus écarté de moi ses traits si bien qu'ils frappèrent la terre sans qu'un seul d'entre eux tombât près de l'autre, il fondit sur moi; alors je déchargeai mon arc contre lui, et quand mon trait s'enfonça dans son cou, il s'écria et il s'abattit sur le nez. Je l'achevai avec sa propre hache, je poussai mon cri de victoire sur son dos, et tous les Asiatiques crièrent de joie; je rendis des actions de grâces à Montou (1) tandis que ses gens se lamentaient sur lui, et ce prince, Ammouianashi (2), me serra dans ses bras. Voici donc, j'emportai les biens du vaincu, je saisis ses bestiaux, ce qu'il avait désiré me faire à moi, je le lui fis à lui je pris ce qu'il y avait dans sa tente, je pillai son douar et je m'en enrichis, j'arrondis mon trésor et j'accrus le nombre de mes bestiaux. Ainsi donc, le dieu s'est montré gracieux pour celui prendrait pas les motifs il l'accepte pourtant, et il s'en remet au jugement de Dieu.
(1) Le dieu de la guerre à Thèbes. H était adoré à Hermonthis, dans le voisinage immédiat de la grande ville, et les Grecs l'identifièrent avec Apollon c'était en effet un dieu solaire, et les monuments le confondent souvent avec Râ, le soleil.
(2) La vocalisation en i de ce nom est donnée ici par le manuscrit, quand plus haut l'i n'était pas écrit. Les Égyptiens, dans leur système imparfait d'écriture, étaient fort embarrassés de rendre le son des voyelles étrangères de là, les différences qu'on observe dans l'orthographe d'un seul et même nom.

à qui on avait reproché d'avoir fui en terre étrangère, si bien qu'aujourd'hui son cœur est joyeux. Un fugitif s'était enfui en son temps, et maintenant on me rend bon témoignage à la cour d'Égypte. Un traînard se traînait péniblement mourant de faim, et maintenant je donne du pain à mon prochain. Un pauvre hère avait quitté son pays tout nu, et moi, je suis éclatant de vêtements de fin lin. Quelqu'un faisait ses courses lui-même faute d'avoir qui envoyer, et moi, je possède des serfs nombreux. Ma maison est belle, mon domaine large, on se souvient de moi au palais du roi. 0 vous tous, dieux qui m'avez prédestiné à fuir, soyez-moi gracieux, ramenez-moi au palais, par chance accordez-moi de revoir le lieu où mon cœur séjourne Quel bonheur, si mon corps reposait un jour au pays où je suis né (1)! Allons, que désormais la bonne fortune me dure,; que le dieu me donne sa paix, qu'il agisse ainsi qu'il convient pour la fin de l'homme qu'il avait peiné, qu'il soit compatissant envers qui il força de vivre sur la terre étrangère. N'est-il pas aujourd'hui apaisé? Qu'il écoute celui qui prie au loin, et qu'il se tourne vers l'homme qu'il a terrassé et vers le lieu d'où il l'a amené (2). Que le roi de l'Égypte me soit favorable pour que je vive de ses dons, et que j'administre les biens de la régente de la Terre qui est dans son palais (3), et que j'entende les messages de ses enfants. Ah! que mes membres se rajeunissent, car maintenant que la vieillesse vi~nt, la faiblesse m'a envahi, mes deux yeux sont lourds, mes bras pendent, (1) Cf. le même souhait exprimé en faveur du Naufragé par le serpent qui l'a accueilli dans son ife, p. 113 du présent volume.
(2) Autant que je puis comprendre, Sinouhit prie le roi d'examiner et la disgrâce qu'il a encourue et l'Égypte d'où il a été banni, puis, considérant la disproportion entre cette disgrâce et la cause qui l'a produite,' de le rappeler, lui Sinouhit, en Égypte.
(3) C'est un des titres de la reine. Comme on l'a vu un peu plus haut, p. 79, Sinouhit était l'administrateur du harem et par suite des biens de la reine il demande à reprendre son ancienne fonction.

mes jambes refusent le service, mon cœur s'arrête le trépas s'approche de moi, et bientôt on m'emmènerà aux villes éternelles (1), pour que j'y suive la Dame de tout (2)1 Ah! puisse-t-elle me dire les beautés de ses enfants, et passer l'éternité à côté de moi (3) 1 Lors donc qu'on eut parlé à la majesté du roi Khopirkéourîya (4), à la voix juste (5), de ces affaires qui me concernaient, Sa Majesté daigna m'envoyer un message avec des présents de la part du roi pour mettre dans la joie (I) Les villes éternelles ou la maison éternelle est le nom que les Égyptiens donnaient à la tombe.
(2) La Dame de tout est, comme le Maitre de tout, une divinité des morts. Erman (Aus '/en ~'ap~'Ms 'e;' Xon:~Hc/teK~M<ee7t, p. 22, note :*) et Gardiner (Notes on <A< Story o/ ~fnM/t?, dans le Recueil, t. XXXIII, p. 85-86) pensent qu'il s'agit plutôt de la reine Sinouhit souhaiterait de la servir éternellement dans l'autre monde, comme il l'a servie dans celui-ci.
(3) On sait la crainte que les Égyptiens avaient de mourir et surtout de rester ensevelis à l'étranger ils pensaient ne pouvoir jouir de la vie d'outre-tombe que si leur momie reposait dans la terre d'Égypte. C'est pour éviter l'opprobre et le malheur d'un tombeau en Syrie que Sinouhit, parvenu à la vieillesse, demande à rentrer au pays s'il insiste tant sûr ces idées funèbres, c'est qu'elles étaient, plus que toute autre considération, de nature à lui valoir la pitié du Pharaon.
(4) C'est le prénom du roi Sanouosrit t fils et successeur d'Amenemhait I". avec une variante sur le mot ka.
(5) Les Égyptiens, comme tous les peuples orientaux, attachaient une grande importance non seulement aux paroles qui composaient leurs formules religieuses, mais encore à l'intonation qu'on donnait à chacune d'elles. Pour qu'une prière fût valable et qu'elle eût son plein effet auprès des dieux, il fallait qu'on la récitàt avec la mélopée traditionnelle. Aussi le plus grand éloge qu'on pût faire d'un personnage obligé à réciter une oraison était-il de l'appeler Ma-AArdou, juste de voix, de dire qu'il avait la voix juste et qu'il savait le ton qu'il devait donner à chaque phrase. Le roi ou le prêtre qui faisait l'office de lecteur (Mrt-A~t. cfr. p. 25, note 4) pendant le sacrifice était dit Ma-tA'dou. Les dieux triomphaient du mal par la justesse de leur voix, quand ils prononçaient les paroles destinées à rendre les mauvais esprits impuissants. Le mort, qui passait tout le temps de son existence funéraire à débiter des incantations, était le ma-t/t'<!o!< par excellence. La locution ainsi employée finit par devenir une véritable ëpithète laudative, qu'on joignait au nom de tous les morts et de tous les personnages du temps passé dont on parlait sans colère.

le serviteur qui vous parle (1), comme ceux qu'on donne aux princes de tous les pays étrangers, et les Infants (2) qui sont dans son palais me firent tenir leurs messages.
COPIE DE L'ORDRE QU'ON APPORTA AU SERVITEUR ICI PRÉSENT AU SUJET DE SON RAPPEL EN ÉGYPTE
« L'Horus, vie des naissances, le maître des diadèmes du Nord et du Sud, vie des naissances, le roi de la haute et de la basse Egypte, KnopiRHÉRiYA, fils du Soleil, AMENEMHAÎT (3), vivant à toujours et à jamais!
« Ordre du roi pour le serviteur Sinouhît! Voici, cet ordre du roi t'est apporté pour t'instruire de sa volonté (4) « Tu as parcouru les pays étrangers, sortant de Kadimà « vers Tonou, et chaque pays t'a passé à l'autre, et cela rien « que sur le conseil de ton cœur à toi. Qu'est-ce que tu as « pbtenu par là qu'on te fasse? Tu ne peux plus maudire (5), (1) L. Borchardt, der Ausdruck B& t)K, dans la ~t<<c/M'<, 1889, t. XXVII, p. 122-124.
(2) Les 7/at!<t sont, ou bien les enfants du roi régnant, ou les enfants d'un des rois précédents ils prennent rang dans la hiérarchie égyptienne immédiatement après le roi régnant, la reine et la reine-mère (cfr. Maspero, Études e'~t/p~'ennes, t. H, p. 14, 16).
(3) Le nom de ce roi est formé du prénom K/<op!t'~)'oL de Sanouosrit 1" et du nom d'AmenemhaitH. Sur la valeur de cette combinaison, voir l'Introduction générale de cet ouvrage, aux pages XX11 sqq. (4) Ceci est la réponse à l'appel indirect que Sinouhit avait adressé plus haut à la reine (cf. p. 86, note 3) dont nous savons qu'il était l'un des principaux ofSciers (cf. p. 79), ainsi qu'aux enfants que le Pharaon avait eus de cette princesse. U semble résulter de ce passage que leur intercession avait été efficace et que Sinouhit devait le pardon de sa faute aux prières de Nofrit et des Infants.
(5) Gardiner a déterminé exactement la coupe générale de la phrase avec beaucoup de sagacité, mais il me semble que le sens du détail lui a échappé (Notes on the Story o/ S:MAe. dans le Recueil, t. XXXIII, p. 8789). MaK~tfe, en d'autres termes, prononcer contre un individu ou contre un objet des imprécations qui obligeaient les dieux mis en cause à le détruire, était une faculté qui n'appartenait qu'aux personnes en possession de la plénitude de leurs droits civils, comme celle de siéger parmi les Notables en s'exilant volontairement Sinouhit a renoncé à ses facultés, si bien que sa malédiction n'a plus aucune valeur, et qu'on

« car on ne tient aucun compte de tes paroles; tu ne peux « plus parler dans le conseil des notables, car tes dis« cours sont mis de côte. Et pourtant cette position « que ton cœur a prise elle n'est pas due à une mauvaise « volonté de ma part contre toi. Car cette reine, ton « ciel, qui est dans le palais, elle dure, elle est florissante « encore aujourd'hui, sa tête est exaltée parmi les « royautés de la terre, et ses enfants sont dans la partie « réservée du palais (1). Tu jouiras des richesses qu'ils te « donneront et tu vivras de leurs largesses.
« Quand tu seras venu en Egypte et que tu verras « la résidence où tu vivais, prosterne-toi face contre « terre devant la Sublime Porte, et joins-toi aux Amis (2). « Car aujourd'hui, voici que tu t'es mis à vieillir; tu as <(perdu la puissance virile et tu as songé au jour de « l'ensevelissement, au passage à la Béatitude éternelle. « On t'a assigné des nuits parmi les huiles d'embaume« ment et les bandelettes, par la main de la déesse « Tait (3). On t'a fait ton convoi au jour de l'enterrement, « gaine dorée, tête peinte en bleu (4), un baldaquin
n'en tient pas compte. Si, pour empêcher qu'on ne le vole, il prononce les imprécations usuelles en pareil cas, un ne les redoute plus et on peut le voler impunément. Ce n'est qu'un exemple pour indiquer le sens que j'attribue à ce passage il serait trop long d'en citer d'autres.
<f<l) Les cercueils des momies de la XI* dynastie et des époques sui\*<vantes que nous avons au Louvre, par exemple, sont en effet dorés complètement, à l'exception de la face humaine qui est peinte en rouge \et de la cpttiure qui est peinte en bleu
jj M ~) Rappelons une fois encore (cf. R. 19, 86, note 3 et p. 90, note 4) que Sinouhit avait été attache au harem de la reine. Même pendant qu'il était en exil, celle-ci avait pris sa défense et avait entretenu les bonnes dispositions du Pharaon à son égard.
[} T~ Voir plus haut, p. T}, note 1, ce qui est dit des Amis !'o!/<tMT. ~< ~-Le nom de la déesse Tait signifie littéralement linge, 6~n</e/e«M M c'est la déesse qui préside à l'emmaillotement du nouveau-né et du nouveau-mort. Les cérémonies auxqueltes ce passage fait allusion sont décrites dans un livre spécial, que j'ai eu la chance de publier et de traduire sous le titre de /j;<uf< de l'embaumement (Maspero, JMen)0!)'e sur ~Me<}MMpap)/t'M<t<!< ~pM~fe).

m-dessus de toi (1); mis dans le corbillard, des boeufs te tireront, des chanteurs iront devant toi, on exécutera « pour toi les danses des bateleurs (2) à la porte de ta « syringe; on récitera pour toi les invocations des tables « d'offrande (3), on tuera des victimes pour toi auprès de « tes stèles funéraires, et ta pyramide sera bâtie en pierre « blanche dans le cercle des Infants royaux (4). Il ne « sera pas que tu meures sur la terre étrangère, ni que des « Asiatiques te conduisent au tombeau, et que tu sois mis « dans une peau de mouton quand on fera ton caveau (5); (1) On déposait la momie sur un lit funéraire que surmontait un baldaquin en bois, pendant les cérémonies de l'enterrement. M. llbind en trouva un à Thèbes (Xhind. Thebes, ils Tombs and </)et<' Tenants, p. 89-90), qui est aujourd'hui au musée royal d'Édimbourg. J'en ai découvert trois depuis lors le premier à Thèbes, de la XIII' dynastie le second, à Thébes également, de la XX' dynastie le troisième à Akhmim, d'époque ptolémaïque. Ils sont tous au musée du Caire (Maspero. Archéologie ~y/.i!enne, p. 219 et Guide fo the Ca!o A~M.'eum, 5' édit.. 1910, p. 496, 511-512). Le musée du Caire possède également deux traîneaux à baldaquins, nous dirions deux corbillards, de la XX* dynastie (Maspero, Archéologie, p. 219, et Guide <o the Cat~o Museum, 5' édit., 1910, p. 481, 488), déterrés à Thèbes en 1886, dans le tombeau de Sannozmou. Ils appartiennent à la catégorie de ceux qu'on attelait de bœufs afin de tramer la momie à sa demeure dernière.
(2) Dans les tombeaux de l'âge thébain, surtout dans ceux de la XVHI* Dynastie, on voit deux ou trois personnages, des hommes aux endroits que je connais, vêtus du pagne court, et la tête surmontée d'une haute coiffure, probablement une perruque à long poil ou leurs cheveux poussés long, qui sont relevés en pain de sucre et liés au-dessus de leur tête. Ce sont les baladins qui exécutaient les danses mortuaires pendant les funérailles et qui amusaient la foule dans les intervalles des lamentations et des pleurs par leurs contorsions ou par leurs tours de force. (3) Lors des funérailles et à tous les offices célébrés par la suite en l'honneur des morts, l'homme au rouleau (cf. p. 25 note 4, p. 89 note 5, et /?!<o~MC<'o' p. X, et XLIX) appelait, Ma:t l'un.après l'autre les objets nécessaires à la subsistance et au bien-être d'un être humain, puis il les posait sur la table d'offrandes, d'où, par la vertu des formules, ils passaient soudain sur le guéridon du mort.
(4) C'est la description exacte des funérailles égyptiennes, telles que les monuments nous en font conn~tre le détail (cf. Maspero, Études ~y~)tiennes, t. 1, p. 81-194).
(5) Nous savons par Hérodote (II, Lxxxi) que les Égyptiens n'aimaient pas qu'on mit de la laine avec leurs morts: nous savons aussi que,

« mais il y aura compensation pour l'oppression que tu as « subie sur ton corps, quand tu seras revenu ici (1) Quand cet ordre m'arriva, je me tenais au milieu de ma tribu. Dès qu'il me fut lu, m'étant jeté à plat ventre, je me traînai dans la poussière (2), je la répandis sur ma chevelure, je fis le tour de mon douar, me réjouissant et disant < Comment se peut-il que pareille chose soit faite « au serviteur ici présent, que son cœur a conduit aux « pays étrangers, barbares? Et certes combien c'est « chose belle la compassion qui me délivrede la mort! 1 « CarJ.pn double va permettre que j'achève la fin de mon « existence à la cour H.
COPIE DE L'ACCUSÉ DE RÉCEPTION DE CET ORDRE Le serviteur du harem, SInouhît, dit « En paix excel« lente plus que toute chose! Cette fuite qu'a prise le malgré leur répugnance, on employait parfois la peau de mouton pour les enterrements, et l'une des momies de Déir-el-Bahari (n° 5289) était enveloppée d'une peau blanche encore garnie de sa toison (Maspero, les Momies royales, dans les Alémoires présentés par les ~/ent6rM de ~aAft'Mt'OH permanente, t. I, p. 548). Comme cette momie est celle d'un prince anonyme, qui parait avoir été empoisonné, on peut se demander si la peau de mouton n'était pas réservée aux gens d'une certaine catégorie, à des suppliciés ou à des prisonniers, que l'on condamnait à être impurs jusqu'au tombeau. S'il en était ainsi, on comprendrait la place qu'occupe la mention de la peau de mouton dans le rescrit royal le Pharaon, en promettant à Sinouhit qu'on le mènera au tombeau avec l'appareil solennel des princes ou des riches, et qu'on n'enveloppera point sa momie dans la peau de mouton des condamnés, lui assurait par là le pardon plein et entier même dans l'autre vie.
(1) Le membre de phrase final parait être altéré dans le seul manuscrit que nous ayons pour ce passage. La longue description qu'il termine répond à la requête que Sinouhit avait adressée plus haut (p. 87-89) d'être autorisé à venir reposer dans la terre natale, et elle montre que l'appel adressé par lui à la compassion du souverain avait été exaucé il aura tous les rites nécessaires à la survivance de son double, et son avenir au tombeau est assuré par la clémence royale.
(2) Les Égyptiens appelaient cette cérémonie san-taou, /?aM'er la <er;'e c'était l'accompagnement obligé de toute audience royale ou de toute offrande divine; cf. p. 218, note 2, du présent volume.

« serviteur ici présent dans son inconscience, ton double « la connaît, Dieu bon, maître des deux Égyptes, ami « de Rà, favori de Montou le seigneur de Thèbes. PuisK seht Amon le seigneur de Karnak, Sovkou (1), Râ, « Horus, Hâthor, Toumou (2) et sa Neuvaine de dieux (3), « Soupdou le dieu aux belles âmes, l'Horus du pays « d'Orient (4), la royale Uraeus qui enveloppe ta tête (5), « les chefs qui président à l'inondation, Minou-Horus qui « réside dans les contrées étrangères (6), Ouarourît dame « du Pouanît (7), Nouît (8), Haroêris-Râ, que tous les « dieux de l'Égypte et des îles de la Très Verte (9), don(1) Sovkou est le dieu crocodile qu'on adorait à Ombo, à Esnéh et dans les villes du Fayoum.
(2) Toumou, .~o;(ntou. est le dieu d'Hëiiopolis, le chef de l'Ennéade divine qui a créé et qui maintient le monde depuis ie premier jour. Sur sa Nevo aine </M dieux, et sur la ~Vei~atïtC en général, cf. dans le Conte des deux Frères la note 5 de la page 11.
(3) Soupdou, qui reçoit ces diverses épithètes, était le dieu adoré dans le nome arabique de l'Égypte il est figuré parfois sous forme d'un homme portant sur la tête le disque solaire, et il reçoit le titre du plus no~/e des esprits ci'He7<o/)o/i!. JI ne faut pas le confondre avec la déesse Sopdit, en grec Sothis, qui représente la constellation la plus célèbre du ciel égyptien, celle qui correspond à notre Sirius.
(4) La royale {/M est le serpent que le roi porte attaché à sa couronne et qui était censé te protéger contre ses ennemis.
(5) Minou, t'Horus des pays étrangers, est le dieu du désert arabique et, d'une manière générale, celui de tous les pays qui environnent immédiatement l'Égypte, à l'Orient comme à l'Occident.
(6) OMS''ottr!i ne m'est guère connue que par ce passage. Son titre dame cht Pouanii semble montrer en elle une forme secondaire d'Hathor, que diverses traditions fort anciennes faisaient venir de ce pays. 0«a)'OM'!<serait-ette l'Atilat des écrivains classiques ?
(1) Nouit est la déesse ciel. Elle forme avec St&OM-Ctt&oM.le dieu terre, un couple divin, l'un des plus antiques parmi les couples divins de l'Égypte, l'un de ceux qui n'ont pas pu être ramenés au type solaire par les théologiens de la grande écofo thébaine du temps des Hamsès. Des tableaux représentent Nouit repliée sur son époux et figurant par la courbure de son corps le firmament étoilé.
(8) Horus t'ainé, Harouêri, dont les Grecs ont fait ~o~'M, est un dieu solaire au même titre que Ra, ce qui explique qu'il soit réuni avec lui dans ce passage. H ne doit pas être confondu avec Horus le jeune, fils d'Isis et d'Osiris.
(9) Les Égyptiens donnaient à la mer le nom de ït'M ~<e, OMa~-OM~K.

(( nent la vie et la force à ta narine qu'ils té fournissent « de lèurs largesses, qu'ils te donnent le temps sans « limites, l'éternité sans mesure, si bien qu'on se répète « la crainte que tu inspires sur tous les pays de plaine et « de montagne, et que tu domptes tout ce que le disque « du soleil entoure dans sa course! C'est la prière qüe le « Serviteur ici présent fait pour son seigneur, qui le délivré « du tombeau!
« Le maître de sagesse qui connaît les hommes l'a « connue en la Majesté du Souverain, quand le serviteur « ici présent craignait de la dire, tant c'était chose grave « de l'énoncer (1). Mais le Dieu grand, l'image de Râ, « rend habile celui qui travaille pour lui-même, et le K serviteur ici présent lui est soumis, et il est sous sa « volonté; car Ta Majesté est Horus (2), et la puissance M dé tés bras s'étend jusque sur tous les pays! « Or donc, que Ta Majesté donne ordre d'amener Mâki « dé Kadimâ, Khentiâoush de Khonti-Kaoushbu (3), « Ménous des deux pays des Soumis (4), qui sont princes Ce nom s'applique parfois à la mer Rouge, mais plus souvent à la Méditerranée c'est de cette dernière mer qu'il est question ici. (1) La chose qu'il était grave d'énoncer, et que le Souverain a connue dans sa sagesse, est la prière que Sinouhit vient de prononcer à l'effet d'être admis à rentrer en Egypte.
(2) Les rois de l'Égypte primitive pensaient descendre directement d'Horus, le faucon divin, et par conséquent ils s'intitulaient l'Horus. Par la suite, ce premier sens s'affaiblit et l'on déclara que le roi vivant, étant l'incarnation dé Dieu, s'identifiait à la troisième personne de la trinité égyptienne, au dieu fils il était donc l'/AM'M~, l'~orM vivant, lâ vie tf~o?'M, ainsi qu'il est dit dans les protocoles officiels.
(3) ~onH-~ao~/iOM signifie au propre celui qui c.'< cm~-Monne dans A<M;MAuM, et semble par conséquent désigner an personnage originaire de l'Ethiopie. Toutefois, le voisinage de Kadimâ indique plutôt une localité syrienne, que je ne sais où placer exactement.
(4) Les mots que je rends par les pays MMnM ont été rendus par H. Brugsch et par d'autres le pay~ des /tC!8~<. Sans entrer dans la question de savoir si le nom ethnique FoK/f~OM se prête à une identification avec la Phénicie, il sufnt de dire que l'orthographe du manuscrit ne nous permet pas de lé reconnaitre dans cé passage. Je ne sais pas

« dont le nom est sans tache et qui t'aiment, sans qu'on « leur ait jamais rien reproché, car Tonou est à toi « comme tes chiens. Car cette fuite qu'a prise le serviteur « ici présent, il ne l'a pas prise consciemment, elle n'é« tait pas dans mes intentions; je ne l'avais pas prémé« ditée et je ne sais pas ce qui m'arracha du lieu où « j'étais. Ce fut comme un rêve, comme lorsqu'un homme « d'Athou se voit à labou (1), ou un homme de la glèbe « dans le désert de Nubie (2). Je n'avais rien à redouter, « nul ne me poursuivait, je n'avais entendu aucune « vilenie, et mon nom n'avait jamais été dans la bouche « du héraut, et pourtant mes membres tressautèrent, « mes jambes s'élancèrent, mon cœur me guida, le Dieu « qui me prédestinait à cette fuite me tira, car moi, je « n'en suis pas un qui redresse l'échine et l'individu est « craint que son propre pays connaît bien. Or Râ a « donné que ta crainte règne sur la terre d'Égypte, que « ta terreur soit sur. toute terre étrangère. Moi donc, « que je sois dans le palais ou que je sois ici, c'est toi « qui peux voiler mon horizon; le soleil se lève à ton gré, « l'eau du fleuve, qui te plaît la boit, la brise du ciel, qui « tu dis la respire. Moi, le serviteur ici présent je lais« serai mes fonctions que moi, le serviteur ici présent, d'ailleurs quelle région les Égyptiens désignaient sous le nom de pays soumis ou plus exactement de pays t'a~o~.
(1) labou est le nom égyptien d'Éléphantine, Athou celui d'un canton du Delta ces deux localités, qui sont situées, la première à l'extrême sud, la seconde à l'extrême nord de l'Égypte, servaient proverbialement, commeDan et Bershéba chez les Hébreux, à désigner toute l'étendue du pays. Un homme d'labou qui se voit à ~</MM, c'est un égyptien du nord transporté au sud et complètement dépaysé la différence, non seulement des mœurs, mais encore des dialectes, était assez grande pour qu'on pût comparer le langage inintelligible,d'un mauvais écrivain au parler d'un homme d'labou qui se trouve à Athou.
(2) La traduction exacte serait dans le pays de Khonti. Ce pays de ~/ton<t doit représenter, par opposition à la plaine cultivée de l'Égypte, /Ma<o, la Nubie ou les pentes sèches et stériles qui bordent la vallée à l'est,et à l'ouest (cf. Brugsch, jDtc<tpMtat)-<; géographique, p. 1281-4284).

« j'ai eues en cette place. Que ta Majesté fasse comme il « lui plaît car on vit de l'air que tu donnes, c'est l'amour « de Râ, d'Horus, d'Hàthor, que ta narine auguste, et « c'est le don de Montou, maître de Thèbes, qu'elle vive « éternellement )).
Quand on fut venu me chercher moi le serviteur (1), ici présent, je célébrai un jour de fête dans Aîa pour remettre mes biens à mes enfants; mon fils aîné fut chef de ma tribu, si bien que ma tribu et tous mes biens furent à lui, mes serfs, tous mes bestiaux, toutes mes plantations, tous mes dattiers. Moi donc, ce serviteur ici présent, je m'acheminai vers le Sud, et quand j'arrivai aux Hariou-Horou (2), le général qui est là avec les garde-frontières manda un message au palais pour en donner avis. Sa Majesté envoya un excellent directeur des paysans de la maison du roi, et, avec lui, des navires de charge pleins de cadeaux de la part du roi pour les Bédouins qui étaient venus à ma suite afin de me conduire à Hariou-Horou. Je leur dis adieu à chacun par son nom; puis comme il y avait là des artisans de toute sorte appliqués chacun à son travail, je démarrai, je mis à la voile, et on brassa, on passa la bière (3) pour moi jusqu'à ce que j'arrivai à la ville royale de Taîtou-taoui (4). y
(1) M. Gardiner transporte ici, avec raison je crois, le membre de phrase qui, dans le seul manuscrit que nous ayons, se trouve deux lignes plus haut (die Et'za~M~ des Sinuhe, p. 13). Il semble que le scribe, arrivé au bas de sa page, avait passé toute la péroraison de ce document à partir de je laisserai il s'est aperçu de son erreur avant d'avoir écrit autre chose que le membre de phrase déplacé, et il a mis tout ce qui manquait au-dessus et à la suite de celui-ci, sans songer à rétablir les mots qu'il avait insérés ainsi par erreur au haut de la page suivante, à l'endroit même où ils appartenaient.
(2) Voir l'introduction de ce conte, p. 78 du présent volume. (3) La bière était préparée au jour le jour, en même temps que le pain, qu'on employait en guise delevuf~ppu!f~re fermenter le brassin. (4) Le nom de cette localité est~cnt yaK<iM\Iitt. la ~6tH!?:a<?':ce. Griffith y a reconnu très ingênieue~ënt~un, éqtn~alent de l'expression
:;r"o j f d 7

Quand la terre s'éclaira au matin suivant, on vint m'appeler dix hommes vinrent et dix hommes allèrent pour me mener au palais. Je touchai la terre du front entre les sphinx (1), puis, les Infants royaux qui se tenaient debout dans le corps de garde me vinrent à l'encontre, les Amis qui ont charge de mener au Salon hypostyle me conduisirent au logis du roi (2). Je trouvai Sa Majesté sur la grande estrade dans l'embrasure de Vermeil (3), et je me jetai sur le ventre, et je perdis connaissance devant lui. Ce Dieu m'adressa des paroles aimables, mais je fus comme un individu qui est pris dans le crépuscule mon âme défaillit, mes membres se dérobèrent, mon cœur ne fut plus dans ma poitrine, et je connus quelle différence il y a entre la vie et la mort. Sa Majesté dit à l'un de ces Amis « Lève-le et qu'il me parle! x Sa Majesté dit « Te voilà « donc qui viens, après que tu as couru les pays étrangers « et que tu as pris la fuite. L'âge t'a attaqué, tu as atteint « la vieillesse, ce n'est point petite atiaire que ton corps « puisse désormais être enseveli, sans que les barbares « t'ensevelissent. Ne récidive pas de ne point parler quand « on t'interpellera! » J'eus peur du châtiment, et je réponTat~oM-~aoMt, litt. la dominatrice des deux terres, qui sert à désigner la ville royale des premiers rois de la Xll° dynastie, au voisinage des pyramides de Licht.
(1) 11 s'agit ici des colosses ou plutôt des sphinx qui, selon l'usage, étaient érigés de chaque côté des portes d'un temple ou d'un palais. (2) Voir plus haut, aux pages 35-37, dans le Cunte de AAoM/OMt, une description d'audience royale, moins développée, mais analogue à celleci pour les termes employés.
(3) Les Égyptiens se servaient beaucoup de l'or et des métaux précieux dans l'ornementation de leurs temples et de leurs maisons il est fait mention fréquente de portes, de colonnes, d'obélisques recouverts de feuilles d'or, d'argent ou d'électrum, c'est-à-dire d'un alliage d'or et d'argent dans lequel il entrait au moins vingt pour cent d'argent. L'ËM&rtMM<'e de Vermeil, la Porte dorée où les Pharaons siégeaient en audience, tirait son nom de la décoration qu'elle avait reçue. La grande salle des tombes royales thébaines, correspondant à la Salle du trône des palais, s'appelle la Salle ~'0?', bien qu'elle ne fût pas dorée sans doute elle avait été autrefois décorée de fouilles de métal, et le nom lui en était resté.

dis par une réponse d'homme apeuré « Que m'a dit mon « maître ? Ah je lui réponds ceci « Ce ne fut pas mon « fait, ce fut la main de Dieu. La crainte qui est à présent « dans mon sein est comme celle qui produisit la fuite « fatale (1). Me voici devant toi tu es la vie; que ta « Majesté agisse à son plaisir )' »
On fit défiler les Infants Royaux, et Sa Majesté dit à la Reine « Voilà Sinouhît qui vient semblable à un Asia« tique, comme un Bédouin qu'il est devenu ». Elle poussa un très grand éclat de rire et les Infants royaux s'esclaffèrent tous à la fois. Ils dirent en face de Sa Majesté « Non, il ne l'est pas en vérité, Souverain, mon « maître! » Sa Majesté dit « Il l'est en vérité! » Alors ils prirent leurs crotales (2), leurs sceptres (3), leurs sistres, (1) Sinouhit proteste de son innocence une fois de plus. Nous avons vu (pages 60-81, 82, 87-89, 96) dans quelles circonstances il s'était enfui, et cette fuite précipitée aurait pu donner lieu de croire qu'il avait été mêlé à un complot contre Amenemhait, surtout contre Sanouosrit. De plus les clauses du traité entre Ramsès II et le prince de Khati, relatives à l'échange des transfuges, montrent avec quel soin Pharaon essayait de reprendre ceux de ses sujets qui s'enfuyaient à l'étranger. C'est à ces causes que Sinouhit revient avec tant d'insistance sur le motif de sa fuite et sur la fatalité dont il a été victime.
(2) D'après Loret (les Cymbales égyptiennes, dans Sphinx, t. V, p. 93-96) l'instrument que je désigne sous le nom de crotales serait les cymbales. Le cérémonial des audiences pharaoniques comportait, comme celui des audiences byzantines, des chants réglés à l'avance. Les Infants, après avoir salué le roi, commencent cet acte de la cérémonie ils prennent leurs insignes, qu'ils avaient déposés avant le défilé et l'adoration devant le roi, puis, avec leurs insignes, le sistre qui doit rythmer leur mélopée. (3) ~cep<re ne répond pas exactement au terme employé en cet endroit, et qui se lit «ïthtMOM. Le ~a~hMOM était à l'origine une arme de guerre et de chasse, composée d'une sorte de lame plate en bois dur, coupante des deux côtés, taillée carrément par le haut et montée sur un manche arrondi elle agissait à la façon d'un sabre et d'un casse-tête à la fois, assommant plus encore que tranchant. Elle était primitivement si bien liée à l'idée de l'homme fort, qu'elle lui servit d'emblème et qu'on la déposait dans le tombeau comme un soutien ou un corps de la survivance le sa~h?Mt)M, l'épée de bois animée par l'esprit de son ancien maître terrestre, est une forme de l'âme, comme le double et comme le <MH!!neMx. De même que chez nous l'épée avait fini par devenir chez les gens de cour une simple marque de rang, le sakhmou n'était plus chez

puis voici ce qu'ils dirent à Sa Majesté « Tes deux « mains soient pour le bien, ô roi, toi sur qui posent « durablement les parures de la Dame du Ciel (1); la « déesse d'or donne la vie à ta narine, se joint à toi la « Dame des astres, le diadème du Sud descend et son « diadème du Nord remonte le courant, unis solidement « par la bouche de ta Majesté, et l'uraeus est à ton front. « Tu as écarté du mal les sujets, car Râ t'est favorable, « ô maître des deux pays On t'acclame comme on « acclame la Maîtresse de tout (2), ta corne est rude, ta « flèche détruit. Donne que respire celui qui est dans « l'oppression! Accorde-nous cette faveur insigne que « nous te demandons, pour ce cheikh Simihît (3), le « Bédouin qui est né en Tomouri! S'il a fui, c'est par la « crainte de toi la face ne blémit-elle pas qui voit ta « face et l'œil n'a-t-il pas peur qui t'a contemplé? » Sa Majesté dit « Qu'il ne craigne plus, qu'il ne crie pas « la terreur! Il sera un Ami de ceux qui sont parmi les égyptiens de l'âge historique qu'un emblème honorifique les gens de bonne famille ou les employés le portaient en cérémonie. Une de ses variétés, le Kharpou, ou parfois lui-même, jouait un rôle dans le sacrifice tandis qu'autrefois on s'était servi de lui afin d'abattre réellement la victime, le personnage qui offrait se bornait à l'élever au-dessus de la tète de celle-ci pour donner au boucher le signal de l'égorgement. (1) La locution poser les parures de la Dame du Ciel parait exprimer, d'après le contexte, une idée de clémence. Plusieurs divinités portent le titre de Dame du Ctc<; la mention de Noubouît, la dame d'or, à la ligne suivante prouve que c'est d'Hathor qu'il est question ici.
(2) Ici de même que plus haut (cf. p. 89 n. 2, du présent volume), cette expression désigne soit une déesse, Hathor dans son rôle funéraire, soit, comme Gardiner le veut (Notes on the ~<o<'y of Sinuhe dans le Recueil, t. XXXDl, p. 85-8G). la reine Nofrît.
(3) Cette variante du nom de Sinouhit, signifie littéralement le Fils du Nord Gardiner (die Erzo/t~Mmg des Sinuhe, p. 14, note 5) traduit le Fils du Vent du Nord. Sinouhit est appelé le Sîti, à cause de ce long séjour chez les Bédouins qui lui avait fait perdre ie bel air de la cour; le roi avait déjà dit plus haut (p. 99) qu'il venait comme un rustre avec la tourt)M)'e d'un S«! Le romoM)'t, la terre des canaux, est un nom du Delta qu'on appliquait également à l'Egypte entière.

« les prudhommes, et qu'on le mette parmi les gens du « cercle royal (1). Allez avec lui au Logis Royal, lui « enseignant la place qu'il doit occuper! »
Lorsque je sortis du Logis Royal, les Infants me donnèrent la main, et nous nous rendîmes ensuite à la double grande porte (2). On m'assigna la maison d'un Fils Royal, avec ses richesses, avec sa salle de bain, avec ses décorations célestes et son ameublement venu de la double maison blanche, étoffes de la garde-robe royale et parfums de choix il y avait dans chaque maison des artisans royaux choisis parmis les notables qu'il aime, chacun pratiquant son métier (3). Éloignantles années de mes membres, je me rasai, je me peignai ma chevelure (4), je laissai la crasse (1) Les personnages attachés à la cour de Pharaon reçoivent deux qualifications collectives, celle de Shanouatiou, les gens du cercle, ceux qui sont en cercle autour du souverain, et celle de Qanbouatiou, les gfn< de l'angle, peut-être ceux qui se tiennent aux angles de la salle d'audience. (2) Le /f0!/t< ou, avec l'article, le ProM!<<, est, comme ParoM~OM, Pharaon, une dénomination topographique qui a servi d'abord à désigner le palais du souverain, puis le souverain lui-même. On l'a vu dans l'/niro<<Me<!Oft de cet ouvrage (p. xxx), c'est de ce titre que la légende grecque tira le Protée, roi d'Égypte, qui reçut Hélène, Pâris etMénélas à sa cour (Hérodote, 11, cxn-cxv)). Ici on doit prendre le terme dans son sens étymologique, et y reconnaître la double porte qui fournissait accès au palais, et sous laquelle les Pharaons donnaient audience ou rendaient la justice. Sinouhit est conduit par les Infants à la double grande porte afin d'y recevoir légalement la donation que le souverain lui fait (Spiegelberg, <Me'' zwei 5/e~ett der St?:M/te-A'on<e, dansS~/ti?! t. IV, p. 140-141). (3) A chaque palais du roi et à chaque hôtel ou château de riche particulier étaient attachées ce qu'on appelait des maisons ou des c/tam&ret ait où l'on fabriquait tout ce qui était nécessaire à la vie, et où logeaient tous les esclaves ou tous les artisans employés à la fabrication. Il y avait ainsi les maisons de la viande, de la bière, du pain, des étoffes, et ainsi de suite. Les scènes ngurées en poupées de bois qu'on trouve dans les tombeaux du premier âge thébain ou de la fin de l'art memphite nous montrent quelques-unes de ces maisons en pleine activité (Maspero, CtH'/c to the CaM-o J~uMMM, 1910, 5' éd. anglaise, p. 501-503). (4) Ainsi est confirmé le passage de Diodore de Sicile il, 18) où il est conté que les Égyptiens conservaient leur chevelure longue et embroussaillée aussi longtemps qu'ils demeuraient à l'étranger et qu'ils ne la coupaient qu'au retour (Spiegelberg, t/e&er zwei .S~iteM der SinuheNovelle, dans Sphinx, t. IV, p. 140-141).

aux pays étrangers et leurs vêtements aux Nomiousbâîou (1); puis, je m'habillai de fin lin, je me parfumai d'essences fines, je couchai dans un lit, et je laissai le sable à ceux qui y vivent, l'huile d'arbre à ceux qui s'en frottent (2). On me donna la maison qui convient à un propriétaire foncier et qui avait appartenu à un Ami beaucoup de briquetiers travaillèrent à la bâtir, toutes les charpentes en furent refaites à neuf, et l'on m'apporta des friandises du palais, trois fois, quatre fois par jour, en plus de ce que les Infants me donnaient sans jamais un instant de cesse. On me fonda une pyramide en pierre au milieu des pyramides funéraires (3); le chef des carriers de Sa Majesté en choisit le terrain, le chef des gens au collier en dessina la décoration, le chef des sculpteurs la sculpta, les chefs des travaux qu'on exécute dans la nécropole parcoururent la terre d'Égypte à cette intention (4). Toute sorte de mobilier fut placé dans les magasins, et on y mit tout ce qu'il fallait. On m'institua des prêtres de double (5), on m'y fit un appareil funèbre. Je donnai le mobilier, faisant les (1) Pour la valeur géographique et pour le sens de ce nom, cf. p. 84, note 4.
(2) L'huile d'arbre est l'huile d'olive qu'on fabriquait en Asie, par opposition à l'huile de ~/H, à l'huile de ricin, qu'on employait en Égypte. (3) C'est la mise en récit, d'une façon suivie, des faits que nous trouvons mentionnés isolement dans les inscriptions funéraires. SinouMt reçoit de Sanouosrit la faveur suprême, un tombeau bâti et do  aux frais de Pharaon, Khir /to.<oM ?~ soutonou, « par la grâce du roi ». Le terrain lui est donné gratuitement, puis, la pyramide construite, les fêtes funéraires sont instituées, les revenus et les biens-fonds destinés à entretien des sacrifices sont pris sur le domaine royal, enfin la statue même qui doit servir de support au double de Sinouhit est en métal précieux. ~4) Voir en tête du conte, p. 75, la version de ce passage que nous a conservée l'Ostracon 5629 du British Muséum. Les voyages de ces personnages a travers l'Égypte ont pour objet de fournir le sarcophage, les tables d'offrandes, les coffrets, les statues de pierre, qu'on déposait dans les tombeaux.
(5) Les Serviteurs ou ~M'~h'M du double étaient les personnages chargés de tenir le tombeau en ordre, et d'accomplir tous les actes et toutes les cérémonies nécessaires pour y assurer l'existence et le confort du double.

agencements nécessaires dans la pyramide même, puis je donnai des terres et j'y instituai un domaine funéraire (1) avec des terres en avant de la ville (2), comme on fait aux Amis du premier rang; ma statue fut lamée d'or avec une jupe de vermeil, et ce fut Sa Majesté qui la fit faire. Ce n'est pas un homme du commun à qui on en eût fait autant, mais je fus dans la faveur du roi jusqu'à ce que vînt pour moi le jour du trépas. C'est fini du commencement jusqu'à la fin, comme ç'a été trouvé dans le livre. foj~ (1) On pourrait traduire à la rigueur « un lac Le lac, ou plutôt la pièce d'eau bordée d'une margelle de pierre, était en effet l'ornement indispensable de toute villa réputée confortable (cf. p. 29-31 dans le Conte de Khoufoui, le lac du palais de Sanafrouî, et, plus loin, celui du palais d'Amasis, dans l'ffM<o:)'e du Matelot, p. 301, 303-304). Le tombeau idéal étant avant tout l'image de la maison terrestre, on avait soin d'y placer un lac semblable à celui des villas: le mort y venait se promener en barque, halé par ses esclaves, ou il s'asseyait sur les bords, à l'ombre des sycomores. Le kiosque était, comme le lac, un des ornements indispensables d'un jardin. Les bas-reliefs de Thèbes nous le montrent au milieu des arbres, parfois à côté de la pièce d'eau réglementaire. Le mort s'y rendait, comme le vivant, pour faire la sieste, pour causer avec sa femme, pour lire des histoires, pour jouer aux dames.
(2~ Les champs du domaine funéraire étaient la propriété du mort et lui fournissaienttout ce dont il avait besoin. Chacun d'eux produisait un objet spécial, ou le revenu en était consacré à procurer au mort un objet spécial de nourriture ou d'habillement et il portait le nom de cet objet celui dont Ti, par exemple, tirait ses figues ou ses dattes, s'appelait les figues de Ti, les dattes de Ti. Ces biens étaient administrés par les prdtres du double ou de la statue funéraire, qui, eux-mêmes, étaient souvent les prêtres du temple principal de la localité où le tombeau était situé; la famille passait avec eux un contrat aux termes duquel ils s'engageaient à célébrer les sacrifices nécessaires à la félicité du mort, en échange de certaines redevances prélevées sur les domaines légués.

LE NAUFRAGÉ (xil" DYNASTIE)
Le Papyrus qui nous a conservé ce conte appartient au Musée égyptien de l'Ermitage impérial, à Saint-Pétersbourg. !t a été découvert en 1880 parWoldemarGolénichefT, et signalépar lui à l'attention des savants qui prirent part au cinquième Congrès international des Orientalistes à Berlin, en 1881. JI n'en édita pas le texte, mais il en publia la traduction en français
Sur un ancien conte égyptien. Notice lue au Congrès des Ot't6!t<<listes BM'Htt, par W. Golénicheff, 1881, sans nom d'éditeur, grand in-8", 21 p. Imprimerie de Breitkopf et Hartel, à Leipzig. Elle a été insérée dans les Ver/tcmd/Mtt~eK des 5~" Internationalen OrientalistenCongresses, Berlin, 1882, Z~s Theil, Erste Haetfte, Afririnische Section, p. 100-122. C'est elle que j'avais reproduite dans les deux premières éditions de cet ouvrage, en la modifiant légèrement sur quelques points, et c'est d'après elle qu'ont été exécutées la traduction russe de Wladi mir Stasow, Jegipetskajaskarka oM~a/at w Petersburgskom Ermitaze (Un conte égyptien découvert à rjEt'mt<a~6 de SaM<-P~<fs&oMr<y), dans la revue Westnik Jewropy (les Messagers d'Europe), 1882, 1.1, p. S80-602, et les deux traductions anglaises que Griffith en a données dans
W. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12", t. I, p. 81-96.
F. LI. Griffith, Egyptian Mer~tM-e, dans Specemett Pages of a Library of the best WorM's Literalure, 1898, New-York, in-4o, p. 5233-5236.
Depuis lors, Golénicheff en a inséré une traduction dans son

Catalogue du Musée de l'Ermitage, 1891, Saint-Pétersbourg, in-8", p. 177-182.
Une traduction portugaise en a été esquissée, avec une étude sur le texte, par Francisco Maria Estevez Pereira, 0 Naufrago, Conte Egipcio, extrait de la revue 0 fnsh'~o, t. XLVIII, in 4°, Coimbre, Imprensa da Universidade, 23 p.
Enfin, GolénichefT lui-même a édité une transcription hiéroglyphique du texte avec traduction française et commentaire:
W. Golénicheff, le Papyrus hiératique de Saint-Pétersbourg, dans le Recueil de Travaux, -[906, t. XXVIII, p. 73-112, tirage à part in-4" de 40 pages, chez Champion, 1906, et une édition critique en hiéroglyphes avec introduction et Glossaire, dans la Bibliothèque d'Étude de l'Institut français d'Archéologie Orientale du Caire, sous le titre Le Conte du iVf<M/M<~e, m-4", Caire, 1911.
C'est d'après la transcription de GolénichefT, coilationnée sur des photographies de l'original, qu'ont été imprimées une transcription hiéroglyphique et une traduction allemande d'Adolf Erman, die Geschichte des Schiffbrùchigen, dans la Zeitschrift, 1906, t. XLIII, p. 1-26, et une simple traduction allemande de A. Wiedemann, A~a'oyptMcAe Sagen und AfasrcAcH; 1906, Leipzig, in-8", p. 25-33. L'examen de quelques passages difficiles a été fait et des hypothèses relatives à l'origine du conte ont été émises par Maspero, Notes sur le Conte du Naufragé, dans le Recueil, 1907, t. XXIX, p. 106-109, par Kurt Sethe, Bemerkungen zMf Geschichte des Sc/t!/y&)'ùcAt'oeK, dans la Zeitschrift, 1907, t. XLIV, p. 80-88, et par Alan H. Gardiner, Notes on the Tale o/ the SAtpM)ree&ed Sailor, 1908, t. XLV, p. 60-66.
On ne sait ni où le manuscrit a été trouvé, ni comment il vint en Russie, ni à quelle époque il entra au Musée de l'Ermitage. Il n'était pas encore ouvert en 1880, et, sans la curiosité intelligente de M. Golénicheff, il attendrait encore dans les tiroirs qu'on voulût bien le dérouler. Il est de la même écriture que les Papyrus 1-4 de Berlin, et il remonte comme eux aux temps antérieurs à la XVIII°dynastie. Il comptecentquatre-vingt-neuf colonnes verticales et lignes horizontales de texte il est complet du commencement et de la fin, et intact à quelques mots près. La langue en est claire, élégante, le type net et bien forme c'est à peine si l'on rencontre ça et quelques termes de déchiffrement difficile ou quelques formes grammaticales ambiguës. Il est appelé à. devenir classique pour l'égyptien de son temps, aussi complètement que le Conte des deux Frères l'est pour celui de la XIX- dynastie. L'auteur a conçu son roman comme _un de ces rapports que les officiers égyptiens adressaient à Ieu7 maître, et dont plusieurs ont été reproduits, entre autres, dans les tombeaux des princes d'Élé-

phantine de la VIe Dynastie. L'un des subordonnés de l'explorateur celui-là même peut-être qui est supposé avoir écrit le rapport, vient annoncer à son chef que le vaisseau est arrivé en Égypte, auprès de l'endroit où la cour réside, et il l'invite à prendre ses précautions avant de se présenter au Pharaon. Comme le navire sur lequel l'expédition était partie a été perdu en route, le chef, recueilli par le navire qui l'amène, sera certainement examiné de près, et condamné si l'on reconnaît que le désastre est dû à une faute grave de sa part c'est ainsi qu'en pareil cas, nos officiers de marine sont cités devant un conseil de guerre. Le scribe, pour le rassurer sur le résultat de l'enquête, lui racontait qu'il avait su se tirer d'affaire à son avantage dans une circonstance analogue. Sethe pense que la scène se passe à Éléphantine, et par suite que la cour résidait en cet endroit (BemeWtMK~eK, dans la Zet~c/t?- 1908, t. XLIV, p. 81-82), ce qui conduit Gardiner à se demander si nous n'aurions pas ici un reste d'un cycle de contes éléphantites (Notes on the Tale of the Shipwrecked Sailor, dans la Zeitschrift, 1908, t. XLIV, p. 60, 899).
Le Serviteur habile dit « Sain soit ton cœur, mon « chef, car voici, nous sommes arrivés au pays on a « pris le maillet, on a enfoncé le pieu, l'amarre a été mise « à terre, on a poussé l'acclamation, on a adoréle dieu (1), « et chacun d'embrasser son camarade, et la foule de nous « crier « Bonne venue » Sans qu'il nous manque de nos « soldats, nous avons atteint les extrémités du pays « d'Ouaouaît, nous avons passé devant Sanmouit (2), et « nous, maintenant, nous voici revenus en paix, et notre « pays nous y arrivons Écoute-moi, mon prince.~ar je « n'exagère rien. Lave-toi, verse l'eau sur tes doigts, « puis réponds quand tu seras invité à parler, parle au roi « de tout ton cœur, réponds sans te déconcerter, car si la « bouche de l'homme le sauve, sa parole lui fait voiler le (1) Cf. Maspero, Note sur <e Conte du A~u/ra~, dans le Recueil de TraM!M. t. XXIX p. 106-108.
(2) Le pays d'Ouaouait est la partie de la Nubie située au delà de la seconde cataracte Sanmouit est le nom que les monuments attribuent à File de Bigeh, en face de Phits*, à l'entrée de la première cataracte. Il semble résulter de ce passage que le marin égyptien se vantait d'avoir atteint la frontière méridionale de l'Égypte, en passant de la Mer Rouge dans le Nil (cf. /?i<ro</u<'<:on, p. [.xxi-Lxxt!).

« visage (1). Agis selon les mouvements de ton cœur, et « que ce soit un apaisement ce que tu diras (2).
« Or, je te ferai le conte d'une aventure semblable qui « m'est arrivée à moi-même, lorsque j'allai aux mines du ,) « Souverain, et que je descendis en mer sur un navire de « cent cinquante coudées de long sur quarante coudées :< de large. Il portait cent cinquante matelots de l'élite du « pays d'Égypte, qui avaient vu le ciel, qui avaient vu la « terre, et qui étaient plus hardis de cœur que des « lions (3). Ils avaient décidé que le vent ne viendrait pas, « que le désastre ne se produirait pas, mais le vent éclata « tandis que nous étions au large, et, avant même que « nous eussions joint la terre, la brise fraîchit et elle sou« leva une vague de huit coudées. Une planche, je l'arra« chai quant au navire il périt, et de ceux qui le mon« taient il n'en resta pas un seul. Moi donc, j'abordai à « une île et ce fut grâce à un flot de mer. Je passai trois « jours seul, sans autre compagnon que mon cœur, et la « nuit je me couchai dans un creux d'arbre et j'embrassai « l'ombre, puis [le jour] j'allongeai les jambes à la re« cherche de quoi mettre dans ma bouche. Je trouvai làdes « figues et du raisin, des poireaux magnifiques, des baies (1) C'est ici, je crois, une allusion à l'usage de couvrir la face des criminels qu'on emmène au supplice. L'ordre Qu'on lui couvre la face n équivaut à une condamnation.
(2) En d'autres termes, que son discours soit conçu de telle sorte qu'il apaise la colère du roi et qu'il entraine l'acquittement du Naufragé. (3) Si l'on admet qu'il s'agit ici de la coudée royale de 0 m. 52, le navire aurait mesuré environ 78 mètres de longueur sur 21 de largeur, ce qui, même en tenant compte de ce fait que les barques égyptiennes étaient fort larges, nous donne encore des dimensions exagérées. Les navires de la reine Hâtshopsouitou, construits pour la course, ne dépassaient pas 22 mètres de longueur et ils devaient porter à peu près cinquante hommes d'équipage (Maspero, De </M~MM navigations ~M' f Égyptiens, p. 11, 16-17). Le navire de notre conte appartient ~ShB~par sa taille et par le nombre de ses matelots, à la classe des vaisseaux invraisemblables dont on trouve tant d'exemples dans les littératures populaires de tous les pays.

« et des graines, des melons à volonté, des poissons, des « oiseaux il n'y avait chose qui ne s'y trouvât. Donc, je « me rassasiai, et je laissai à terre le superflu dont mes « mains étaient chargées je fabriquai un allume-feu, « j'allumai un feu (1), et je fis un holocauste aux « dieux (2).
« Voici que j'entendis une voix tonnante, et je pensai « C'est une vague de mer 1 » Les arbres craquèrent, la « terre trembla (3), je dévoilai ma face et je connus que « c'était un serpent qui venait, long de trente coudées, avec « une queue grande de deux coudées son corps était « incrusté d'or, ses deux sourcils étaient de lapis vrai, et « il était plus parfait encore de côté que de face. Il ouvrit « la bouche contre moi, tandis que je restais sur le ventre a devant lui, il me dit « Qui t'a amené, qui t'a amené, « vassal, qui t'a amené? Si tu tardes à me dire qui t'a « amené, dans cette île, je te ferai connaître, réduit en « cendres, ce que c'est que devenir invisible ». « Tu « me parles et je ne t'entends pas, je suis devant toi sans « connaissance (4) ». Puis il me prit dans sa bouche, il me « transporta à son gîte et il m'y déposa sans que j'eusse (1) Cfr. Ungnad, der tette~o/~e)-, dans la /M~c/!)'<<, 1906, t. XLIII, p. 16~162.
(2) L'apparition du maître de l'Ile se produit aussitôt après que le feu est ailumé les invocations ne fournissent leur eU'et que si on brute un parfum ou une substance quelconque, préparée selon les règles. Peut-être faut-il comprendre en ce sens le passage où Golénicheff ne voit que la mention d'un sacrifice, et considérer la cérémonie indiquée dans le texte comme une véritable évocation; peut-être faut-il nous borner, à admettre que, dans la masse des plantes dont le naufragé se servit pour allumer le feu de son sacrifice, il s'en trouva quelques-unes qui exercèrent une action d'appel sur le génie de l'ile, sans que lui-même il eût l'intention d'accomplir un rite magique.
(3) Sur cette arrivée tonitruante du roi de l'ile, cf. le commentaire de GolénicheN' (Le Vap~ ?:" dans le Recueil, t. XXV1U, p. 9~-95.) (4) Le Naufragé prend ici la parole brusquement, pour s'excuser de ne pas répondre à la sommation que le serpent vient de lui faire l'effroi lui a enlevé l'usage de ses sens et il n'entend pas ce qu'on lui dit; cf. un passage analogue dans les Af~MO;<'M de Sinouhit, p. 98, du présent volume.

<( du mal j'étais sain et sauf et rien [de mes membres] ne « m'avait été enlevé.
« Lors donc qu'il eut ouvert la bouche, tandis que je '( restais sur le ventre devant lui, voici qu'il me dit « Qui t'a amené, qui t'a amené, vassal, en cette île de la « mer dont les deux rives,sont baignées des flots (1) ? » Je « lui répondis ceci les mains pendantes devant lui (2), « et je lui dis a C'est moi qui descendais aux mines, « en mission du Souverain, sur un navire de cent cin« quante coudées de long sur quarante de large il por« tait cent cinquante matelots de l'élite du pays d'Égypte, « qui avaient vu le ciel, qui avaient vu la terre, et qui « étaient plus hardis de cœur que des lions. Ils avaient « décidé que le vent ne viendrait pas, que le désastre ne « se produirait pas chacun d'eux était hardi de cœur et « fort de bras plus que ses compagnons, et il n'y avait « point de lâches parmi eux. Or le vent éclata tandis que « nous étions au large, et avant que nous eussions joint « la terre, la brise fraîchit, elle souleva une vague de huit K coudées. Une planche, je l'arrachai; quant au navire, il « périt, et de ceux qui le montaient, il n'en resta pas un « excepté moi seul, et maintenant me voici près de toi. « Moi donc j'abordai dans cette île et ce fut grâce à un « flot de la mer H.
« Il me dit « Ne crains pas, ne crains pas, vassal, ne « crains pas et n'attriste pas ton visage Si tu arrives à « moi, c~est que Dieu a permis que tu vécusses, et il t'a « amené à cette Ile de Double (3) où il n'y a chose qui (i) Sethe (BeMer~Mn~em zKr 'CMcAtC/:<e des &c/tt~'<<t'McA:n, dans la ~e:<~c/t?'t/<, 1908, t. XLIV, p. 83-8t) propose de reconnaître dans une île flottante « cette île de la mer dont la moitié devient le flot D.
(2) C'est la posture dans laquelle les monuments nous représentent les suppliants ou les inférieurs devant le maître.
(3) Le double est l'âme égyptienne l'~c de Double est donc une ite habitée par les âmes bienheureuses, une de ces iles <'or<Mn~M dont j'ai parlé dans l'.fn<t'odMc<(M, p. LXXII-LXXV. Golénicheff se refuse à reconnaître

« ne se trouve, et qui est remplie de toutes les bonnes « choses. Voici, tu passeras mois sur mois jusqu'à ce que « tu aies séjourné quatre mois dans cette île, puis un « navire viendra du pays avec des matelots que tu con« nais tu iras avec eux au pays et tu mourras dans ta « ville (1). C'est joie de raconter ce qu'on a goûté, passées « les tristesses je te ferai le conte exact de ce qu'il y « a dans cette île. J'y suis avec mes frères et mes enfants, « au milieu d'eux nous sommes au nombre de soixante« quinze serpents, mes enfants'et mes frères, et encore je « ne mentionne pas une jeune fille qui m'a été amenée « par art magique (2). Car une étoile étant tombée (3), ceux
dans le terme ka autre chose qu'un sens esprit, génie, et il traduit « cette « Ue du génie, cette ile enchantée B (~e Papyrus 7!° i~~S, dans le liecueil, t. XXVIII, p. 98). Erman préfère y reconnaître la mot /faoM, < vivres, provisions, )' et traduire « cette île des vivres (die GMcXTcA~e </M Schiffbrüchigen, dans la Zet<Art/'<, 1906, t. XLIII, p. 1).
(1) GolénicheN pense pouvoir déduire de ce passage la conclusion qu'au temps où notre conte fut écrit, il y avait entre l'Égypte et le pays de Pouanlt « des communications régulières qui étaient entretenues par un navire égyptien amenant au pays de Pouanît trois fois par an des expéditions de commerce. C'est à ce navire sans dnute bien connu de « ses concitoyens que le narrateur égyptien fait allusion, et très probable« ment le retour périodique de ce navire que notre héros est censé « attendre o (~ Papyrus n" W/5, dans le Recueil, t. XXVIII, p. 96). Il est ~fort possible, mais je pense qu'étant donné la nature merveilleuse du récit, il vaut mieux admettre ici un de ces cas de prescience que j'ai signalés plus haut, p. 14, note 1.
(2) GolénieheN' a supposé avec grand raison, que l'épisode de la jeune fille est une rédaction très écourtée et devenue peu intelligible d'un conte diu'érent où elle jouait le rôle principal (/ePa~M M' :M;'), dans le Recueil, t. XXVIH, p. 100). Cette hypothèse a été adoptée par Erman (die Geschichte des .ScAt/i~nc~Mdans la Zet~c/u't/Y, 1906, t. XLIII, p. 106,10'?). (3) C'est la seule mention d'une étoile filante qu'on ait rencontrée jusqu'à présent dans les textes elle montre quelle idée les Égyptiens se faisaient de ce phénomène. Ils considéraient la masse comme habitée de génies qui en sortaient au choc et qui se dévoraient do leurs propres flammes l'exemple de la jeune fille semble indiquer qu'on croyait que certains de ces génies pouvaient survivre et s'acclimater sur notre terre. Golénicheff rapproche de cet épisode la légende arabe de t'e brûlée, située dans la mer des Zendjes, et qui, tous les trente ans environ, est incendiée par une comète malfaisante (Le Papyrus M* /S, dans le Recueil, t. XXVIII, p. 101, 102.)

« qui étaient dans le feu avec elle en sortirent, et la jeune « fille parut, sans que je fusse avec les êtres de la flamme, « sans que je fusse au milieu d'eux, sans quoi je serais « mort de leur fait, mais je la trouvai ensuite parmi les « cadavres, seule (1). Si tu es brave et que ton cœur soit « fort, tu serreras tes enfants sur ton sein, tu embrasseras « ta femme (2), tu verras ta maison, ce qui vaut mieux « que tout, tu atteindras le pays et tu y seras au milieu « de tes frères 1 Alors je m'allongeai sur mon ventre, je « touchai le sol devant lui, et je lui dis « Je décrirai tes « âmes (3) au Souverain, je lui ferai savoir ta grandeur, « et je te ferai porter du fard, du parfum d'acclama« tion (4), de la pommade, de la casse, de l'encens des « temples, dont on se gagne la faveur de tout dieu. Je « conterai ensuite ce qui m'est arrivé et ce que j'ai vu « par tés âmes, et on t'adorera dans ta ville en présence (1) Le texte n'est pas clair dans sa concision et diverses interprétations en ont été proposées, surtout par Sethe (Bemet'&M~en, dans la ZeitM~<, t. XLIV, p. 84-85) et par Gardiner (~es, dans la Zeilschrift, t. XLV, p. 65). Golénichen'pense que la jeune fille n'existait plus au moment où le serpent raconte sa naissance elle aurait été réduite en cendresparla flamme de l'étoile filante (le Papyrus m" ~5, dans le Recueil, t. XXV111, p. 101). Il me semble, au contraire, qu'elle vit encore, mais que le serpent s'excuse de ne pouvoir pas expliquer comment elle est née il n'a pu approcher de l'endroit où l'étoile est tombée qu'après que l'incendie qu'elle avait allumé se fut éteint, et il a trouvé la fille seule parmi les cadavres, sans qu'il ait vu de ses propres yeux la manière de sa venue au monde.
(2) Le texte dit « Tu flaireras ta femme x. Les bas-reliefs (Guide <o the Cairo .fUM~Mm, S' édit. anglaise, 1910, p. 88) nous montrent le geste qui remplaçait le baiser chez les Égyptiens le roi et le dieu ou la déesse se mettent nez contre nez et aspirent l'haleine l'un de l'autre. (3) Les dieux et les rois d'Égypte avaient plusieurs âmes, sept, disait- ( on le Naufragé traite le serpent en divinité égyptienne et il lui parle de ses âmes pour le flatter. Chacune des âmes répondant à une qualité ou à un sens, décrire les âmes d'un personnage c'était tracer son portrait au physique et au moral. n (4i Le parfum ~'acc/oMa/iOtt, HAKANou, était l'une des sept huiles cano-' niques que l'on curait aux dieux et aux morts pendant le sacrifice. La composition n'en est pas connue le nom vient probablement des inyo- cations qui en accompagnaient la fabrication ou la présentation. M.

« des prudhommes de la Terre-Entière j'égorgerai pour « toi des taureaux pour les passer au feu, j'étranglerai « pour toi des oiseaux, et je te ferai amener des navires « chargés de toutes les richesses de l'Égypte, comme on « fait à un dieu, ami des hommes dans un pays lointain « que les hommes ne connaissent point ». Il rit de moi « pour ce que je disais, et à cause de ce qu'il avait dans « son cœur, il me dit « N'as-tu pas [ici sous tes yeux] « beaucoup de myrrhe, et tout ce qu'il y a ici c'est de l'en< cens car, moi, je suis le souverain du pays de Poua« nît (1), et j'ai de la myrrhe seul, ce parfum d'acclama« tion que tu parles de m'envoyer, il n'est pas abondant « en cette île. Mais il adviendra que, sitôt éloigné de cette « place, plus jamais tu né reverras cette île, qui se transformera en flots (2) ».
« Et voilà, le navire vint ainsi qu'il avait prédit d'a« vance; j'allai donc, je me juchai sur un arbre élevé et « je reconnus ceux qui y étaient (3). J'allai ensuite lui com« muniquer cette nouvelle, mais je trouvai qu'il la savait « déjà, car il me dit « Bonne chance, bonne chance, « vassal, vers ta demeure, vois tes enfants et que ton « nom soit bon dans ta ville voilà mes souhaits pour (1) Pouanit est le nom des contrées situées au sud-est de l'Égypte, d'abord à la hauteur de Saouakin et de Massouah, puis, par la suite, sur les deux rives du Bab-el-Mandeb, au pays des Somalis et dans t'Yemen. C'est de Là que les Égyptiens ont tiré de bonne heure les plus estimés des parfums qu'ils employaient au culte.
(2) C'est la fin de recevoir toute naturelle que le serpent oppose à la proposition du Naufragé quand même les présents seraient à son goût il ne pourrait les accepter, car, l'ile disparaissant, les messagers venant de l'Egypte ne la retrouveraient pas.
(3) Evidemment le conteur comprenait que les matelots étaient ceux-là même avec lesquels le conteur était parti d'Égypte et qui avaient péri au moment du naufrage (cf. p. 101, 109). C'est un miracle de plus, dont il n'y a pas lieu de s'étonner dans un récit aussi merveilleux; nous verrons d'ailleurs, plus loin, au premier conte de Satni (cf. p. 150-151 du présent volume), que les enfants du héros égorgés et jetés en pâture aux chiens, reparaissent vivants à Memphis.

« toi B Lors je m'allongeai sur le ventre, les mains pen« dantes devant lui, et lui, il me donna des cadeaux de « myrrhe, de parfum d'acclamation, de pommade, de « casse, de poivre, de fard, de poudre d'antimoine, de « cyprès, une quantité d'encens, de queues d'hippopo« tames, de dents d'éléphants, de lévriers, de cynocé« phales, de girafes, de toutes les richesses excellentes (1). « Je cnargeai le tout sur ce navire, puis je m'étendis sur « le ventre et j'adorai le serpent. Il me dit « Voici que « tu arriveras au pays, en deux mois, tu presseras tes « enfants sur ton sein et, par la suite, tu_iras_tej['ajeunlr « dans ton tombeau )). Et voici, je descendis au rivage à « l'endroit où était ce navire et j'appelai les soldats qui se « trouvaient dans ce navire. Je rendis des actions de « grâces sur le rivage au maître de cette île, et ceux du « navire en firent autant.
« Nous revînmes au Nord, à la résidence du Souverain, « nous arrivâmes au palais le deuxième mois, conformé« ment à tout ce que le serpent avait dit. J'entrai devant « le Souverain et je lui présentai ces cadeaux que j'avais « apportés de cette île, et il m'adora en présence des « prudhommes de la Terre-Entière. Voici qu'on'fit de moi « un serviteur et que j'eus comme récompense de beaux « esclaves. Abaisse ton regard sur moi, maintenant que « j'ai rejoint la terre d'Egypte, .après que j'ai vu et que « j'ai goûté ces épreuves. Écoute-moi, car voici, il est bon <( aux hommes d'écouter (2) ». Le prince me dit: « Ne fais (1) L'énumération, pour étrange qu'elle nous paraisse, n'a rien que de parfaitement authentique. On la retrouve presque la même, à mille ans et plus d'intervalle, sur le monument où la reine Hâtshopsouîtou de la XVH1' dynastie fit représenter le voyage de découverte, qu'une escadre, envoyée par elle, entreprit au pays de Pouanit. Par malheur, la plupart des substances ne nous sont pas connues, et nous ne pouvons que transcrire les noms anciens ou tout au moins émettre des conjectures sur la valeur qu'il convient de donner à chaque terme.
(2) Ici s'arrête le discours que le scribe prononçait pour donner du 8

« pas le malin, mon ami Qui doue donne de l'eau à une « oie la veille du jour où on doit l'égorgerr H' C'est fini, du commencement jusqu'à la fin, ainsi qu'il à été trouvé en écrit. Qui l'a écrit, c'est le scribe aux doigts habiles Amâouhi-Amanâou, v. s. f.
courage à son héros. Celui-ci, qui parait ne pas avoir confiance dans le sort qui l'attend, lui répond par un proverbe applicable a(s~position.

COMMENT THOUTIYI PRIT LA VILLE DE JOPPÉ (XX" DYNASTIE)
Les restes*de ce conté couvrent les trois premières pages subsistantes du Papyrus Harris n" 500, où ils précèdent immédiatement le Conte du Prince prédestiné. Comme le Conte du Prince prédestiné, ils furent découverts en 1874 par Goodwin, qui les prit pour les débris d'un récit historique, et qui fit part 'de sa découverte à là Société d'Archéologie hihtique (séance du 3 mars 1874) Goodwin, Translation of a F;'a~'K6mt of tin historical Narrative relating to the reign of Thotmes the T/tt~d, dans tes Transactions of the Society o/'BtM:ca< A!-c/t~o<oo< 1874, t. IIi, p. 340-348.
Il a été publié pour la première fois, avec transcription en hiéroglyphes et traduction, par
Maspero, comment Thoutii prit la ville de Joppé (Journal asiatique, 1878, sans les trois planches de fac-similé), et dans tes Études égyptiennes, 1879, t. l, p..49-72, avec les planches de fac-similé. Une traduction anglaise s'en trouve dans Flinders Pétrie, .E~ptMK Tales; t. II,p.i-12, et une traduction allemande dans A. Wiëdemann, ~~a'~</p<tsc/te Sagen und jMosyc~en, petit m-8°, Leipzig, 1906, p. 112-117.
Le début manque. Au point où nous prenons le récit, trois personnages sont en scène un officier égyptien appelé Thoutiyi, le prince d'une ville syrienne et son écuyer. Goodwin avait lu Imou; et identifié avec les E~m de la Bible ((reH.; xtv; 5; Deut:, 11, 10,11) le nom du pays où se passe la partie de l'action qui nous a été conservée. La forme réelle est Jôpoù, ou, avec l'orthographe grecque, Joppé. Cette lecture a été contestée à son tour (Wiëdemann, ~yptische Geschichte, p. 69-70) elle est cependant certaine, malgré tes

lacunes du papyrus et la forme cursive de l'écriture (Maspero, Notes sur quelques points de grammaire, dans la Ze!<se/t?'f/'<, 1883, p. 90). Birch, sans repousser entièrement l'authenticité du récit, suggéra qu'il pourrait bien n'être qu'un fragment de' conte (Egypt ~'om the earliest Times to B. C. 300, p. 103-104). J'en ai restitué le commencement en partant de l'idée que la ruse de Thoutiyi, outre l'épi-sode des vases qui rappelle l'histoire d'Ali-Baba dans les Mille et K?<e nuits, était une variante du stratagème que la légende persane attribuait à Zopyre (cf. Introduction, p. xxvm-xxix). Ici, comme dans les restitutions antérieures, je me suis attaché à n'employer que des expressions empruntées à d'autres contes ou à des monuments de bonne époque. Je n'ai pas eu, du reste, la prétention de refaire la partie perdue de l'œuvre j'ai voulu simplement esquisser une action vraisemblable, qui permît aux lecteurs étrangers à l'égyptologie de mieux comprendre la valeur du fragment.
Il y avait une fois dans la terre d'Égypte un général d'infanterie, Thoutîyi était son nom. Il suivait le roi Manakhpirîya (1), v. s. f., dans toutes ses marches vers les pays du Midi et du Nord (2) il se battait à la tête de ses soldats, il connaissait toutes les ruses qu'on emploie à la guerre, et il recevait chaque jour l'or de la vaillance (3), car c'était un excellent général d'infanterie, et il n'avait point son pareil en la Terre-Entière voilà ce qu'il faisait. Et beaucoup de jours après cela, un messager vint du pays de Kharou (4), et on le conduisit en présence de Sa Majesté, v. s. f., et Sa Majesté lui dit « Qui t'a envoyé « vers Ma Majesté ? Pourquoi t'es-tu mis en chemin ? » (1) Manakhpiriya est le prénom royal du Pharaon Thoutmôsis III de la XVIII' dynastie. La prononciation que je lui attribue est justiSée par la transcription abrégée Manakhbiya qu'on en lit dans les lettres d'El-Amarna. (2) C'est une formule constante sur les monuments égyptiens de l'époque < celui qui suit son maître dans toutes ses expéditions », à laquelle les variantes ajoutent a dans toutes ses expéditions au Midi et au Nord ».
(3) Les autobiographies d'Ahmasi-si-Abna et d'Amenemhabi nous font connaître les récompenses que lés rois égyptiens accordaient à ceux de leurs généraux qui s'étaient distingués dans l'action. On leur donnait des esclaves mâles et femelles, des objets pris sur le butin, et de l'or en anneaux que l'on appelait l'or de <a i)rauoM''e.
(4) Le pays de Kharou répond à notre Palestine, du moins à la partie de notre Palestine qui est située entre le Jourdain et la mer.
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